J. Rebotier et J.M. Agasse
Alchimie, contes et légendes

Le corps, l’âme et l’esprit vital sont comme la lampe, l’huile et la mèche. De même que la mèche ne saurait servir dans une lampe sans huile, de même l’esprit vital ne saurait être utilisable dans un corps sans âme. L’es­prit vital du corps, c’est le sang, l’âme en est le souffle, qui se répartit dans le sang et le cœur, jusqu’aux extré­mités du corps : ce dernier, vous le savez, consiste en chair, en os et en nerfs. Sachez que si vous logiez l’esprit vital seul dans le corps sans y introduire l’âme, le corps n’aurait point de clartés ; il serait comme enveloppé de ténèbres. Quand vous y faites pénétrer l’âme, le corps s’affine, se purifie et prend un bel aspect. Saisissez bien ce que je vais vous décrire, car c’est une chose importante et personne ne pourrait être guidé vers la science cachée dont je parle, s’il ne connaissait ce chapitre. Ne voyez-vous pas que le feu possède une clarté, des rayons et de l’éclat ; si vous l’arrosez avec de l’eau, la clarté et l’éclat disparaissent et il devient ténèbres après avoir été clarté.

(Revue Question De. No 51. Janvier-Février-Mars 1983)

Dans nombre de traditions, le sacré pouvait se communiquer dans une révélation person­nelle et directe : le rêve est alors une voie d’ac­cès à l’invisible. Les quelques extraits que nous reprenons ici – tirés du livre « Alchimie. Contes et légendes » de J. Rebotier et J.-M. Agasse, paru aux Éditions L’Originel – en sont le témoignage. Ces histoires, dans un va-et-vient continuel entre conscient et inconscient, font pénétrer le lecteur dans un monde « autre » et révèlent le processus même de l’œuvre : la mort, l’union, la renaissance.

J’ouvris les portes et, arrivé à la dernière, je trouvai en face de moi une plaque d’un aspect brillant et multico­lore, dont il m’était impossible de supporter l’éclat lorsque je la regardais.

Sur cette plaque se trouvait une inscription en sept langues ; la première était en langue égyptienne. Je lus cette inscription. Elle commençait ainsi : « Je vais vous proposer l’allégorie du corps, de l’esprit vital et de l’âme ; étudiez-la avec votre raison et votre intelligence et, si vous lui donnez toute votre attention, vous aurez une bonne direction pour accomplir chaque œuvre et pour connaître tout ce qui est caché.

« Le corps, l’âme et l’esprit vital sont comme la lampe, l’huile et la mèche. De même que la mèche ne saurait servir dans une lampe sans huile, de même l’esprit vital ne saurait être utilisable dans un corps sans âme. L’es­prit vital du corps, c’est le sang, l’âme en est le souffle, qui se répartit dans le sang et le cœur, jusqu’aux extré­mités du corps : ce dernier, vous le savez, consiste en chair, en os et en nerfs.

« Sachez que si vous logiez l’esprit vital seul dans le corps sans y introduire l’âme, le corps n’aurait point de clartés ; il serait comme enveloppé de ténèbres. Quand vous y faites pénétrer l’âme, le corps s’affine, se purifie et prend un bel aspect.

« Saisissez bien ce que je vais vous décrire, car c’est une chose importante et personne ne pourrait être guidé vers la science cachée dont je parle, s’il ne connaissait ce chapitre. Ne voyez-vous pas que le feu possède une clarté, des rayons et de l’éclat ; si vous l’arrosez avec de l’eau, la clarté et l’éclat disparaissent et il devient ténèbres après avoir été clarté.

Extrait du Songe d’Ostanès

Et, regardant davantage sur cette déclaration de la des­cription de l’anneau et de ce qui était contenu, j’ai vu en la première partie de la chaîne dorée, c’est-à-dire le sceau de la première opération écrit en lettres argentées, c’est-à-dire le mercure, disant : « Mettez-moi dans le chaud et l’humide parce que je suis débile ». Sur cela le vieillard interrogé sur ce que signifie cette écriture, répond que cette écriture est la clef et la première opération de la pierre, qui est dit la putréfaction des philosophes ou la digestion de toute la pierre physique, dissoute en première matière en son temps, savoir en quarante jours, en feu chaud et humide, en feu chaud de cheval ou en bain-marie philosophique, car l’aliment ne peut être converti en autre nourriture que par sa digestion ; ainsi notre pierre ne peut être convertie en esprit, ni l’Âme être tirée du Corps par l’Esprit, que par sa digestion de putréfaction qui est la clef de la philosophie, parce que plus la chose approche du simple plus elle se parfait, et sache à cause de cela que si n’est pourri tu ne pourras parvenir au grand arcane de toute la philosophie naturelle.

Et comme, au dire d’Aristote, tous les hommes veulent savoir de leur nature – en sa Métaphysique – ayant la première opération de la pierre, désirant savoir les six autres, on les apercevait dans la vision, et, en regar­dant, j’ai vu la deuxième chaîne, au commencement argentée et à la fin dorée, c’est-à-dire la deuxième opéra­tion de la dite pierre ; et en la partie argentée il y avait un sceau écrit en lettres d’or qui y était posées, disant : « Je suis digéré doucement, je suis animé, c’est pourquoi exaltez-moi et me levez du plus pesant ». Et, interrogé par moi qu’il me daignât déclarer le deuxième sceau, il me répondit : « Sache donc et comprends ce que je te dirai. Ce deuxième sceau est la deuxième opération de cette pierre, qui est dite notre distillation, et la première partie de la susdite chaîne bien argentée dénote premièrement ce qui est distillé, qui est le mercure ou argent vif spiri­tuel animé, qui est dit teinture blanche. La deuxième partie de la chaîne dorée dénote ce qui est distillé deuxiè­mement et troisièmement, qui est l’Âme ou l’huile teinte en rouge, qui est le soleil des philosophes, et c’est la deuxième clef du secret de philosophie. »

La troisième chaîne était dorée, inscrite de lettres dorées, disant : « Ce troisième sceau signifie (le teint du teint) la vraie séparation du mercure de l’air, ordonnant d’être plusieurs fois exalté par soi dans l’humide, c’est-à-dire distillé dans le bain, qui est la troisième clef de l’œuvre. » Dans la quatrième chaîne, argentée, j’ai vu un sceau posé en lettres d’or, disant : « Je veux que tu m’exaltes, sépare, subtilise-moi, afin que je puisse être réduit à la perfec­tion. » Ce quatrième sceau signifie l’exaltation ou la dis­tillation de l’Esprit animé par soi-même, qui est la qua­trième clef de la préparation.

Or j’ai vu la cinquième chaîne, tant dorée qu’argentée, et il y avait en elle un sceau écrit en lettres d’argent, disant : « J’ai soif, je tombe en grande défaillance, abreuvez-moi et me blanchissez. » Et le vieillard, interrogé ce que l’écri­ture signifiait, dit : « C’est là un grand secret, savoir que le Corps est mort, inanimé et calciné, et qu’il faut qu’il soit imbibé avec une partie de l’Esprit animé, et qu’il faut blanchir le dit Corps afin que, moyennant la dispo­sition de l’autre esprit animé, il puisse plutôt arriver dorée qu’argentée, avec son sixième sceau écrit en lettres d’or, disant : « Nous sommes veufs et orphelins, éloignés de notre propre maison ; c’est pourquoi ramène-nous-y, afin que le Corps, nous embrassant, soit aimé de nous. » Lequel vieillard dit que c’était la résurrection de l’eau et du jour sur le Corps mort, d’autant que l’Âme ne peut subsister sans le Corps, ni le Corps sans l’Âme, qui est la sixième clef de notre œuvre.

Or j’ai vu la septième opération dans la septième chaîne, tant dorée qu’argentée, dans laquelle était le dernier sceau scellant toutes choses, dans lequel était écrit en lettres tant dorées !qu’argentées : « Fais nous légèrement avec un feu aimable, de façon qu’aucune violence ne nous puisse séparer. » Lequel vieillard dit : « Ce dernier est la nutrition de la perfection, qui est de faire dissoudre le fixe par notre mercure. » C’est la septième et dernière partie de la clef de l’œuvre des philosophes.

Tout étant parfait, mû du désir des opérations de ce Livre, j’ai dit au vieillard : « Je te conjure, par le grand Dieu du ciel, de m’ouvrir le Livre par ta bonté et de me révéler et montrer les choses qui sont écrites dedans. »

Extrait de Arnaud de Villeneuve « La chaîne dorée »

Les médecins prirent donc le cadavre du roi, le lavèrent jusqu’à ce que toute la médecine qui restait fut enlevée, et le firent sécher. Ils prirent ensuite une partie de sel ammoniac et deux parties de nitre alexandrin, qu’ils mêlèrent avec la poudre du mort ; avec un peu d’huile de lin, ils en firent une pâte, et la placèrent dans une chambre faite en forme de croix, avec une ouverture à la partie inférieure ; ils le placèrent au-dessous de cette ouverture, dans un autre vase, fait en forme de croix, et le laissèrent là une heure. Enfin ils le couvrirent de feu et soufflèrent jusqu’au point de le faire fondre ; ils descen­dirent alors par l’ouverture dans la chambre placée au-dessous. Enfin le roi, revenant de la mort à la vie, jeta un grand cri : Où sont les ennemis ? dit-il, je les tuerai tous, s’ils ne viennent sans retard se soumettre à moi. Tous accoururent donc vers lui en disant : Seigneur, nous voici, nous sommes prêts à obéir à vos ordres. C’est pourquoi depuis ce moment, les rois et les puissants des autres nations l’honorèrent avec crainte comme auparavant.

Et quand on voulait voir de ses merveilles, on plaçait dans un vase une once de mercure bien lavé, et on jetait à L’air l’a engendrée et le feu l’a élevée, c’est pourquoi elle est la reine de la terre, ses seins sont gonflés de lait et de miel, ses lèvres distillent le miel, le miel et le lait sont sous sa langue et l’odeur de ses vêtements est pour les […]sa surface à peu près la grosseur d’un grain de millet, des ongles, des cheveux ou du sang du roi, et en soufflant légèrement sur les charbons qui l’empêchaient de refroi­dir, on trouvait la pierre que je sais bien ; on projetait un peu de cette pierre sur du plomb purifié, lequel pre­nait aussitôt la forme que je sais bien ; on plaçait ensuite une partie de cela sur dix de cuivre, et le tout devenait excellent et d’une seule couleur ; on prenait alors cette troisième pierre, on la mêlait comme plus haut avec du sel et de l’or ; on la liquéfiait, et on jetait ses sels dissous sur du petit-lait de chèvre. Ainsi s’accomplissait l’œuvre excellente entre toutes.

Extrait de Allégorie de Merlin

Le Roi qui n’en pouvait plus de rire, demanda : « Com­ment un vieillard pourrait-il naître encore une fois ? Peut-il donc revenir au ventre de sa mère et naître de nouveau, comme tu le prétends ? » La vieille répondit : « Tu es maître en Israël et tu ignores cela ? Ne sais-tu pas que rien ne s’enfonce dans le Mercure, hormis le Soleil ? Rien de meilleur donc que ton union avec ta mère et ton retour en son sein : grâce à toi en effet, elle trouve le calme et cesse de fuir ; quant à toi, ta propre substance reçoit le vase qui lui convient. Au reste, ce qui est pénible ne disparaît que chassé par ce qu’il y a de meilleur dans ce qui est agréable, et ce qui est agréable que chassé par ce qu’il y a de pire dans ce qui est pénible. Je n’ai pas créé aveuglement ni sans fournir les remèdes. Qui aime sa vie la perdra. Ce n’est que lorsque on semble avoir perdu ce qu’on avait que commence à apparaître ce qu’on n’avait pas. Ce qui détruit, régénère et la cause de la corruption est aussi celle de la régénération. »

Extrait de John Dastin « Vision »

À ces mots la crainte me jeta à terre sans connaissance. Mais Salomon m’ordonna de me relever et me dit : « Ne crains point, c’est la nature que tu vois à découvert et les plus secrets des secrets que l’on puisse trouver sous le ciel et sur la terre. Elle est exquise comme Tirsa, douce comme Jérusalem, redoutable comme les lances des armées, et cependant c’est la vierge pure et chaste d’où Adam a été tiré. L’entrée de sa tente est scellée. Elle habite dans le jardin et dort, au champ d’Hébron, dans la double grotte d’Abraham ; elle a son palais dans les gouffres transparents des profondeurs de la Mer Rouge à la nature très simple de la Quinte Essence, qui est la cinquième clef de l’œuvre. »

Et, regardant, j’ai vu pareillement la sixième chaîne, tant […] Sages semblable aux parfums du Liban ; mais pour l’igno­rant, c’est une abomination. »

Salomon poursuivit : « Éveille-toi, contemple mon gyné­cée et cherches-en une qui l’égale. » Aussitôt, les femmes se dévêtirent avec pudeur. Mais profondément troublé, j’étais incapable de répondre, et, pour ne rien voir, j’avais fermé les yeux.

Extrait de Hadrianus Mynschit « L’âge d’or ressuscité »

Voyant donc qu’il n’avait rien fait, et qu’il ne pouvait rien faire, réduit presqu’au désespoir, il commença à son­ger, et se ressouvint d’avoir lu dans les Auteurs que la matière était de si vil prix qu’elle se trouvait dans les fumiers et dans les retraits, si bien qu’il recommença à travailler de plus belle, et mêler ce pauvre Mercure avec toutes sortes de fientes, tant humaines que d’autres ani­maux, tantôt séparément, tantôt toutes ensemble. Enfin après avoir bien peiné, sué, et tracassé, après avoir bien tourmenté le Mercure, et s’être bien tourmenté soi,même, il s’endormit plein de divers pansements, et agité de diverses cogitations.

Or en songe il lui apparut une vision : c’est qu’il arriva vers lui un bon vieillard qui le salua, et lui dit familièrement : « Mon ami, de quoi vous contristez-vous ? » Auquel il répondit : « Monsieur, je voudrais volontiers faire la pierre Philosophale. » Le vieillard lui réplique : « Oui, mon ami : voilà un bon souhait, mais ce n’est pas tout ; avec quoi la voulez-vous faire, la pierre des Philosophes ? »

L’Alchimiste : « Avec le Mercure, Monsieur. »

Le vieillard : « Mais avec quel Mercure ? »

L’Alchimiste : « Ha ! Monsieur, pourquoi me demandez-vous avec quel Mercure, car il n’y en a qu’un. »

Le vieillard : « Il est vrai, mon ami, qu’il n’y a qu’un Mer­cure, mais diversifié par les divers lieux où il se trouve, et toujours une partie plus pure que l’autre. »

L’Alchimiste : « Oh, Monsieur, je sais très bien comme il le faut purger et nettoyer, avec le sel et le vinaigre, avec le nitre, et le vitriol. »

Le vieillard : « Et moi je vous dis et vous déclare, mon bon ami, que cette purgation ne vaut rien, et n’est point la vraie, et que ce Mercure là ne vaut rien, et n’est point le vrai. Vraiment les hommes sages et vrais philosophes ont bien un autre Mercure, et une autre purgation. » Et après avoir dit cela, il s’évanouit, et n’apparut plus.

Extrait de Michel Sendivogius «Dialogue de Mercure, de l’Al­chimiste et de Nature »