Edgar D. Mitchell
De l'espace extérieur à l'espace intérieur

Ma première impression à l’instant où je regardais la terre fut son incroyable beauté : même les photos les plus spectaculaires n’arrivent pas à la rendre. C’était une vue majestueuse : un splendide joyau bleu et blanc suspendu sur un ciel de velours noir. Avec quelle tranquillité et quelle merveilleuse harmonie semblait-il s’insérer dans le modèle d’évolution qui guide l’univers ! En un moment d’extase, la présence du divin devint presque palpable et je sus que la vie dans l’univers n’était pas seulement un accident issu des mécanismes du hasard. Cette connaissance me parvint directement, de manière noétique. Cela n’avait rien à voir avec un raisonnement discursif ou une abstraction logique. C’était une connaissance expérientielle obtenue par une conscience subjective personnelle, mais chaque détail était — et est encore — aussi réel que les données objectives sur lesquelles le programme de navigation ou le système de communication étaient basés. C’était clair et net : l’univers avait une signification et une direction. Ce n’était pas perceptible par les organes des sens, mais c’était cependant présent, une dimension invisible derrière la création visible qui lui donne un dessein intelligent et apporte un sens à la vie.

(Revue Question De. No 10. Janvier-Février 1976)

Edgar D. Mitchell fut le chef de l’expédition « Apollo-14 » (février 1971). Il devint ainsi le sixième homme qui ait marché sur la lune.

Dans ce document, le célèbre astronaute américain révèle les expériences de télépathie auxquelles il s’est livré à bord de son vaisseau spatial. Il explique pourquoi et comment il s’est maintenant consacré à la recherche psychique en fondant à Palo Alto (Californie) un « Institut de sciences noétiques » (ou sciences de l’esprit). Cette étude constitue l’introduction de l’ouvrage collectif « Psychic Exploration » paru aux États-Unis en 1974 (Putnam, New York). Traduction Jean-Marie Schiff

En février 1971, j’eus le privilège de marcher sur la lune en tant que membre de l’expédition lunaire « Apollo-14 ». Durant le voyage, j’ai fait un test de perception extrasensorielle (ESP), essayant, télépathiquement, d’envoyer de l’information à quatre receveurs sur la terre.

Depuis lors, les gens m’ont demandé pourquoi un astronaute s’intéressait d’aussi près à un sujet aussi décrié et inacceptable dans les milieux scientifiques respectables que la recherche psychique.

C’est là une question pertinente, à laquelle je vais répondre dans cet article. La recherche psychique lance un défi à la science que celle-ci ne peut pas éviter plus longtemps. Mais mon véritable intérêt est — et a été depuis de nombreuses années — de comprendre la nature de la conscience et la relation du corps à l’esprit. La recherche psychique est une facette de cette quête plus vaste. C’est pourquoi l’on pourrait dire que je suis simplement passé de l’espace extérieur à l’espace intérieur.

Qu’est-ce que la « noétique » ?

L’étude de l’esprit et de la conscience est appelée la « noétique ». Ce terme vient de la racine grecque nous, signifiant « esprit ». Dans son acception courante, « noétique » renvoie à une approche purement intellectuelle. Mais Platon a parlé de la connaissance noétique comme de la plus haute forme de savoir : une connaissance directe ou compréhension des vérités éternelles, qui surpasse les mécanismes discursifs normaux du raisonnement logique et intellectuel. Le mot « science », bien sûr, signifiait à l’origine « connaissance », mais il en est venu à désigner un type de connaissance dérivé de l’usage des facultés objectives et rationnelles de l’esprit. Cependant, les capacités psychiques telles que la télépathie appartiennent à un autre type de connaissance : une connaissance subjective, un mécanisme cognitif non rationnel qui sont largement ignorés par les milieux scientifiques. La conscience semble être le concept unificateur central derrière ces différents aspects de l’esprit. Ainsi, je propose, dans l’esprit de son origine grecque, d’utiliser l’oméga comme symbole pour la conscience et la noétique. La recherche psychique est un aspect de la noétique, mais un aspect seulement. La paraphysique, par exemple, est, dans le cadre de la noétique, un nouveau domaine de recherche qui étend les lois et les méthodes de la physique pour essayer d’expliquer certains phénomènes paranormaux. Certains des facteurs que la paraphysique a trouvé nécessaire de prendre en considération sont les effets, sur les systèmes vivants, du géomagnétisme, des phases de la lune et des radiations solaires. Ces facteurs terrestres et célestes, entre autres, induisent dans notre condition physique et mentale des changements rythmiques, tantôt subtils et tantôt frappants. Un autre exemple est l’exobiologie qui est l’étude des possibilités de vie extra-terrestre. L’évidence de l’exobiologie conduit certains scientifiques à s’interroger : si la vie a existé ailleurs dans l’univers pour des périodes nettement plus longues que dans le cas de l’homo sapiens, quel est le degré de supériorité atteint dans l’évolution de la conscience par de telles formes vivantes ? Les chercheurs psychiques ajouteraient : si l’humanité entre en contact avec des civilisations extra-terrestres intelligentes, est-ce que les canaux psychiques seraient de meilleurs moyens de communication ?

Le problème de la conscience est donc aussi vaste que le cosmos et aussi près de nous que le sommeil. La noétique est la discipline qui émerge de cette confluence entre la recherche de l’espace extérieur et celle de l’espace intérieur. Elle est la frontière ultime dans les tentatives de l’homme pour comprendre sa propre nature et celle de l’univers.

Deux modes de connaissance antagonistes : méthodes objectives – expériences subjectives

Si nous passons en revue l’histoire des tentatives de l’humanité pour percevoir, connaître et interpréter son environnement, nous constatons qu’au cours des quatre derniers siècles le résultat du développement de la méthodologie scientifique est qu’une dichotomie formalisée s’est élevée entre les tenants de deux modes de pensée : l’observation objective (suivie par le raisonnement déductif) et les mécanismes cognitifs directs. Ces modes de perception opposés sont grossièrement résumés en tant que science contre religion, raison contre intuition, rationalité contre non-rationalité, connaissance objective contre expérience subjective, etc. Ce n’est que relativement récemment que les tenants de chaque mode de perception ont activement et véhémentement nié la validité des méthodes de l’autre partie. A l’époque préscientifique, les érudits — qu’ils fussent d’accord ou non sur leurs conclusions — reconnaissaient au moins la validité des deux types d’observations : extérieure et intérieure. (Ajoutons rapidement que les vrais grands maîtres des temps modernes ont toujours reconnu ce double mécanisme.)

Ainsi, bien que j’identifie la conscience à la frontière ultime dans les tentatives de l’homme pour atteindre la connaissance, elle n’est en aucun cas une nouvelle frontière, car, tout au long de l’histoire, les hommes ont cherché à réduire les différences entre leurs méthodes objectives et leur expérience subjective, entre l’extérieur et l’intérieur. L’étude de l’esprit et de la conscience est le terrain commun où se déploie cet effort. Le système vivant que nous appelons l’homme est un phénomène holistique présentant les deux modes de connaissance.

Science-religion : vers une prochaine réconciliation ?

Après trois cent cinquante ans de division entre la science et la religion, peut-être sommes-nous sur le seuil d’une nouvelle ère de connaissance et de coopération. Il devrait être évident que l’observation objective et la raison ne produisent pas en elles-mêmes une éthique de vie satisfaisante, que ce soit pour l’individu ou pour les systèmes sociaux. Les faits se séparent des valeurs et l’action des besoins.

D’autre part, l’intuition et l’inspiration ne produisent pas en elles-mêmes l’accord dont la société a besoin pour instaurer l’ordre, la structure et la survie dans le monde matériel. Dans ce cas, l’observation se prête fréquemment à une interprétation individuelle d’après les désirs cachés de l’individu.

Au XVème siècle comme au XXe siècle : le même dogmatisme

L’antagonisme entre le mode subjectif et le mode objectif de connaissance peut être illustré de façon claire. En 1600, Giordano Bruno fut brûlé sur un bûcher par des théologiens pour avoir affirmé que la terre n’était pas le centre du système solaire et qu’il existait d’autres systèmes solaires avec des êtres vivants. En 1972, l’Académie américaine de la science affirmait que science et religion sont « des domaines de la pensée exclusifs l’un de l’autre » et que, par conséquent, la théorie de la création exprimée dans la Genèse devait être écartée des manuels scientifiques. Les rôles de la science et de la religion sont renversés dans l’exemple moderne, mais le même dogmatisme étroit est à l’œuvre pour limiter la curiosité en niant papelardement les autres points de vue.

Les recherches conduites au cours des cinquante dernières années par des penseurs peu connus mais hardis ont montré Qu’il existe dans l’esprit humain un vaste potentiel créatif encore presque totalement ignoré par la science. Les mécanismes de la connaissance non rationnelle ont jusqu’à présent échappé à la description scientifique. Cependant, ce potentiel a été autrefois connu et décrit par quelques sages d’antan et maîtres religieux éclairés, qui ont utilisé un langage préscientifique voilé pour exprimer ce qu’ils découvraient par des moyens subjectifs, intuitifs et expérientiels. Nous sommes, à mon avis, sur le point de redécouvrir et de redéfinir ces concepts et ces aperçus à travers les efforts objectifs, rationnels et expérimentaux de la science, si le dogmatisme et les structures de croyance démodées n’y font pas obstacle. L’utilisation appropriée d’une instrumentation sophistiquée et des techniques de laboratoire peut être le moyen de montrer que les domaines physiques et métaphysiques sont des aspects différents de la même réalité. Si cette démonstration est faite, il serait ironique, mais pertinent, que la technologie et la science matérialiste prétendument laïques conduisent à une redécouverte de l’unité essentielle de la science et de la religion.

La noétique reconnaît tout cela. Elle est la recherche-frontière où s’opère le plus rapidement la convergence de l’objectivité et de la subjectivité, de la raison et de l’intuition. Dans l’étude de la conscience, les techniques et la technologie de la science sont combinées avec les plus hauts aperçus spirituels de l’Orient tout comme de l’Occident afin de créer une nouvelle méthodologie pour la recherche universitaire. Car il est évident que la raison n’est pas suffisante par elle-même pour assurer une compréhension totale de nous-mêmes. Michel Polanyi, l’éminent philosophe des sciences, le souligne : les découvertes scientifiques ne se situent pas toujours dans une série de déductions parfaitement logiques. Au contraire, de nombreuses découvertes mettent en jeu chez le savant concerné des intuitions et des inspirations qui ne peuvent être expliquées de façon satisfaisante.

Les ondes thêta et la créativité

Un exemple de recherche noétique concernant précisément ce problème vient du laboratoire de bio feedback du Dr Elmer Green à la clinique Menninger de Topeka, Kansas. Green a donné le nom de «rêverie » à cet état d’esprit dans lequel l’inspiration créatrice apparaît parfois à la conscience comme déjà entièrement conçue. Green en fait une étude psychophysiologique. Le projet vit le jour quand, à la manière de bien des expériences, une recherche bibliographique faite par sa collègue (et femme) Alyce Green révéla que beaucoup des grandes idées en science et dans d’autres disciplines ont été trouvées lors d’un état de puissante imagerie visuelle proche de l’état de rêve. Cet état de rêverie est semblable à ce que l’on connaît sous le nom d’état hypnogogique qui est ce court laps de temps entre la veille et le sommeil, dans lequel des souvenirs et des images semblent passer devant les yeux et qui est quelquefois caractérisé par la production d’ondes cérébrales thêta de quatre à huit cycles par seconde. Dans le projet « rêverie-imagerie », tel qu’on le nomme maintenant à Menninger, les sujets apprennent à accroître leur production d’ondes thêta afin de pouvoir explorer la relation existant entre l’état thêta — rêverie — et la créativité. Si l’on trouve une corrélation significative, il pourrait s’avérer possible de développer la créativité en entraînant les gens à se mettre volontairement en état thêta. Green fait l’hypothèse qu’ « un individu entraîné à la rêverie thêta serait capable de diriger à la fois sa conscience et son inconscient sur un problème et d’aboutir à une solution créative totalement inattendue ».

La recherche sur la méditation

Ainsi, un phénomène subjectif est examiné de façon objective. Si l’expansion de conscience et l’autocontrôle acquis par les sujets en rêverie thêta aboutissaient à une libération du potentiel créatif, ce serait la preuve d’un bénéfice très pratique tiré d’une recherche théorique de base.

Un autre exemple de l’intérêt pratique d’une recherche de base sur les phénomènes subjectifs vient de cette branche de la noétique appelée « recherche sur la méditation ». Des études de yogis, de maîtres du zen, d’adeptes de la méditation transcendantale et d’autres traditions ont prouvé que la méditation produit des changements qualitatifs et bénéfiques dans la condition psychophysiologique. Les ondes cérébrales alpha et thêta sont deux corrélatifs physiologiques des états psychologiques de méditation. Ils s’accompagnent de changements dans la respiration, le rythme cardiaque, la pression sanguine, la tension musculaire et divers autres corolaires métaboliques. Le méditateur, entre autres bénéfices, en tire une décharge du « stress » et de la tension, une capacité intellectuelle accrue, un autocontrôle et une autodirection plus importants, un sentiment de repos profond et de relaxation, des relations sociales améliorées, une baisse dans l’usage des produits pharmaceutiques prescrits ou non, et d’autres changements significatifs.

Le dilemme raison-intuition

La recherche psychique est une autre branche de la noétique qui ouvre une voie d’accès à la solution du dilemme « extérieur-intérieur » : matière-esprit, corps-âme, raison-intuition, science-religion. Du point de vue de la noétique et spécialement de la recherche psychique, des éléments qui apparaissent comme opposés se révèlent comme les parties complémentaires d’un tout plus vaste : la conscience. Je parle d’expérience personnelle.

« Au début de ma carrière d’astronaute, j’étais pragmatique »

Quand je suis allé sur la lune j’étais un pilote de test, un ingénieur et un scientifique tout aussi pragmatique que n’importe lequel de mes collègues. Plus d’un quart de siècle avait été passé à apprendre l’approche empirique pour faire face à l’univers. De nombreuses fois ma vie a dépendu de la validité des principes scientifiques et de la fiabilité de la technologie issue de ces principes. Je savais bien que la pensée analytique et logique qui utilise des données objectives pouvait produire une technologie capable de révéler de nouveaux secrets de l’univers en explorant les limites de l’espace et, à l’échelle microscopique, la structure des atomes. Avant l’exploration lunaire, je devins aussi familier qu’un homme le peut avec le vaisseau spatial et son vaste système de support en personnel et en équipement : j’avais confiance en ce système. Et pourtant, en dépit de cette familiarité et de cette confiance, il y eut des moments, durant le vol, où j’ai éprouvé un respect étonné et profond pour les capacités rationnelles de l’intellect humain capable de trouver les moyens de guider une minuscule capsule de métal à travers un demi-million de miles de l’espace avec une telle précision, une telle exactitude. Oui, j’étais pragmatique parce que mon expérience m’avait montré, par-delà tout doute, que la science « ça marche ».

« En voyant la terre, je sus que l’univers avait une signification »

Mais il y avait un autre aspect de mon expérience durant Apollo-14 qui était en contradiction avec l’attitude de l’ « ingénieur pragmatique » : cela débuta avec l’expérience « à vous couper le souffle » qui consiste à voir la planète terre flotter dans l’immensité de l’espace.

Ma première impression à l’instant où je regardais la terre fut son incroyable beauté : même les photos les plus spectaculaires n’arrivent pas à la rendre. C’était une vue majestueuse : un splendide joyau bleu et blanc suspendu sur un ciel de velours noir. Avec quelle tranquillité et quelle merveilleuse harmonie semblait-il s’insérer dans le modèle d’évolution qui guide l’univers ! En un moment d’extase, la présence du divin devint presque palpable et je sus que la vie dans l’univers n’était pas seulement un accident issu des mécanismes du hasard. Cette connaissance me parvint directement, de manière noétique. Cela n’avait rien à voir avec un raisonnement discursif ou une abstraction logique. C’était une connaissance expérientielle obtenue par une conscience subjective personnelle, mais chaque détail était — et est encore — aussi réel que les données objectives sur lesquelles le programme de navigation ou le système de communication étaient basés. C’était clair et net : l’univers avait une signification et une direction. Ce n’était pas perceptible par les organes des sens, mais c’était cependant présent, une dimension invisible derrière la création visible qui lui donne un dessein intelligent et apporte un sens à la vie.

Mais après l’émerveillement vint l’angoisse…

Puis mes pensées se tournèrent vers la vie quotidienne sur la planète. Alors, mon sens de l’émerveillement se transforma graduellement en quelque chose proche de l’angoisse, parce que j’eus conscience qu’à ce moment précis où j’étais assez privilégié pour contempler la planète de 240 000 miles dans l’espace les habitants de la terre étaient en train de se livrer bataille ; de commettre des meurtres et d’autres crimes ; de mentir, de voler et de se battre pour le pouvoir et le statut social ; d’abuser de l’environnement en polluant l’eau et l’air, en dévastant les ressources naturelles, en ravageant la terre et en agissant avec convoitise et cupidité ; de se faire souffrir les uns les autres par l’intolérance, la bigoterie, les préjugés et tout ce qui ajoute à l’inhumanité de l’homme pour l’homme. C’était comme si l’homme était totalement inconscient de son rôle et de sa responsabilité individuels dans le futur de la vie sur la planète.

Il était aussi douloureusement évident que les millions de gens souffrant de pauvreté, de maladie, de misère et de semi-esclavage étaient dans cette condition du fait de l’exploitation économique, de la domination politique, de la persécution religieuse et ethnique et d’une centaine d’autres démons prenant leur source dans l’ego humain. La science, avec tous ses succès technologiques, avait esquivé ces problèmes résultant de l’égocentrisme de l’homme. Plus exactement, elle n’était pas à même de les confronter.

Comment le monde en était-il venu à une situation aussi critique ? Et pourquoi ? Une question encore plus importante : que pouvait-on faire pour y remédier ? Comment nous, êtres humains, pourrions-nous restaurer une relation harmonieuse entre nous-mêmes et l’environnement ? Comment éviter un Armageddon nucléaire ? Comment rendre la vie vivable ? Comment réaliser le potentiel de l’homme pour une société de paix, de création et d’accomplissement ? Comment marier le plus haut développement de notre rationalité objective résumée par la science avec le plus haut développement de notre intuition subjective résumée par la religion ?

Ces pensées et ces questions m’accompagnèrent tout au long de la mission, du retour et des cérémonies. Elles restèrent longtemps au point de me hanter avec la conscience aiguë de la limitation des vues que l’homme a sur sa propre vie et celle de la planète. Parfois, la nuit, je restais éveillé pendant des heures en me battant avec cette énigme, en essayant de la comprendre et de la voir dans une perspective sensée. Comment l’homme, la créature la plus intelligente de la terre, peut-il être stupide et myope au point de se mettre lui-même dans une position d’éventuelle extinction globale ? Comment l’intelligence avait-elle divorcé de l’instinct ? Était-il possible de trouver une solution pratique ?

COMMENT MITCHELL EN EST VENU A S’INTÉRESSER A LA RECHERCHE PSYCHIQUE

C’est à ce point de mon cheminement que le troisième aspect de mon expérience durant le voyage lunaire devint important. Je veux parler de mon expérimentation de la perception extra-sensorielle.

Mon intérêt pour la recherche psychique remonte à 1967. A cette époque, je ressentais un doute profond concernant la capacité de la philosophie et de la théologie — telles, du moins, qu’elles m’étaient familières — de répondre à mes questions sur le sens de la vie et la place de l’homme dans l’univers. J’ai toujours cherché à comprendre la nature des choses et j’avais une vaste culture en littérature et dans d’autres branches des connaissances visant à examiner ou expliquer le dessein de l’homme.

Cependant, j’avais trouvé inadéquats beaucoup des concepts issus de la théologie ou de la philosophie. La connaissance empirique issue des sciences physiques me semblait faire chavirer nos notions traditionnelles concernant l’homme : malheureusement, elle semblait aussi très peu capable de remplacer ces notions par d’autres plus solides et plus valables. Les vieilles réponses n’avaient plus cours. D’où les nouvelles allaient-elles venir ?

Dans cette impasse émotionnelle et intellectuelle, un ami, pour qui j’avais un grand respect en tant que personne réfléchie mais pratique, me suggéra que, peut-être, les phénomènes psychiques — psi, selon leur dénomination collective — méritaient d’être pris en considération. C’était là un défi auquel je n’ai pu résister. Étudiant la science, je crois qu’il n’y a rien dans l’univers qui ne mérite une investigation : si, par surcroît, cela offre l’attrait d’être de quelque bénéfice pour l’humanité, je pense que c’est presque insensé de refuser de l’examiner. Le vrai scientifique est celui qui se voue à la connaissance, à la scientia, laquelle est un essai pour comprendre la nature ultime de la réalité, sans parti pris, préjugé ou appartenance à une idéologie ou à un système de croyances. Sinon il ne mérite pas son nom de « scientifique ».

Mon intérêt est de connaître. C’est ce qui m’a amené à la parapsychologie et aux domaines apparentés. Au début, j’étais extrêmement sceptique : j’imagine que quiconque n’est pas familier avec le sujet est sceptique, spécialement quand on écoute les détracteurs scientifiques du paranormal. Cela donne l’impression de prendre au sérieux des contes de fées et des mythes. Cependant, ces récits apparemment fantaisistes qui bercent l’enfance et les débuts de l’histoire sont maintenant reconnus comme ayant un contenu important et une signification sérieuse pour la tentative de l’homme de se connaître lui-même plus complètement. De la même façon, la recherche psychique a prouvé son importance. Plus je m’enfonçais dans l’étude des phénomènes paranormaux, plus mon scepticisme se dissolvait. Il était remplacé par un sentiment de révérence et d’excitation fait de deux éléments : un respect pour l’excellente expérimentation scientifique faite par les parapsychologues et chercheurs psychiques et l’incapacité d’ignorer les résultats inhabituels obtenus dans beaucoup de ces expériences. La télépathie, par exemple — ce talent psychique que j’allais essayer d’utiliser durant l’expédition lunaire —, a été étudiée et documentée de façon extensive depuis un siècle : les travaux de J.B. Rhine, René Warcollier, S.G. Soal et de bien d’autres ne peuvent laisser aucun doute quant à son existence.

Pour l’avenir, l’homme peut choisir trois attitudes

Tandis que je considérais ces questions et les discutais avec les penseurs concernés de par le monde, il devint évident à mes yeux qu’il y a trois possibilités majeures pour le futur, et toutes trois sont contrôlables par l’homme :

1. Ne rien faire, auquel cas le système de valeurs dominant et le comportement socioéconomique qui en résulte conduiraient éventuellement à un effondrement massif de l’ensemble mondial. Les survivants commenceraient alors à reconstruire la civilisation.

2. Abandonner la liberté personnelle de choix aux mains d’un gouvernement mondial central dans l’espoir qu’une société contrôlée et unifiée, quelle que soit la tyrannie de sa direction, serait préférable à la non-survie.

3. Promouvoir le processus de métanoïa, ou nouvel éveil permettant à l’humanité de réaliser le dilemme dans lequel elle s’est enfermée et, à travers un changement de conscience et un élargissement de la responsabilité individuelle, rétablir l’unité de l’homme avec l’homme et avec l’environnement.

Mon opinion est que la dernière éventualité est la seule solution satisfaisante et réellement stable pour résoudre les crises de plus en plus graves auxquelles sont confrontés les citoyens du vaisseau spatial Terre. C’est la solution la plus proche de la perspective de cette « conscience globale instantanée » que beaucoup de mes collègues et moi-même avons atteinte après notre expérience spatiale.

C’est la conscience individuelle qui doit s’élargir…

Le processus de métanoïa appliqué à une civilisation entière ou même à un segment substantiel d’une grande nation n’est pas une tâche facile. Il est certain que la science et la technologie seules ne peuvent produire un tel effet : en fait, elles sont partiellement à blâmer pour les crises. Non, c’est la conscience individuelle qui doit s’élargir, spécialement celle des chercheurs scientifiques, de ceux qui créent de nouvelles technologies et les mettent en application. Ils doivent élargir leurs champs de perception afin d’aboutir à une transformation de leur conscience. Ceux qui dirigent les nations et autres institutions de civilisation ont une responsabilité spéciale. Ce n’est que quand l’homme verra son unité fondamentale avec les processus de la nature et le fonctionnement de l’univers — comme je le vis si nettement à bord de l’engin spatial Apollo — que les vieilles manières de penser et de se comporter disparaîtront. Ce n’est que quand l’homme évoluera de son image de soi égocentrique vers une nouvelle image de l’homme universel que les éternels problèmes qui nous accablent seront susceptibles d’être résolus. L’humanité doit s’élever de l’homme au genre humain, du personnel au transpersonnel, de la conscience de soi à la conscience cosmique. Je ne vois pas d’autre moyen d’éviter des attitudes qui, pour moi, sont inacceptables.

… mais comment faire ?

Cette conception des futurs possibles de l’homme n’est pas le produit de mon invention. D’autres ont prononcé les mêmes paroles avec plus d’ampleur et appuyées sur des analyses détaillées et des preuves. Je ne fais qu’offrir ma voix comme support de leur position. Mais si nous voyons juste en tout cela, les multiples problèmes de l’humanité se ramènent à un problème fondamental : comment changer la conscience, comment atteindre une métanoïa ? Comment pouvons-nous élever notre conscience à un niveau supérieur — un niveau qui restaurerait l’unité de l’homme, de la planète et de l’univers ?

A la vue de ces résultats, tout mon entraînement scientifique me poussa à me faire une honnête confession : la recherche psychique s’occupait de phénomènes qui étaient bien réels, même si le corpus des connaissances scientifiques actuelles est incapable de les expliquer. Aboutir à une autre conclusion aurait été une malhonnêteté intellectuelle — chose qui est apparue de temps à autre dans l’histoire de la science, toujours à son détriment et qui est encore une autre manifestation de la mentalité égocentrique.

Du vaisseau spatial, des expériences de télépathie

En 1971, quand la mission Apollo-14 fut programmée, j’étais devenu un avide chercheur psychique durant mes heures de loisir. L’occasion que l’expédition lunaire m’offrait de faire des expériences télépathiques était trop bonne pour être écartée, et je pense que tout scientifique dont les intérêts et penchants étaient parallèles aux miens l’aurait saisie. Je n’ai jamais eu l’intention de rendre l’expérience publique comme elle le devint — une histoire à sensation dans les journaux et les autres médias dans le monde. Je n’avais pris la décision de l’expérience que quelques semaines avant le départ, et ce ne devait être qu’une expérience purement personnelle. Je n’avais pas demandé la permission à la NASA, parce qu’il paraissait préférable de tenter l’expérience sans autorisation plutôt que de risquer de la voir interdire. De plus, du fait de mon expérience des « fuites d’information », je n’ai même pas demandé conseil aux professionnels de renom. Ces précautions s’avérèrent cependant inutiles.

Je fis cette expérience avec quatre personnes sur terre qui essayèrent de recevoir par communication télépathique les cibles que j’ai essayé de leur transmettre à plusieurs reprises au cours du voyage. Trois de ces personnes préfèrent rester anonymes. La quatrième — Olaf Jonsson, de Chicago — fut pressentie par l’un de mes amis à la dernière minute et sa participation fut organisée par téléphone. Nous ne nous sommes jamais rencontrés avant le lancement, bien que j’aie fait sa connaissance depuis. A la suite d’une « fuite » (dont la source m’est encore inconnue), et du fait d’un excellent travail de détection par la presse, Jonsson fut retrouvé et il révéla l’histoire à la presse : il en résulta une attention considérable à notre égard et pour tout le domaine de la recherche psychique en général.

En bref, mon expérience consista en quatre séances de transmission durant les périodes de repos programmées au cours du vol. Deux des séances eurent lieu au cours du voyage aller vers la lune et deux au cours du retour. J’utilisai des nombres de 1 à 5 pris au hasard dans huit colonnes de vingt-cinq nombres chacune. Juste avant la transmission, afin de minimiser les possibilités de précognition, j’assignai un nombre à chaque symbole des cartes standard de Zener utilisées pour certains tests de perception extrasensorielle : une croix, un carré, un cercle, une étoile et des lignes ondulées parallèles. Les circonstances du vol rendirent difficile l’évaluation des résultats ; nous étions en retard de quarante minutes pour le lancement, ce qui retarda de quarante minutes également les quelques périodes de repos initiales. C’est ainsi que, du fait des conventions faites avec les receveurs, certaines séances semblèrent donner des résultats précognitifs et non télépathiques.

A mon retour sur terre, les résultats furent analysés de façon indépendante par le Dr J.B. Rhine, de la Fondation de recherche sur la nature de l’homme, par le Dr Karlis Osis, de la Société américaine de recherche psychique, et par moi-même. Les résultats furent significatifs statistiquement, non pas parce que l’un des receveurs obtint un grand nombre de « coups au but » directs, mais parce que le nombre de « coups au but » était étonnement bas. La probabilité statistique d’aboutir à un score aussi faible était d’environ 3000 pour 1. Cet effet ESP négatif, appelé psi-missing (psi manquant), a été fréquemment rencontré au cours d’autres travaux de recherche psychique et les théoriciens essaient d’expliquer sa signification. En tout cas, cet effet présente une bonne preuve de phénomène psi puisque les lois du hasard sont déviées à un degré significatif.

« Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec le problème de changer la conscience ? »

Pour moi, le fait de voir notre planète de l’espace fut un événement ayant quelques-unes des qualités traditionnellement attribuées à une expérience religieuse. Cela suscita une intuition profonde quant à la nature de l’existence, cette sorte d’intuition qui change radicalement la personne intérieure Ma pensée — en fait, ma conscience — était profondément changée. J’en vins à sentir une responsabilité morale de faire passer l’expérience transformatrice qui consiste à voir la terre dans une perspective plus vaste. Et, de plus, l’homme rationnel en moi eut à reconnaître la validité des processus de connaissance non rationnels.

A mon avis, l’acte de quitter la planète est l’un des moments pivots dans l’histoire humaine, parce qu’il représente un changement radical dans le cours du progrès et offre une nouvelle perspective de civilisation. Si nous continuons sans changement ni croissance de notre pensée et de notre comportement de base, nous finirons, en dépit de spectaculaires succès technologiques, par mettre un terme à l’expérience évolutive connue sous le nom d’expérience humaine. Notre situation planétaire devient chaque jour plus désespérée. Mais, au fond, je suis optimiste, parce que la possibilité de résoudre ces crises globales sans cesse croissantes m’est également apparue avec clarté durant la vision du point de vue de l’espace.

Il est évident que nous ne pouvons pas envoyer tout un chacun sur la lune dans le futur proche. Mais nous pouvons fournir une information et des expériences d’une autre sorte qui serviront le même dessein et offrirons la même perspective. De plus, nous pouvons le faire d’une façon qui rapproche la raison objective de l’intuition subjective et permette donc de diminuer le fossé malencontreux existant entre ces deux modes de connaissance.

Nous pouvons le faire, parce que, comme je l’indiquais plus haut, la recherche de l’espace intérieur et celle de l’espace extérieur convergent. Il en résultera un élargissement du champ de perception et un pas vers le développement d’une conscience supérieure au sein de la race humaine.

Espaces extérieurs et intérieurs unifiés : c’est la conscience cosmique

Tout au long de l’histoire, les prophètes, les sages, les saints, les maîtres illuminés et autres hommes et femmes éclairés ont indiqué le même but que celui que je cherche : l’évolution ultérieure de la conscience humaine. Ces gens ont été des experts du voyage dans l’espace intérieur. Leurs « rapports » à travers les siècles contiennent des indications auxquelles les psychonautes contemporains peuvent se fier. Leurs « cartes de l’espace intérieur » sont des guides utiles pour l’exploration d’un territoire non familier. Ils ont été unanimes à déclarer que l’oubli de soi et le dépassement de l’égoïsme sont un aspect de la conscience supérieure et la clé de la connaissance directe.

Il y a une étonnante variété de moyens par lesquels les gens grandissent en oubli d’eux-mêmes. Certains sont les disciplines spirituelles formelles telles que l’étude du yoga ou du zen, l’entrée dans les ordres religieux ou la pratique de diverses formes de méditation. D’autres voies sont moins systématisées et plus spontanées : en fait, cela peut simplement être vaqué à son travail quotidien, mais avec l’intention d’améliorer sa vie par la prière, l’étude, la gentillesse, l’humilité et de bonnes œuvres.

Le résultat de toutes les voies sincèrement suivies, cependant, est un changement de conscience pour celui qui marche sur la voie. Parfois progressivement, parfois soudainement, le voyageur perçoit dans, l’univers un ordre et un sens qui lui échappaient jusqu’alors, une reconnaissance qui donne une signification à la vie en incorporant au cosmos les frontières du moi. Le voyageur reconnaît que, d’une façon paradoxale, l’aspect le plus profond de lui-même ne fait qu’un avec toute création. Le meilleur nom donné à cet élargissement radical du sens de « Je » est celui de « conscience cosmique ». C’est un état dans lequel il y a, pénétrant tous les aspects de la vie, une sensation constante d’unité avec l’univers. Chaque activité, chaque relation, chaque pensée est guidée par la connaissance d’une union entre le moi et le monde. L’espace intérieur et l’espace extérieur sont unifiés : alors, les atrocités que les gens perpétuent les uns sur les autres et les stupidités commises contre la nature deviennent impossibles. Cette autorégulation intérieure est le plus sûr garant contre la destruction de notre monde […].

La recherche psychique peut jouer un rôle important en aidant les gens à faire cette découverte. Elle peut être une clé pour dévoiler la composante d’expérience manquante permettant d’élargir la conscience au-delà des limites des données objectives et du raisonnement logique. Elle peut être le moyen de renforcer l’évolution ultérieure de la race humaine et de développer l’homme universel de la conscience cosmique. Tout simplement, les expériences psychiques — comme les expériences religieuses et mystiques — peuvent, quand elles sont proprement conduites, aider une personne à devenir plus consciente. Elles peuvent être, pour l’esprit, une alimentation qui éveille la curiosité, secoue le sommeil de nos yeux matériels et commence à nous motiver pour chercher les voies d’une conscience différente.

Mais développement psychique ne signifie pas développement spirituel

Les phénomènes psi sont bien des événements réels et la recherche psychique est un effort acceptable, authentique et bien discipliné entièrement compatible avec les méthodes scientifiques.

Il me faut cependant présenter un avertissement. L’évidence prouve que l’énergie psychique est neutre, ne donnant accès à aucun système de valeurs. Cette énergie doit être manipulée avec soin, parce qu’un développement psychique à lui seul n’entraîne pas une croissance morale ou spirituelle. L’histoire de la recherche psychique l’a démontré une nouvelle fois en exposant le cas de divers sensitifs aux talents authentiques qui utilisèrent la fraude ou la tricherie. Les investigateurs scientifiques, tout comme les gens ordinaires, cherchant conseil ont parfois été déçus l’espace d’un moment au contact de ces hommes et femmes psychiques dont la préoccupation principale n’était pas d’agir de manière éthique, de faire avancer la connaissance ou d’aider ceux qui sont dans le besoin, mais plutôt d’impressionner les autres, de jouer les jeux de leur ego et de renforcer leur propre statut social, leur richesse et leur pouvoir sur les autres.

L’énergie psychique — comme l’énergie atomique — peut être utilisée dans les deux sens: d’une manière créatrice ou d’une manière destructrice. S’il en est ainsi, une attitude pieuse et prudente semble appropriée pour tous ceux qui sont concernés. C’est à chaque individu de trouver un système ou un cadre éthique à l’intérieur duquel utiliser l’énergie psychique. A cet égard, les injonctions de la Bible et des autres traditions ne devraient pas être rejetées avec légèreté. Et il est certain que l’attitude frivole et mondaine que certains ont vis-à-vis des séances, des planches Ouija et de ce genre de pratiques n’est pas à encourager.

Il doit être clair donc que l’événement psychique doit être placé dans une perspective plus vaste que d’habitude. Ceux qui ont des talents psychiques, tout comme ceux qui les étudient, doivent se fonder pur une vue transcendante de l’homme et de sa relation à l’univers. La parapsychologie doit s’associer avec la psychologie transpersonnelle — l’étude du potentiel de développement de l’homme — comme partie de la noétique — l’étude générale de la conscience. A moins que la recherche psychique ne conduise à la sagesse, à la compassion, à l’humilité et à une connaissance bénéfique, elle est à éviter entièrement. L’homme est tout à fait capable de se détruire lui-même maintenant : il n’a pas besoin d’une arme supplémentaire dans l’arsenal dont il dispose pour déséquilibrer le potentiel planétaire.

En gardant bien cette perspective présente à l’esprit, examinons maintenant ce qu’est et ce que n’est pas le sujet de la recherche psychique.

Recherches psychiques et sciences traditionnelles

Depuis les débuts de la recherche psychique, diverses traditions ésotériques et occultes ont croisé son chemin. La prophétie est un bon exemple. L’astrologie est peut-être le moyen de divination le plus vieux et le plus durable que l’homme ait développé. Les cartes du tarot sont une méthode relativement nouvelle pour essayer de prévoir les événements. Les boules de cristal, le Yi-King, les planches Ouija, le lancement de dés, les sacrifices d’animaux, les déclarations prophétiques des sorciers et des chamans en état de transe… La liste semble infinie. Je ne porte aucun jugement sur la valeur ou l’exactitude de ces traditions. Je dis seulement qu’il est compréhensible qu’à un moment ou un autre elles soient prises en considération par les chercheurs étudiant la précognition, la nature du temps et d’autres sujets de recherche psychique. De même, il est compréhensible que des sujets aussi divers que la magie, le vaudou et le yoga aient été examinés, car ils ont une histoire dans laquelle les événements psychiques jouent un rôle important.

Est-ce que toutes ces pratiques occultes appartiennent au domaine de la recherche psychique ? Où les sciences psychiques s’arrêtent-elles et où les arts occultes commencent-ils ? Si les phénomènes psi jouent un rôle dans les cérémonies religieuses et les pratiques d’entraînement des peuples primitifs et des cultes païens, doit-on étudier tout cela ?

Au-delà de la parapsychologie : la « psychologie transpersonnelle »

Il semble qu’il y ait un continuum le long duquel on peut placer les phénomènes occultes, psychiques, paranormaux et mystiques, un continuum de conscience. Mais il n’est pas facile de tracer une ligne de démarcation entre eux. Récemment, par exemple, la méditation est entrée dans les laboratoires. Les études ont montré que la méditation est un moyen de produire un état de conscience altéré dans lequel les phénomènes psi se manifestent fréquemment. On examine donc la méditation, et il semble probable que les chercheurs psychiques auront à étudier l’arrière-plan historique, le système de croyances et la conception philosophique des diverses disciplines méditatives. Ensuite, un mouvement apparaîtra en psychologie transpersonnelle. Au-delà, il va devenir évident que les phénomènes psi ne peuvent être complètement compris tant que l’on ne prend pas en considération la nature de la conscience elle-même.

Mais la diversité d’opinions au niveau de la recherche quotidienne ne signifie pas que des « camps ennemis » se sont constitués. Les chercheurs psychiques de par le monde sont généralement d’accord pour dire que leur travail doit être accompli au profit de l’humanité. La possibilité de l’invasion de l’intimité mentale ou du contrôle des pensées est odieuse. Mes collègues dans la communauté des chercheurs psychiques sont unanimes, quelle que soit leur nationalité, à chercher une application bénéfique des facultés psychiques. Tout indique que les énergies psi peuvent être utilisées pour le bien comme pour le mal. L’une de leurs meilleures applications peut être vue dans la guérison psychique. L’un de leurs usages potentiellement les plus dangereux serait de « programmer » les gens par des suggestions télépathiques non conscientes. Il ne faut pas permettre cette dernière possibilité. Cela met en lumière une autre raison de préférer le terme « recherche psychique ». Comme je le mentionnais, la parapsychologie est en train de devenir une partie d’un ensemble plus vaste : la psychologie transpersonnelle. A son tour, la psychologie transpersonnelle est un aspect de la convergence générale de la science et de la religion dans la noétique. Ce n’est qu’en étudiant la conscience et la nature de l’homme et des autres systèmes vivants que nous commencerons à comprendre réellement les phénomènes psi et leurs relations avec le potentiel et l’accomplissement humains. Sans cette perspective, les facteurs psi et la recherche psychique suivraient probablement la voie de la plupart des autres entreprises scientifiques : par calcul ou par ignorance, ils seront retournés contre l’humanité par des moyens physiquement et psychologiquement destructifs parce que les désirs des humains souffrant d’imperfection morale sont généralement hors du contrôle de l’intelligence rationnelle.

POURQUOI LA RECHERCHE PSYCHIQUE ?

On a déjà brièvement répondu à cette question en disant qu’elle était un élément important de la formule longtemps cherchée qui permettrait d’enrichir la conscience humaine, de restructurer la société et, plus généralement, d’aider la nature dans le grand travail de l’évolution. Mais considérons la question plus en détail et voyons exactement pourquoi la recherche psychique est un défi à la science.

Au cours de notre progression psychosociale dans l’étude de la conscience, certaines convictions fondamentales du monde scientifique actuel seront remises en question. C’est inévitable. La recherche psychique est peut-être le domaine principal d’où la révolution viendra et d’où sera tiré un nouveau paradigme scientifique.

Les deux principes de la science contemporaine : objectivisme et matérialisme

Un fondement de la science est l’objectivisme qui considère la nature comme une collection de parties distinctes que les scientifiques peuvent observer et manipuler d’une manière détachée et impartiale. Les événements naturels ont lieu parce que des forces naturelles opèrent selon des lois naturelles, tandis que le savant se tient à côté en conservant sa neutralité et sa non-implication émotionnelle. Il ne fait que laisser les choses suivre leur cours. Il peut y avoir des relations de cause à effet ; il peut y avoir des interactions. Mais tout arrive en dehors de l’observateur. Le principe de l’identité séparée demeure effectif.

Un autre principe scientifique est le matérialisme ou notion selon laquelle la réalité est entièrement explicable par l’existence de la matière seulement.

Opérant sur cette base, la science a rencontré un grand succès dans l’exploration du monde physique et la façon de le contrôler. De grandioses réalisations durant les cent dernières années ne laissent pas de doute à ce sujet. En même temps, cependant, la science est responsable d’avoir mis entre les mains de l’homme une connaissance qu’il a tristement utilisée pour des tueries sans précédent, des destructions et l’agression de son semblable et de son environnement. Pourquoi ? Pourquoi notre connaissance sophistiquée de l’univers physique n’a-t-elle pas conduit à la sagesse ? Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre en harmonie avec nos semblables et avec la planète ?

Une partie de la réponse, à mon avis, peut être trouvée dans ces deux principes fondamentaux de la science contemporaine : l’objectivisme et le matérialisme. Bien que valides dans un domaine limité, ils ont été imprudemment considérés comme universellement applicables. Les études dans des domaines aussi différents que la logique, la métalinguistique et la mécanique des quanta ont démontré que les concepts opposés de subjectif-objectif, matière-énergie, et peut-être même le concept de causalité lui-même, sont des constructions arbitraires que l’homme impose à la nature. L’univers est balistique, un universus, mais la plupart des gens, y compris les scientifiques, en sent inconscients et c’est pourquoi les deux principes de base se combinent pour former une philosophie inconsciente de la vie, un paradigme. L’accent mis par la science sur la matière a conduit à une surenchère des objets matériels nécessaires à la vie. De même, l’accent mis par la science sur l’objectivité a conduit à une perte de l’unité et de l’empathie entre personnes : à leur place, on trouve la séparation, l’impersonnalité et l’apathie.

Des résultats malheureux

Ces résultats malheureux sont partout apparents. Au niveau individuel, notre conception de la personne est perdue au profit de l’idée que la personnalité est une marchandise qui s’emballe et se vend sur un comptoir de produits de beauté, dans des magasins d’habillement et dans des cours de développement de soi. On regarde les objets comme ayant une valeur supérieure à celle des personnes elles-mêmes, et il y a une tendance très répandue à traiter les gens comme des objets que l’on manipule mécaniquement. Au niveau social, il ne nous reste plus qu’un pas à franchir pour adorer le mode de pensée objectif et rationnel comme source du bien et de toute sagesse. Venant renforcer cette situation, il y a l’objectivation — ou plutôt la réification — d’idées abstraites telles que la nation ou l’État. En suivant ce point de vue, il n’est que logique de faire la guerre aux autres pays, ainsi qu’à la nature.

Ce refus de l’aspect non matériel de la vie — de sa participation sacrée au miracle de l’existence — laisse les gens dépourvus de toute signification et de toute orientation. La conception qui en résulte peut être exprimée ainsi : je suis simplement un prisonnier de ma chair, me battant pour survivre dans un monde hostile et compétitif, et la mort sera ma fin parce que la vie n’est que physique. Je ne suis qu’un ego encapsulé dans une peau, enfermé dans un corps sans âme, qui un jour périra et se décomposera.

Les défis de la parapsychologie apporteront-ils à l’homme la solution de la survie ?

La recherche psychique apporte un défi direct à cette vue un peu myope de la réalité en remettant en question la primauté supposée de l’objectivisme et du matérialisme. La télépathie démontre qu’il y a entre les gens une liaison informationnelle qui dépasse les lois de la science telles qu’on les comprend actuellement, une liaison dont nous sommes normalement inconscients. Et la découverte de la perception primaire dans la vie cellulaire élargit apparemment cette liaison vers le bas de l’échelle de l’organisation moléculaire. La clairvoyance lance un défi à notre compréhension de la perception sensorielle. La précognition et la rétrocognition défient notre concept du temps. La psychocinèse défie nos concepts d’énergie et de transfert d’énergie. Il en est de même pour la guérison psychique qui remet également en question nos conceptions de la physiologie et de la médecine. Dans tous ces domaines, les études semblent indiquer que l’esprit et la conscience peuvent opérer à distance du corps, agir sur le monde extérieur et en recevoir une influence d’une façon qui ne peut être expliquée par les lois connues. Au-delà, les recherches sur la survie indiquent la possibilité que l’esprit et la conscience puissent opérer indépendamment du corps. Bref, la recherche psychique conduit à cette conclusion extrêmement provocante : l’image fondamentale de l’homme et de l’univers que présente la science doit être révisée. A cause de cette lumière nouvelle projetée sur la nature de l’humanité et sa position dans le cosmos, la science va devoir se départir non seulement de quelques « faits » qu’elle chérit profondément, mais aussi de ses fondements philosophiques, toute la construction intellectuelle sur laquelle notre présente civilisation repose. Cette construction, dit Arthur Koestler dans les Racines du hasard, est « la plus grande superstition de notre temps : l’univers-horloge mécaniste et matérialiste de la physique du début du XIXe siècle ».

Nous vivons, selon les mots de William Irwin Thompson, « au bord de l’histoire ». Une extrapolation linéaire des conditions actuelles montre que l’humanité a, dans le meilleur des cas, moins d’un siècle avant de se retrouver à l’époque des dinosaures. Bien des savants et des dirigeants planétaires pensent que le temps restant pourrait n’être que de quelques décennies. Bien sûr, quelque circonstance imprévue telle qu’une « révolution verte » ou un succès dans la lutte antipollution peut altérer de façon favorable ce pronostic et donc confirmer ce dicton que la civilisation chancelle, mais qu’elle chancelle en avançant régulièrement. Cependant, la survie semble dépendre d’une transformation de la conscience et d’une évolution de l’esprit plus que de tout autre facteur. Cette transformation porte aussi sur notre philosophie de la science, le modèle physiciste de notre pensée et de notre comportement.

Les scientifiques devront se défaire de leurs vieilles croyances

Pour certains scientifiques, cela va signifier un changement énorme dans leur mode de pensée. Cela signifiera abandonner des conceptions de longue date qui ont perdu leur validité et menacent directement notre existence. Ce besoin d’abandonner ses illusions est déjà apparu auparavant dans l’histoire de la science. Le concept du rôle de l’observateur neutre en mécanique des quanta en est un exemple. Mais jamais auparavant le besoin de se délester des fausses croyances n’a eu une importance aussi globale. Si la science maintient sa vieille attitude envers la recherche psychique, cela prouvera simplement que Max Planck avait raison de dire : « Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en emportant la conviction de ses adversaires et en leur faisant voir la lumière, mais plutôt parce que ses opposants finissent par mourir et qu’une nouvelle génération se lève qui est familière avec elle. »

Quand les détracteurs de la recherche psychique ont l’honnêteté de se récuser…

La seule base possible pour rejeter les preuves de la recherche psychique est le préjugé et l’entêtement tenace issus de l’insécurité. Le psychologue Donald O. Hebbs l’a franchement admis dès 1951 : « Pourquoi n’acceptons nous pas l’ESP comme un fait psychologique ? demandait-il. Rhine nous a apporté suffisamment de pièces à conviction concernant presque tous les problèmes où l’on pouvait faire des paris quant au mécanisme du processus en jeu. Pour ma part, je n’accepte pas l’ESP un seul instant parce que cela ne rime à rien. Je ne vois pas quelle autre raison mes collègues avancent pour rejeter l’ESP. Mon propre rejet des vues de Rhine est, littéralement, empreint de préjugé » [ … ]

L’une des objections majeures à l’authenticité de la recherche psychique est la crédibilité de ses preuves. S.G. Soal, de l’université de Londres, écrit : « Il serait intéressant de rencontrer le psychiatre ou psychologue qui a parcouru chacune des pages des 49 volumes des débats de la Société de recherche psychique et qui reste sceptique. Ce n’est pas un hasard si la plupart des détracteurs de la recherche en ESP sont invariablement ceux qui ont la plus faible connaissance des faits. »

L’un de mes associés, le Dr Montague Ullman, du Centre médical Maimonides de Brooklyn (New York), adresse la critique suivante aux détracteurs de la recherche psychique : « Si la seule réponse que l’on puisse apporter à une vaste quantité de solides preuves expérimentales est celle d’incompétence ou de fraude à une échelle globale de la part d’hommes ayant des lettres de créance égales à celles de leurs pairs scientifiques et dont les travaux s’étendent historiquement sur une période d’au moins trois générations, il semble alors que les adeptes d’une telle réponse adoptent une position qui est même plus difficile à défendre que l’hypothèse psi. En fait, cela semblerait représenter une position limite, bref, la banqueroute de l’effort critique ».

C’est l’abrégé de l’honnêteté intellectuelle d’admettre que l’on a eu tort ou que l’on a fait une erreur. Le Dr Price a fait preuve d’une telle honnêteté dans une lettre à la revue Science (janvier 1972) : « Au cours de l’année dernière, j’ai échangé avec J.B . Rhine une correspondance qui m’a convaincu que j’ai été extrêmement injuste à son égard dans mon article intitulé « la Science et le Surnaturel », publié dans Science en 1955. Cet article discutait des possibilités de fraude dans les expériences de perception extra-sensorielle. Je pense avoir fait preuve de la même injustice dans mes propos concernant S.G. Soal au cours du même article. » La rétractation de Price apporta aux chercheurs psychiques ce qu’on pourrait appeler « un psi de soulagement » : sa signification première, cependant, n’est pas qu’elle rétablit l’intégrité de leurs efforts, mais plutôt qu’elle démontre la propre intégrité de Price en tant qu’homme de science qui voue ses efforts à la recherche de la vérité, aux dépens même de sa propre image publique et de ses déclarations.

La parapsychologie vue par les scientifiques

Ce dévouement à la science est ce qui doit motiver tous les scientifiques. Jusqu’à une période récente, il y a eu absence notoire d’une telle attitude envers la recherche psychique. Cependant, l’admission de l’Association de parapsychologie à l’Association américaine pour l’avancement de la science, en 1969, est à porter au crédit des institutions scientifiques : cela indique en même temps que le courant de l’opinion est en train de se renverser […].

Les formes non rationnelles de connaissance encore inexplorées

Le résultat, à mon avis, peut seulement être une nouvelle appréciation par la science et par la religion de leurs modes d’opération réciproques. Jusqu’à présent, la science ne s’est occupée que du rationnel et de l’irrationnel. Elle n’a pas reconnu le non-rationnel. Les formes non rationnelles de connaissance transcendent les catégories de la logique et de la perception ordinaires avec lesquelles opère l’intellect discursif. Ces zones de l’esprit peuvent, si l’on sait les manier, être tout aussi utiles pour fournir de l’information sur nous-mêmes et sur l’univers. Les formes non rationnelles de connaissance sont nos plus anciennes sources de sagesse ; le yogi philosophe Gopi Krishna le souligne dans le Secret du yoga : d’elles viennent les vérités religieuses, la créativité artistique, les idées de génie, les facultés psychiques et ces formes apparentées à l’ESP que nous appelons l’intuition, les aperçus et les « réactions des tripes ». Collectivement, tout cela a été dénommé l’inconscient, terme quelque peu trompeur, soit dit en passant, car l’inconscient est suprêmement intelligent. C’est au plus profond niveau de notre inconscient personnel que la frontière entre les modes d’opération subjectif et objectif disparaît et que notre sens limité du « moi » s’incorpore dans sa source universelle d’existence.

Il nous faut à nouveau établir une relation avec l’inconscient. Si, honnêtement et courageusement, nous laissons cet aspect de l’esprit nous parler, si nous rendons l’inconscient conscient, il s’ensuivra une altération fondamentale dans nos attitudes présentes, nos valeurs et nos croyances, ainsi qu’un changement capital dans notre comportement. Nos expériences objectives et subjectives vont se fondre de façon synergétique dans un saut quantique de compréhension à un plus haut niveau de conscience. Ce pourrait être la transformation de la conscience humaine, qui est nécessaire pour résoudre nos dilemmes.

La recherche psychique : pour retrouver l’unité perdue

Un tel changement s’assurerait que toute action prévue serait sensée, pratique et d’une portée suffisante pour faire face aux problèmes planétaires d’une manière holistique. Cela rétablirait la santé de nos « psychés » divisées, l’unité de notre société fracturée et l’harmonie de l’environnement déséquilibré. Jusqu’à présent, la science a principalement produit la fragmentation. Mais la santé est complétude. Pour « soigner » la science, nous devons, comme le dit le philosophe Dane Rudhyar, « construire des ensembles plus vastes ».

La recherche psychique est une avenue vers l’inconscient, un moyen de construire des ensembles plus vastes. Maintenant, il est temps que nous commencions à construire un ensemble humain unique. Maintenant, il est temps que nous développions nos facultés non rationnelles dans le sens d’une « technologie subjective » qui permettra le mariage de la science et de la religion, de la raison et de l’intuition, du physique et du spirituel. Cette union de la tête et du cœur, de la perspicacité et de l’instinct ne sera une assurance que quand la science en viendra à appréhender l’aspect non matériel de la réalité aussi bien qu’elle en connaît l’aspect matériel — c’est-à-dire quand la science s’approchera de l’omniscience — ; alors notre connaissance deviendra sagesse, notre amour du pouvoir deviendra pouvoir de l’amour et l’homme universel de la conscience cosmique pourra enfin se lever.

E.D. Mitchell

Extrait de « Psychic Exploration » (Ed. Putnam, 1974)

Site d’IONS (Institute of Noetic Sciences): http://www.noetic.org/