Micheline Flak
Devenez calme et attentif

L’attention et le calme sont tenus, et pas seulement par les étudiants de yoga, pour des accomplissements précieux. Cela se comprend : le jumelage de ces deux qualités entraîne une meilleure santé physique et mentale, et une efficacité accrue dans le travail journalier et la recherche intérieure. Tout le monde en conviendra aisément. Cependant un souci de réalisme nous oblige à avancer une réserve : l’agitation et la dispersion mentale ne sont pas l’apanage de notre époque ; elles font partie intégrante de la vie depuis que le monde est monde.

(Revue Énergie Vitale. No 10. Mars-Avril 1982)

L’attention et le calme sont tenus, et pas seulement par les étudiants de yoga, pour des accomplissements précieux. Cela se comprend : le jumelage de ces deux qualités entraîne une meilleure santé physique et mentale, et une efficacité accrue dans le travail journalier et la recherche intérieure. Tout le monde en conviendra aisément. Cependant un souci de réalisme nous oblige à avancer une réserve : l’agitation et la dispersion mentale ne sont pas l’apanage de notre époque ; elles font partie intégrante de la vie depuis que le monde est monde.

Affronter l’agitation mentale

On serait tenté de croire que notre civilisation, surtout en milieu urbain, en a le monopole. Rien n’est moins sûr. Qu’on se penche sur les biographies des saints et on verra les formidables assauts des tentations et des visions qui sont venus les troubler, Satan en tête, jusque dans leurs couvents bien verrouillés et leurs forêts sereines. Qui dira si les paysans qui se recueillent à l’heure de l’Angélus, dans le célèbre tableau de Millet ne sont pas en train d’affronter des paniques intérieures ? Au moins font-ils ce qu’ils peuvent pour y remédier par la prière.

Mais nous, gens de peu de foi, nous avons longtemps cru dur comme fer qu’il suffisait d’être bien ancré dans le confort matériel pour mettre en déroute les « affreux » du dedans. Erreur ! Les grands leaders spirituels d’hier aussi bien que les maîtres du yoga d’aujourd’hui l’ont toujours dit et le répètent : les distractions, les peurs et les soucis ne viennent pas du dehors, mais de nos réactions face aux êtres et aux choses, de nos désirs contrariés et de notre éloignement du centre de paix, la source des sources, le calme de la conscience qui est au fond de nous-mêmes.

Si l’on s’embarque sur cet océan d’inquiétude qu’est la société de consommation sans savoir où est le bon port, et sans boussole de surcroît, ignorant la manœuvre pour faire cap sur la haute pensée, gare aux tempêtes !

Vivre avec notre agitation, nos angoisses, notre inattention flagrante voilà une perspective quotidienne. Pourtant nous ferons face aux débordements de notre mental, sans ajouter à cela nos remords. Nous devrons accepter et affronter nos orages. Cette attitude d’acceptation de soi totale est difficile à assumer et c’est là justement que le yoga nous vient en aide.

L’éducation psychique à l’école

Étant professeur de langues dans un collège à Paris, force m’est de constater que la nervosité des enfants d’aujourd’hui atteint parfois des proportions anormales. C’est sûr : j’ai, en début de carrière, rêvé comme mes collègues d’avoir des gosses « sages comme des images ». Aujourd’hui j’ai changé. Je ne souhaite plus qu’ils restent gentiment cloués à leur chaise six à huit heures par journée. J’accepte et encourage comme naturelle leur envie de bouger et de se dégourdir les jambes et les bras, et le dos, et la tête. Je lis sans surprise les rapports des psychologues qui disent qu’un enfant de dix ans est par nature incapable de se concentrer plus de dix minutes d’affilée. Il me semble même que cette durée d’attention est bien supérieure à celle qu’on peut observer chez les élèves dans le contexte présent d’une salle de classe. Voyez à quelle déconfiture s’exposent les jeunes professeurs, maîtres d’écoles et même les assistants à l’université, s’ils s’attendent à ce qu’on les écoute sans faille pendant toute la durée d’un cours !

De rentrée en rentrée, la difficulté s’accroît, et ce pour une raison simple : un mental ne saurait se révéler attentif et calme sans une discipline, un frein, bref une éducation psychique, et c’est là une condition hautement déficitaire et même ignorée de la plupart des parents et des pédagogues.

Ni les uns ni les autres n’ont été entraînés à exercer sur leur personne même la maîtrise de leur corps et de leurs pensées. Que fera-t-on des jeunes si ceux-là mêmes qui en sont responsables n’ont pas appris à se tenir personnellement en bride ? Demander aux enfants de faire attention et de se calmer sans avoir réussi soi-même l’exploit qu’on réclame, c’est s’exposer à bien des déboires. Travaillons d’abord sur nous-mêmes.

Le cerveau : un moteur qui s’emballe

Lorsqu’un automobiliste prend le volant, il sait en principe où il veut aller. Sa destination est-elle lointaine ? Il a intérêt à faire une révision générale de son véhicule. Une fois lancé, sur la route il lui faut veiller à la conduite. S’il appuie trop sur l’accélérateur, il va y avoir surchauffe. Le carburateur et le moteur ne sauraient, sans risque, être poussés à fond. Une odeur de fumée va faire redouter que le moteur n’explose ! Dans le meilleur des cas, l’engin peut dire « non » et « caler », car il est incapable d’assumer la dépense d’énergie qu’on exige de sa mécanique. Un enfant sait cela ! Il est étonnant que nous soyons experts pour gérer l’énergie des machines et ignares quand il s’agit de la nôtre ! Si vous pensez trop et sans répit, que pensez-vous qu’il arrivera ? Est-ce que votre cerveau ne risque pas de fumer, de tomber en panne ou d’exploser ? Si vous pensez à « tue-tête », deux dangers se dessinent : surexcitation ou dépression. Elles nous guettent, ignorants que nous sommes de notre vraie nature.

Les deux plateaux de la balance

L’avantage du yoga, c’est de nous offrir une vision claire de la structure humaine. Il nous informe que cette dernière est la résultante de deux sortes d’énergie : une énergie mentale et une énergie pranique ou vitale. Si l’on se sent à bout de nerfs, susceptible, irritable, cela signifie que notre énergie mentale est survoltée par rapport à notre énergie pranique. Si l’on se sent « vidé », déprimé, c’est l’inverse : cela signifie que l’énergie mentale est en basses eaux. Dans les deux cas, il existe un déséquilibre entre les pôles opposés de notre être psychologique. Le Hatha yoga parle d’une disharmonie entre Ida, l’énergie mentale et Pingale, l’énergie pranique. En langage médical, on dira qu’il y a disfonctionnement entre le système parasympathique et le système sympathique. Toutes les techniques orientales ont depuis longtemps fait ce diagnostic sous une forme ou une autre. Le yoga, pour sa part, offre une gamme inépuisable de moyens pour nous reposer mentalement et nous aider à nous recentrer.

La stratégie des yogas

Ce n’est pas un seul exercice qu’il propose, mais des centaines. Les adeptes des yogas tibétain, indien, irano-égyptien, soufi, japonais, chinois… et chrétien, ont chacun leur panoplie et leur vocabulaire. Une chose est sûre, on peut diviser les méthodes employées en deux catégories :

1) Celles qui visent à faire monter le niveau de l’énergie vitale pour contrebalancer l’excès d’énergie mentale ;

2) Celles qui visent, inversement, à faire monter le niveau de l’énergie mentale pour compenser l’excès d’énergie pranique.

On peut préciser encore en disant qu’au premier groupe correspondent en gros les techniques de nettoyage (shat-karma), les postures (asanas) ; et les pratiques respiratoires (pranayama). Au second groupe correspondent les techniques de yoga mental (raja yoga) qui s’appuient sur le développement des capacités de relaxation (prathyara) et de concentration (dharana).

Notre niveau d’attention, baromètre de notre état mental

On a remarqué, à juste titre, que la quasi-totalité des désordres qui entament notre tonus se signalent automatiquement par des troubles de l’attention. Par exemple, on ne sent plus son corps ou au contraire on le sent trop, on oublie ce qu’on vient de faire ou ce qu’on était venu faire, on n’arrive plus à se concentrer sur grand-chose. On observe donc une diminution du seuil de vigilance, des pertes de mémoire, et une recrudescence de l’étourderie. A partir de ce constat, toutes les techniques orientales insistent sur le rôle essentiel de la prise de conscience[1] comme antidote à la distraction.

La démarche se fonde sur une évidence. Lorsque le mental est embrumé, perdu dans ses soucis et ses cogitations, il laisse le corps à la traîne et celui-ci se venge en agissant à sa guise. Il n’y a plus commandement mais émiettement. Au niveau physiologique, cette dérive se manifeste par des sécrétions endocrines erratiques, les hormones les plus dangereuses pour l’équilibre étant l’adrénaline et la testostérone. La pratique régulière du yoga permet de régulariser le flux hormonal dont dépendent de façon étroite la joie de vivre et la sensation de bien-être généralisé.

Inversement, on peut vérifier que le retour à une meilleure santé physique et mentale se manifeste par un regain de facultés de mémoire et d’attention. On le voit chez les enfants lorsqu’ils sont reposés. Ils témoignent, au retour des vacances, d’une meilleure assimilation des connaissances. L’apprentissage est accéléré lorsqu’on est en forme.

La prise de conscience : première des démarches

Il s’agirait donc de faire en sorte que les exercices proposés aussi bien aux enfants qu’aux débutants s’accompagnent toujours d’un élément inducteur de la prise de conscience. Il ne suffit pas de respirer à pleins poumons pour recueillir les bienfaits du pranayama, encore faut-il développer une respiration attentive[2]. Celle-ci entraîne ipso facto une meilleure répartition des énergies vibratoires de l’être. Par là s’installe une étonnante faculté de réceptivité.

Dans l’exercice qui suit, nous donnons une approche très simple de la méditation. Pratiquée journellement, elle améliore les facultés de concentration et de détente, ce qui entraîne un éclaircissement mental. Avec l’aide de bons guides ce n’est pas le corps seul mais le psychisme tout entier qui devient souple et efficace.

MÉDITATION SUR LE SOUFFLE

PRATIQUE DE LA RESPIRATION ATTENTIVE

Le Pranayama sert de base à de nombreux types de méditation à condition qu’on ne cherche pas à brûler les étapes et qu’on maîtrise sa respiration sans aucun essoufflement.

Nous vous signalons que cet exercice fait suite à celui que nous avons donné dans Énergie Vitale n°8. Il constitue l’étape n°2 de Antar Mauna.

Pratique

Asseyez-vous dans une posture de méditation : siddhasana ou Siddhayoni asana sont les meilleures, mais les débutants pourront s’asseoir en tailleur ou autrement. Gardez le dos droit.

Fermez les yeux et prenez conscience du corps tout entier. Observez sa tranquillité, sa légèreté, sa détente. Puis portez votre attention sur le processus de respiration, telle qu’elle survient à l’intérieur du corps.

D’habitude on respire machinalement. Ici vous essayez de prendre conscience du processus spontané. Observez chaque inspiration et chaque expiration. (Pause).

Peu à peu ralentissez votre respiration de manière à pouvoir compter jusqu’à 4 lentement à l’inspiration, et jusqu’à 4 lentement à l’expiration. Une fois ce rythme bien installé, commencez à compter le nombre de respirations complètes.

Comptez-en 54 à rebours. (Longue pause). Puis ouvrez les yeux et détendez bien le corps.

A pratiquer journellement pendant deux mois avant de passer à des étapes ultérieures.

Variations :

On peut pratiquer cette respiration attentive avec répétition d’un mantra. (Voir Énergie Vitale n°4) : le Japa).

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POUR LES ENFANTS AUSSI

La respiration attentive est un excellent moyen de calmer le mental agité des enfants, mais il ne faut guère dépasser 12 respirations complètes.

Habituez les jeunes à demeurer le dos droit pendant les exercices (même s’ils placent les mains sur les yeux, les coudes étant en appui sur la table).

On ajoutera des visualisations au compte.

Exemples

1) Pour des enfants de 8 à 12 ans :

Le ballon de baudruche

Imaginez que vous êtes à l’intérieur d’un gros ballon de couleur bleue. Vous êtes dedans comme dans une maison. Quand vous inspirez les parois gonflent. Quand vous expirez, elles se ratatinent. Elles se retendent lorsque vous inspirez.

Observez cela à chaque souffle.

Comptez 6 respirations complètes et quand vous aurez terminé, le ballon s’effacera.

Pause.

Vous êtes bien. Sentez votre corps, écoutez les bruits.

Ouvrez doucement les yeux et coloriez votre ballon bleu sur le cahier — le matériel aura été préalablement préparé sur la table.

2) Pour des enfants plus âgés.

Respiration colorée

Installez-vous le dos bien droit. Faites-vous immobile comme une statue. Sentez votre respiration. Imaginez que vous inspirez l’une des couleurs de l’arc-en-ciel. J’énumère, vous choisissez celle que vous préférez : rouge, orange, jaune, vert, bleu, violet. L’air est coloré joliment par votre teinte favorite. Vous respirez cette atmosphère. La couleur entre en vous et vous remplit de joie.

Comptez 12 respirations complètes.

Pause.

Vous avez terminé. Écoutez les bruits. Sentez votre corps et ouvrez les yeux. Portez le regard sur votre leçon. Relisez-la mentalement.

Fin de l’exercice.

Note : Ces exercices et d’autres sont pratiqués par des enseignants qui font une recherche sur le yoga dans l’éducation (Rye).


[1] Parmi les techniques occidentales proches du yoga, citons : la méthode Vittoz et le training autogène ainsi que la relaxation dynamique.

[2] La respiration attentive est recommandée par de nombreux cardiologues aux effets du stress et de l’hypertension (témoignage du docteur Daussy au service de cardiologie de l’hôpital Thonon).