René Fouéré
Esquisses de notes

Si ma conscience n’est pas individuelle, ma mort, au sens usuel du terme, devient impossible. C’est seulement si l’on est totalement détaché du reste de l’univers qu’on peut être individuellement détruit, tout au moins sur le plan de la conscience. Il faut être totalement individuel pour pouvoir totalement disparaître, tant que l’univers subsiste.

Si ma conscience n’est pas individuelle, ma mort, au sens usuel du terme, devient impossible. C’est seulement si l’on est totalement détaché du reste de l’univers qu’on peut être individuellement détruit, tout au moins sur le plan de la conscience. Il faut être totalement individuel pour pouvoir totalement disparaître, tant que l’univers subsiste.

Berkeley disait : « Etre, c’est percevoir ou être perçu ». En d’autres termes, être, c’est être conscient. Si je ne suis pas moi, si je ne suis pas vraiment séparé du monde, on ne peut pas me détruire en tant qu’individu particulier, puisque, à strictement parler, je ne suis pas particulier.

Si mon individualité est, en essence, une illusion, si c’est la même conscience « cosmique » ou universelle qui dit « Je » à travers tous les « moi », et si mon être réside dans ma conscience, comme l’a bien vu Berkeley, son anéantissement devient inconcevable. En d’autres termes, si je n’existe pas en dehors de ce que j’appelle le monde, ma destruction serait la destruction du monde.

Les individus ne sont pas des êtres séparés, mais des manières d’être, des modes d’expression différents d’un être unique. Leur « être » n’est qu’une manière d’être. Les individus ne sont pas des vies distinctes, mais des présentations, des expressions diverses d’une même vie.

De même que l’individu sait que son corps est fait de matériaux qui se retrouvent sur l’ensemble de la planète, il n’ignore pas non plus que la matière de ses sentiments fait partie de la masse des sentiments humains. Mais, à ses yeux, sa personne réside dans la forme particulière qu’il a donnée à ces sentiments, dont il sait bien qu’ils sont, dans leur essence, universels.

Comme vous l’avez justement dit, la vision, dans une vitrine ou dans la rue, d’un objet séduisant, peut, avec la complicité d’une image créée par la pensée, faire naître un désir particulier.

Je pense toutefois que la source profonde du désir réside dans le fait que l’individu, qui se saisit comme une totalité organique autonome, s’est senti séparé du reste de l’univers et, avec le secours de la pensée, s’est graduellement forgé une image de lui même, une image qui sert de prétexte à toutes les comparaisons, au désir essentiel de se dépasser soi-même en vue de surpasser autrui.

Quand on dit que la pensée est le temps, cela veut-il dire que la pensée a créé le temps ou que la pensée est née du temps. Qu’elle est sa mère ou sa fille?

En fait, je pense qu’il y a intrication, que pensée, espace et temps sont des aspects d’un processus total.

Même si, avec le temps, les religions prennent un caractère intellectuel, autoritaire et même politique, je pense qu’à l’origine des plus importantes d’entre elles, il n’y a pas eu un phénomène intellectuel, mais une prise de conscience soudaine par quelqu’un de quelque chose qui n’était pas de l’ordre commun, disons un phénomène mystique. Il est même arrivé que, plus tard, au sein des religions organisées, des individus particuliers, comme un St Jean de la Croix dans l’Eglise catholique, ont eu des perceptions qui n’étaient pas d’ordre intellectuel — dans ce que le saint a appelé « la grande nuit de l’âme », une nuit de laquelle la pensée était absente.

René Fouéré Gstaad, 2 août 1981