Gérard Blanc
Comment organiser des recherches sur des savoirs empiriques

Ce qu’il faut retenir de ces exemples pour l’étude des médecines dites parallèles, c’est un certain nombre de points communs à la plupart des connaissances traditionnelles. Il faut arriver à démêler et à distinguer ce qui dans celles-ci est le fruit d’observations et de tâtonnements effectués pendant des siècles ou des millénaires. Bon nombre de ces connaissances se sont amassées de la même façon que l’expertise des laboratoires pharmaceutiques d’aujourd’hui, en essayant au hasard des substances « pour voir ce que ça donne ».

(Revue CoÉvolution. No14. Automne 1983)

Comme tout programme de recherches, l’étude des savoirs empiriques, ou plutôt des connaissances traditionnelles, pose le problème de la détermination, de la sélection, du choix des projets de recherche. Quelles que soient les ressources financières ou humaines dont on peut disposer pour étudier l’homéopathie, l’acupuncture ou la médecine chamanique, il faut pouvoir sélectionner les projets les plus intéressants ou les plus prometteurs, savoir les gérer, évaluer leurs résultats. Les mêmes questions se posent que dans la gestion d’un programme de recherche classique. Mais il n’est pas sûr qu’elles appellent automatiquement les mêmes réponses, c’est-à-dire que l’on va concevoir, choisir, organiser, gérer, juger les projets de recherche sur les connaissances traditionnelles de la même manière que l’on sélectionne, organise, évalue des projets de recherche en physique théorique, en biologie moléculaire ou en sociologie.

Pour approcher ce problème, je partirai de domaines que je connais mieux que la médecine (et qui n’ont pas beaucoup de rapport avec elle, du moins pour les deux premiers) en citant trois exemples, tous liés à des connaissances traditionnelles : l’architecture en terre, l’hydraulique rurale et les plantes médicinales.

Comme les médecines « traditionnelles », ces exemples témoignent d’un savoir qui n’est pas expérimental au sens que nous avons donné à ce terme en Occident, qui n’est pas contenu dans des livres, qui se concrétise par des techniques ou des réalisations pratiques (des maisons bâties en terre crue dans des régions très pluvieuses, ou des systèmes d’irrigation qui alimentent des vergers dans des déserts) qui, à première vue et superficiellement, semblent aberrantes et contraires aux paradigmes dominants des sciences sous-jacentes (la résistance des matériaux, l’hydraulique ou la météorologie). Ces connaissances sont essentiellement détenues par des individus, qui sont des sujets et non pas seulement des objets d’études, des sujets non pas isolés, mais qui interviennent dans un cadre social et écologique qui n’est pas indifférent aux objets dont il est question.

 

Trois exemples d’études de savoirs traditionnels

On croit trop souvent que les connaissances ou la pratiques traditionnelles sont scientifiquement « pauvres », qu’elles ne sont que des étapes vers des technologies plus « riches », plus élaborées, faisant appel à plus de connaissances scientifiques. La réalité est tout autre et bien plus complexe.

L’architecture traditionnelle en terre a été très étudiée, notamment par une équipe franco-belge qui a montré comment, face au totalitarisme du béton, il est possible de revaloriser les techniques traditionnelles de construction en terre et en même temps les améliorer. Ces techniques ont été largement utilisées au cours des siècles et elles le sont encore dans de nombreux pays. En France, dans le Dauphiné, subsistent des constructions en terre de plusieurs étages, vieilles de plus d’un siècle ; et l’on trouve de véritables monuments en terre crue, ou parfois leurs ruines, au Maroc, au Yémen, ou dans les Andes. Ce mode de construction est peu coûteux, réalisable par de petites équipes sans moyens mécaniques lourds et il permet la coopération avec les voisins, qui consolide le tissu social. Mais il a aussi ses inconvénients, notamment une durabilité parfois insuffisante qui l’a souvent fait condamner hâtivement. Pour injecter la science contemporaine dans cette technique ancestrale, il faut faire appel à tout l’arsenal des sciences du sol, qui est parfois extrêmement complexe.

Mais ce n’est pas tout. Les recherches menées au Pérou, par exemple, se sont faites d’une manière interdisciplinaire avec des gens qui ont renoncé à concevoir leur projet comme une étude classique d’architecte, mais qui ont accepté de partir des connaissances, des pratiques indigènes de construction, en se demandant comment les matériaux étaient ramassés, préparés, utilisés, assemblés, quel était le rôle de la maison, comment y vivait-on à l’intérieur, etc. A partir de ces interrogations, ils ont découvert des agencements de matériaux efficaces dans les conditions locales, et que les techniques occidentales n’avaient jamais considérés auparavant.

Le deuxième exemple est celui de l’hydraulique rurale. Trois pays ont mené beaucoup de recherches dans ce domaine : la Tunisie, le Sri Lanka et Israël. Au Sri Lanka fonctionnait aux 12-13èmes siècles un système d’irrigation et de réservoirs extrêmement élaboré qui permettait de collecter, de drainer les eaux des pluies de mousson pour irriguer les cultures durant la saison sèche. Comment fonctionnait ce système ? Pour répondre à cette question, il ne faut pas le voir simplement comme un système d’irrigation, mais tenir compte des pratiques agricoles, des types de cultures, de l’organisation sociale, du mode de vie qui accompagnaient son utilisation. En Israël, on a retrouvé et remis à jour un système d’irrigation datant de l’antiquité, qui permet de récupérer les moindres gouttes d’eau qui tombent dans le désert du Néguev et d’en tirer parti pour arroser des arbres fruitiers. Un certain nombre de textes antiques en parlaient, mais ils étaient considérés par les spécialistes comme une légende ou une exagération née de l’imagination des chroniqueurs de l’époque. Or, on s’est aperçu il y a quelques années que ce système (dit d’agriculture nabatéenne) était extrêmement efficace. On n’avait pas du tout pensé qu’il était possible à l’intérieur du paradigme dominant en hydraulique ; il ne remettait pas celui-ci en cause, mais personne n’avait imaginé que celui-ci pouvait déboucher sur une telle application, que les habitants du Néguev avaient découverte il y a trois millénaires. Ce système, qui consiste à établir une zone individuelle de captage de l’eau de ruissellement pour chaque arbre, est maintenant assez répandu en Israël et en Tunisie.

Le troisième exemple nous rapproche du sujet de ce colloque : c’est celui des plantes médicinales. La plupart des grands produits pharmaceutiques issus de plantes tropicales proviennent de la sélection empirique millénaire ou séculaire opérée par les autochtones de ces régions. Le problème de la disparition des thérapeutes traditionnels détenteurs d’un savoir spécifique à leur sujet est très préoccupant et inquiète les organisations internationales comme l’Organisation Mondiale de la Santé et l’UNICEF. Le Sri Lanka et le Mexique ont pris cette question très au sérieux. Le Mexique, par exemple, s’est lancé dans un vaste projet de recensement des plantes médicinales du pays. Il s’agit non seulement d’en déterminer les caractéristiques botaniques ou les effets et les principes actifs thérapeutiques, mais aussi de recenser toutes leurs conditions d’utilisation : comment sont-elles ramassées ? quand ? où ? par qui ? quelles sont les maladies qu’elles servent à traiter ? chez qui ? dans quel contexte social sont-elles administrées ? etc.

Quelques caractéristiques communes des savoirs traditionnels

Ce qu’il faut retenir de ces exemples pour l’étude des médecines dites parallèles, c’est un certain nombre de points communs à la plupart des connaissances traditionnelles. Il faut arriver à démêler et à distinguer ce qui dans celles-ci est le fruit d’observations et de tâtonnements effectués pendant des siècles ou des millénaires. Bon nombre de ces connaissances se sont amassées de la même façon que l’expertise des laboratoires pharmaceutiques d’aujourd’hui, en essayant au hasard des substances « pour voir ce que ça donne ».

Cependant, elles sont souvent aussi le fruit d’une connaissance qui a certainement des points communs avec l’approche scientifique.

Le mathématicien René Thom s’est demandé « pourquoi est-ce la physique qui a été mathématisée la  première  et qui a ensuite servi de modèle à toutes les autres sciences ? ». C’est parce qu’elle s’intéresse à des phénomènes tellement complexes à première vue qu’il n’est guère  possible, sans la rigueur de l’approche scientifique, de les identifier, de s’en servir de façon pratique pour manipuler le monde. En biologie ou dans d’autres domaines, par contre, d’autres façons d’appréhender le monde ont permis temporairement de pouvoir agir tout de suite, par conséquent la nécessité d’une approche beaucoup plus rationnelle était moindre.  C’est le cas des médecines traditionnelles.

Une autre caractéristique commune à la plupart des connaissances traditionnelles est de mêler, en plus de ces observations, des croyances et des mythes. Elles sont entièrement intégrées dans une culture qui ne traduit pas son action sur le monde par la seule voie de la démarche scientifique. Des rites sociaux, philosophiques, spirituels, participent à ces techniques et il est important de savoir quels rôles ils jouent dans leur utilisation. Les traditions sont peu explicables si on les considère comme figées. Certaines sont encore en cours d’évolution à l’heure actuelle (par exemple les pratiques des hommes-médecines en Afrique) alors que d’autres semblent ne plus guère bouger (l’acupuncture traditionnelle). Il est nécessaire de rechercher les étapes de cette longue et lente évolution et les contraintes naturelles prises en compte, qui ne sont pas toujours faciles à identifier aujourd’hui.

Quelques problèmes méthodologiques de l’approche scientifique des savoirs traditionnels

L’enracinement des médecines traditionnelles dans un contexte écologico-socio-culturel dont on ne peut pas les extraire sans les vider de leur contenu et de leur pouvoir thérapeutique implique qu’elles ne peuvent être appréhendées que par une approche multi- ou plutôt inter- disciplinaire. Celle-ci peut faire peur aux chercheurs et pose parfois des difficultés d’organisation si elle n’est pas orientée vers un but précis. L’interdisciplinarité véritable se distingue de la simple coopération entre des disciplines diverses par le fait qu’elle implique une coordination et non une simple juxtaposition des disciplines. C’est le niveau d’organisation supérieur qui devrait donner un sens ou un but à ce qui est étudié aux niveaux inférieurs. Dans la plupart des cultures, c’est le niveau social qui représente l’échelon d’organisation le plus complexe, et il faut chercher le sens ou le but des pratiques médicinales dans la finalité que cette culture donne à la guérison, à la maladie, à la mort, à la santé, et non pas selon nos termes occidentaux.

« Le seul savoir empirique, c’est l’influence animiste d’une certaine vision du monde sur le réel et sur l’imaginaire (…) Il porte sur un événement, unique, particulier, qui englobe des lieux, des gens, des portions de temps: en ce sens, c’est un tout, mais pas un phénomène rationalisable comme quelque chose de répétitif et sur lequel peut justement porter la science (…) Mais un certain événement objectif peut être produit par des visions du monde extrêmement différentes. Certaines expériences s’avèrent conformes aux préjugés rationalistes du chercheur. Ce ne sont donc pas les médecines qu’il faut tester, ce sont les praticiens, leur capacité à établir une relation culturelle, une même vision du monde, avec leur patient »

François Favre

 

Un des problèmes les plus délicats que pose la définition d’un programme de recherches sur les connaissances traditionnelles est que très souvent, ou bien elles sont formulées dans le cadre d’un système philosophique, d’une conception globale du monde, qui n’est pas compatible avec celui qui sous-tend la science occidentale, ou bien il n’existe aucun cadre théorique explicatif a priori. Il est extrêmement difficile de concevoir un projet de recherche hors d’une optique popperienne, c’est-à-dire qu’un projet doit prouver ou réfuter une hypothèse, une idée, une théorie. Or, pour beaucoup de connaissances traditionnelles on ne sait pas qu’est-ce qui est à prouver ou à réfuter. Beaucoup de chercheurs sont tentés alors de se cantonner à considérer simplement « qu’il ne se passe rien », que planter des aiguilles à tel endroit ou absorber telle préparation à base de telles plantes ne produit aucun effet… Ceci ne fait guère progresser notre connaissance explicative de ces phénomènes, Un très grand effort d’imagination est nécessaire pour concevoir des expériences qui aillent vraiment plus loin que de démontrer que l’objet de cette science nouvelle des médecines traditionnelles existe bel et bien.

Le problème de la répétition et de la répétabilité des expériences est également très important. Si la reproductibilité est souhaitable, on ne sait pas exactement quelles en sont les conditions. L’image idéale est que l’on doit pouvoir reproduire un phénomène ou faire des comparaisons en modifiant un paramètre et on ajoute la petite phrase « toutes choses étant égales par ailleurs ». Le problème réside justement dans cette petite phrase : que signifie « toutes choses » ? De quoi faut-il tenir compte ? Peut-être que le degré hygrométrique de l’air, la température ou des facteurs bien plus complexes à énoncer ont une action sur l’effet d’un médicament traditionnel et si on recommence une expérience faite par temps sec un jour de pluie ou de canicule, le résultat sera différent. Un des buts de la recherche devrait donc être d’effectuer un tri pour déterminer quelles sont les conditions exactes de l’expérience. Peut-être que des facteurs que l’on a tendance à négliger habituellement dans l’expérimentation classique jouent un rôle insoupçonné…

Une autre difficulté est celle de l’intégration de différents niveaux de pertinence ou d’organisation. L’action, le but recherché dans l’utilisation des médecines empiriques ne se situe pas forcément à un seul niveau. Par exemple, il se peut que l’action d’une préparation faite par le sorcier du village ne se situe pas seulement au niveau moléculaire, mais qu’elle intègre des dimensions psychologique, sociale, écologique. Depuis plusieurs siècles, la science essaie de commencer par placer un phénomène dans un niveau d’organisation et un seul, atomique, moléculaire, physiologique, etc… et elle cherche ensuite à l’expliquer en fonction de ce qui se passe à ce niveau. On dira que tel phénomène résulte d’une action entre des molécules, donc ce qui se passe à l’intérieur des atomes qui les composent n’intervient pas ; ou bien on dira que tel autre phénomène est d’ordre individuel et ce qui se passe au niveau cellulaire dans les organes ne joue pas de rôle. Cette démarche est extrêmement efficace, mais elle élimine un certain nombre de phénomènes que nous ne savons pas où placer ni comment examiner. On retrouve très nettement ce problème avec la parapsychologie : certains veulent n’y voir que des phénomènes particulaires relevant de la mécanique quantique, ou bien que des hallucinations relevant de la psychologie des groupes. Une approche beaucoup plus globale et complète serait de dire qu’il se passe « quelque chose » au niveau quantique, mais aussi au niveau d’un groupe social et peut-être à chacun des niveaux intermédiaires, à l’intérieur de l’organisme du médium, de ses cellules, et peut-être entre tes atomes qui constituent ces cellules. Cette recherche « transversale » est aussi une dimension de l’interdisciplinarité citée plus haut.

Une des manifestations concrètes de l’intégration de différents niveaux de pertinence est l’échec ou l’inadaptation des essais en double aveugle. C’est une technique expérimentale courante en médecine officielle : ni le patient ni la personne qui administre un médicament ne sait en quoi consiste le traitement, ce qui permet d’éliminer les effets placebo. Cette méthode est très mal adaptée aux médecines traditionnelles qui agissent souvent entre le domaine physiologique et le domaine psychologique, de sorte que les effets placebo peuvent faire partie du traitement lui-même. La recherche doit imaginer des méthodologies ou des protocoles expérimentaux qui peuvent détecter les différents niveaux d’action d’une thérapeutique sans les perturber. C’est sans doute difficile, mais certainement possible. Par exemple, l’électro-encéphalogramme d’un patient en analgésie montre bien que le mécanisme par lequel il ne ressent pas de douleur est différent selon que son insensibilité est induite par acupuncture ou par hypnose, et qu’il s’agit donc de deux phénomènes différents.

Il se pose enfin la question de juger ou d’évaluer les savoirs empiriques en termes d’utilité et d’efficacité. Nos critères occidentaux sont souvent fondés sur des valeurs culturelles très différentes de celles des civilisations au sein desquelles ont été élaborées ces médecines traditionnelles. Ne risque-t-on pas alors d’assister à une forme extrêmement subtile de récupération, en jugeant quelque chose avec une mesure qui ne lui convient pas ? Il faut se méfier de cette tendance à toujours juger tout ce qui n’est pas occidental avec des critères occidentaux, c’est une façon de tout ramener au modèle occidental.

Principes d’Organisation de Recherches

aux confins de la recherche

 

1. Les organismes qui dispensent les crédits et autorisations de recherches accorderont un certain pourcentage de fonds aux recherches des confins.

2. La direction de chacune de ces recherches sera confiée à quelqu’un possédant une double formation de chercheur scientifique classique et de sujet témoignant depuis un temps suffisant d’un intérêt réel et de capacités d’études dans le domaine considéré (c’est-à-dire qu’elle ne serait pas accordée à un sujet « doué » niais sans valeur scientifique, ni à un homme de science qui n’aurait jamais su créer en lui d’ouverture aux faits ou n’en aurait jamais constaté et expérimenté).

3. L’équipe pourra comprendre des gens de formations très diverses allant de la marginalité à la stricte compétence technique.

4. On évitera toute censure dans les recherches, mais la direction du centre acceptera de se sentir concernée par les problèmes moraux et sociaux tout en n’étant pas considérée comme responsable de toutes les conséquences des découvertes.

5. Ces centres soumettront annuellement un rapport de leurs recherches à un comité mixte composé d’hommes de science, de gens compétents traditionnellement dans le domaine étudié et de représentants de la société. Ce comité sera régulièrement consulté lors de la divulgation publique des faits et découvertes.

La création de tels centres nouveaux permettrait de résoudre l’emphase passionnelle et néfaste accordée à l’occulte en allant à la cause même de l’engouement : la déception et l’amertume justifiées du public envers les détenteurs du savoir scientifique actuel qui n’ont eu que dédain agressif envers des phénomènes dont l’existence est difficilement contestable et qui concernent chacun dans la conception qu’il peut avoir de lui-même et du monde.

Quelles recherches et pourquoi ?

Mon propos n’était pas de donner des recettes ; mais de poser des questions. Formuler les bonnes questions est déjà un grand pas en avant pour trouver les bonnes réponses. Trois types de « bonnes » questions me semblent particulièrement pertinentes dans le cadre des remarques qui précèdent :

— Quelles formes la recherche devrait-elle prendre ? Par exemple : recensements systématiques, études de cas, modélisations, élaboration de théories nouvelles, essais comparatifs avec la médecine officielle, etc…

— Quels types d’équipes de recherches devrait-on impliquer ? On a vu le rôle de l’interdisciplinarité. Mais il ne faut pas oublier non plus les détenteurs du savoir traditionnel : comment les faire participer à la recherche, les intégrer à une démarche qui peut être très différente de leurs habitudes de pensée ?

— Quelle est la finalité de cette recherche ? S’agit-il d’améliorer et de compléter la science occidentale, de « presser le citron » des savoirs traditionnels pour le rejeter lorsque plus rien n’en sortira ? S’agit-il de réhabiliter les savoirs traditionnels et de les revaloriser en y intégrant des connaissances modernes ? S’agit-il d’aboutir à deux sciences ou deux médecines complètement différentes qui se tournent mutuellement le dos ?

Beaucoup de pratiques de la médecine conventionnelle sont enracinées dans la médecine traditionnelle. Par exemple, la vaccination contre la variole était utilisée des siècles avant Jenner ; la part spécifique de la science occidentale dans l’élimination de cette maladie a surtout été de définir les structures qui ont permis d’utiliser le plus efficacement cette technique. De nombreux domaines de la médecine conventionnelle représentent des aspects particuliers de la médecine traditionnelle qui ont été systématiquement développés et étendus. Ne peut-on pas alors envisager une synthèse, ou plutôt une symbiose, entre les médecines traditionnelles et la médecine des laboratoires ? Qu’elles vivent ensemble, qu’elles coévoluent, chacune gardant ses spécificités, répondant à des critères sociaux, économiques, écologiques, psychologiques différents, mais que chacune puisse bénéficier des apports de l’autre ! Si la science classique occidentale a beaucoup à apporter aux médecines traditionnelles, il faut aussi voir ce que celles-ci peuvent apporter à la médecine classique…

Quelques références sur les savoirs traditionnels

— Anil Agarwal, Drugs and the third world, Earthscan, Londre, 1978.

— CCI, Centre Georges Pompidou, Architecture en terre, catalogue de l’exposition, Paris, 1981.

— Le Courrier de l’UNESCO, Renouveau des plantes médicinales, Juillet 1979.

— CRATERRE, Construire en terre, Ed. Alternatives, 1980.

— Stephen Fulder et Robin Munro, The status of complementary medicine, Threshold Foundation, 7 Regency Terrace, Londres SW7, 1982.

— Daniel Théry, P.U.K. ou le piège de Kornaka ?, CoEvolution n° 2, été/automne 1980.

— René Thom, Modèles mathématiques de la morphogénèse, 10/18, 1976.