Richard M. Bucke
Conscience cosmique

La Conscience Cosmique est une forme de conscience plus élevée que celle possédée par l’homme ordinaire. Celle-ci est appelée Conscience personnelle ou encore Soi-Conscience. L’être, avant d’atteindre cette conscience personnelle, a passé par un degré que nous appellerons la simple conscience, les animaux supérieurs, ainsi que les enfants pendant les premières années de leur vie ne possèdent que la simple conscience.

Cette étude, de 1946, éditée par l’Entraide Fraternelle Internationale est presque entièrement formée de passages traduits empruntés au livre de l’Américain Richard Maurice Bucke (1837-1902), « Cosmic Conciousness ». Cet ouvrage a seulement été publié en Français en 1989 aux Éditions du 3e millénaire (aucun lien avec la revue 3e Millénaire).

(Revue Spiritualité. No 25. 15 Décembre 1946)

La Conscience Cosmique est une forme de conscience plus élevée que celle possédée par l’homme ordinaire. Celle-ci est appelée Conscience personnelle ou encore Soi-Conscience. L’être, avant d’atteindre cette conscience personnelle, a passé par un degré que nous appellerons la simple conscience, les animaux supérieurs, ainsi que les enfants pendant les premières années de leur vie ne possèdent que la simple conscience.

Il va être donné un grand nombre de citations de différents auteurs. Voici déjà les propres mots de Ed. CARPENTER pour dépeindre ce qu’est la Conscience Cosmique :

« Cependant si l’on me demandait comme on l’a fait parfois : Quelle est la nature de cet état d’âme, de cette splendeur illuminative dont vous parlez ? je serais obligé de répondre que je n’en puis donner aucune explication concise et nette. « Vers l’Affranchissement » tout entier est l’essai de cette expression; toute phrase isolée, toute définition directe ne serviraient à rien ou, plutôt, tendraient à obscurcir en limitant. Tout ce que je puis dire, c’est qu’il paraît exister une vision possible à l’homme, comme d’un point de vue plus universel, dégagé de l’obscurité et de la limitation de lieu qui semblent tout particulièrement s’attacher aux nuages passagers du désir, de la peur, et à toutes les pensées et les émotions ordinaires; en ce sens, cette vision est comme une faculté nouvelle et distincte; et, toute vision supposant une sensation de lumière, ici, également, il y a une sensation de lumière intérieure, qui n’a pas de rapport avec les yeux mortels, mais qui donne aux yeux de l’âme l’impression qu’ils voient, au moyen d’un milieu qui touche et pénètre la surface interne des objets, des choses et des personnes — comment m’exprimerai-je — cela même n’est pas tout à fait exact, — car on a la sensation d’être soi-même les objets, les choses et les personnes que l’on perçoit (et même d’être l’univers tout entier), sensation dans laquelle fusionnent et s’identifient la vue, le toucher et l’ouïe ».

Dans cette étude sont étudiés quatorze cas d’êtres qui ont atteint ce niveau supérieur. Ce sont : Gautama le Bouddha, Jésus le Christ, Saint Paul, Plotin, Mahomet, Dante, Las Cases, Saint Jean de la Croix, Francis Bacon (Shakespeare), Jacob Boehme, William Blake, H. de Balzac, Walt Whitman, Ed. Carpentier.

Ensuite viennent plusieurs cas douteux, incomplets, ou sur lesquels on manque de précision, comme : Moïse, Gédéon, Isaïe, Lî-R. (Lao-Tsé), Socrate, Roger Bacon, Pascal, Spinoza, Gardiner, Swedenborg, Wordsworth, Ch. Finney, Al. Ruskin, Emerson, Tennyson, Mme Guyon, H. D. Thoreau, Ramakrishna-Paramahansa, Rich. Jefferies, J. W. Lloyd, Horace Traubel, Paul Tyner, etc…

Presque tous ceux qui ont atteint la Conscience Cosmique ont été inquiets sur leur propre équilibre mental, et se sont demandés pendant un temps s’ils n’étaient pas le jouet d’une illusion ou souffrant d’un trouble pathologique.

Comment pouvons-nous savoir qu’il s’agit bien de l’éveil d’un nouveau sens ?

1° les tendances de l’individu qui atteint la Conscience Cosmique sont différentes, et même tout à fait opposées, à celles d’un homme atteint de trouble mental, ce dernier étant nettement amoral ou immoral, le premier, au contraire, étant d’une haute moralité;

2° l’empire sur soi (« inhibition, self-restraint »), au lieu d’être réduit, parfois même aboli complètement chez les déséquilibrés, est au contraire très développé chez les êtres que nous étudions;

3° il est certain que la civilisation moderne doit largement aux enseignements qui lui sont parvenus grâce à ce nouveau sens. Les « maîtres » reçoivent cet enseignement puis le transmettent au monde par l’intermédiaire de leurs écrits, de leurs élèves ou de leurs disciples;

4° ces grands êtres se reconnaissent entre eux et rien dans leurs enseignements ne contredit l’enseignement des autres. Par exemple Saint Paul, préalablement tout à fait mal disposé contre Jésus, aussitôt qu’il possède le sens cosmique (son illumination sur le chemin de Damas), proclame que ses enseignements sont la vérité. Mahomet accepte Jésus non seulement comme un des plus grands prophètes, mais le place nettement au-dessus de Adam, Noé, Moïse, etc… Whitman accepte l’enseignement de Bouddha, Jésus, Paul, Mahomet, spécialement celui de Jésus qu’il connaît le mieux, et tous ceux que l’auteur a pu approcher et qui ont été « illuminés » à un degré plus ou moins grand, sont d’accord sur les vérités essentielles et acceptent l’enseignement de leurs prédécesseurs.

Qualités communes à ces êtres : intelligence bien au-dessus de la moyenne; de même pour la beauté corporelle et la santé; par-dessus tout, le sens moral très développé, de fortes sympathies, le cœur chaud et vaillant, le sentiment religieux (dans son sens étymologique, du latin religare, relier — lien, union), le sentiment religieux très développé.

En quoi consiste cette expérience ?

1° assez souvent la personne, sans avertissement préalable, se sent immergée dans un nuage de couleur rose, ou comme environnée de flammes;

2° au même instant elle se sent baignée dans une émotion de joie, d’assurance, de triomphe, de « salut » ;

3° une illumination intellectuelle impossible à décrire. A partir de ce moment, l’être ne croit plus mais voit et sait : que le Cosmos est une présence vivante, que la vie qui est en l’homme est éternelle et que toute vie est éternelle, que l’univers est ainsi fait que toutes choses travaillent ensemble pour le bien de tous et de chacun, que le principe fondamental du monde est ce que nous appelons « Amour » et que le bonheur est absolument certain pour chaque individu au bout de sa longue course.

L’être apprend plus en ces quelques instants qu’en des mois ou des années d’étude.

4° Il lui vient le sens ou certitude d’immortalité et

5° la crainte de la mort disparaît,

6° de même pour l’idée de péché.

7° Tout cela se passe instantanément comme la vision d’un éclair.

8° Le caractère de l’être était remarquable dès avant son illumination.

9° L’âge auquel vient cette illumination varie entre 30 et 50 ans, le plus souvent de 32 à 37.

10° Ces êtres ont un charme qui attire à eux hommes et femmes.

11° L’impression produite est formidable et influe sur toute la vie de l’être; il est « transfiguré », Dante disait « transhumanisé en Dieu ».

Dante, Saint Jean de la Croix, Pascal, Saint Paul, ont éprouvé une expérience où l’illumination intellectuelle et l’élévation morale leur venaient brusquement avec une impression de lumière intense. Chez d’autres, comme chez Carpenter, cette impression ne se produit pas et la connaissance leur vient doucement, graduellement.

Il a été donné différents noms à cette faculté : c’est le Nirvana dont parle Bouddha: Jésus l’appelle le Royaume de Dieu ou Royaume des Cieux; Paul l’appelle « Christ ». Il parle de lui-même comme d’un « homme en Christ », de ceux qui « sont en Christ ». Il dit encore « l’Esprit » ou « l’Esprit de Dieu ». Mahomet appelle le sens cosmique « Gabriel » et semble l’avoir regardé comme une personne distincte qui lui parlait. Dante l’a appelé « Béatrice », nom qui veut dire littéralement « qui rend heureux ». Balzac appelle l’homme nouveau, un « spécialiste » et la nouvelle condition « spécialisme ». Whitman dit « mon âme », mais en parle comme s’il s’agissait d’une autre personne.

La Conscience Cosmique qui n’est apparue jusqu’alors que chez des individus isolés se manifestera, selon toute évidence, plus fréquemment et chez des individus de plus en plus jeunes. Elle se généralisera de plus en plus. De même en a-t-il été de la conscience personnelle qui est en chaque être maintenant et se développe vers l’âge de trois ans. Selon toute évidence, elle a dû apparaître d’abord chez des individus isolés en pleine maturité, puis elle s’est généralisée et s’est manifestée chez des êtres de plus en plus jeunes. Ainsi en sera-t-il pour la conscience cosmique.

Voici en quels termes les illuminés décrivent leur joie : Gautama Bouddha parle du « bonheur le plus élevé ».

Dans le Mahabharata, dont l’auteur inconnu fut certainement un illuminé, il est parlé de celui « dont le bonheur est en lui-même et qui possède aussi en lui la lumière de la connaissance. Il devient un avec Brahma et connaît la félicité de Brahma ».

Dante a nommé « Béatrice » le sens cosmique, ce qui veut dire « qui rend heureux ». « Ce que je voyais me semblait un sourire de l’univers, et mon ivresse me venait de ce que je voyais et de ce que j’entendais; O joie ! ineffable bonheur, O vie entière d’amour et de paix ».

Boehme en a dit ceci : « Le langage de la terre est tout à fait insuffisant pour décrire ce qu’il y a de joie, de bonheur, d’amour dans les merveilles intérieures de Dieu. La constitution de l’homme est trop froide et trop sombre pour en traduire une étincelle dans son langage ».

Chez Carpenter on trouve : « Toute peine abolie ». « Le profond, profond océan, de joie intérieure « Plein de joie, chantant la joie sans fin ».

Whitman a dit : « Je suis satisfait, je vois, je danse, je ris, je chante ». « 0 joie de mon esprit, il est délivré, il brille comme un éclair ». « L’océan de joie, une atmosphère de joie, Joie, Joie, en liberté, adoration, amour ! ».

Sur la difficulté d’exprimer comme il le souhaitait, Whitman a dit encore: « Puisque ceux-ci voient et sentent et savent autant, pourquoi ne donnent-ils pas au monde le bénéfice de tout cela ? Quand j’entreprends de dire le meilleur, je sens que cela m’est impossible — ma langue est inactive, mon souffle n’obéit plus et je suis comme muet ».

Dante dit « que sa vision contient tant dans un coup d’œil qu’elle est trop grande pour notre langue ».

Ceci vient de ce que notre langage s’accorde avec la conscience personnelle intellectuelle, peut l’exprimer et ne peut exprimer plus. Il ne cadre pas avec le sens cosmique et ne peut réussir à l’exprimer ou du moins que de très loin et avec des termes qui ne conviennent en réalité qu’à la conscience personnelle individuelle.

Il ne faut pas croire que celui qui a atteint la conscience cosmique est devenu pour cela omniscient et infaillible. Il entre en jouissance d’un nouveau sens dont il doit apprendre à se servir, pour le maîtriser et l’exploiter.

GAUTAMA BOUDDHA fut un cas de conscience cosmique, et le point central de son système, le Nirvana, fut la doctrine du Sens Cosmique. Le Bouddhisme peut être résumé en ceci : il existe un état mental si heureux, si glorieux, que toute autre chose est moins que rien en comparaison, une perle d’un prix tel que l’homme sage se débarrasse volontairement de tout ce qu’il possède afin de l’acquérir. Cet état peut être atteint. L’objet de toute la littérature bouddhiste est de donner une idée de cet état et de guider les aspirants vers cette glorieuse contrée qui est littéralement « le royaume de Dieu ».

Les deux points principaux de l’enseignement de JÉSUS furent de faire connaître aux hommes ce que le sens cosmique lui avait apporté et de leur donner le goût de travailler eux-mêmes à atteindre le « royaume de Dieu ».

Après ces quelques mots d’introduction, la lecture des Évangiles devient claire et lumineuse.

Mathieu. Chap. 5-3. 5-10. 5-19. 6-33. 7-21. 12-18. 13-11. 13-33. 13-44. 13-45. 16-19. 18-1. 18-23. 19-24. 20-1 à 15.21-28. 21-43. 22-1 à 14. 23-13. 25-1 à 12. 25-14 à 30.

Marc. 4-26. 9-47.

Luc. 16-16. 17-20. 18.29.

Jean. 3-3 à 5.

SAINT PAUL d’adressant aux Galates, puis aux Corinthiens dit ceci :

« Je vous déclare, frères, que l’Évangile que je vous ai prêché n’est pas de l’homme; car je ne l’ai ni reçu, ni appris d’un homme, mais par révélation de Jésus-Christ. »

« Le fruit de l’Évangile, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité, la douceur, la tempérance; il n’y a point de loi contre ceux qui vivent de la sorte ».

« Si j’annonce l’Évangile, ce n’est pas pour moi un sujet de gloire, car la nécessité m’en est imposée ».

« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit. Et quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ».

« Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles ».

PLOTIN (né en 204, mort en 274).

Dans sa lettre à Flacus nous voyons :

« Je suis déjà fatigué de cette prison de chair, le corps, et j’attends paisiblement le jour où la divine essence qui est en moi sera délivrée de la matière… Purifiez votre âme de tout espoir déplacé et de toute crainte concernant les choses de la terre, mortifiez le corps; repoussez toute affection égoïste aussi bien que tout désir, et l’œil intérieur commencera à exercer sa vision claire et profonde ».

« Le savoir comprend trois degrés : opinion, science et illumination. Le moyen ou instrument du premier est les sens; pour le second, la dialectique; pour le troisième, l’intuition. Je place la raison en-dessous de cette dernière. Il est une connaissance absolue par l’identification de l’esprit avec l’objet ».

« Vous pouvez seulement saisir l’Infini par une faculté qui est supérieure à la raison, en entrant dans un état où vous n’êtes plus vous-même un soi défini, mais sur lequel la divine essence vous est communiquée ».

« Ce sublime état n’est pas d’une durée permanente, c’est seulement de temps à autre que nous pouvons y atteindre et en jouir (bienheureusement cela est en notre possibilité). Tout ce qui tend à fortifier et élever l’esprit vous aidera à atteindre votre but et réduira les intervalles entre ces heureux événements. Il y a donc différentes routes par lesquelles cette, fin peut être atteinte : l’amour du beau qui exalte le poète, la dévotion à l’Unique et cette élévation que donne la science et qui fait l’ambition des philosophes, cet amour et ces prières par lesquelles l’âme ardente et dévote tend à la perfection par la pureté morale ».

MAHOMET (5 70-632). Voir les traductions françaises du Coran.

DANTE (1265-1321)

Dans la bouche de Béatrice il met ceci : « Avec moi tu seras éternellement un habitant de cette Rome dont Christ est un citoyen ».

Dans le « Purgatoire » il y a : « La gloire de Celui qui anime toute chose a pénétré à travers l’univers tout entier et brille ici et là plus ou moins. Dans les cieux qui reçoivent plus de cette lumière j’ai été, et j’ai vu des choses telles que celui qui redescend de ces régions ne sait ni n’est capable de raconter ».

LAS CASES (1474-1566).

Il voua sa vie à la défense des Indiens du Nouveau Monde. Ses sentiments de justice et d’humanité, son influence sur les hommes, firent de lui une superbe individualité.

SAINT JEAN DE LA CROIX ( Juan de Yepes) (1542-1591) .

Fragment de la « Prière de l’âme embrasée de l’amour divin » :

« Les cieux sont à moi; la terre est à moi; les nations, à moi; les justes, à moi; les pécheurs, à moi ! Les Anges sont à moi; et la Mère de Dieu, et toutes choses créées ! Mon Dieu lui-même est à moi et pour moi, puisque Jésus tout entier est à moi et pour moi! Que demandes-tu donc et que cherches-tu encore, ô mon âme ? Tout est à toi; tout est pour toi; ne te rabaisses point! Ne t’arrête pas à quelques miettes tombées de la table de ton Père ! Lève-toi et glorifie-toi de ce qui fait ta gloire; cache-toi en elle et réjouis-toi; les désirs de ton cœur seront exaucés ! »

« Ce n’est rien d’autre que la lumière surnaturelle, éclairant la compréhension afin que l’intelligence humaine devienne divine, soit un avec le divin. De la même manière, l’amour divin enflamme la volonté de telle façon qu’elle devienne rien moins que divine, aimant d’une façon divine, unie et ne faisant qu’un avec la divine volonté et le divin amour ».

« Celui qui gravit ces sommets sent défaillir sa propre vie. Tout ce qu’il savait jusqu’alors lui semble digne d’un profond mépris, et sa science est d’autant plus parfaite qu’il reste ne sachant plus rien, transporté plus haut que toute science ».

FRANCIS BACON (1561-1625), est très probablement l’auteur des pièces et des sonnets de « Shakespeare ». Ce qui est certain, d’après l’étude de ces pièces et de ces sonnets, c’est que leur auteur posséda la conscience cosmique.

JACOB BOEHME (1575-1624).

« Une porte s’ouvrit en moi de telle façon qu’en un quart d’heure je vis et j’appris plus que je n’aurais fait en plusieurs années d’étude dans une université ».

« Je ne suis pas un maître, ni en littérature, ni en art, mais un simple d’esprit. Je n’ai jamais désiré apprendre aucune science, mais depuis ma prime jeunesse je me suis efforcé de sauver mon âme et je pensais au moyen de gagner ou de recevoir le royaume des cieux. Trouvant en moi-même une puissance contraire, savoir les désirs de la chair et du sang, je commençais une rude bataille contre ma nature impure et, avec l’aide de Dieu, j’ai rendu mon esprit capable de dominer les puissances malfaisantes, de les briser et d’entrer complètement dans l’amour de Dieu dans le Christ… Tandis que je combattais et luttais ainsi, aidé de Dieu, une merveilleuse lumière s’éleva dans mon âme… ».

« Ce n’est pas moi, le moi que je suis, qui sais ces choses; mais Dieu les sait en moi ».

« Et il en était en moi comme d’un jeune arbre qui est planté en terre; en premier il semble jeune et florissant. Mais il ne porte pas encore de fruits, et quoique en fleurs, celle-ci tombent. Plus d’une fois passera sur lui la neige, le gel et le vent avant qu’il se développe et porte des fruits ».

« J’étais aussi simple, concernant ces mystères cachés, que le plus simple de tous, mais mon ignorance, ma candeur pour ce qui est des merveilles de Dieu, m’instruisit de telle sorte que je dois les écrire; mon but est simplement de faire un mémorandum pour moi-même et ensuite je parlerai à beaucoup, ainsi que Dieu sait ».

« C’est en toi, si tu peux pendant un temps anéantir toute pensée et tout vouloir, que tu entendras les mots indicibles de Dieu ».

« Tu marcheras là où c’est le plus dur, et tu prendras ce que le monde rejette; et ce que le monde fait, tu ne le feras point. Marche contrairement au monde en toute chose. Ainsi tu iras par le chemin le plus court ».

« Quand le monde perçoit ce feu d’amour chez les enfants de Dieu, il dit qu’ils sont devenus fous; mais pour les enfants de Dieu c’est le plus grand des trésors, si grand qu’aucune vie ne peut l’exprimer ni qu’aucune langue ne peut dire ce qu’est cet amour enflammé de Dieu. Il est plus blanc que le soleil et plus doux qu’aucune chose, il est plus nourrissant qu’aucun aliment ou boisson, et plus réjouissant que toute la joie du monde. Celui qui le possède est plus riche qu’aucun roi sur la terre, plus noble que puisse l’être un empereur, et plus puissant et plus fort qu’aucune autorité ou pouvoir »

WILLIAM BLAKE (1757-1827).

Parlant lui-même de ses écrits et de la façon dont ils lui furent inspirés, il dit : « Je ne prétends être que le secrétaire les auteurs sont dans l’éternité… ». « J’ai écrit ce poème sous la dictée directe, douze ou quelque fois vingt ou trente lignes à la fois, sans aucune préméditation, et même contre ma volonté ».

HONORE DE BALZAC (1799-1850).

Il atteignit la conscience cosmique en 1831 à l’âge de 32 ans et immédiatement après écrivit « Louis Lambert ». Dans ce livre et dans « Séraphita », il met en scène deux « illuminés » auxquels il prête les sentiments qu’il a lui-même éprouvés. Il les appelle des « spécialistes », le Spécialisme étant la « vue d’ensemble », le sens cosmique.

Il faut lire ces deux ouvrages, ainsi que « Les Proscrits ». C’est là qu’il met en scène Dante et met dans sa bouche des mots qu’il aurait pu dire lui-même. Donc, Dante, parlant d’un jeune homme qui s’est confié à lui, dit ceci :

« Ainsi, ce pauvre petit se croit un ange banni du ciel ! Et qui parmi nous aurait le droit de le détromper ? Sera-ce moi ? Moi qui suis enlevé si souvent par un pouvoir magique loin de la terre ; moi qui appartiens à Dieu ; moi qui suis pour moi-même un mystère. N’ai-je donc pas vu le plus beau des anges vivant dans cette boue ? Cet enfant est-il donc plus ou moins insensé que je ne le suis ? A-t-il fait un pas plus hardi dans la foi ? Il croit ; sa croyance le conduira sans doute en quelque sentier lumineux semblable à celui dans lequel je marche ».

Dans « Louis Lambert », ceci :

« Le spécialisme est nécessairement la plus parfaite expression de l’homme, l’anneau qui lie le monde visible aux mondes supérieurs : il agit, il voit, il sent par son intérieur. L’abstractif pense. L’instinctif agit ». « De la trois degrés pour l’homme : INSTINCTIF, il est au-dessous de la mesure; ABSTRACTIF, il est au niveau ; SPECIALISTE, il est au-dessus. Le SPECIALISME ouvre à l’homme sa véritable carrière. L’infini commence à poindre en lui là, il entrevoit sa destinée ».

Les contemporains de Balzac, entre autres Lamartine, Théophile Gauthier et George Sand, nous ont décrit l’homme qu’il fut, l’impressionnante figure qui se faisait aimer de tous, rayonnant la joie et la bonté. Sa sœur décrit l’exaltation joyeuse et extraordinaire où elle le vit un jour. Pour faire son formidable travail, les quarante volumes de la « Comédie Humaine », il vécut une existence de moine (dont il portait d’ailleurs le costume) , toute consacrée à la tâche qu’il s’était imposée, à savoir d’exposer dans une suite d’histoires chaque détail de la vie et des coutumes en France pendant la première moitié du XIXe siècle. La forme est loin d’en être parfaite et fut souvent critiquée, mais l’étude de ces ouvrages montre l’ampleur de cet esprit « pénétrant, profond, intuitif, immense ».

WALT WHITMAN (1819-1892).

Il est un cas extrêmement net et intéressant de conscience cosmique. Les « Feuilles d’herbe » (Leaves of grass), poèmes qu’il écrivit dans les années qui suivirent son illumination, ne sont qu’un long cri d’amour et de joie, de reconnaissance, de sympathie envers tous les êtres et de communion avec tout dans la nature. « Il se peut que Whitman soit le premier homme qui, ayant la conscience cosmique très développée, au lieu de se laisser mener et dominer par ce nouveau sens, ait au contraire entrepris de le développer de s’en rendre maître comme il l’était de la soi-conscience — en somme de tout ce qui compose sa propre individualité. Il vit (ce que ni Gautama, ni Paul ne virent, mais dont Jésus se rendit compte, quoique sans doute moins complètement que lui), que bien que cette faculté soit réellement divine, elle n’est ni plus surnaturelle, ni plus extraordinaire que la vue, l’ouïe, le goût, le toucher, ou tout autre sens et, par conséquent, il refusait de lui accorder une puissance illimitée et ne lui permettait pas de dominer et d’étouffer les autres sens. Il crut en elle, mais il disait que l’autre lui-même, le vieux lui-même, ne devait pas s’abaisser devant le nouveau ; il veillait à ce qu’ils vivent côte à côte en « collaborateurs ».

La plupart de ceux qui ont joui de la conscience cosmique l’ont, au contraire, envisagée comme une faculté surnaturelle, faisant d’eux des surhommes et les mettant au-dessus des êtres humains. Presque tous ont cherché à aider les hommes, car leur sens moral était grandement développé, mais ils n’avaient pas senti le besoin, ni probablement eu la possibilité d’utiliser cette connaissance et ce pouvoir nouveau d’une manière systématique.

Cette fausse compréhension, chez Paul et chez Gautama par exemple, a été l’origine du « mépris de la chair », et de là est venu l’enseignement qu’une partie de l’homme est « bonne » et doit être cultivée et que l’autre, la chair, la « nature humaine » doit être combattue et si possible extirpée.

Walt Whitman a visé à faire de lui un être équilibré, jouissant, au maximum de leurs possibilités, de tous ses sens anciens et nouveaux. Voici quelques mots extraits de ses œuvres en prose :

« Je dirais en effet que seules, de la pureté absolue et de la solitude parfaite de l’individualité, découle effectivement la spiritualité de la religion ».

« Alors seulement viennent la méditation, les pieux transports, l’envol de l’âme : alors vient la communion avec les mystérieux, les éternels problèmes : d’où venons nous ? où allons-nous ? Être soi et personnel et l’âme émerge, et toutes les institutions, églises, sermons, s’évanouissent en vapeur. Pensée silencieuse et personnelle, aspiration — et soudain la conscience intérieure rayonne alors merveilleusement telle une inscription écrite en lettres magiques et jusqu’alors invisible. Les livres saints, les prêtres peuvent être une aide, mais seul, le « Soi » qui s’isole dans le silence, entrera dans la pure région de la vénération, atteindra le niveau divin, et communiera avec l’inexprimable ».

EDWARD CARPENTER (1844-1929).

Son principal ouvrage fut un recueil de poèmes « Towards Democraty » (Vers la Démocratie) qui fut traduit partiellement en français par M. Sénard sous le titre de « Vers l’Affranchissement ».

L’apparition de la conscience cosmique chez un individu peut être comparée à un lever de soleil : aux ombres de la nuit viendra succéder une grande clarté, mais entre les deux s’étend toute une période de crépuscule, de demi-jour. Ainsi en est-il pour la conscience cosmique. Avant d’y atteindre complètement, les êtres sont déjà éclairés intérieurement. Il se peut que le soleil ne se lève jamais pour eux dans cette vie présente, mais leur vie spirituelle est grandement influencée et ils aperçoivent ce qui, en pleine nuit, leur était complètement caché.

Pour beaucoup cela se passe comme dans les régions arctiques en hiver : le soleil ne dépasse point l’horizon, son globe de feu effleure seulement le bord de la terre, passe du sud-est au sud, puis au sud-ouest, sans pourtant montrer sa face rayonnante. Le paysage est éclairé certes, mais ce n’est pas comparable à l’éblouissement des journées d’été. De nos jours bien des êtres jouissent de cet éclairage crépusculaire, bien différent déjà de l’obscurité de la nuit.

Comme nous l’avons déjà dit, presque tout ce qui précède a été traduit d’après l’ouvrage en anglais de R. Buck. Pour les citations des ouvrages en langue allemande, espagnole, etc… il ne nous a pas, toujours été possible de nous procurer les traductions qui existent déjà de ces langues directement en français. C’est pourquoi on remarquera des différences de termes dont nous nous excusons.

Il nous semble intéressant de parler ici de Krishnamurti[1], de noter qu’il serait à ajouter à la liste de ceux qui possédèrent la Conscience Cosmique et d’inviter à lire ses poèmes et œuvres en prose.

Il y enseigne le chemin qui conduit au « Royaume du Bonheur » où il est entré lui-même par la libération et l’amour. Il est en union avec le « Bien-Aimé » ainsi qu’il le répète souvent :

« Je le vis, non tandis que je m’efforçais d’aller à Lui, mais alors que j’étais paisible et qu’en moi jaillissait une source bouillonnante de bonheur. Je le vis remplir le ciel, les pelouses, je le vis dans l’arbre et dans la terre, je le vis partout et je le vis en moi-même, et mon temple ainsi devint vivant, son Saint des Saints parfait. J’étais Lui-même, Il était moi; là, pour moi, était la Vérité ».

« De quoi pourrions-nous parler, sinon du Royaume du Bonheur et de la possibilité, tandis que l’attrait du monde et sa beauté nous entourent, de trouver le Bonheur spirituel, ce Royaume du Bonheur au-dedans de nous. Vous oublier, identifier votre âme avec l’Éternel, est le seul moyen d’acquérir ce Royaume ».

« Cherchez la grande lumière, séjour de Vérité, Royaume du Bonheur, et là, établissez votre demeure. Dans l’exaltation de cette extase, dans cette formidable joie, délivré de l’unique fardeau qui nous retenait : le « moi », on parvient à l’unique source d’inspiration, à l’unique beauté désirée, à l’unique vérité digne d’être recherchée et conquise, digne qu’on sacrifie tout pour la posséder ».

« Le Bouddha, le Christ, les autres grands Initiateurs du monde sont allés à la source de la vie, ils sont devenus les artistes suprêmes. Une fois qu’elles ont connu la nature et la suprême grandeur de la Source, ces Grandes Ames sont devenues elles-mêmes la Source, le Sentier, l’Incarnation de la Sagesse et de l’Amour. Ayons cela pour but. Vous ne pouvez tous être le Bouddha ou le Christ, mais vous pouvez avoir tous les mêmes rêves, les mêmes désirs, les mêmes aspirations. Quand vous aurez pris conscience de la gloire de leur Royaume, vous pourrez vous mettre à l’œuvre pour exprimer à votre façon particulière votre vision de l’éternelle gloire, vous serez le plus grand des écrivains, le plus grands des artistes, le plus grand des savants, vous aurez l’éloquence du sage. Là réside la joie exaltée de la vie spirituelle, l’unique ambition qui vaille qu’on la réalise. Soyez libres, non seulement dans sentiments et vos pensées, mais libres aussi de toute entrave matérielle. Le plus grand bonheur est à ce prix, dans cette liberté totale. C’est la grande porte ouverte vers le Royaume du Bonheur ».


[1] Rappelons que c’est Krishnamurti d’avant les années 1930 qui par la suite changera continuellement son langage, le rendant plus impersonnel et précis.