Jean Gontier : L'instructeur de la réalité

Si nous sommes déjà dans la Réalité, si nous sommes la Réalité, comment se fait-il que nous soyons incapables d’en prendre conscience ? Cela tient à ce que depuis notre enfance tous nos efforts et toutes nos préoccupations ont consisté à agir et à penser par relation de cause à effet à partir des phénomènes. Comment pourrions-nous reconnaître un bonheur surgissant comme un éclair qui ne se référerait pas à un objet, qui serait sans cause ? Si cela se produit je vais automatiquement, par réflexe peut-on dire, attribuer une cause à ce bonheur. Je vais dire qu’il vient de Dieu et comme il faut bien définir une cause, je fais de Dieu l’objet cause de mon bonheur et ensuite je me mets à disserter le plus logiquement du monde sur l’objet Dieu, et comme il faut une cause à Dieu, je me lancerai dans des spéculations sur le non-être. Ainsi je reste dans la ronde sans fin du jeu intellectuel.

Jean Gontier : La vérité sans nom

De cette Vérité je pourrai seulement dire qu’elle est la Réalité profonde de ma nature dont l’aspect physique, psychique et intel­lectuel ne sont que les apparences, comme la glace, l’eau et le gaz sont celles d’une seule réalité atomique. Cette Vérité je me refuserai à en dire quoi que ce soit d’autre, à la qualifier, à la quantifier et même à la nommer car Elle est au-delà de toute distinction et de toute manifestation ; or nommer c’est déjà distinguer, séparer. Elle est également au-delà de toute appartenance. C’est pour cela qu’aucune tradition et aucun système de pensée, lesquels ne sont jamais que des moyens d’approche pour parvenir à son seuil, ne peuvent La reven­diquer comme leur étant propre et exclusive, contrairement à ce qui se passe dans le monde des hommes.

Jean Gontier : L'expérience fondamentale

S’imaginer que l’on parviendra à la connaissance de la source primordiale en immobilisant artificiellement ce qui naturellement est mouvement, la pensée en particulier, ne peut déboucher que sur une impasse. On aboutira à des états temporaires de vide, d’extase, d’auto-hypnose ou de samâdhi, non à l’expérience véritable. Ma source pri­mordiale est toujours présente à travers tous les états de mon exis­tence. C’est au centre immobile de mon être que je la connais en tant que telle avant d’en faire l’expérience à travers tous les aspects du monde phénoménal. Il n’y a rien à changer, rien à modifier ou à sup­primer à priori. C’est seulement quand l’expérience primordiale est vécue que, par voie de conséquence, la structure individuelle se trouve modifiée, mais cela s’accomplit de soi-même et non par le fait d’une volonté délibérée.

Jean Gontier : La nature de l'ego

Je suis un élément transitoire, d’une société humaine transitoire, vivant sur une planète transitoire d’un univers transitoire. D’un côté l’Absolu sans objet, de l’autre moi-même et le monde. L’erreur de l’homme, pour son malheur, va consister à confondre l’Absolu et le transitoire et à accorder au relatif un caractère absolu. Ainsi mon individualité deviendra totale, permanente, le centre immobile de la roue en mouvement. L’ego sera cette fausse valeur attribuée à mon in­dividualité. Cette question a donné lieu à tant d’explications contradic­toires et de divagations, qu’il nous faut, pour essayer d’y voir clair, nous servir d’un modèle appartenant aux sciences expérimentales…

Jean Gontier : Connaissance et croyances

L’appréhension par la vision d’une certaine forme donne naissance à des images qui vont être désignées chacune par un mot : sapin, chêne, bouleau, par exemple. Mais le concept d’arbre n’a aucune existence en dehors du mental qui l’a conçu. On ne peut voir, toucher, mesurer un arbre, mais seulement l’élément sensoriel, qui, avec d’autres similaires, a donné naissance au concept d’arbre. Enfin, de la même manière, l’intellect, à partir des concepts issus des premiers phénomènes sensoriels, en élabore d’autres de plus en plus généralisateurs. Après le concept d’arbre, on passe à celui de végétal, à côté de ceux de minéral, d’animal, de liquide ou de gaz. A un niveau d’abstraction encore plus grand, on arrive au concept d’être vivant, à l’opposé d’être inanimé et en dernier lieu, de généralisation en généralisation, on parvient au concept d’élément universel qui suivant les temps et les civilisations aura un vocable différent. En sens inverse, à partir de cette source commune, on reconstruit logiquement tous les systèmes métaphysiques et cosmogoniques.

Jean Gontier : Au-delà

Tout ce que l’on pense, éprouve et sent n’est rien. Quoi que ce soit qui se puisse présenter en nous, que l’on sache que ce n’est jamais Cela et que l’Ineffable est toujours au-delà, au-delà de toute pensée, de toute sensation, de tout sentiment, au-delà de l’imaginaire, au-delà du rêve, au-delà ! Comme le concerto de Bach ou de Mozart, Il ne signifie rien, ne traduit rien, ne sert à rien. Il est, c’est tout.

Jean Gontier : Connaissance et psychisme

Se voulant créature divine, l’homme a toujours plus ou moins répugné à considérer sa nature humaine et à la tenir pour ce qu’elle est parce que cela dévalue la fabuleuse opinion qu’il se fait de lui-même. Aussi est-il conduit à refouler cette nature, du moins dans l’Occident judéo-chrétien. Dans cette tradition, dès l’origine, existe la tendance à considérer la chair en général, et plus particulièrement tout ce qui touche au domaine sexuel, comme la cause de la perte de l’état paradisiaque. La chair, cause du péché, finit par devenir elle-même le péché. Et avec le puritanisme on en est arrivé à contraindre au maximum cette nature humaine tenue pour impure. L’homme est créé pour expier et souffrir et le bonheur même est un péché…

Jean Gontier : Connaissance et pensée

Savoir c’est acquérir des idées, des concepts, soit pour les conserver tels quels en mémoire, soit pour les présenter sous une forme originale, soit enfin pour en faire dériver de nouveaux concepts, de nouveaux systèmes. On peut très bien devenir un spécialiste du bouddhisme parce qu’on a lu quantité d’ouvrages traitant de cette tradition, entendu maintes conférences et conversé avec de nombreux bouddhistes, sans jamais avoir été soi-même bouddhiste et ainsi juger de ce qu’en fait on ignore. Connaître ce n’est pas seulement penser et encore moins savoir, c’est recevoir un donné ! Connaître découle de l’expérience directe, on ne connaît pas par personne interposée. Connaître la Réalité c’est la vivre et ce ne peut être que cela. Précisons que lorsque nous employons ici le terme d’expérience, il s’agit d’une tout autre chose que ce qu’on entend généralement par ce qui reste confiné dans les limites de la structure individuelle.