Philippe Litzler : Isaac de l'Étoile et la connaissance de soi

La pureté à laquelle Isaac aspire procède en grande partie de « la purification des phantasmes qui sont absorbés par les sens, habitent au-dedans l’imagination et, comme de petits nuages intermédiaires, nous cachent la clarté du soleil. » Il nous faut ainsi « dépasser toute l’agitation des pensées par la vigilance de l’âme », nous élever au-dessus de « la foule intérieure » comme Jésus gravissant la montagne, car tant que nous sommes immergés dans cette foule il nous est impossible de la contempler lucidement : « il est difficile, dans la foule, de voir la foule ; il est inévitable, dans la foule, d’éprouver du trouble. Aussi doit-on laisser la foule pour voir la foule elle-même, pour juger de la foule même ». Cette prise de recul s’effectue extérieurement, par un retrait dans la solitude, et intérieurement. L’enseignement d’Isaac de l’Étoile ne sépare d’ailleurs jamais ces deux plans. Ce sont plutôt pour lui des sphères concentriques dont le centre est la Réalité une et immuable.

Étienne Wolff : L'Intention cachée

Que ces notions puissent être considérées par les uns comme purement mécanistes, par les autres comme finalistes, cela n’a rien d’étonnant : car c’est le plan même de l’orga­nisme qui est présent sous une forme concentrée, télégraphi­que, et qui se déroule suivant un mécanisme monté dans le temps et dans l’espace.

Michel de Salzmann : Les miettes du festin

Sans doute ne peut-on blâmer des tentatives de bonne foi – quoique à l’évidence prématurées – pour n’avoir pas réussi à relever un défi presque impossible, celui de transmettre, hors de son terrain propre, l’essence métaphysique d’un enseignement qui a pour fin, comme pour origine, la « réalisa­tion » des potentialités de l’être et de ses « pouvoirs correspondants de manifestation ». Mais comment, par ailleurs, ne pas savoir que toute naïveté, toute pré­tention, dans ce domaine, risque fatalement d’exposer les autres aux pires méprises, de provoquer inconsciem­ment plus de mal que de bien…

Pierre Schaeffer : Dialogue apocryphe avec Monsieur Gurdjieff

Quelqu’un lui a demandé un jour d’où venait cette musique. Il n’a pas répondu mais indiqué qu’elle venait, bien entendu, du même lieu que des danses, et que c’est grâce à la mémoire des mouvements qu’il s’était souvenu de la musique. La raison qu’il donne est cette correspon­dance mathématique, ces fameuses lois. Moi je veux bien, mais je crois, plus simplement, qu’il est comme tout vir­tuose : sa mémoire musicale est désor­mais dans ses muscles. Un pianiste joue Chopin sans avoir besoin de se remé­morer. La partition est dans le corps.

James Moore : Gurdjieff et Katherine Mansfield

Et voilà que, tout à coup, — c’était le bouquet —, surgissait Katherine Mansfield. « M. Gurdjieff n’est pas du tout comme je pensais », écrit Katherine, « il est comme on veut vraiment le trouver. Mais je suis absolument sûre qu’il peut me mettre sur la bonne voie en toutes circons­tances… » Et maintenant qu’il l’avait acceptée, quel poids pour Gurdjieff : le terrible diagnostic des médecins, le problème des soins intensifs, à lui assurer la mise en péril de son Institut par la mort d’une femme célèbre… Évidemment, il avait prévu ces difficultés, les avait mises en balance avec le besoin de Katherine et, tout bien pesé, les avait écartées. « Pour cela », écrit Ous­pensky, « il a reçu, au cours des années, et avec les intérêts, son plein salaire de mensonges et de calom­nies ». (Fragments d’un Enseignement inconnu.)

Hervé Soupiron-Michel : Le Zoo Humain

Le drame de cette humanité c’est de s’être persuadé qu’il valait mieux inventer sa provenance plutôt que de la vivre. Et pourtant, quand je les observe je vois clairement se manifester le flux de vie qu’ils ont tous en commun : fleuve, rivière, ruisseau, torrent, source ; je vois ce flux aborder leurs corps sclérosés, réels ou imaginés, essayer de se frayer un chemin, contournant les écueils que lui oppose la marionnette de bois qu’ils ont construit durant toute leur vie, souvent sans en avoir eu conscience.

Marcel Rainoird : Belzébuth, affaire à suivre

Cependant, tout en s’attachant à démonter les mécanismes du comportement individuel et social de l’homme contemporain, Gurdjieff remet à sa juste place ce qui obnubile tant le praticien des sciences humaines, à savoir le progrès technique, industriel avec ses aléas, ses succès ou ses crises. Il ignore ou lacère les élucubrations théoriques, il pulvérise les apparences. Son histoire de l’humanité se veut essentielle. Que ce soit dans la fresque ou dans le détail, en plan d’ensemble ou en gros plan, elle se situe au niveau des causes originelles. Qu’il s’agisse de faits mondiaux ou de faits divers, quel que soit l’angle d’attaque, la variation du ton – depuis l’injonction solennelle jusqu’à la farce, jusqu’au canular – Gurdjieff s’attache à certains événements, parce qu’ils entrent dans le champ d’une information créatrice.

Léonel Beudin : Le point : la matérialisation du néant ?

Dans cette étude nous avons essayé, au contraire, de ne faire appel qu’aux faits réels et de ne suivre que ce qu’indique le bon sens, ce vieux bon sens, si décrié actuellement. La logique permet beaucoup de choses. Elle ne porte pas de jugement sur les prémisses qui lui sont fournies. Quelle que soit leur nature, elle en tire des conclusions, paradoxales ou non, avec la plus grande sérénité. Le bon sens est plus pointilleux. Il permet beaucoup moins d’envolées et se fait souvent juge, ce qui le fait considérer comme un frein. Il nous a cependant conduit, dans les pages suivantes, à certaines idées que nous pensons plus saines et qui apportent des réponses plus naturelles aux questions précédentes. Il nous a permis aussi de mieux comprendre les liaisons existant entre l’étendue et les objets qu’elle contient.

Patrice Godart : Champs de cohérence et yoga

Mais il existe aussi un autre men­tal, plus intérieur, plus profond, qui n’est plus conditionné par l’ego, l’ambition, la vanité, le désir person­nel, un mental réceptif, capable de se taire et d’écouter, de s’adapter, de s’élargir et de s’enrichir sans qu’aus­sitôt il ne se gargarise de sa propre importance. Il travaille dans la nuance, dans la subtilité, cherche à établir toujours de nouvelles rela­tions, se contente souvent de frôler des essences psychiques, comme dirait J. Ravatin, sans aussitôt vou­loir les annexer et les mettre en repè­res. Il sait se mettre à l’écoute, en silence, veille avec soin sur ces efflu­ves d’un autre monde pour qu’elles pénètrent en lui et fécondent mille sensations et pensées qui deviendront à leur tour les germes d’autres expé­riences et d’autres sensations. Il aime se fondre dans l’objet qu’il interroge et vivre au cœur des êtres et des choses quand d’autres se con­tenteraient d’un survol rapide à la surface. Pour lui, la diversité du monde ne constitue pas un fardeau de compilation, mais une voie d’enri­chissement, de relations illimitées et la source d’une joie toujours renou­velée devant le mystère d’une unité infiniment morcelée et cependant tou­jours inaltérable.

Olivier Clouzot : Paramètres et lois de la protoanalyse

En prenant conscience de cette présence des fixations dans l’individu et dans l’espèce, nous pouvons à la fois élargir le champ de nos possibilités et acquérir plus de tolérance vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis des autres. En apprenant comment fonctionnent des fixations qui nous sont moins spontanément familières, nous voyons en effet s’élargir le clavier de réponses aux différentes situations de la vie – et nous pouvons jouer sur ce clavier. En identifiant chez les autres des comportements auxquels nous avons aussi recours, nous dédramatisons des relations humaines qui sont généralement pour nous la plus grande source d’angoisse et de souffrance. Cette dimension théâtrale de la vie quotidienne peut opérer des miracles : elle réintroduit le jeu et l’humour, ouvre des portes de tendresse et de compassion qui restaient blo­quées à cause de notre attitude conflictuelle et crispée par rapport à l’existence.