Trân-Thi-Kim-Diêu
Entrer dans le courant

Il vaut la peine de remarquer qu’un véritable chrétien reconnaîtra dans les enseignements de K l’essence de l’Evangile, tandis qu’un bouddhiste y retrouvera le sens profond des sermons du Bouddha. Ou, plus précisément, le bouddhiste Mahayana qui écouterait Krishnamurti pourrait percevoir dans ses paroles la quintessence du message de Hui-Neng, le Sixième Patriarche du bouddhisme (chinois) Chan, qui a été à l’origine du bouddhisme japonais Zen, plus tardif. En outre, un poète reconnaîtra que — en dépit, ou peut-être à cause de la simplicité, de la précision et de l’absence de forme strictement technique de leurs mots — la plupart des textes de Krishnamurti décrivant la nature, les paysages environnants, les gens, ou faisant état d’observations intimes, sont de la poésie pure.

(Revue Le Lotus Bleu. No 10. Décembre 1995)

Dans différentes parties du monde, la Sagesse Antique a maintes et maintes fois, attiré l’at­tention sur la Conscience Une qui sous-tend et anime toutes choses existantes et leur donne vie. Des individus exceptionnels ont périodiquement, et sous des formes différentes, rappelé cette sagesse à l’humanité. Le dernier à paraître dans l’histoire de l’humanité était connu dans le monde sous le nom de Jiddu Krishnamurti et se désignait lui-même au moyen de la lettre « K ».

Il vaut la peine de remarquer qu’un véritable chrétien reconnaîtra dans les enseignements de K l’essence de l’Evangile, tandis qu’un bouddhiste y retrouvera le sens profond des sermons du Bouddha. Ou, plus précisément, le bouddhiste Mahayana qui écouterait Krishnamurti pourrait percevoir dans ses paroles la quintessence du message de Hui-Neng, le Sixième Patriarche du bouddhisme (chinois) Chan, qui a été à l’origine du bouddhisme japonais Zen, plus tardif. En outre, un poète reconnaîtra que — en dépit, ou peut-être à cause de la simplicité, de la précision et de l’absence de forme strictement techni­que de leurs mots — la plupart des textes de Krishna­murti décrivant la nature, les paysages environnants, les gens, ou faisant état d’observations intimes, sont de la poésie pure.

C’est dans la très grande fréquence avec laquelle K modifiait le sens des mots qu’il utilisait que réside l’un des facteurs qui ont donné vie à ses enseigne­ments. Il serait peut-être plus correct de dire que la liberté avec laquelle il usait des mots leur infusait une sorte de fraîcheur vibrante. Il est permis de se demander : le fait qu’une personne vive au niveau de l’essentiel ne lui permet-il pas d’exprimer directement l’essentiel à partir de la source, par la description de première main de ce qui a été observé, plutôt qu’en se référant à des mots émoussés par l’usage ? Dans ce cas, celui qui parle utilise réellement les mots, en dépit de leurs limites, et ce ne sont pas les mots, avec tout leur cortège d’idées préconçues amassées à travers des siècles d’usage abusif, qui l’utilisent.

Ce qui est aussi remarquable, c’est la façon dont il mettait l’accent sur la différence entre le mot et la chose, entre ce qui est dit ou écrit et ce qui est véritablement. L’énergie qu’il investissait dans ses entretiens était si perceptible qu’elle était presque tangible. Avec force et patience, il guidait son auditeur de telle façon que celui-ci ne sentait plus qu’il était guidé ; tandis qu’il écoutait, l’auditeur avait l’impression de partir avec l’orateur pour un voyage où tous deux pourraient découvrir et explorer ce qu’ils rencontreraient en chemin. La clarté de sa pensée saisissait souvent l’esprit de celui qui l’écoutait, sa subtilité le soulevait et le transportait parfois à un niveau où il demeurait immobile.

Le voyage que constituaient ses entretiens était en fait exploration dans les profondeurs de l’exis­tence, au-delà de ce qui est visible, à l’état brut, ma­nifeste. Sondant les profondeurs de ce qui est essen­tiel dans la vie humaine, comme la conscience, le mental, l’action, l’amour, la méditation et la vie elle-même en tant que tout, il guidait le mental de son auditeur à travers le labyrinthe de la pensée, vers la lumière de la compréhension. En explorant des sujets tels que l’éducation, la vie juste, la religion ou le sacré, sujets dans lesquels il voyait l’aboutis­sement naturel des questions essentielles qui se posent à l’homme, il faisait observer à son auditeur que les questions de ce genre concernent l’humanité dans son ensemble — ce que l’auditeur est. Quand la compréhension se faisait jour dans le mental de l’auditeur sous forme d’intuitions nouvelles, il y avait perception intime de quelque chose qui ressemble à une floraison : l’orateur et l’auditeur se rencontraient, il n’y avait plus de moi ni de toi, mais simplement fluidité de la conscience en mouvement.

Le mot « conscience » était utilisé par K, comme beaucoup d’autres mots, avec une liberté qui confon­dait plus d’un esprit conventionnel, qu’il soit de formation religieuse, scientifique ou philosophique. Un mental inattentif trouverait certaines phrases de K contradictoires — ce qui est inévitable si l’on se contente de comparer les mots de façon intellectuelle.

Il semble bien que la question de la conscience constitue l’axe principal de l’enseignement de K, puisque c’est le point à partir duquel l’individu se définit, c’est-à-dire s’identifie. C’est de ce point qu’il observe, perçoit, comprend. Il est donc inutile de préciser que l’action, avec l’observation, la perception et la compréhension, commence dans la conscience. K demandait un jour à une personne de son entou­rage : « Où êtes-vous ancré, Monsieur ?  » Notre point d’ancrage est fondamental, car c’est le centre qui va déterminer le point de départ de notre action. Le centre dans lequel nous prenons racine est l’identité que nous acceptons — de façon implicite, mais non moins réelle, même si cela se produit parfois incons­ciemment — et qui définit la direction, la qualité et jusqu’à la nature de l’action.

En une autre occasion, K a déclaré : « La conscience n’est autre que son contenu. » Cela pour­rait surprendre le lecteur enclin à voir dans la cons­cience un vaste concept incluant tout ce qui existe et se détache sur l’arrière-plan de la conscience elle-même. Il faut cependant bien admettre que la conscience est d’abord son propre contenu, étant donné que pour l’observateur un tel contenu, une fois reconnu, met en évidence le fait de la conscience en tant que telle.

Pénétrant dans le dédale des pensées de l’auditeur tout en explorant la notion de conscience, K dit un Jour : « Si la conscience est faite de mon désespoir, mon anxiété, mes peurs, mes plaisirs, des espoirs, des culpabilités innombrables et de la vaste expérience que je tire de mon passé, alors aucune action née de cette conscience ne pourra jamais libérer la conscience de ses limitations… »

Défiant les psychologues modernes, K a posé la question : y a-t-il une chose telle que le conscient et l’inconscient, ou n’y a-t-il pas une conscience unique, composée de différents niveaux ? Il a demandé : « Le mental conscient est-il différent du mental incons­cient ? Nous avons séparé le conscient de l’incons­cient, est-ce justifié ? Est-ce exact ? Y a-t-il une division de ce genre … une barrière définie, une fron­tière où le conscient s’achève et l’inconscient com­mence ?« 

Le fait d’examiner un sujet, quel qu’il soit, avec un mental analytique, ne conduit pas à l’intuition. Le mental fonctionne cependant la plupart du temps de façon fragmentée. Etant elle-même fragmentée, la vision qu’il communique ne peut être une vision totale. Quand il considère le problème de la cons­cience, il la divise en fragments tels que le conscient, l’inconscient, le subconscient etc… De même, quelle que soit la question qu’il examine, il ne peut offrir que des vues fragmentées, que l’on appelle opinions, qui diffèrent les unes des autres — et de la vérité — selon l’angle sous lequel il se place et l’état dans lequel il se trouve. L’action peut donc être faussée par une vision biaisée résultant d’un mental fragmenté, immature. Dans un tel mental, la conscience s’exprime elle-même de façon fragmentée et apparaît comme manquant de profondeur. L’action en résultant ne peut avoir qu’un impact superficiel.

Il y a aussi un lien direct, évident, entre la perception et l’action, ainsi que K le confirme. Mais il va plus loin, déclarant que « percevoir, c’est agir. » Il n’y a rien qui ressemble à ce qu’une personne ordi­naire pourrait appeler une « méthode », une sorte de moyen terme entre la perception et l’action. K fait observer avec force et énergie que l’on ne commence pas par percevoir, avant de découvrir comment agir et, en fin de compte agir. Tout cela n’est que fatras intellectuel, jeu avec les mots, ergotage inutile.

En se demandant ce qu’il faudrait entendre par un mental qui perçoit directement, on pourrait peut-être comprendre ce que K appelait un état d’esprit sans choix, état dans lequel aucun choix — et aussi aucun conflit — ne peut s’insinuer. Au fait, qu’est-ce qu’un choix ? N’est-ce pas un état d’esprit dans lequel deux points de vue s’affrontent jusqu’à ce que l’un des deux cède devant l’autre ? Aussi, choix égale conflit. Le mental dans lequel une vision globale peut émerger ne contient aucun conflit. Ce qui veut dire qu’un mental de cette sorte se caractérise par sa capacité d’unifier, sa sensibilité et sa perspicacité. En un mot, ce mental a atteint la maturité.

Il y a de l’espace dans ce mental qui laisse l’espace se déployer entre deux pensées. Cet espace, semblable à la pause imperceptible qui sépare deux respirations — et qui est silence — va régénérer le cerveau en le libérant des tensions harassantes, en libérant le mental du poids des soucis créés par le réseau de la pensée. K a dit clairement à ce sujet : « Entre deux pensées, il y a une phase de silence qui n’appartient pas au processus de la pensée. Si vous observez, vous verrez que cette phase de silence, cet intervalle, n’est pas du domaine du temps, et la découverte de cet intervalle, le fait d’éprouver pleinement cet intervalle, vous libérera du condi­tionnement. »

Aussi le silence n’est-il pas absence de bruit extérieur ; il n’est pas davantage absence de bavar­dage du cerveau. Comme nous l’avons dit tout à l’heure, il n’appartient pas au processus de la pensée et il n’est pas du domaine du temps. On ne peut pas ne pas penser à la question posée par K lors d’une autre occasion : « Quelle est cette chose que l’homme a recherchée depuis des temps immémoriaux, en dehors du confort physi­que, au-delà de la souffrance du corps et de l’anxiété psycho­logique ? Il doit y avoir quelque chose qui ne soit pas assem­blé par la pensée. Il doit y avoir quelque chose d’immense, qui n’a pas de nom. »

Pour rechercher ce qui est immense et au-delà du temps, on a besoin d’un esprit perçant, d’ »un esprit que l’on ait rendu sensible« . Plus la question est subtile, plus le mental doit être perçant. Pour marcher impunément sur le fil du rasoir, il faut avoir le mental plus aiguisé que le fil du rasoir. Etant donné que le mental est habitué à la complexité — et qu’il a été rendu complexe par le réseau de la pensée, dans lequel il s’est laissé piéger — il a tendance à croire qu’il lui faut être plus complexe que la pensée pour résoudre les problèmes créés par la pensée. Mais ce n’est pas le cas. En un paradoxe frappant — et galvanisant — K a suggéré que, pour aborder les problèmes complexes de la pensée, la simplicité est ce dont on a besoin ; il faut examiner la complexité de la pensée avec un mental simple, c’est-à-dire un mental qui ne soit pas alourdi par le poids des idées préconçues et des connaissances théoriques. De cet­te façon, le mental sera sensible et acéré, afin de trancher tous les nœuds créés par la pensée et de faire face à ce qui est immense.

Il se peut que le chercheur fasse alors l’expé­rience du silence, qui « est l’état d’un mental qui n’est plus confus, qui n’a plus peur« , du silence qui commence lorsque la pensée finit. Il y a perception directe quand il y a clarté. Et, « pour être clair, le mental doit être complètement tranquille, complè­tement immobile ; c’est alors qu’il y a une réelle compréhension, et cette compréhension est donc ac­tion« . La compréhension débarrasse le mental des conflits de toutes sortes, car la perception du tout évite que l’on ne s’accroche à des points de détail, ce qui est à l’origine du choix. Un tel mental ne s’accroche pas à un point ou à un autre, car le tout est vu simultanément. Il y a un état de perception sans choix — un état dans lequel la conscience se répand sans choisir, indifférente à toute forme et à tout nom. Elle s’écoule naturellement, intacte, une et éternelle.

Cet état, libre de toute forme et de tout nom, doit être libre des caractéristiques au moyen desquel­les l’ego se définit. C’est donc un état sans ego, dans lequel l’action — c’est-à-dire la perception, la compré­hension et l’action — est sans motif. En d’autres mots, c’est aussi un état d’amour dans lequel l’ego a disparu, en même temps que la pensée, et s’est fondu dans un silence éternel. Et « l’immensité du silence, dit Krishnamurti, est l’immensité du mental dans lequel il n’y a pas de centre. »

La méditation prend alors place et apparaît comme une conséquence naturelle de la mort de l’ego. C’est « la cessation du ‘moi’ « . Aussi l’ego ne peut-il méditer et la méditation ne peut-elle être invitée ; en outre, elle ne peut être pratiquée. Inutile de préciser que le fait de parler de méthodes de méditation ressemble fort à spéculer sur des théo­ries. De même, le fait de répandre des méthodes ou des techniques de méditation peut être assimilé à une mystification. Parce que, « si l’on ne connaît pas les activités du moi, la méditation devient une excita­tion voluptueuse, ce qui a donc très peu de signifi­cation« . Cependant, comme la méditation ne peut coexister avec l’ego — avec la pensée — la méditation est un état dans lequel il y a silence. K décrit quelque part la méditation comme « l’action du silence« . Cette action produit un effet de libération sur le mental. La libération est la libération du conditionnement.

Sondant la vie et la mort, K a fait une remarque simple et frappante à la fois : « vivre, c’est aimer et mourir« . La vie et la mort vont de pair, comme cha­cun le sait, ou, du moins, est obligé de le reconnaître. Même si l’on sait que l’on mourra un jour, l’idée de la mort en tant que telle est effrayante. Entre la naissance et la mort, on poursuit toutes sortes d’accomplissements, l’un d’eux étant la préservation de l’espèce — ce qui se fait en accord avec la morale conventionnelle, les moyens de réaliser cette préser­vation étant justifiés par le moi. Mais cela n’a appa­remment aucun rapport avec ce que K voulait nous faire comprendre.

Selon lui, il semble que la vie soit un processus naturel, comme le sont aussi l’amour et la mort, et que cette mort ne se réfère pas à la mort physique, qui interviendra de toute façon à la fin de la vie de l’homme, mais au processus psychologique qui consiste à mettre fin. Il pensait que, « en tant qu’êtres humains, nous devrions être capables de découvrir ce qu’est la mort tandis que nous sommes en vie ; et aussi ce qu’est l’amour, car cela fait partie de notre vie, de notre existence quotidienne« .

Mourir pourrait signifier mourir à soi-même, cesser de s’accrocher à quoi que ce soit, ce qui est l’une des tendances de l’ego, comprendre l’illusion de toutes les images échafaudées dans le passé et sur le passé, et cesser de forger continuellement une image de soi. La vie elle-même est indépendante de la survie psychologique, « brodée » par l’ego pour dissi­muler les faits de la vie. Ce qui crée de l’agitation dans le mental, ce sont tous les tracas relatifs au devenir du moi — à la survie de l’ego — tracas qui sont la cause de la peur et de l’anxiété. Répondant à une personne qui s’inquiétait de la façon dont elle vivrait et survivrait si elle essayait de suivre ses conseils, K avait répondu très brièvement : « Ne survivez pas. » L’ego préoccupé par lui-même n’a de place pour aucun autre que lui-même. Les soucis sont la preuve que l’ego est en action, et la survie de l’ego est l’antithèse de l’amour.

Défiant ses auditeurs et voulant leur faire remarquer leur manque d’attention dans la vie quoti­dienne, K avait demandé : « Est-il possible de vivre sans s’identifier ? » — ce qui est une autre façon de se demander s’il est possible de vivre sans faire de choix et, par conséquent, sans ego. Est-il possible de vivre de première main, au lieu de vivre par personne interposée ? Est-il possible de percevoir directement et totalement, sans tomber dans le piège de la pensée ? De telles questions incitent le mental à s’interroger, à poursuivre sa progression jusqu’à ce qu’il ait traversé l’océan des apparences. Explorer, c’est se frayer un chemin à travers les brumes de l’incertitude, c’est marcher seul sur la route qu’il faut tracer soi-même, car « la vérité est un pays sans chemin. »

Pour continuer d’avancer dans ses recherches, il faut de l’énergie et de l’amour, ce qui donne au mental constance, profondeur et ouverture. La pen­sée, qui opère en une sorte de surimpression com­plexe, rend le mental désinvolte, superficiel et mes­quin : elle absorbe en effet la plus grande partie de notre énergie et la dilapide en la fragmentant en des préoccupations futiles — préoccupations centrés sur le moi — qui sont la négation de l’amour. Aussi le mouvement de la recherche n’est-il pas le mouve­ment de la pensée. Il ressemble davantage au vol d’un aigle qui effleure la crête des vagues de la compréhension, qu’il soulève ainsi dans les airs, sans perdre jamais de vue l’immensité du ciel au-dessus de lui.

Comme le mental a été corrompu par la pensée, il préfère inventer des artifices plutôt que de décou­vrir ce qui est naturel. Le mental corrompu fait de la vie, qui est un processus naturel, quelque chose d’artificiel et de sophistiqué. Aussi la qualité originelle de fraîcheur inhérente à l’existence est-elle perdue, en même temps que la compréhension du rôle et de la signification de la vie. L’ambition se faufile insi­dieusement pour devenir le motif principal de l’action et, inéluctablement, la lutte devient la seule façon de vivre. Le mental perd toute sa perspective qui, vue à travers un motif, se rétrécit pour devenir la pièce de puzzle Insignifiante d’une ornementation intellec­tuelle.

Il est urgent que le mental retrouve ce qu’il est véritablement à la source. L’éducation consiste à développer la vigilance, la sensibilité et la flexibilité du mental, en l’éveillant à la conscience de ce qui est. En d’autres mots, l’éducation, quand elle est authen­tique, est censée nourrir le mental de l’esprit de recherche et, ce faisant, l’orienter vers l’intelligence.

Aussi l’éducation ne concerne-t-elle pas seule­ment les enfants, mais les adultes, y compris les éducateurs. Cette éducation ne peut exclure l’au­to-éducation, ni la rectitude dans la façon de vivre. L’auto-éducation conduit à la prise de conscience de la peur — qui est à la racine de tous les problèmes — et de la frustration, afin de se comprendre soi-même. Lors d’une des Innombrables occasions au cours desquelles il parla aux étudiants, K fit remarquer que: « La peur est ce qui empêche la floraison de l’esprit, la floraison de la bonté… Avoir peur de n’être rien, de ne pas arriver, de ne pas réussir, c’est la racine de la compétition. Mais quand il y a peur, vous cessez d’apprendre. Aussi me semble-t-il que la fonction de l’éducation est d’éliminer la peur. »

La rectitude, qui est ordre, requiert compréhen­sion de soi, attention sans choix et discipline. Disci­pline ne veut pas dire qu’il faille refouler, se contrain­dre ou imiter, parce que le refoulement et la con­trainte engendreront tôt ou tard de la frustration, et parce que l’imitation n’est qu’un jeu qui procure le plaisir d’un rêve. Aussi la discipline n’a-t-elle rien à voir avec le fait de répéter des mots, même si certains d’entre eux sont considérés comme sacrés. Ce n’est pas davantage la maîtrise d’une pratique quelconque, choisie en vue d’un accomplissement. La discipline consiste à poser les fondements de l’ordre, à la lumière de la compréhension. En tant que telle, la discipline est vertu, la vertu d’apprendre.

Le sérieux, l’authenticité d’un mental seront attestés par la vertu d’apprendre. Cette dernière sera aussi la marque de la qualité qui fait d’un mental un mental religieux. L’intellect conventionnel a tendance à penser que l’esprit religieux est imprégné de prières et de textes religieux, et que cet esprit laisse le monde à ses affaires et à sa misère. Mais tel n’est pas le cas. « Un esprit religieux est un esprit qui s’en tient aux faits. Il s’occupe de faits, de ce qui se passe effectivement dans le monde extérieur et dans le monde intérieur. » Tout en s’occupant des faits extérieurs, se tenant informé de ce qui se passe à travers le monde, et des faits Intérieurs, étant cons­cient, sans rien exclure, de ce qui se passe dans le monde intérieur, un tel esprit est constamment enraciné dans un silence éternel et demeure, de ce fait, serein ; en réalité, il ne vit ni dans le présent ni dans le futur, mais dans l’éternel.

Interrogé et défié par l’un des savants les plus éminents de notre temps à propos des effets de la vision pénétrante sur le cerveau, K confirme que la vision pénétrante est une énergie qui illumine l’activité du cerveau, si bien que celui-ci commence à fonctionner différemment.

La vision pénétrante ne peut être séparée de la capacité d’apprendre. Apprendre, c’est découvrir, et, pour découvrir, on ne doit pas avoir la certitude que l’on sait déjà. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille lais­ser de côté les connaissances techniques, ni renoncer à développer la compétence. Mais le fait d’apprendre, c’est-à-dire de découvrir, commence, selon K, avec l’écoute.

« Ecouter purifie le mental« , a-t-il dit. Lorsque cette qualité d’écoute authentique est présente, le mental se vide de son contenu, laissant de la place pour l’espace. Le centre qui était la auparavant disparaît et, avec lui, l’étroitesse de vue disparaît également. Il y a alors vision pénétrante et le cerveau est mis en ordre. Comme il est en ordre, sa façon de fonctionner est modifiée ; il peut alors rencontrer les événements, les gens etc. avec un regard neuf, traiter des situations et des problèmes sans préjugé. En un mot, il peut rencontrer la vie librement.

Cet apprentissage qui entraîne une vision en profondeur constitue le point de départ d’une révo­lution fondamentale. Cette révolution est destinée aux êtres humains puisque, de tous les règnes des êtres sensibles, ils sont les seuls qui soient cons­cients d’eux-mêmes et capables d’auto-éducation. Dans l’immensité de la vie, parmi les courants selon lesquels la Conscience Une se déploie, apprendre constitue un courant qui est aussi vaste que l’espace, mais qui n’est accessible qu’aux véritables étudiants. Pour eux, tout événement, tout être, toute situation est un instructeur ; pour eux, la vie elle-même est le chemin, et le monde, tel qu’il est, un ashram.

Qu’un hommage soit ici rendu et notre gratitude exprimée aux Etres qui contribuent à éveiller le mental d’un grand nombre d’êtres humains, qui, à leur tour — et de leur plein gré — pourront entrer dans ce vaste courant, celui d’apprendre.

Puisse la découverte de la beauté de la vie, au plus profond de ses moments de silence, révéler le caractère sacré de son indivisibilité !

RÉFÉRENCES

Toutes les citations proviennent des écrits et des entretiens de Krishnamurti, en particulier de :

« You are the world »

« Se libérer du connu »

« La première et la dernière liberté »

« Méditations »

« An Exploration into Insight »

« Aux étudiants »

« Les Entretiens de Saanen – 1983 »

« Les Entretiens d’Ojai – 1985 »

« De l’éducation »