Espace fini ou infini ? Existence finie ou infinie ? Par Dominique Casterman

Le texte qui suit est une réflexion interrogative sur la vastitude de l’espace. Le point de départ de cette réflexion est la question que pose le physicien Brian Greene dans son livre La réalité cachée : « Et si l’existence d’univers parallèles n’était pas qu’un scénario de science-fiction. L’Univers que nous connaissons ne serait qu’une partie d’un […]

Le texte qui suit est une réflexion interrogative sur la vastitude de l’espace. Le point de départ de cette réflexion est la question que pose le physicien Brian Greene dans son livre La réalité cachée : « Et si l’existence d’univers parallèles n’était pas qu’un scénario de science-fiction. L’Univers que nous connaissons ne serait qu’une partie d’un ensemble bien plus vaste, composant cet étrange objet que les théoriciens nomment aujourd’hui ‘‘multivers’’, et qui soulève de nombreuses questions : est-il fini ou infini ? est-il formé de milliards d’univers qui se côtoient sans interagir ? »

Toutefois, la deuxième partie de l’exposé prendra de sérieuses distances par rapport au postula réductionniste sur lequel est fondée la démarche intellectuelle du physicien ; et nous risquerons une explication de la théorie de la réincarnation sur base de l’existence d’univers parallèles.

Première partie

À la question évoquée plus haut, B. Greene s’interroge et répond : « Après tout, si l’espace est si vaste que nous n’aurons jamais accès qu’à une minuscule partie de son tout, que nous importe de savoir s’il continue sur une distance finie ou infinie au-delà de ce que nous pouvons voir ? »

« Eh bien cela importe beaucoup ! La question de savoir si l’espace est fini ou infini a des conséquences fondamentales sur la nature même de la réalité (…) Imaginons un univers infiniment vaste et voyons quelles en sont les conséquences. Nous verrons très vite et sans difficulté que nous allons nous retrouver au sein d’un monde parmi toute une série de mondes parallèles1. »

Parmi toutes les idées que ce point de vue implique, une va particulièrement retenir notre attention à savoir que si l’espace s’étend à l’infini, il est fort à parier que très loin, plus loin encore que l’imagination puisse le faire voir, il doit exister des endroits où des copies de nous-mêmes et de tout ce qui constitue notre monde connu vivent des épisodes autres ou identiques à ceux que nous vivons dans cette version ci de la réalité.

Brian Greene propose une analogie à deux dimensions : «Nous pouvons comparer l’étendue de l’espace, à un moment donné dans le temps, à une immense couverture en patchwork (avec des pièces circulaires) dans laquelle chaque empiècement représente un horizon (…) La même idée s’applique en trois dimensions avec des horizons sphériques (les pièces de notre patchwork cosmique) et la même conclusion reste valable : les pièces suffisamment distantes demeurent au-delà de l’influence de toutes les autres et sont par conséquent des domaines indépendants. »

« (…) Dans un espace infini, il y a un nombre infini de ces pièces indépendantes (…) Dans n’importe laquelle de ces pièces indépendantes, les particules de matière (ou plus précisément la matière et toutes les formes d’énergie) ne peuvent être agencées que dans un nombre fini de configurations différentes (…) Cela signifie que les conditions en vigueur dans cette infinité d’empiècements éloignés les uns des autres (des régions de l’espace comme celle que nous occupons mais distribuées dans un univers infini) se répètent forcément2. »

La question que nous sommes amenés à nous poser est la suivante : avec un nombre fini d’agencement de particules et suffisamment de pièces dans le patchwork, que va-t-il se passer ? Eh bien, nous dit B. Greene : « nous allons forcément nous retrouver avec des empiècements qui ont exactement le même agencement de particules (…) Et dans un univers infiniment grand, la répétition est encore plus incontournable. Il y a un nombre infini d’empiècements dans un espace infini : avec un nombre fini d’agencements différents de particules, les combinaisons au sein des différentes pièces sont obligatoirement reproduites un nombre infini de fois3. »

Il est intéressant de noter que B. Greene dit que sa démarche procède d’une vision réductionniste assez commune parmi les physiciens. Il pense donc qu’un système physique est déterminé entièrement par l’agencement de ses particules. Il sait, évidemment, que certains pensent qu’il y a d’autres domaines : âme, esprit, force vitale… Mais pour lui toutes nos caractéristiques physiques et mentales procèdent de l’arrangement précis des particules qui nous composent ; car en ce qui concerne les autres domaines il n’a jamais rencontré le moindre indice en leur faveur.

Son parti pris est donc le suivant : « Si l’arrangement de particules que nous connaissons est dupliqué dans une autre partie du patchwork (un autre horizon cosmique), alors celle-ci ressemblera à la nôtre en tout point. Cela signifie que si l’univers est infini, nous ne sommes pas seuls à penser ce que nous pensons de la réalité. Plusieurs copies parfaites de nous-mêmes quelque part au fin fond de l’univers sont exactement du même avis. Et rien ne nous permet de dire lequel est vraiment nous (…) Plus facile encore serait la recherche de copies approximatives. Après tout, s’il n’y a qu’une seule façon de reproduire une région de façon exacte, il y en a beaucoup plus de la recopier presque exactement (…) Et du coup, toutes les actions possibles, tous les choix que nous avons fait et tous ceux que nous avons laissé de côté, se sont joués dans un horizon ou un autre. Dans certains, nos pires craintes concernant notre personne, notre famille ou même la vie sur Terre se sont réalisées. Dans d’autres, ce sont nos rêves les plus fous qui ont pris vie… Dans d’autres encore, les particules ne sont organisées selon aucun des agencements si spécifiques qui engendrent la vie, et ils ne recèlent donc aucune forme de vie, ou aucune de celles que nous connaissons4. »

Deuxième partie

Voilà exposé très sommairement le point de vue d’un physicien sur l’existence d’univers parallèles dans un espace infini. Les quelques considérations qui vont suivre, il est utile de le rappeler, n’engage que moi-même et ne sont nullement représentatives des convictions philosophiques de Brian Greene.

Les copies de nous-mêmes dans d’autres horizons cosmologiques, qu’elles soient identiques au moi que nous connaissons, approximatives, voire complètement différentes, peuvent être considérées – au niveau macroscopique – comme les multiples moi qui coexistent en nous (dans notre mental) avec pour partenaire principal celui que nous considérons comme notre moi prioritaire. Au regard de notre conscience individuelle, une de ces infinies versions de nous-mêmes dans l’espace infini semble s’incarner dans le corps-mental que nous connaissons. Nous pouvons peut-être envisager un rapprochement avec les transitions quantiques virtuelles (bien que les univers parallèles ne sont pas théoriquement présentés comme virtuels) où un système tend à opérer des transitions dans toutes les directions à la fois. Ce qui est intéressant, c’est que certaines transitions virtuelles vont pointer indéfiniment dans la même direction : elles vont être considérées comme réelles et les autres comme virtuelles. Dans cette optique, le système s’engage partiellement dans toutes les possibilités, mais une seule s’actualise réellement.

Si nous faisons une analogie avec les univers parallèles et les infinies versions de nous-mêmes : il y a la version que nous connaissons et qui pour nous est réelle ; et les autres que nous ne connaissons pas et qui pour nous est l’inexploré.

Nous pouvons aller encore un peu plus loin et évoquer maintenant la théorie de la réincarnation. Au moment de la mort du corps physique, une porte s’ouvre sur les infinies versions de nous-mêmes. Qu’est qui déterminera le fait que telle version plutôt que telle autre (sachant que nous avons pris quelques libertés par rapport aux univers parallèles qui sont théoriquement tous réels) s’actualisera réellement, collapsera au sens où la physique quantique entend qu’après une mesure, un système physique voit son état entièrement réduit à celui qui a été mesuré. Nous pouvons penser que parmi les différents moi qui nous habitent, celui qui est prioritaire – celui qui constitue le fondement manifeste (peut-être notre degré d’évolution) de notre version actuelle – choisira son nouveau destin parmi les infinies versions de nous-mêmes dans l’univers infini. Nous serons confrontés, ou plutôt engagés, dans un karma évolutif.

Nous avons donc tenté à partir d’une vision réductionniste pointant vers un espace infini peuplé d’univers parallèles – avec une infinitude de copies de nous-mêmes – de rebondir vers une théorie de la réincarnation associée à un karma évolutif. Toutefois, notre position prioritaire est fondée sur le fait que toutes les conjectures et croyances apparaissent dans la Conscience de l’expérience présente qui est la substance de toute connaissance et de toute existence : tout est Conscience. Cette position indique donc une priorité radicale à la Conscience Présence au sens où rien hors d’Elle n’existe, Elle se suffit à Elle-même.

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1 Brian Greene, La réalité cachée, Flammarion, champs sciences, p. 52.

2 Ibidem, pp. 54, 55.

3 Ibidem, p. 63.

4 Ibidem, p.p. 64,65.