Claude Barbat
De l'alchimie intérieure à l'alchimie extérieure

La différence entre un Chimiste et un Alchimiste devant le même sujet minéral c’est que le premier ne rêve plus et que cette « masse » matérielle, il la place (en esprit aussi bien qu’en opération) dans un milieu stérile, tandis que l’Alchimiste, lui, appartient à la famille des plus prodigieux rêveurs, parmi les « hommes de Désir »… (lisez les études de Gaston Bachelard à ce propos car ce philosophe a très utilement rêvé, en seconde main, sur ces rêveurs); et ce fragment de la chair de Mère Nature à partir de quoi va cristalliser son Œuvre, le Fils d’Hermès va le placer dans le lieu de son laboratoire le plus propice à la Vie : l’Œuf philosophique !…

(Revue Epignosis. No III, 2e cahier. 1984)

Deux années ont passé depuis la rencontre de nos trois personnages, autour d’un Jeu d’ECHECS dédié au « langage des oiseaux ». Le CURIEUX d’alors est devenu le NEOPHYTE d’aujourd’hui.

Le NEOPHYTE. – Depuis notre encourageant entretien sur « Les Echecs en Alchimie », j’ai tenté une démarche personnelle vers les Châteaux et autres Places Fortes de l’Art Royal… J’ai cheminé ainsi qu’un Chevalier quêtant le Graal, alternant prières et défis devant les Portes hermétiques…

J’y ai perdu ma cabale et le pauvre pèlerin qui se présente devant vous croit bien avoir tourné en rond, autour du même obélisque de son Désir !

ELIE. – C’est, déjà, une grâce qui vous fut accordée par Mercure : que la pierre dressée dans la Hauteur vous ait aimanté.

ARTISTIA. – Mais, avant de vous élancer, en solitaire, aviez-vous fait choix d’une Dame et lui aviez-vous promis l’Or final de votre Quête ? Car Diane n’accorde que des flèches mortelles au Chasseur adonné à sa propre curiosité masculine… Dans l’étrange labyrinthe de la Minière alchimique, vous risquez rien moins que de perdre votre vie spirituelle sinon corporelle !

Avant toute autre découverte, il vous fallait faire celle de votre Ariane…

Le NEOPHYTE. – Mais, j’ai lu, lu et relu qu’il faut, avant tout, obtenir la Materia Prima, pour débuter l’Œuvre.

ARTISTIA. – C’est votre Ariane, justement, qui a son Visage !

Le NEOPHYTE. – Vous me conseillez donc, concrètement, de m’associer, au départ, avec une Fille d’Hermès, de commencer par mettre le principe Lunaire dans mon Jeu.

Mais ceci n’est peut-être utile que pour pratiquer l’Alchimie intérieure, la Transmutation des Ames, comme, par exemple, le couple Fénelon-Madame Guyon l’a vécue ?

Quant à moi, je désire mener une expérience matérielle, une transmutation qui s’effectue extérieurement et dont les résultats puissent être tenus dans la paume de la main…

ELIE. – Croyez-vous que, pour ce faire, la femme ne serait pas plus douée que vous ? Dame Nature a accordé à votre virilité de dispenser ses germes, ses graines, ses pointes de flammes, ses atomes créateurs d’éveil, tandis qu’elle a fait la femme, l’Epouse, à son Image : Mercure multipliant les germes, structurant un milieu, composant un Cosmos, l’accomplissant en fruit, en chair vivante où les Feux puissent circuler harmonieusement.

ARTISTIA. – Pour cette Alchimie que vous baptisez « extérieure » et que j’appellerai « opérative », il existe un archétype célèbre. Or, il est, justement, remarquable en ce fait qu’il illustre l’accomplissement en Couple ! J’ai nommé : Dame Pernelle et Nicolas Flamel.

ELIE. – Ils restent, pour nous tous, en Occident, le symbole d’heureux gagnants d’un mystérieux labeur avec les Personnes métalliques et apparaissent, dans notre Tradition, tout auréolés d’une sorte de sainteté de l’Or charitable.

Cependant la voie alchimique que vous vous proposez appartient, peut-être, à un autre archétype traditionnel qui, a priori, semble relever d’une Alchimie plus solitaire. Je veux parler de l’exemple du héros Enée et de son parcours initiatique vers l’Homme solaire, vers l »‘Elysium » d’Or d’un Plérôme humain accompli, transfiguré. En le célébrant de ses Chants immortels, Virgile vous ouvre les « Portes Sacrées » du Temple Alchimique…

ARTISTIA. – C’est, aussi, Virgile qui nous a laissé la définition la plus fondamentale de l’Alchimie en tant que : théurgie du « Feu-Artiste ».

Le NEOPHYTE. – Tout Alchimiste s’engage donc à être Artiste du Feu ?

ARTISTIA. – Oui ; et remarquez qu’ainsi il réunit deux pôles en lui, si l’on convient que l’Art, le jeu de l’Artifex, en général, est à dominante féminine qui se lie donc, ici, à la virilité du Feu créateur. Les Auteurs ne cessent d’indiquer, comme but à l’Alchimie, le couplage, la conjonction paradoxale de l’Eau et du Feu…

Le NEOPHYTE. – Voici qui expliquerait, aussi, comment ces deux Archétypes que vous m’avez rappelés provoquent la division de l’Art Royal en :

une Voie Humide qui partirait de l’Eau pour y faire se marier le Feu,

une Voie Sèche qui déploierait la dynamique du Feu jusqu’à y intégrer celle de l’Eau ? …

ELIE. – Il vous sera certainement très enrichissant, à ce sujet, de cultiver la dyade alchimique qui s’équilibre dans les deux gravures traditionnelles que voici : d’un côté, la « Phusis orientales » d’Hermès Trismégiste, de l’autre, la « Phusis occidentalis » de Basile Valentin. Et vous pourrez y remarquer, en passant, que l’un et l’autre Opérateur se sert de ses mains…

ARTISTIA. – Laissez-moi insister encore sur la nécessité du mariage alchimique comme gage de réussite des Opérations…

Pour le premier Archétype cité, c’est évident. Mais, en ce qui concerne le second, ne vous y trompez pas. L’héroïque Enée, être viril par excellence, accomplit sa transmutation personnelle en même temps que la transfiguration de la Terre Romaine grâce à sa divine inspiratrice : Vénus. Constamment, elle veille à lui ouvrir une route parmi les périls, à lui ouvrir les Portes du Sacré, et pourvoit à toutes les Présences les plus aptes à l’initier !

Le NEOPHYTE. – Quelles ténèbres, quelles illusions environnent mes premiers caracolages cabalistiques ! Je me fais, encore, l’effet d’un Don Quichotte pourfendeur d’Ailes qui ne sont ni celles des vapeurs démoniaques ni celles d’éthers angéliques mais, plutôt, des Ailes de Moulin !…

ARTISTIA. – Oui ! Vous vous battez encore contre les moulins du Cérébral qui, aujourd’hui plus que jamais, ont envahi l’horizon de la Connaissance et y tournent de plus en plus vite, les freins comme cassés.

ELIE. – Un rien (mais, l’illusion peut en être si dense !) vous sépare, ainsi, de la clarté indispensable au Philosophe du Feu, que ce soit dans l’acte de l »Ora » aussi bien que dans celui du « Labora »… Pourtant, vous ne pourrez « ouvrir » le chakra des métaux, principalement de leur Père, Saturne, ni transmuer le Soleil Noir en Soleil de la Lumière de Gloire que si vous parvenez, d’abord, à orienter l’effort de votre Connaissance vers le sens  de l’Imagénial. C’est alors, seulement, que vous recevrez l’outil qui conjoint Savoir et Pouvoir, dans la main efficace de l’Artifex.

Car, ainsi que vous le montre ce schéma la main créatrice, qu’elle s’exerce sur l’onde fluide du Poème ou sur l’onde « dure » de la matière métallique, ne reçoit pas ses impulsions du cerveau, mais, directement, d’un Feu Conscient qui descend : d’un côté dans le cerveau lunaire, de l’autre, dans la main solaire. A ces deux-là de se réunir, de se relier ensuite, et c’est alors que vous disposerez d’un agent « philosophique » de la plus grand utilité : cette « eau de feu » ou ce « feu aqué » que nous avons nommé « Magnèse »…

Le NEOPHYTE. – C’est pour moi un nouveau mystère verbal qui vient épaissir celui du terme « Imagénial ». Malgré l’évocation que vous m’aviez faite de ce dernier, lors de notre précédent entretien, je n’ai pu parvenir à le « réaliser ».

ARTISTIA. – N’hésitez pas, pour ce faire, à prier, prier et, encore, prier… l’Ange de votre Quête…, vous savez : ce frère de l’Ange qui remit le Livre des Figures à Nicolas Flamel !… Et ne perdez pas l’Espérance qu’un jour, profitant d’une belle aurore, il s’en vienne illuminer votre Laboratoire et votre labeur, par la même occasion. A vous de découvrir, alors, votre Athanor, dans sa réalité imagéniale : une Caverne constellée de prodigieuses Plantes Minérales, à faire pâlir l’Aladin de la Lampe Merveilleuse !… Vous commencerez à entrevoir le Règne fabuleux dont vos premiers travaux vous ont fait franchir la frontière. Vous percevrez combien, malgré les apparences, il est éloigné des hommes, ce Pays qui déploie ses ciels sous les fonds du Règne Végétal !… Les Alchimistes, au reste, ne s’y risquent guère qu’en se retenant, d’abord, aux racines du Végétal, par la Spagyrie… Car voici que vous avez abordé les titanesques pulsions de Pluton et que vous prétendez activer, évertuer, réveiller le Dragon qui sommeille dans le moindre cristal, au fond d’un Temps (presqu’une éternité) qui regarderait plutôt Dieu que nous ! Ces feux éteints depuis d’immenses durées géologiques, vous osez en quémander les rayons génésiques comme de ces étoiles abolies au fond des gouffres célestes votre œil capte les lumières, aujourd’hui…

Ce n’est pas sans risque que ce temps de la Pierre vous pénétrera ! Il vous faudra transmuter l’insidieuse Mélancolie saturnienne en Patience. Mais celle-ci ne refusera pas de vous dévoiler (encore une fois, avec la complicité de l’Ange « de Passage ») des Gravitations du Ciel Minéral s’épousant à des milliards d’années-lumière du Règne animal des hommes… Pensez déjà quel temps il aura fallu à ceux-ci pour devenir « intendants » dans le Règne Végétal. Alors, les Minéraux…, combien leurs galaxies cristallines sont terriblement éloignées de notre appréhension !

Or, c’est avec elles que l’Alchimiste a fait ce rêve incroyable de dialoguer, puis de communier…, plus encore, … d’opérer une Résurrection !

Le NEOPHYTE. – Je comprends que le Fidèle du Feu-Artiste compare souvent ses Opérations aux Travaux d’Hercule, aux Supplices de Sisyphe, et évoque ces Nuits périlleuses où l’Enfant d’Hermès doit opérer dans le Noir et le Vide.

ARTISTIA. – Oui, mais quand à nouveau l’Ange passe, il vous rend tous les courages, il écarte le voile noir du Visage d’Isis et vous montre comment celle-ci tourne son attention vers vous et pourquoi Elle vous regarde. L’Ange, alors, vous tend la clé de l’Acte alchimique comme ces paroles de Novalis : « Car la Nature veut elle aussi trouver jubilation dans son immense génie artistique, et, pour cela, Elle se change en hommes d’où Elle peut s’admirer et s’enchanter de sa propre magnificence, exprimer en les isolant le charme et la grâce des choses, en manifester la beauté individuelle et caractéristique, afin de la connaître ainsi sous toutes ses formes particulières et pouvoir s’y complaire et s’en réjouir de tous temps, en tous lieux, et de toutes les façons. »

Le NEOPHYTE. – Votre Imagénial délivre une Image du Monde étonnamment inhabituelle à notre époque et, en vous entendant, je sens d’étranges dynamismes relever ma volonté. Pourtant, il me semble qu’en vous suivant, je vais me retrouver « assis entre deux chaises », comme on dit. Est-ce que cet infini de l’image rêvée ne va pas m’éloigner du soin à évertuer la Matière précise que je poursuis ?

ELIE. – En tant qu’Alchimiste, vous avez à acquérir ou à reconquérir une position intérieure infiniment plus haute, plus transcendante que celle du Chimiste de notre Temps qui, en fait, retient l’homme de pénétrer vraiment la vie du Règne Minéral.

La différence entre un Chimiste et un Alchimiste devant le même sujet minéral c’est que le premier ne rêve plus et que cette « masse » matérielle, il la place (en esprit aussi bien qu’en opération) dans un milieu stérile, tandis que l’Alchimiste, lui, appartient à la famille des plus prodigieux rêveurs, parmi les « hommes de Désir »… (lisez les études de Gaston  Bachelard à ce propos car ce philosophe a très utilement rêvé, en seconde main, sur ces rêveurs); et ce fragment de la chair de Mère Nature à partir de quoi va cristalliser son Œuvre, le Fils d’Hermès va le placer dans le lieu de son laboratoire le plus propice à la Vie : l’Œuf philosophique !… A partir de là, vous devez « entrer en poésie » avec votre Matière. Les meilleurs Auteurs à vous éveiller au « travail du Fourneau » seront sûrement des poètes du type Novalis, Milosz, ou encore l’Aurobindo de « Savitri »… (Notez qu’aucun d’eux n’a ignoré les connaissances du simple Chimiste).

Dans votre laboratoire, vous n’accorderez jamais assez à l’Imagénial car, fussiez-vous touché par les grâces suprêmes, vous ne pourrez vraiment atteindre ce Rêve absolu par lequel la Sagesse a projeté Dieu hors de son Incommunicabilité !

ARTISTIA. – Et c’est bien là, au plus Haut des Temps, l’Image parfaite du Premier Couple alchimique !

Le NEOPHYTE. – Ce mode opératoire déterminé par l’irruption de l’Imagénial me fait entrevoir pourquoi les gravures alchimiques mélangent les instruments de musique avec les appareils plus directement opératifs. Neptune et Pluton doivent donc joindre leurs Ondes, en ce lieu !

ELIE. – Tout, en Alchimie, doit se faire charme, s’alléger !… Esprit, matière, sous l’action du Mercure philosophique, devront se mettre à monter et descendre sur une Echelle de Jacob, en une sorte de rêve mélodieux… Oiseaux, peut-être, langues d’oiseaux sûrement !

Le NEOPHYTE. – On pourrait entendre en vos paroles l’allusion à une sorte de transe chamanique pour Orphée faustien.

ARTISTIA. – N’ironisez pas ! Nous avons perdu à ce point le goût de la Fête, je veux dire l’enchantement du Rituel cosmique, que les opérations matérielles qui ne requièrent pas de nous de jouer les agresseurs, les violents, les « durs », nous semblent dérisoires. Mais, si vous voulez vraiment connaître l’authentique réalisation de la Gaye Science alchimique la plus orthodoxe, la plus souvent dite et « montrée », son Secret, en un mot, il vous faut retrouver le feu musical de l’acte amoureux le plus charnel au cœur de vos labeurs et rejoindre l’Acte érotique de la Genèse.

C’est dans la commotion de votre Feu-Désir et de l’Eau du Cristal minéral dont le Gel d’éternité vous aimante que fondront des Paroles d’Amour suspendues dans le froid cosmique. Et c’est alors que vous pourrez voir s’animer, sur les parois de votre Alambic, les Perles d’un Orient de Rosée…

ELIE. – Les tristes Chimistes jamais ne connaîtront vraiment ces Cavernes constellées des plus merveilleux Sels qui s’entrouvent sur le parcours providentiel du Quêteur, dans la Minière vivante de son Athanor !

Et lorsque vous étudiez, dans la gravure du « Laboratoire Oratoire » de l »‘amphithéâtre de la Sagesse Eternelle », l’attitude de l’Alchimiste en prière, soyez sûr que celui-ci, bien loin de lever les bras vers le Ciel pour demander, au contraire élève une prière de reconnaissance, soulevé par l’enthousiasme (selon l’étymologie du terme c’est-à-dire, pénétré d’ivresse divine). Devant un haut fait de sa Réalisation hermétique, son émerveillement a besoin de domestiquer sa jubilation en tendant les bras de la communion. Pour un peu, si le graveur n’avait voulu garder une certaine discrétion, vous le verriez entraîner tout le corps de l’Emerveillé (comme dit Milosz) dans un rythme de danse sacrée comme, jadis, ne s’en privèrent ni le Roi David devant l’Arche d’Alliance ni les Processions médiévales dans le Labyrinthe des Cathédrales alchimiques.

Le NEOPHYTE. – Je ne sais si mon imagination s’enflamme, mais vous m’évoquez, aussi, une Lame majeure du Tarot, la 21ème , « le Monde »…

ARTISTIA. – Voyez…, vous avez pénétré dans l’Imagénial ! D’une certaine façon, vous n’avez plus qu’à étendre la main pour entrer dans le Rythme de votre Materia Prima.

Cette guirlande, Couronne du Règne Végétal, où danse votre Ariane, ne négligez pas d’en parer, en toute matérialité, votre compost… Vous dresserez, ainsi, la parure subtile d’un Lit conjugal composé des roses apportées de votre Orient, des feuilles cueillies à votre chêne centenaire, de buis coupé dans le Palais du Roi.

C’est elle, cette couronne, qui vous reliera aux trois Couleurs opératives  par une fête d’odeurs dont vous ne pouvez imaginer l’effet ! Il vous sera donné de traverser, guidé par le flair du Chien de Diane, trois Temps de ce monde odorant : le premier vous entraînera à travers un automne de fruits anciens, le second vous suffoquera de ses brumes mortuaires, le troisième, enfin, émané des minéraux « ouverts » par le feu de Magnèse, vous emportera dans une renaissance olfactive dont je vous laisse découvrir l’importance opératoire…

Mais, ce « Monde » ultime du Tarot Majeur, c’est aussi la Crèche archétype du Noël Minéral révélée dans le Tétramorphe du Feu-Artiste. Si vous le voyez se centrer dans votre Jeu, alors que vous avez laissé monter la « sueur d’Or » de votre Matière minérale et si vous pouvez admirer, de vos yeux de chair, cette Eau d’Or se mêlant au bleu de Lune du « lait de la Vierge », alors, guettez de toute votre veille l’apparition de l’Etoile… Et que le Solstice d’Hiver de cette année-là vous soit propice !

ELIE. – Bien d’autres « couronnes » de cette Lame du « Monde » seraient à mettre à l’actif de nos labeurs alchimiques et montreraient combien l’Imagénial de l’Alchimie intérieure couche dans le même lit que la Tourbe de l’Alchimie extérieure, pour le meilleur des Noces Chymiques.

En voici un exemple personnel : nous avions élaboré, voici quelques décades, un alliage spécifique afin de disposer d’une matière métallique qui réponde à l’inspiration de nos sculptures minérales. Or, il se trouva qu’un jour un chercheur du Centre de Saclay eut la curiosité de photographier cet alliage, au niveau de l’ultra-microscope, dans sa texture la plus intérieure… Eh bien ! quelle ne fut pas sa stupéfaction – et la nôtre – lorsque la photographie révéla la plus parfaite similitude entre les structures profondes, secrètes, de l’alliage et les rythmes, le style, la « manière » dont nous projetions le métal de nos sculptures dans l’espace sensible ! …

Lequel des deux « espaces » avait obéi à l’autre ? Ou, plutôt, à quel niveau secret le Désir avait-il unifié dans une même Image la forme intérieure et la forme extérieure ?

Le NEOPHYTE. – Voici, effectivement, qui pourrait apaiser mon esprit mis en présence de ces hostilités, à peine dissimulées, qui opposent les tenants de l’Alchimie spirituelle et ceux d’une Alchimie matérielle, dans le monde de l’Hermétisme actuel.

ELIE. – Il est certain que vous aurez bien du mal à vous orienter, aujourd’hui, dans ce monde très hétérogène qui disperse l’attention du chercheur sincère entre d’une part ces bavardages sur la Grande Dame de l’Or commis par des mondains qui confondent, à l’évidence, le cheminement qui mène au boudoir avec celui qui aboutit au laboratoire… et, d’autre part, ces borborygmes fumeux proférés par certains souffleurs vantards et faux-monnayeurs de l’Or alchimique qui vous laissent la porte de leur « cave secrète » entrouverte…

Mais, comme l’a dit Celui que l’on peut considérer comme l’Alchimiste des Alchimistes : « On juge l’Arbre à ses fruits »…

Or, le Fruit de l’Alchimie, pour nous, se juge à sa Beauté, dans son aspect extérieur et, dans son aspect intérieur, à sa Bonté, à la capacité de sa chair amoureuse d’être communiée.

ARTISTIA. – Si vous voulez sincèrement accomplir votre vie dans une Transmutation réelle, il est extrêmement important que vous preniez conscience d’un des aspects essentiels de l’Art Royal à savoir qu’il est esthétique… Sa quête est celle d’une transfiguration. Ce qui, convenez-en, ne peut se manifester que par un ensemble de phénomènes qui, en nous, satisfont le besoin de Beauté. Car, enfin, comment avancez-vous, en Alchimie, en l’Art du « Feu-Artiste », si ce n’est dans le parcours de Textes le plus souvent soutenus de la lyre du Poète, parfois calligraphiés…, de gravures où l’inspiration et l’exécution sont d’une étonnante richesse, ou encore de Monuments et de témoignages plastiques où le souci esthétique unit la beauté de la forme à celle du sens. L’Alchimie est essentiellement une Esthétique du Sacré. Ses « opérations » matérielles, qui visent à dégager la Forme transcendante et rayonnante prise dans la gangue informelle des Origines, sont un chemin ponctué (et guidé) par des apparitions d’une Beauté saisissante. Nul ne peut se dire Enfant d’Hermès, Philosophe du Feu ou Adepte du Feu-Artiste, s’il ne ressent cette vocation sacrée de Poète (Poïétès fut jadis le Métallurge sacré), de créateur des Transmutations verbales aussi bien que matérielles qui « opèrent la Transfiguration de la Terre »…

ELIE. – Comme gage de cette vocation, laissez-nous vous offrir le Minéral que voici… C’est, chimiquement, du Plomb (pour le principal). Au cours d’une Opération, il a pris, comme vous voyez, une forme d’étoile spiralée et, sur une de ses branches, vous pouvez remarquer un éclat métallique qui contraste avec celui du Soleil noir de Saturne et libère comme une douce couleur d’Or charnel… Il nous a apporté la Joie de l’Art !…

ARTISTIA. – Qui sait s’il n’aimantera pas votre Materia Prima, l’Ariane de votre Labyrinthe ?

Voyez, vous êtes venu en Don Quichotte désolé de l’Alchimie et vous repartez, disons, « Mat ». Comme le quêteur de la Lame « hors jeu » du Tarot, vous reprenez la Route guère plus orienté, encore moins illustre ou approuvé ! Mais vous n’êtes pas abattu, ni sans courage. Car vous avez gagné cette énergie profonde que représente le détachement « philosophique », et qui jaillit dès les premiers pas de l’Alchimiste-né. Là est la quintessence de toute vie alchimique : à chacun de ses instants, elle peut repartir « à zéro » ou du maximum (ici, du 22) de sa Réalisation…

Elle s’identifie, ainsi, à la liberté que nous soupçonnons dans le Cœur du Divin. Car, approché, en notre fin, ce Cœur du Divin nous touche de son non-éclat, de sa non-Brillance, de son « Mat », justement !…

Ainsi en est-il de tous ces Maîtres de la Tradition alchimique, célèbres pour avoir réalisé l’Alliance de l’éclat du Soleil avec celui de la Lune en l’Or d’une Lumière ultime, qui remettent tous pouvoirs d’accomplissement de l’Amour minéral à leurs disciples, puis s’effacent, disparaissent dans le Lieu Mat de ce Monde…

Ils rejoignent, alors, le Divin en son Imagénial et s’absorbent derrière sa Création pour que, justement, Celle-ci… apparaisse et resplendisse !