Robert Linssen
Entretiens sur l’illusion de l’ego

Parlant du Jnana Yoga, dont l’affinité avec l’enseignement de Krishnamurti est frappante, le Dr. Weber souligne qu’il utilise une technique de discernement et de discrimination proche de celle de David Bohm. Le célèbre physicien s’abstient des considérations traditionnelles de la métaphysique et des systèmes religieux. Sa recherche se consacre essentiellement à la mise en évidence d’une conscience pure, inconditionnée, libérée de l’emprise des symboles de plus en plus à la mode, des rituels, des intermédiaires. En fait, l’approche de David Bohm à l’égard de l’ultime réalité, non manifestée, située dans le « monde replié » ressemble à l’approche du Sentier Direct, ou Satya Dharma connu aussi sous les termes de « Voie Abrupte ».

SELON LA SCIENCE 1985 ET LA MYSTIQUE Dr. WEBER, David BOHM, K. PRIBAM, F. CAPRA, KRISHNAMURTI

(Revue Être Libre, numéro 301, Octobre-Décembre 1984)

Nous venons de lire le compte rendu des entretiens où se trouvent évoquées les bases essentielles de l’enseignement de Krishnamurti par les savants les plus célèbres de cette fin du XXe siècle.

Nous voici enfin en contact avec des préoccupations et ces échanges dignes d’un véritable troisième millénaire. Les entretiens ont été l’objet d’une traduction de l’anglais en français au Canada (Québec). Cette traduction littérale respecte l’esprit mais il est préférable de ne pas s’attacher à la forme.

La lecture des textes du Dr. R. WEBER et des dialogues passionnants qui se sont réalisés entre le Dr. WEBER, Fr. CAPRA et David BOHM, est révélatrice.

En guise d’introduction à son entretien avec David BOHM, le Dr. Renée WEBER écrit : (1)

« Son contact avec Krishnamurti a convaincu Bohm que la pensée corrompt la réalité. La pensée est une faculté réactive et non active qui n’harmonise que partiellement l’homme à la Nature et qui en déforme la majeure partie. La pensée est une sorte de conscience fossilisée agissant à l’intérieur du « connu ». Elle est par définition non créatrice. La réalité se renouvelle continuellement. C’est un processus vivant ».

Des écrits et des entretiens du Dr. WEBER et David BOHM se dégage clairement le caractère prioritaire du VIVANT (la conscience cosmique suprême et non manifestée) par rapport au résiduel (la matière physique) et la pensée. Nous avons souligné l’importance de cette différence (entre le Vivant et le résiduel) dans notre récent essai : « L’homme transfini ».

LE YOGA ET LES VOIES ABRUPTES…

Parlant du Jnana Yoga, dont l’affinité avec l’enseignement de Krishnamurti est frappante, le Dr. Weber souligne qu’il utilise une technique de discernement et de discrimination proche de celle de David Bohm. Le célèbre physicien s’abstient des considérations traditionnelles de la métaphysique et des systèmes religieux. Sa recherche se consacre essentiellement à la mise en évidence d’une conscience pure, inconditionnée, libérée de l’emprise des symboles de plus en plus à la mode, des rituels, des intermédiaires. En fait, l’approche de David Bohm à l’égard de l’ultime réalité, non manifestée, située dans le « monde replié » ressemble à l’approche du Sentier Direct, ou Satya Dharma connu aussi sous les termes de « Voie Abrupte ».

Ainsi que l’écrit le Dr. Weber :
« Selon ceux qui nous ont laissé le compte rendu de leurs expériences, le sommet de la Voie Abrupte est le silence. »

NON-REFERENCE AU PASSE ET A LA TRADITION…

La technique d’approche de David Bohm refuse de faire appel à la tradition et au passé.

Le Dr. Weber écrit à ce propos :
« Nous devons laisser la tradition derrière… Rester accroché est un encombrement et une trahison du moment vivant dans lequel repose tout l’intérêt du vivant (p. 73). Aussi intéressant que soient les philosophes ou les systèmes que l’on injecte dans une discussion avec lui, Bohm réduit fermement ceux-ci au minimum et ramène le sujet au présent, à l’instant. C’est son engagement dans cette manifestation de la réalité, consistant à vivre chaque instant à la fois, qui relie son travail en physique à son intérêt pour la conscience ».

SIMILITUDES ENTRE LE PROCESSUS DE DESINTEGRATION DE L’EGO ET DE L’ATOME…

L’évocation d’une telle similitude peut paraître de prime abord fort surprenant. Dans une prochaine publication (Actualité de Krishnamurti), nous montrerons le bien fondé d’une mise en évidence de la ressemblance existant entre les processus assurant la continuité de l’ego, ses réflexes d’auto-défense et ceux assurant l’apparente continuité de l’atome et la stratégie à la fois complexe et rapide de ses réflexes mécaniques d’auto-protection.

L’un des passages les plus frappants des commentaires du Dr. Weber sur l’œuvre de David Bohm concerne les parallèles que nous venons d’évoquer et ceux existant entre les processus de désintégration de l’atome et ceux de l’ego.

Le Dr. Weber déclare à ce propos : (p. 73)
« La désintégration de l’atome ne peut se produire que dans le présent et doit toujours se produire à neuf ».

Nous avons fréquemment insisté sur la nécessité d’une convergence de toutes les énergies de l’attention dans la momentanéité de chaque instant comme facteur prédominant de la volatilisation du mirage de l’égo. Ceci constitue l’un des points essentiels de l’enseignement de Krishnamurti, du Ch’an ou Zen originel.

L’ego, symbolisé par le « Vieil homme » et l’atome assurent leur continuité dans le temps et l’espace par des processus rapides, subtils et complexes mettant en œuvre des forces de liaison et des mécanismes d’auto-protection entraînant une consommation d’énergies considérables.

Nous pensons ici à la rapidité des automatismes de la mémoire et la complexité des diverses couches de la conscience peur l’égo. En ce qui concerne l’atome, il suffit d’évoquer des couches concentriques des révolutions électroniques et leurs interactions avec le noyau ainsi que les échanges de Mésons Pi (Pions) au cœur de celui-ci, entre protons et neutrons.

Parlant de l’énergie liante, assurant autant la continuité de la conscience que celle de l’atome, le Dr. Weber écrit, en accord avec David Bohm :
« Lorsque l’énergie liante de l’atome est libérée dans un accélérateur, l’énergie résultante, formidablement gigantesque est libérée. Par analogie, des quantités tout aussi gigantesques d’énergies liantes sont nécessaires pour créer et soutenir le « penseur » et pour maintenir son illusion d’être une entité stable. »

L’ILLUSION DE L’EGO ET SES CONSEQUENCES…

Voici plus de 50 années que nous insistons inlassablement sur le caractère illusoire de l’ego, tant par conviction intime que par références au Bouddhisme et Krishnamurti. C’est avec joie que nous voyons ces notions confirmées par des savants et philosophes éminents d’Occident.

Le Dr. Weber écrit à ce propos :
« La pensée, ou ce que Bohm appelle l’esprit tridimensionnel, se croyant à tort autonome et irréductible, gaspille de vastes quantités d’énergie à cette illusion (l’ego). ».

Selon le Dr. Weber, l’illusion de l’ego entraîne deux principales conséquences négatives, qu’elle définit comme suit :
« D’abord, l’holomouvement se méprend sur lui-même, choisissant la fiction de préférence au fait… Deuxièmement, l’holomouvement se lacère, substituant le « moi » isolé à la conscience dans une abstraction fondée sur un leurre… ».

L’ILLUSION DE L’EGO ET LE PROBLEME DE LA MORT.

Pour David Bohm, le problème de la mort est une abstraction. C’est un pseudo-problème résultant de notre ignorance et d’un manque de profondeur dans la perception de ce que nous sommes réellement et de la nature réelle du monde autour de nous. Il existe un VIVANT fondamental qui se trouve bien au delà de la vie et de la mort biologiques avec lesquels nous nous sommes complètement identifiés.

Mais ce Vivant est situé aux ultimes profondeurs du « dedans » des choses, complètement dégagé des conditionnements de temps, d’espace, de causalité. C’est le « cœur de l’Univers », mais ce « cœur » est englouti sous les déchets accumulés de quinze milliards d’années de mémoires. En chacun de nous, l’ego et l’image que nous avons de nous-mêmes est la plus dense et la plus opaque accumulation du passé, du résiduel. Nous ne sommes rien d’autre que du passé, physiquement, biologiquement et psychologiquement.

Le Dr. Weber écrit : (p. 74)
« L’illusion d’un ego…, d’un moi personnel ou penseur est intimement liée au temps et à la mort. Soyons clairs. C’est le « penseur » et non la conscience, qui est voué à la mort… La mort psychologique se produit quand la conscience s’accorde au rythme du présent toujours en mouvement et renouvelé, ne permettant à aucune de ses parties de devenir fixé en tant qu’énergie résiduelle. ».

Nous trouvons ici confirmation de nos travaux, évoquant l’opposition entre le VIVANT et le RESIDUEL. Confirmation aussi de l’approche de Krishnamurti qui considère le caractère résiduel du « penseur », c’est-à-dire de l’ego, comme le résultat des «expériences non digérées ».

Ceci se trouve également évoqué par le Dr. Weber :
« C’est l’énergie résiduelle qui pourvoit le cadre de ce qui deviendra le penseur, qui consiste en expérience non digérée, en mémoire… et en fabrication d’images. La mort de l’ego démantèle cette superstructure, la remettant à sa juste place, à l’arrière plan de nos vies… Bohm soutient… qu’un tel geste entraîne une augmentation plutôt qu’une diminution de l’adaptation biologique et de la santé… La mort ainsi comprise est sa négation, nous faisant entrer dans le Présent intemporel hors de l’atteinte de la mort ».

Nous sommes ici en présence de l’inspiration axiale qui préside à la future médecine holistique du IIIème millénaire dont le Dr. L. DOSSEY et David BOHM sont incontestablement parmi les principaux précurseurs. Ceci nous montre à quel point sont ridicules les craintes de la plupart des psychologues, psychanalystes et psychiatres de l’époque actuelle concernant le dépassement de l’ego.

VERS L’ENERGIE – AMOUR…

Les conclusions finales du physicien David BOHM et du Dr. WEBER sont aussi inattendues que réconfortantes. Le Dr. WEBER écrit :
« Bohm élargit son applicabilité à la psychologie, nous encourageant à la dissolution du penseur comme étant la priorité suprême que le chercheur de vérité puisse entreprendre. Le démantèlement du penseur libère une énergie qui est qualitativement chargée. C’est de l’énergie «  déliée », caractérisée par la dimensionnalité et la force de compassion. BOHM et KRISHNAMURTI appellent « attention » la désintégration atomique applicable à la conscience. Un tel processus fournit à la conscience un accès direct à cette énergie la menant à la certitude expérimentale que la nature ultime de l’univers st une énergie d’amour. »

Cette conclusion merveilleuse du Dr. Weber terminera mieux que nous ces quelques commentaires.

Robert LINSSEN, février 1985.

1. La paradigme holographique, Ken WILBER, éd. Le Jour, Montréal, 1985.