Michel Carayon et Élisabeth de Saint-Basile
Comment appréhender la psychothérapie émotionnelle

Ce qui fait la richesse d’un travail de groupe, entre autres choses, c’est la possibilité de rencontrer des êtres humains dans une relation vraie. Nous découvrons que nous ne sommes pas les seuls à avoir des problèmes et qu’il n’est pas honteux de les exprimer. Le groupe est un moyen, non une fin, un instrument de travail qui permet de retrouver symboliquement et concrètement un passé (votre famille), le présent (vos relations difficiles avec votre entourage affectif et professionnel). Vous rejouez ici ce que vous avez fait ou ce que vous faites à l’exté­rieur ; vous le vivez, vous le sentez, vous l’exprimez pour vous en libérer, pour changer.

(Revue Question De. No 46. Février-Mars 1982)

Votre arrivée dans le groupe

Pour un nouvel arrivant, un groupe de psychothérapie émotionnelle peut paraître au premier abord très dérou­tant et apparemment anarchique. Dans d’autres groupes utilisant une technique différente, le fonctionnement est assez structuré, c’est-à-dire qu’une seule personne tra­vaille avec l’attention du thérapeute et du groupe, et cela à tour de rôle. Ici, au contraire, les participants sont encouragés à s’exprimer dès qu’ils ressentent quelque chose, ce qui de l’extérieur peut donner l’impression d’une réunion ou personne n’écoute personne. C’est que chacun est là pour soi, et cherche à faire son profit de tout ce qui se passe, de tout ce qui réveille un écho en lui-même. Néanmoins il est toujours possible pour une personne qui le désire d’avoir l’attention du thérapeute ou du groupe.

Les règles

La psychothérapie émotionnelle se pratique dans le cadre de règles que nous faisons respecter :

pas de jugement de valeur : vous pouvez dire à un par­ticipant qu’il vous emmerde, donc exprimer votre senti­ment, mais pas le traiter de « salaud ». Si vous jugez l’autre par un qualificatif quelconque, vous ne vous mon­trez pas. Il est plus facile de dire à un enfant « tu es méchant » que « tu me déranges » ; mais en dehors du fait que vous ne vous définissez pas en fonction de vous-même, vous risquez de l’enfermer dans une image dan­gereuse pour lui.

pas d’agression physique contre les autres ou contre soi-même. Cette règle dans le groupe correspond aussi à une réalité sociale. Si volontairement vous blessez une personne, vous êtes passible d’être jugé et condamné. Frapper l’autre ou vous-même ne vous aide pas à chan­ger. Il vaut mieux exprimer ce que vous sentez et remon­ter à l’origine de « pourquoi autant d’agressivité ».

pas d’actes sexuels. Il ne suffit pas de faire l’amour avec dix partenaires différents pour avoir une vie affec­tive et sexuelle épanouie. Nous préférons pour un résul­tat durable vous aider à résoudre les conflits affectifs qui peuvent être à l’origine de vos difficultés. Le but est que vous puissiez vivre une sexualité satisfaisante sans avoir besoin pour cela d’un groupe ou d’un thérapeute,

respect du secret de la thérapie. Nous vous deman­dons de respecter le secret sur les informations enten­dues pendant la séance et qui mettent en cause une ou plusieurs personnes. Nous pensons que c’est une sécurité et l’un des aspects importants de la liberté individuelle que ce droit au secret.

Nous considérons que la non-observation de ces règles constitue des passages à l’acte qui en général ne vous permettent pas d’apprendre, de changer. Aussi nous les sanctionnons en fonction de leur importance. Cela peut aller d’une simple amende (offrir une friandise au groupe) à l’exclusion momentanée ou définitive du groupe.

Dans le cadre de ces limites vous pouvez ainsi expérimen­ter la relation à l’autre en exprimant ce que vous sentez, colère, peur, haine, jalousie, peine, désir, avoir des contacts physiques tout en vous sentant suffisamment protégé pour oser faire l’expérience et aller au-delà de vos peurs et de vos limites.

Le travail sur soi : comment ?

Dans le mot « travail » il y a la notion d’un effort néces­saire parce que l’on ne retrouve pas magiquement une tristesse, une colère, des sentiments depuis si longtemps refoulés. Le fil conducteur, l’instrument de cette approche, c’est ce que vous sentez dans le moment pré­sent. Nous vous encourageons à profiter de toutes les occasions pour vous exprimer. À cette fin nous pouvons vous conseiller la répétition d’un mot ou d’une phrase-clé dans votre histoire. À un autre moment, nous vous engageons à dire avec un son ou un cri le malaise mal défini que vous ressentez. Nous sommes attentifs à votre respiration, à la position de votre corps à un moment donné, et nous vous montrons comment en tirer parti pour vous-même. Les interactions entre participants, les projections et les transferts, la dynamique du groupe sont utilisés pour vous aider à vous exprimer. Chacun est confronté avec la façon dont il prend sa place ou non. Demander l’attention, rencontrer l’autre, ce n’est pas facile, mais s’oublier c’est bien plus douloureux.

Ce qui fait la richesse d‘un travail de groupe, entre autres choses, c’est la possibilité de rencontrer des êtres humains dans une relation vraie. Nous découvrons que nous ne sommes pas les seuls à avoir des problèmes et qu’il n’est pas honteux de les exprimer. Le groupe est un moyen, non une fin, un instrument de travail qui permet de retrouver symboliquement et concrètement un passé (votre famille), le présent (vos relations difficiles avec votre entourage affectif et professionnel). Vous rejouez ici ce que vous avez fait ou ce que vous faites à l’exté­rieur ; vous le vivez, vous le sentez, vous l’exprimez pour vous en libérer, pour changer.

Le rôle du thérapeute

Le thérapeute est là comme un guide qui peut vous aider à trouver une direction et à exprimer votre ressenti. Nous veillons à ce que vos paroles ne soient pas négatives pour vous-même ou pour la personne du groupe concer­née. Notre rôle est aussi de faire respecter les règles qui vous protègent. Il est enfin de vous renvoyer à vous-même et de mettre en évidence vos blocages.

Le travail en individuel

Une séance individuelle dans l’esprit se déroule de la même façon. C’est un contact privilégié avec le théra­peute, qui ne doit pas s’éterniser en début de thérapie. Cela pour vous éviter le risque de trop vous sécuriser et de ne pas aborder en profondeur vos difficultés. Plus tard le travail individuel peut être l’occasion d’une autre démarche permettant d’aborder plus intensivement un aspect de votre recherche. Il est possible enfin de conju­guer un travail en individuel et un travail de groupe.

Références théoriques

La forme de psychothérapie émotionnelle que nous décrivons peut être attribuée au docteur Étienne Jalenques qui est à l’origine de cette technique et qui exerce depuis une quinzaine d’années en privé et en milieu hospitalier.

Cette approche constitue une synthèse originale entre les différents courants de la psychologie humaniste (ges­talt, bioénergie, rebirth, etc.) et les connaissances de la psychanalyse. En groupe ou en individuel, elle est prin­cipalement axée sur l’expression des émotions, postulant que les vrais changements se font plus à ce niveau qu’à celui d’une compréhension à dominante intellectuelle.

Sur le plan théorique, beaucoup de références sont proches de la psychanalyse : nous utilisons aussi les termes de « transfert », « inconscient », « projection », refoulement », etc. Mais dans le processus même de la psychothérapie émotionnelle des différences apparaissent. Nous pouvons les regrouper autour de quatre grands axes principaux :

Le choix de l’émotion comme voie privilégiée

L’outil de la psychanalyse, c’est le langage. L’exploration personnelle s’opère à travers le jeu des mots, des asso­ciations mentales, l’interprétation des rêves, etc. L’émotion n’en est pas absente, mais il est plus important de l’analyser que de la laisser se développer. La plupart des cabinets d’analystes ne sont d’ailleurs pas équipés pour que vous puissiez crier et pleurer à votre aise.

Comme son nom l’indique, la psychothérapie que nous pratiquons privilégie au contraire l’émotion. Plusieurs raisons viennent expliquer ce choix. La première, c’est le souci de disposer plus pleinement de l’outil émotion­nel. Beaucoup d’entre nous, du fait de l’éducation reçue et du contexte social dans lequel nous vivons, ont un esprit sur-développé par rapport à leur maturité affec­tive. Très tôt, souvent trop tôt, on nous a appris à nous déterminer plus en fonction de principes, d’idées « rai­sonnables », de « il faut » qu’en fonction de nos besoins réels. Autrement dit, on nous a mis des limites extérieures au lieu de nous laisser faire notre propre expérience du monde ; un enfant qui pique une colère et qui constate que le monde ne s’écroule pas pour autant en gagne une grande sécurité intérieure. Par contre, s’il a dû refouler sa violence sous l’effet de menaces imprécises Quelle honte ! Ce n’est pas possible une si vilaine petite fille ! Si tu cries je ne t’aime plus, etc. il en gardera adulte une grande peur de laisser s’exprimer ses propres sentiments. Se méfiant d’eux, il cherchera sans arrêt à s’en défendre, à les justifier.

Deux outils : esprit et émotions

D’où l’importance de développer à côté de l’outil « esprit », l’outil « émotions ». Humainement parlant, penser et sentir relèvent d’expériences différentes, non remplaçables l’une par l’autre (et dans « sentir » il faut encore distinguer les manifestations émotionnelles et corporelles qui peuvent être dissociées). On peut donc dire que nous pouvons appréhender les autres et nous-mêmes de différentes façons : mentale, sensorielle, émo­tionnelle. S’il y a une concordance entre ces trois modes de connaissance, nous sommes proches d’une harmonie intérieure qui est source de bien-être. Si au contraire il y a discordance entre nos sentiments et nos idées, nous en souffrons.

La psychothérapie émotionnelle nous apprend à faire confiance à ce que nous ressentons, à laisser s’exprimer nos émotions, à nous en servir pour nous connaître et nous donner les moyens d’aller mieux.

Deuxième raison de notre choix : toucher la source des vrais changements. L’expérience montre que ce qui nous touche profondément nous transforme plus durablement que les idées, le savoir. Pour des gens qui sont beau­coup « dans leur tête » l’analyse risque de renforcer cette tendance : après des années passées sur le divan, ils sont capables de vous expliquer en long et en large leurs problèmes, sans que leur vie en ait été concrète­ment changée. Quelque chose en eux est resté séparé, le pont entre la compréhension intellectuelle et le contenu émotionnel qui sy rattache n’a pas été franchi. Aussi notre hypothèse de travail est-elle que vivre pleinement une situation est au moins aussi important que la comprendre pour être délivré de ses effets. Nous consta­tons alors que lorsque les sentiments qui sont à la racine d’un comportement sont touchés, des choses se mettent spontanément à changer dans notre vie, sans même que nous ayons à le décider.

Ce qui nous amène à la troisième raison de notre choix : l’émotion est une voie d’accès directe à l’inconscient, c’est-à dire à cette part de nous-mêmes qui nous dirige souvent à notre insu et qui nous met dans des situations que nous n’avons pas voulu, du moins nous semble-t-il. Supposons que participant à un groupe vous vous sen­tiez très irrité par l’une des femmes présentes. Au lieu de vous laisser analyser les caractères que vous n’aimez pas chez elle, ce qui servirait simplement à justifier votre colère, nous vous encourageons à exprimer directement votre sentiment, à le vivre dans toute sa subjectivité. Cela vous conduit alors à découvrir que la source de votre colère est en vous et non dans l’autre, et vous allez pouvoir vous adresser à la personne réellement concer­née. Parti de « tu m’énerves avec ton ironie » qui s’adresse au membre du groupe, vous allez aboutir à « maman, cela me fait mal que tu te moques de moi ». Peut-être votre révolte va-t-elle alors se teinter de tris­tesse, en rencontrant aussi votre impuissance d’enfant : vous fâcher contre votre mère, c’est aussi risquer de perdre son amour. Mieux valait vous taire, comme cela s’est passé si souvent depuis.

L’émotion devient alors fil conducteur de tout un vécu refoulé qui commence à réapparaître d’une façon parti­culière à chacun. Elle s’associe à des thèmes personnels, comme si chaque individu avait sa propre musique.

Les mises en situation

Nous entendons par là un certain nombre de situations qu’il est possible de vivre dans le cadre thérapeutique : par exemple avoir un contact physique avec le psycho­thérapeute ou avec des membres du groupe, ou bien pouvoir exprimer directement son agressivité en frap­pant sur des matelas, etc. La dynamique de la psychana­lyse est essentiellement basée sur la frustration. L’autre, l’analyste, renvoie au manque, au vide, à la séparation. En psychothérapie émotionnelle, nous pensons que frus­trer quelqu’un qui meurt de soif n’est pas forcément une bonne façon de l’aider. Il vaut sans doute mieux lui donner d’abord un verre d’eau avant qu’il apprenne à se servir. Il est des gens qui ont tellement manqué dans leur enfance qu’ils ne sentent même plus à quel point ils ont besoin. À ceux-là, il faut parfois un long temps de chaleur, de contact, avant qu’ils puissent même accé­der à leur propre souffrance et se donner les moyens de rétablir des relations satisfaisantes avec les autres. En psychothérapie émotionnelle, le fait de pouvoir communiquer à un niveau très primaire (toucher, faire un son, des gestes), de se découvrir et de s’exprimer à travers un vécu sensoriel (respirer, étouffer, avoir mal au cœur), permet de remonter à des périodes très pré­coces dans le développement de l’enfant, antérieures même à l’acquisition du langage. C’est en acceptant, adulte, des manifestations souvent insaisissables pour l’intellect que l’on peut retrouver un contact très pro­fond avec soi-même.

Nous donnons d’ailleurs une place moins prépondérante que la psychanalyse à la sexualité dans le développement de la personne. Elle prend place à nos yeux à côté d’autres besoins au moins aussi fondamentaux : besoin de nourriture, de contact, de chaleur, etc.

La relation patient-thérapeute

Dans notre pratique, il est évident que le thérapeute n’occupe pas la même position que l’analyste par rap­port au patient. Pas de « neutralité », mais au contraire une présence qui ne se réduit pas à une écoute. Si nous pouvons nous faire miroir à certains moments, ce n’est pas notre seul rôle. Nous sommes aussi des figures parentales qui laissons les projections se faire, les pro­voquons même parfois, et les utilisons pour mettre en situation le problème du patient. Ce qui donne à chacun la possibilité de rejouer la façon dont il a cherché à se faire aimer : être faible pour attirer la protection, faire rire pour plaire, cacher sa féminité pour éviter la rivalité, etc. C’est en même temps l’occasion de prendre conscience du prix payé intérieurement pour obtenir cet amour et de réaliser sa dépendance par rapport aux autres.

Le thérapeute est quelqu’un qui, à travers son propre chemin, a appris à faire confiance en ce qu’il sent. Nous avons acquis une certaine liberté intérieure par rapport à nos émotions cest-a-dire que nous sommes, idéalement parlant, capables de les accepter, de les vivre, sans nous y identifier. Nous cherchons à être présents totalement à la situation, avec tout ce que nous sommes en tant que personnes, et nous veillons à ne pas aller contre ce que nous sentons. Sans vouloir systématiquement tout dire, nous pouvons choisir d’exprimer notre sentiment : si par exemple un patient éveille en nous une réaction de rejet, nous pouvons le lui dire. Ce n’est pas toujours facile à entendre pour la personne concernée, mais cela peut soudain la mettre en contact avec une situation plus ancienne. Dans tous les cas, la relation y gagne en réalité et en vérité. Et un rapport difficile, dans lequel les choses sont dites, vaut mieux qu’un rapport faux ou pas de rapport du tout.

Enfin nous avons pour rôle de faire respecter le cadre et les règles de la thérapie. Ces limites, acceptées de part et d’autre, constituent une protection, un repérage, et aussi le moyen de rencontrer les vraies difficultés. Dans la vie nous pouvons toujours nous dire que ce sont les autres qui nous rendent malheureux, et fuir les vraies sources de nos problèmes. C’est plus difficile dans un cadre où tout est fait pour nous renvoyer à nous-mêmes.

La place du langage en psychothérapie émotionnelle

Certains d’entre vous nous posent parfois avec inquié­tude la question suivante : « alors, dans votre thérapie, on ne parle pas ? »

Bien sûr que si ! Mais nous sommes attentifs à ne pas dissocier le sens des mots de leur « couleur », c’est-à-dire de leur contenu émotionnel. Vous n’êtes pas un ordi­nateur, et si vous débitez d’un ton monocorde une série de constatations sur votre vie, il y a des chances pour qu’à ce moment-là vous ne soyez pas très en contact avec vous-mêmes. Peut-être allons-nous vous interrompre pour vous demander d’exprimer avec un son, un geste, un cri, le message émotionnel qui reste bloqué. Et vos mots deviendront alors à nouveau porteur d’une charge affective.

L’esprit critique

Nous avons une écoute de ce que vous dites semblable à celle des psychanalystes, mais nous mettons la parole au service de l’émotion. Elle est là pour la traduire, la provoquer, s’associer avec toutes vos manifestations cor­porelles et affectives. Ainsi, il ne suffit pas de dire « je me sens triste » pour vous libérer de ce sentiment refoulé. Mais il peut être nécessaire de répéter cette phrase jusqu’à laisser monter l’émotion et tout ce qui s’y associe : sanglots, pleurs, images, pour vous conduire jusqu’à l’ori­gine de votre tristesse.

Nous vous apprenons à vous écouter vous-même, à entendre si ce que vous dites concorde bien avec ce que vous ressentez. Si vous affirmez « je ne suis pas en colère » d’un ton coupant et en serrant les poings, il y a manifestement quelque chose que vous refusez d’expri­mer. En groupe, les gens qui ont déjà acquis une cer­taine maturité dans la thérapie sont sensibles à ces messages contradictoires et vous renvoient ce que vous ne voyez pas ou ce que vous ne voulez pas voir : « mais si, je te sens en colère »… D’une façon générale nous vous demandons de vous impliquer affectivement dans ce que vous exprimer : la question rituelle est « qu’est-ce que tu sens ? » et non « qu’est-ce que tu penses ? ». Cela ne vous empêche pas pour autant de garder un esprit critique et de chercher à comprendre ce qui se passe.

Ces différents points mériteraient une étude plus appro­fondie. Dans le cadre de cet article nous limitons volontairement notre ambition.

Nota. Pour plus de développements, cf. brochure : « Psychothéra­pie Émotionnelle, Pour Qui, Pourquoi, Comment ? »