Gabriel Monod-Herzen
Demain, l'Enfant, l'Adulte, la Société

Si nous avions devant nous quelqu’un qui soit notre réplique exacte, nous aurions un mal énorme à le supporter, parce que ses défauts, nous ne voulons pas les reconnaître en nous… Et nous les projetons sur les autres.

(Revue Panharmonie. No 170. Novembre 1978)

Le titre est de 3e Millénaire

Compte rendu de la réunion du 5.10.1977

M. Monod-Herzen demande qu’on lui pose des questions sur le sujet choisi : Demain, l’Enfant, l’Adulte, la Société, que pouvons-nous faire aujourd’hui pour que demain soit meilleur, en commençant par un travail sur nous-mêmes ?

« Mais comment ? » demande une participante.

M. Monod-Herzen : Si vous travaillez sur vous-même, les gens et le milieu autour de vous changeront automatiquement. Vous voir vivre et agir impressionnera votre entourage. Mais quelle est l’attitude à adopter à l’égard des enfants ? Mme Montessori a compris que ce que les enfants n’aiment pas quand ils vont à l’école, c’est l’impression qu’ils ont d’être chez les grandes personnes. Aussi a-t-elle prévu de petits meubles et des pièces spécialement à leur dimension. Cela donne très vite aux enfants le sens de leur responsabilité, et quantité de problèmes disparaissent.

Une participante s’insurge contre la méthode moderne qui veut supprimer le professeur en tant que dirigeant. Elle pense au contraire, que l’enfant a besoin d’un adulte pour le guider et, d’autre part, l’enseignement donné par un professeur qui anime le sujet, qui sait le rendre attrayant, facilite la compréhension davantage que des livres ou que la recherche personnelle.

M. Monod-Herzen : En effet, les tout petits enfants demandent à être guidés, mais chez les enfants de sept à neuf ans qui posent sans cesse des questions, il s’agit de leur répondre et non de leur imposer un programme.

La participante : Je voudrais leur faire apprendre l’orthographe, leur faire apprécier sa beauté, leur faire adorer les mathématiques. J’ai eu moi-même un professeur qui m’a fait apprécier le XVIIIe siècle que je n’aimais pas a priori.

M. Monod-Herzen : Vous êtes tombée sur un bon professeur. L’important c’est que l’enfant prenne l’initiative, parce que là on est sûr de l’intéresser, A ce moment il apprend en un clin d’œil. S’il ne veut pas mettre l’orthographe, qu’il ne la mette pas, il se rendra compte par la suite de l’inconvénient que cela représente.

Il en est de même pour les arts qui, actuellement, leur sont accessibles dans leurs familles ou en dehors d’elles. Mais il ne faut pas exercer de pression sur eux.

Une participante : Les enfants sont heureux quand ils se sentent libres et pas conditionnés. L’enfant est poète naturellement, il ne faut pas détruire e cela en lui.

M. Monod-Herzen : L’école va aller vers le respect de l’enfant, pour développer ce qu’il a en lui et non pour lui faire passer des examens. Tous les enfants ont une sensibilité, mais lorsqu’ils la manifeste, on dit que ce n’est pas sérieux ! Que pouvons-nous faire pour les enfants, sinon essayer d’être nous-mêmes, comme nous estimons que doivent être un homme et une femme et cela influencera automatiquement tous ceux qui nous entourent. Le problème de demain, c’est celui des adultes, parce qu’ils ont été mal élevés. Nous avons à nous débarrasser d’un tas de choses acquises par notre éducation et par notre conditionnement.

Il y a deux façons de connaissance pour l’adulte, l’une rationnelle, l’autre intuitive. Pour avoir la Connaissance avec un grand C, il faut avoir les deux.

Un participant : L’être se projette lui-même en permanence et au lieu de comprendre que chacun doit faire en lui cette synthèse, il veut changer les structures pour que cette synthèse se fasse.

M. Monod-Herzen : Jung dit que notre image du monde est la projection de notre propre inconscient. Apprendre à ne pas le faire n’est pas au niveau des enfants, mais des adultes, l’éducation doit être permanente. S’en rendre compte rend indulgent.

Il s’établit alors une controverse sur le mot « indulgent » qui peut présupposer une supériorité de celui qui se dit indulgent. Son égo est alors en jeu, tandis que dans la « compréhension » il reste ouvert.

M. Monod-Herzen : On reste impersonnel, mais il manque la chaleur humaine qui est dans l’indulgence vraie.

Une participante : Cette compréhension des choses, le fait de voir plus clair, ne l’acquérons-nous pas dans la méditation qui aboutit à un détachement de l’égo ?

M. Monod-Herzen : Bien sûr ! C’est encore Jung qui dit que quand l’homme se rend compte qu’il projette son inconscient, il a le désir de le connaître plus complètement. Se concentrant alors sur lui, et le fait de prendre conscience peu à peu de ce qu’il contient, le libère de son asservissement. Et avec la libération d’une partie du passé, il libère aussi son karma dont c’est une des formes. Cela ne supprime pas les conséquences du passé, mais cela fait comprendre comment il agit sur vous. Lorsqu’on y arrive, cela vous confère l’égalité de l’âme, la cessation de toutes les oppositions, de toutes les dualités. Et si l’on va plus loin, on voit que si le moi existe, il n’est que le reflet extérieur d’une réalité intérieure beaucoup plus profonde qui n’est pas encore consciente en nous. C’est la grande libération.

Au sujet de la méditation : Si, malgré nos prétentions nous n’obtenons en réalité que très peu, c’est parce que nous ne voulons pas reconnaître qu’une petite chose à laquelle nous n’accordons pas d’importance est déjà un don magnifique. Les gens veulent tout de suite avoir tout malgré leurs habitudes et leurs défauts qui font obstacle. La Mère disait : « On vous offre quelque chose et vous n’êtes pas capables de le voir et de le prendre ! Et pourtant c’est comme cela qu’il faut commencer. La réponse est ce qu’il nous faut. Nos possibilités sont beaucoup moins grandes que nous ne le croyons. »

Un mystique comme Sri Ramdas priait toute la journée, puisqu’il répétait tout le temps : « Ram, Ram, Ram… » Il fixait son attention sur un mot oui symbolisait Dieu. Il ne demandait absolument rien.

Apollonius de Tyane avait un serviteur oui voulait à tout prix découvrir par quelle formule magique son maître avait atteint à son haut degré de connaissance et de sagesse. Le lui ayant demandé, Apollonius lui répondit : « Je fais toujours la même prière : Dieu, accorde-moi de posséder peu de chose et de ne désirer rien ! ».

Puis il est question d’alchimie, M. Monod-Herzen ayant terminé un ouvrage sur ce sujet. « L’alchimie n’a existé qu’au IIIe siècle ». On ne savait pas auparavant qu’on pouvait faire des transmutations, c’est-à-dire tout ce symbolisme matériel qui avait une contrepartie spirituelle. Or il se trouve que nous avons un recueil de textes authentiques provenant des mystères et attribués à Hermès Trismégiste. C’est son étude qui m’a fait comprendre ce qui s’est passé : l’avènement du Christianisme avec ses disciples fanatiques et ignorants, a commencé par tout détruire de la sagesse et des enseignements passés. Alors, afin que cela ne se perde pas, les sages de l’époque ont fait naître l’alchimie sous une forme telle, que les hommes qui sont indignes de la connaître, s’y attachent et la transmettent. Et comme il y avait chez les métallurgistes égyptiens une théorie de la matière, ils ont fait de beaux discours pour enseigner comment faire de l’or avec le métal le plus lourd, le plomb. C’est ainsi que l’alchimie est née pour sauver la sagesse Greco-égyptienne qui était celle de la transmutation de l’homme qui doit retourner à son état originel qu’il a perdu par sa faute et retrouver la vision de la Connaissance divine en même temps que d’avoir le Divin en soi, puisque c’est Lui qui nous a créés de sa propre substance.

Le véritable alchimiste est celui qui réunit en lui « ora et labora », priez et travaillez, c’est-à-dire l’action extérieure matérielle et l’inspiration qui vient du côté spirituel. Il n’est ni un ascète, ni un moi, il reste en contact avec la nature. Le travail matériel devient une sorte de prière.

Compte rendu de la réunion du 9.11.1977

Que faut-il faire, demande M. Monod-Herzen, pour que, lorsque nos enfants seront grands, ils aient un peu moins de difficultés que nous ?

Un participant : Il faut honnêtement prendre conscience qu’il y a un travail personnel à faire pour atteindre son autonomie et non pour imposer aux autres et, en particulier, aux enfants, ce qu’on n’a pas pu supporter soi-même.

M. Monod-Herzen : Autrement dit vous donnez une importance primordiale à la véracité.

Le participant : L’être doit comprendre que même si son milieu familial, parental, social, n’a pas pu lui apporter son dû, rien n’est perdu. Il faut qu’il se mette au travail et qu’il résolve ses problèmes lui-même. C’est la seule chose qui lui permettra son autonomie, l’acceptation de ce qu’on appelle la réalité. Et, petit à petit s’il a cette ouverture, autre chose se présentera.

M. Monod-Herzen : Vous développez le sens de la responsabilité. L’autonomie suppose une connaissance parfaitement sincère de soi-même. Vous montrez aussi que, pour que l’individu sache ce qu’il a à faire, il faut qu’il accepte. En effet, le premier pas et de s’accepter soi-même en bien et en mal.

Le participant : Il ne faut pas se faire de cadeau. Savoir dire avec franchise ce que l’on pense et savoir accepter ce que l’on pense de vous.

M. Monod-Herzen : J’ai posé la question à la Mère, dans certains cas c’est extrêmement difficile de dire ce qu’on pense. Elle m’a répondu : « On peut toujours se taire. » Ce n’est pas se trahir, les gens peuvent interpréter votre silence comme ils le veulent, c’est leur affaire, pas la vôtre.

Le participant : Au stade de mon évolution actuelle, ce ne serait pas assez sincère.

Une participante : Tout dépend de la personne qu’on a devant soi. Comprendra-t-elle ou sera-t-elle traumatisée par cette vérité ? Ne serait-ce pas au-dessus de ses possibilités ?

Le participant : Si je recevais mal quelque chose qu’on me dise et que je me taise, cela me rongerait intérieurement.

M. Monod-Herzen : Autrement dit, vous ne voulez pas vous taire, parce que cela vous est désagréable.

Le participant : Je ne l’ai pas dit dans ce sens là. Si quelque chose doit disparaître, être « rongé », je suis d’accord. Mais que je le sache au moins et que je puisse travailler en connaissance de cause.

M. Monod-Herzen : Vis-à-vis des enfants il est capital de dire la vérité. L’enfant ne ment que quand il a peur. En Inde on estime qu’il y a des forces adverses représentées par des êtres n’ayant généralement pas d’existence physique, mais qui en ont une dans les mondes subtils. Il y aurait en particulier, un de ces personnages néfastes qui s’occuperait de notre époque et dont le rôle serait de répandre le mensonge. C’est par le mensonge que les hommes sont esclaves les uns des autres, de leurs passions, etc. Ne nous laissons donc pas aller au mensonge, même tout petit, même pour faire plaisir, car nous risquons d’être pris nous-mêmes et d’être entraînés plus loin, de ne plus pouvoir nous en sortir. Le fait de mentir n’a pas seulement une influence sur le corps astral, mais aussi sur le corps physique. Se débarrasser du mensonge serait une libération. Il y a des cas où c’est difficile, mais on peut toujours se taire. Même vis-à-vis d’un mourant il est quelquefois salutaire de dire la vérité. Il ne faut pas donner de faux espoirs.

Quels sont les obstacles qui vous semblent les plus grands à l’acceptation de soi-même et des autres ?

Un participant : Si on n’a pas pu s’accepter soi-même, il y a impossibilité d’accepter les autres.

M. Monod-Herzen : Vous posez là tout le problème du mariage.

Le participant : Le mot « jugement » est capital. Je n’acceptais pas d’être jugé et je ne me rendais pas compte que je jugeais les autres. S’accepter n’est pas un jugement, c’est de se voir dans sa totalité. Il y a une face de lumière et une face d’ombre. Dès qu’il y a jugement il y a condamnation et dès qu’il y a condamnation, il y a non-acceptation.

M. Monod-Herzen : De quel droit porterions-nous un jugement ? Nous refusons ou nous acceptons certaines attitudes de quelqu’un. Ceci est possible, mais un jugement… Le jugement sur soi est une connaissance de ce qui est à modifier.

Une participante : On n’est pas toujours seul devant un autre. On peut très bien l’accepter, le supporter, même s’il est différent. Mais il y a les autres personnes qui entrent en jeu. Vous parliez du couple, mais il y a les enfants qui n’acceptent pas toujours et il faut faire le tampon entre eux.

M. Monod-Herzen : Si nous avions devant nous quelqu’un qui soit notre réplique exacte, nous aurions un mal énorme à le supporter, parce que ses défauts, nous ne voulons pas les reconnaître en nous.

Une participante : Et nous les projetons sur les autres.

M. Monod-Herzen : C’est là où je voulais en venir. C’est probablement quelque chose qui accroche en nous, sans cela nous y serions indifférents.

Une participante : On ne l’imaginerait probablement pas si on ne l’avait en soi.

M. Monod-Herzen : Tout cela est également vrai pour les qualités. Quand une qualité chez quelqu’un nous touche profondément, c’est que nous en avons au moins un embryon en nous. Si nous faisions une liste des êtres que nous admirons le plus, nous aurions une indication de ce qu’il y a en nous et qui est à développer.

Une participante : Ne croyez-vous pas que l’éducation que l’on a eue joue également ? Des enfants qui ont été brimés, qui en ont eu un complexe d’infériorité. Ce sera difficile pour eux de se connaître. Cela crée des déformations.

M. Monod-Herzen : Si vous savez que c’est une déformation tout va bien. Ce qui est grave, c’est de croire que c’est comme cela. Ne pourrait-on pas dire que nous devrions avoir assez de confiance dans notre possibilité de nous transformer, sans subir les actions de l’extérieur, les autres, les maladies, etc. Se voir tel qu’on est, c’est déjà un beau programme pour les adultes, on a plusieurs occasions par jour pour l’appliquer.

Au sujet de la tolérance, Vivekananda a dit : « Nous ne voulons pas de la tolérance, nous voulons de l’amour ! » Si vous arrivez à aimer celui qui est différent et même contraire à vous et que vous reconnaissiez qu’il y a en lui quelque chose de sincère, vous avez gagné la partie, parce que vous devenez invincible et invulnérable. Reconnaître que l’autre a autant de droit que moi de suivre son propre chemin. Le fait d’aimer ne donne pas de droits, mais la possibilité de communiquer, parfois même sans paroles. Les animaux le sentent admirablement bien. C’est le respect des autres que de les considérer comme d’égale valeur. Nous sommes incapables de juger leur valeur. Même l’individu qui se connaît lui-même ne connaît jamais qu’une petite partie de soi. Tout ce que nous connaissons des autres, n’en est toujours qu’un aspect. Au fur et à mesure que passent les années, on se connaît davantage, c’est ce qui fait la beauté de la vie commune, qui peut avoir un développement à peu près indéfini.

J’insiste sur notre ignorance. Quand on demande à quelqu’un : que connaissez-vous le mieux en vous ? Il répond : mon corps physique. C’est faux ! Nous n’avons la plupart du temps pas conscience des mouvements à l’intérieur de notre corps (exemple : des globules rouges qui vont prendre de l’oxygène dans les poumons, l’amènent où il faut et meurent ensuite. Et ceci à la cadence de 5.000 par seconde).

Quand il y a spiritualisation, il se produit une extension de la conscience qui permet de prendre conscience du mécanisme vital de notre corps, sans le préciser, mais qu’on peut appliquer. Si vous pensez suffisamment au fait que le sang chaud descend jusque dans vos pieds, vos pieds se réchaufferont. Les Tibétains sont des virtuoses dans ce genre de choses. Autrement dit on peut connaître, maîtriser et utiliser les différentes possibilités de notre corps, mais la plupart nous ne les connaissons pas. C’est avoir le sentiment d’un flux de vitalité, le prana, qui circule dans le corps tout entier.

M. Monod-Herzen nous parle encore de sa deuxième et récente rencontre avec le professeur Romani, l’homme le plus intelligent qu’il n’ait jamais rencontré. Celui-ci s’est aperçu au cours de ses recherches sur l’évolution des végétaux et des animaux qu’il y avait des points tout à fait semblables et que si on mettait en coïncidence ces points là, toute l’évolution coïnciderait. « Comment pensez-vous que cela s’est fait ? » demanda M. Monod-Herzen. « Je pense que les êtres vivants fabriquent des molécules organiques qui n’existent pas dans le monde minéral. Et, finalement, on partage les molécules entre tout le monde. Il est donc naturel que la même possibilité apparaisse chez les êtres. Cela se fait par une sorte d’impulsion intérieure qui est un peu l’impulsion créatrice de Bergson. »

Un participant : Quelle est alors au niveau de la molécule humaine la hiérarchie qui va créer une nouvelle molécule pour une nouvelle évolution ?

M. Monod-Herzen : C’est une grande question, l’homme ne pourrait-il pas franchir une étape de plus ? C’est l’idée de Sri Aurobindo. C’est pourquoi la question de savoir comment nous devons nous comporter à une telle importance. Si notre comportement est conforme à notre nature la plus élevée et la meilleure, nous avons une chance de faire un pas de plus dans notre vie et si nous faisons un pas de plus, nous pouvons aider les autres à le faire. Les belles idées ne suffisent pas. C’est dans la vie de famille et du métier qu’on a les plus belles occasions de faire des progrès. Ce n’est pas toujours facile. Sri Aurobindo disait : « Dites-vous bien que vous ne pouvez avoir un problème que si vous êtes capables de le résoudre. Si la question que vous vous posez était hors de vos possibilités, elle resterait hors de votre conscience et elle ne serait pas un problème pour vous. »

Quelle que soit la voie spirituelle qu’on ait choisie, il faut s’armer de patience et de persévérance. Vous ne pouvez apporter quelque chose à d’autres gens que si vous l’avez réalisé en vous-mêmes.

L’amour, c’est comprendre les autres. L’Inde insiste sur le fait que nous appartenons à une espèce, à une immense lignée qui est derrière nous, dont nous sommes l’instant présent et nous avons devant nous un avenir qui va se prolonger de l’autre côté. Nous sommes cet instant de continuité et nous sommes entourés d’une série d’êtres qui marchent avec nous. Ils sont notre famille spirituelle.