Robert Tournaire
Essai sur le sens de la Vie, au seuil du deuxième millénaire

Il serait vain d’essayer de construire une étude exhaustive du sens de la vie humaine, sans se poser les mêmes questions sur le sens du cosmos et de l’espèce humaine. En d’autres enceintes et peut-être devant vous, j’ai eu maintes fois l’occasion d’expliquer que l’homme était lié beaucoup plus qu’on ne le pense généralement à son cosmos. J’irai même jusqu’à dire que le sens d’une vie, d’une étoile, d’une galaxie ne correspond rigoureusement à rien. Il y a une interdépendance universelle. La conscience a un substrat universel comme la gravitation. Un philosophe, le Professeur Swedenborg, n’a pas hésité à déclarer que la terre était un homme; on pourrait ajouter que le cosmos c’est la vie.

(Revue Etre Libre. Numéro 229, Octobre-Décembre 1966)

Monsieur le Président,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Beaucoup parmi vous ont eu le plaisir d’entendre, au cours de ces dernières années, des conférences à caractère analytique. Personnellement j’ai eu l’honneur de faire des cours-conférences sur le réel en physique moderne, le problème du temps, les mécanismes de l’évolution, l’anthropogenèse, le substrat scientifique du bien et du mal, le contenu scientifique du fait conscientiel.

Mais dès 1933, sortant de l’Ecole Supérieure de Chimie et de la Faculté des Sciences, inspiré par la recherche d’un monisme, j’ai utilisé mes premiers travaux sur l’atomistique pour créer une chimie logique, c’est-à-dire électronique et quantique et pour jeter les premières bases d’un essai de synthèse conceptuelle s’appliquant à la biologie, du domaine de la particule élémentaire jusqu’au domaine de l’affectif, cependant que le même essai était tenté en physique grâce à la théorie de la Relativité Généralisée.

Aujourd’hui, après trente années de travaux, je veux aller plus loin et vous proposer un essai de synthèse conceptuelle à propos du sens de la vie humaine.

Je n’ignore pas la témérité qu’il faut avoir pour entreprendre une telle tâche. C’est le plus difficile des problèmes, car il est principiellement interdit à la vie de connaître la vie parce qu’elle est la vie; de même pour la conscience; mais c’est un problème tellement magnifique et par lequel l’homme est si directement concerné que j’ai osé l’aborder.

Je n’ai nullement la prétention de le résoudre devant vous ce soir, surtout avec le temps qui m’est accordé. Mon but, précisément après les travaux analytiques auxquels vous avez participé, est seulement de poser les données du problème de la synthèse conceptuelle de la vie. Comme vous allez le voir, c’est une prétention qui est loin d’être modeste.

Déjà aux environs de 1935, j’avais fait paraître un ouvrage dont la conclusion avait pour titre : « Essai de synthèse conceptuelle s’appliquant à la science de l’homme ». Comme vous le voyez, je ne fais que reprendre mon bien, avec une mise au point indispensable qu’autorisent trente années de travaux.

J’ai eu d’éminents précurseurs : 490 ans avant Jésus-Christ, PARMENIDE avait voulu établir une synthèse entre les conceptions de Pythagore et d’Aristote. Beaucoup plus près de nous, je me suis souvent demandé comment Pascal n’avait pas été tenté par la recherche d’un tel monisme, que Galilée avait essayé de résoudre.

De son côté, le philosophe Husserl affirmait que l’on ne pouvait comprendre une omnitude si l’on ne connaissait pas analytiquement les parties, la réciproque étant vraie.

En 1915, paraît la Théorie de la Relativité généralisée d’Einstein. Dans le domaine de la physique c’est une tentative de synthèse conceptuelle que dans ses dernières années, Einstein essaya, sans y parvenir, de mettre en équations.

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A la suite de mes recherches, le temps ne s’écoule pas linéairement comme l’ont pensé Minkowski et Einstein. Le temps est équivalent à l’énergie dégradée; il est réversible et surtout polydimensionnel, mais il n’entre pas dans mon sujet, ce soir, de développer de telles notions et c’est d’une manière pragmatique, traditionnelle, que je vais entreprendre de développer le propos qui nous occupe.

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Bien entendu il serait vain d’essayer de construire une étude exhaustive du sens de la vie humaine, sans se poser les mêmes questions sur le sens du cosmos et de l’espèce humaine. En d’autres enceintes et peut-être devant vous, j’ai eu maintes fois l’occasion d’expliquer que l’homme était lié beaucoup plus qu’on ne le pense généralement à son cosmos. J’irai même jusqu’à dire que le sens d’une vie, d’une étoile, d’une galaxie ne correspond rigoureusement à rien. Il y a une interdépendance universelle. La conscience a un substrat universel comme la gravitation. Un philosophe, le Professeur Swedenborg, n’a pas hésité à déclarer que la terre était un homme; on pourrait ajouter que le cosmos c’est la vie.

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Ainsi à l’origine — origine qui n’est sans doute que renaissance — c’est le Règne du Sublime, de la pureté absolue, de l’omnitude. C’est, selon moi, en même temps un champ, le champ universel, riche de toutes les potentialités, auquel se rattachent tous les autres champs : champ gravitationnel, champ de la pesanteur, champ électromagnétique, champ photonique, champ nucléonique, y compris le champ vital et c’est sur cette voie que nous pouvons espérer trouver une manière de solution au problème qui nous préoccupe ce soir.

A l’origine de la classification, et précisément à partir de ce règne de la Pureté absolue, va s’exprimer un antagonisme, l’antagonisme des facteurs d’extension et d’intention. C’est la naissance du dualisme onde-particule, ou, si vous préférez, du dualisme particule auréolée de son aura. C’est le règne du subquantique que j’ai découvert aux environs de 1930, grâce à mes travaux avec les Professeurs Georges-Paul Langevin, Paul Painlevé et Marie Curie. C’est la naissance des champs électriques et électromagnétiques mais sous la dépendance du Champ Universel. Je devrais, ici, vous parler du quark et de l’infraquark puisque l’on a reconnu que le photon, le quantum, l’électron étaient structurés, mais cela m’entraînerait hors de mon sujet.

C’est probablement au cours de ce règne que prit naissance le Super-espace E qui, ainsi que je l’ai exposé dès 1933, comprend les trois dimensions de l’espace, les dimensions de l’énergie, de la matière et des dimensions encore mal connues à ce jour et qui vont réaliser un hyperespace avec un temps polydimensionnel.

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Dans la troisième période, le dualisme onde-proton, neutron, électron, particule va former l’élément hydrogène, c’est-à-dire un noyau entouré d’une aura monoélectronique et, selon la cosmogénèse moderne, vont se former les autres éléments. C’est le règne du quantique et la naissance des champs gravitationnels, du champ de la pesanteur, du champ nucléonique, photonique, etc. Nous assistons ici à la naissance de l’entropie positive et du temps, puisqu’il y a une équivalence, au coefficient près, entre l’entropie et le temps. Il y a de cela environ 50 milliards d’années.

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Alors, par suite des actions des champs que nous venons de citer, le cosmos se forme; il y a environ 15 milliards d’années.

Il y a 6 milliards d’années, se forme notre système solaire. Il y a 5 milliards d’années se forme notre planète. La croûte terrestre s’est formée un milliard d’années plus tard et, aussitôt après, il y a 3 milliards et 1/2 d’années, apparut la vie et avec elle ce champ vital, et le champ psychique; plus tard le champ des acides nucléiques et probablement d’autres champs que nous ne connaissons pas encore.

Remarquons ici qu’en donnant naissance au cosmos, la nature commit sa grande première erreur, sauf si cette naissance correspond à un planning que nous ignorons.
Par le fait de l’accroissement de l’entropie positive, de la dégradation de l’énergie, dès sa naissance, notre cosmos était happé d’une mort certaine. C’est ainsi que l’on a pu dire que le premier atome était frappé de criminalité.

La nature s’en aperçut et c’est pourquoi elle créa la vie qui, grâce à des structurations de plus en plus complexes, des autorégulations extrêmement subtiles, valorisa la matière et créa la naissance de la néguentropie.

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Le champ vital étant en place, dès que les conditions climatiques, la composition de l’atmosphère, la température, les conditions de pH et d’oxydoréduction, les radiations catalysantes encore mal connues furent réalisées, grâce à des atomes activés, dans des limites extrêmement précises, à partir d’un atome de carbone, se forma une molécule organique, puis un gel protoplasmique et enfin un organisme monocellulaire, sans noyau, mais avec une membrane.

La naissance de la vie n’étant pas mon sujet, ce soir, je n’insisterai  pas. Je rappelle seulement que la formation de la membrane du premier organisme monocellulaire sans noyau pose au biochimiste un problème qui n’est pas encore résolu.

Ensuite se formèrent les organismes autotrophes, c’est-à-dire élaborant eux-mêmes leur propre provende. C’est le départ de la vie végétale, caractérisée par sa chlorophylle, à constitution pyrrolique, axée sur un atome de magnésium, mais je tiens à souligner que la première molécule à structuration pyrrolique fut construite sur un atome de fer que nous allons retrouver dans l’hémoglobine des vertébrés.

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La nature s’aperçut alors qu’elle ne parviendrait pas au but avec ce seul règne végétal. Elle donna alors naissance à des organismes hétérotrophes qui purent subsister grâce au règne végétal, mais dont ils n’eurent pas l’immobilisme. La cellule du premier hétérotrophe est en tout point semblable à celle de la cellule végétale; mais elle est bientôt caractérisée par l’hémocyanine à même constitution pyrrolique que la chlorophylle mais axée sur un atome de cuivre. C’est la naissance du règne des invertébrés.

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Une fois encore, la nature dut constater son erreur : elle comprit qu’elle ne parviendrait pas avec les invertébrés à une complicité suffisante pour parvenir à une véritable néguentropie et, il y a environ 500 millions d’années, elle permit la formation des procordés, puis des vertébrés dont la cellule est toujours comparable à celle des invertébrés et des végétaux, mais caractérisés par l’hémoglobine ayant même constitution pyrrolique que la chlorophylle et l’hémocyanine, mais axée sur un atome de fer.

La structure architectonique était enfin capable de supporter un véritable système nerveux et un véritable cerveau, alors que les végétaux ne comportent pas de système nerveux et qu’invertébrés, même les plus évolués, n’ont en fait qu’un système nerveux terminé par un ganglion cérébroïde.

Après l’apparition des vertébrés, tout alla très vite; les poissons donnèrent naissance aux amphibiens, lesquels donnèrent naissance aux amphibiens, lesquels donnèrent naissance aux reptiles. Enfin apparurent les mammifères, mammifères dont la lente formation de la colonne vertébrale permit la formation de la boîte crânienne et, partant, d’un véritable cerveau. Lorsque ce cerveau put atteindre environ 1.400 cm3, l’homo sapiens apparut.

L’homo sapiens de Cro-Magnon apparut, il y a, selon moi, environ 30.000 ans et avec lui le sens de l’idéal, de l’au-delà, de l’art, de la poésie, du culte de la famille.

Cet homo sapiens, né probablement sur les bords du bassin méditerranéen, est très voisin de l’homo sapiens contemporain et c’est une monstruosité. Sa colonne cervicale est trop faible pour supporter la partie cérébrale. Son bassin lui-même est trop fragile; son système nerveux — qui doit être hypersensible par définition — se dérègle trop facilement; nous le constatons présentement à chaque instant. Sa musculature est peu résistante. Il ne peut voler; il nage relativement difficilement; son estomac est mal protégé.

L’homme contemporain est une monstruosité et seule son intelligence lui a permis de se considérer valablement comme le roi de la création. C’est une monstruosité, mais une monstruosité magnifique. La complexité de son cerveau, son homéostasie, l’autorégulation de ses fonctions les plus discrètes, de son système endocrinien et son comportement psychique représentent un véritable prodige physico-chimique. De même l’isochronaxie sans laquelle les nerfs et les muscles ne serviraient à rien.

Malheureusement le développement de son système nerveux, de son intelligence, de sa conscience réfléchie, a nécessité la perte d’instincts que possèdent de façon très développée certains animaux, l’ouïe, l’odorat, le flair et même l’instinct de vie en société que certains insectes réalisent au plus haut pont : abeilles, fourmis, termites, etc., alors que les sociétés d’hommes sont encore anarchiques.

Bien entendu, les choses ne sont pas aussi simples. Notre cerveau et, partant, notre conscience ne sont pas de la même nature que celle de l’animal le plus évolué. On a parlé du survol de notre conscience. Je crois qu’il est juste de parler d’une supra-conscience que certains êtres pressentent et d’autres pas, parce qu’ils sont de plus en plus conditionnés par la civilisation technocratique, ou pour une cause congénitale.

D’autre part, comme le disait Einstein, la plupart des hommes n’utilisent que très peu et très mal leur conscience et la connaissance qu’ils pourraient en retirer. L’homo sapiens ne date que de 30.000 ans. Peut-être que, dans un millions d’années, il aura sur tous les problèmes que je viens d’évoquer des vues infiniment plus précises et plus justes.

Mais il est certain que le sens de la vie doit être recherché dans la dématérialisation et le retour à un Règne du Sublime, et cela grâce à l’action du Champ Universel que j’ai évoqué au début de cette conférence.

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Avant d’aborder la question de l’histoire de l’Homo pendant l’ancien testament, il convient de se recueillir.

La science, au cours de ces dernières années, a reconnu un lien entre le cosmos et l’homo. Tout s’est passé comme si la nature avait grande hâte de donner naissance à une créature archi-complexe dont elle ferait le maître des autres créatures. Mais qu’elle est la nature de cette force qui, du premier système onde-particule, va former le cosmos et l’Homo. On a parlé d’élan vital, de vitalisme, de spiritualisme, de matérialisme, de force épigénétique. Pour l’homme de science authentique tout cela n’est que verbalisme.

Personnellement, je crois que, provisoirement peut-être, c’est la notion de champ qui est seule capable de nous apporter une manière de solution au problème immense posé par l’évolution cosmique, minérale, et l’évolution des espèces vivantes.

Je crois à un Champ Universel, lui-même permettant l’émanence de nombreux champs, par exemple le champ gravitationnel, le champ de la pesanteur, le champ électromagnétique et le champ du vital, ou champ biotique, étant entendu que ce champ biotique comprend un nombre de facteurs infiniment plus grand que le champ gravitationnel, ou le champ électromagnétique. Dans ce champ du vital on pourrait d’ailleurs reconnaître différents champs, les uns particulièrement spécifiques, tel le champ du psychique qui permettrait une explication de la psychocinèse, de la télépathie aujourd’hui admise par tous les savants, le champ de la transmutation d’éléments magnésium, calcium, potassium qui jusqu’ici n’ont pas reçu d’explication physico-chimique traditionnelle, enfin des champs encore mal connus, tels que les champs de l’A T P, l’A D N, l’A R N, c’est-à-dire des acides nucléiques.

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En ce qui concerne le devenir de l’homme moderne, de nombreuses hypothèses ont été proposées.

Pour certains biologistes, l’espèce humaine va disparaître dans huit millions d’années. Pour d’autres, une mutation n’est pas impossible et ceux-ci se demandent ce que sera l’homme de demain.

Pour d’autres enfin, tels que Frédéric Nietzsche, le Comte de Noüy, Teilhard de Chardin, homme et cosmos évoluent vers une spiritualisation, convergente pour les uns, divergente pour les autres.

En ce qui me concerne, l’hypothèse d’une cyclisation, ou mieux d’un spiraloïde est à retenir et l’homme dématérialisé est peut-être destiné à regagner le règne du sublime, de l’absolu, de la pureté que j’ai cité au début de cette conférence, d’où il ressurgira jusqu’à la fin de notre cosmos, auquel doit succéder un univers purement spiritualisé. Comme vous le voyez, nous sommes revenus au Règne du Sublime que je vous citais au début de cette conférence.

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En vérité, les choses sont beaucoup plus complexes qu’il ne parait.

Je vous ai dit que nous ne pouvions expliquer la formation de la membrane du premier organisme monocellulaire. De même il est encore impossible, dans l’état actuel de la science, d’exposer le mécanisme qui a permis la naissance du noyau, c’est-à-dire de l’ATP, de l’ADN, de l’ARN.

Comment les pluricellulaires, comme les spongiaires ont-ils pu acquérir un embryon de système nerveux ? Comment les échinodermes ont-ils pu acquérir un système circulatoire même primitif ? Comment les amphibiens ont-ils pu posséder un système respiratoire pour l’air libre ? Comment les reptiles sont-ils reliés aux mammifères mammaliens ? Comment le cerveau de l’homme a-t-il pu être enrichi de deux lobes préfrontaux où s’élabore la fonction la plus noble de l’intelligence, abstraction, beaux sentiments : tout cela, nous ne le savons pas.

Mon sujet ce soir n’étant pas le mécanisme de l’évolution sur lequel, au demeurant, je me suis longuement penché au cours de ma carrière; ce qu’il m’appartient de mettre en relief, c’est que le principe de la vie est assimilable à une action de champ, mais de champ hautement spécifique et s’appliquant à un organisme de grande complexité. Tout se complique par le fait que ce champ spécifique vital n’exclut pas l’action des champs traditionnels (gravitationnel, électromagnétique, nucléonique, photonique, etc.) En outre, je crois que ce champ vital est à rattacher comme tous les autres champs connus, au Champ Universel, ce qui permet de parvenir à un monisme dans le cadre d’une synthèse conceptuelle.

L’homme ne voit en lui et autour de lui que des corpuscules, des objets distincts, mais cela est la conséquence de notre perception. On ne saurait voir un champ, en dehors de ses manifestations, mais c’est un champ, ou plusieurs champs, qui ont organisé, structuré les particules primitives en éléments chimiques, en molécules, en cosmos, en organisme vivant. Doit-on le confondre avec l’hyperespace ou avec le règne du sublime auxquels j’ai fait allusion; ça je n’oserais l’affirmer.  (A suivre.)

Essai sur le sens de la Vie, au seuil du deuxième millénaire par Robert Tournaire. (Suite)
(Revue Etre Libre. Numéro 230, Janvier-Mars 1967)

Bien entendu, ce champ vital spécifique n’est pas simple. Je vous l’ai dit, l’hyperespace est polydimensionnel, mais nous ne connaissons pas la valeur de toutes ses dimensions. Si nous les connaissions, nous aurions des vues moins imprécises sur le champ psychique, spirituel, dont je vous dirai un mot dans quelques instants.

N’oublions pas que c’est l’action de champ hautement spécifique qui permet d’appliquer, dès la formation de l’embryon, la différenciation tissulaire, la régénération de certains membres chez certains animaux, l’attraction des gamètes, la formation de phénomène de mitose et probablement la mise en code de l’information chez les acides nucléiques de la conscience, cette merveilleuse partie de la cybernétique humaine.

N’oublions pas que l’homme est formé de 100 millions de milliards de cellules, lesquelles comprennent 14 milliards de cellules nerveuses. Or, l’homme n’est pas un agglomérat pluricellulaire. Toutes ces cellules sont coordonnées en une unité psychique que l’on appelle la personnalité et cela grâce à des systèmes stimulo-intégrateurs (nerfs, endocrines) et intégrateurs (appareil circulatoire). Tout cela est dû à des structurations permettant l’ontogénèse et la subsistance; tout cela est dû à une action de champ.

Revenons à l’homo. Il est structuré de manière à comprendre un organisme physico-chimique et un corps spirituel. L’organisme physico-chimique est sous la dépendance des champs traditionnels; il est voué à la mort, mais le corps spirituel est sous la dépendance d’un champ spécifique complexe que nous connaissons encore mal et celui-là ne meurt pas. En d’autres termes, il y a dans l’homme un Je, un Ego qui ne saurait connaître la mort.

Mais prenons garde : dans le premier système onde-particule il y avait une parcelle de liberté, de conscience. C’est ainsi, comme je l’ai cité plus haut, que l’on a pu dire que le premier atome était entaché de criminalité. Dès la formation de l’embryon humain, il y a ce que j’ai appelé — pour qu’on ne la confonde pas avec l’âme angélique — une parcelle d’âme organique. Certains hommes, par leurs travaux, leur valeur humaine, la noblesse de leur comportement développent ce corps spirituel.

Beaucoup d’autres hommes ne se préoccupent que de leur provende, leur fortune, leur ambition. Ce sont des prohominiens. Pour ceux-là il n’existe pour ainsi dire pas de corps spirituel.

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Il me reste à essayer de vous dire ce que devient ce corps spirituel après la mort du corps physique qui relève de la néguentropie l’entropie positive. C’est un problème extrêmement délicat. Même les théologiens, pour le sort de l’âme angélique, en l’attente du jugement dernier, reconnaissent que le problème est difficile et parmi les théologiens c’est l’apôtre Saint-Jean qui a écrit les plus belles pages dans « La Vie des Ames » après la mort et, en lisant ces pages, on perçoit très bien son embarras, sa méconnaissance.

En ce qui me concerne, je crois que le corps spirituel, ou, si vous voulez, l’aura humaine, va regagner le Règne du Sublime en attendant la fin du cosmos matériel, l’avènement du Règne de la Pureté, du Spirituel et la résurrection de notre corps glorieux. C’est en ce sens que l’on a pu dire qu’Aristote et Platon avaient eu tort de croire à l’immortalité de l’âme.

Bien entendu, dès la mort du corps physique, les notions d’espace et de temps ne sont plus du tout les mêmes que pour l’homo terrestre.

C’est ici que l’on doit d’ailleurs rappeler la belle parole du physicien WEYL, qui écrit dans son merveilleux ouvrage : Temps, Espace, matière : « Le monde n’advient pas. Il est ».

Ceci me ramène à la nouvelle notion de temps sur laquelle j’ai beaucoup travaillé, mais il ne m’appartient pas de sortir de mon sujet.

Je vous l’ai déjà dit, je crois : nous sommes actuellement des mutants. Quand nous serons libérés du primat euclidien, de la notion de temps linéaire, d’espace à trois dimensions, une nouvelle et merveilleuse théorie de la connaissance s’ouvrira pour nous.

***

Je ne voudrais pas terminer sur une note pessimiste, d’abord parce que ce n’est pas dans mon tempérament. Je crois en l’homme; je crois en la grandeur de la vie humaine.
Mais avant de conclure, il m’appartient de souligner les très graves périls qui menacent actuellement l’espèce humaine. Récemment, dans une réunion de savants spécialistes, voici dans quel ordre on a classé ces périls :

1) L’accroissement de la démographie. La population humaine de notre planète va doubler tous les vingt ans. Cela pose des problèmes de scolarité, d’habitat, de voies de circulation, d’emplois, de retraites pratiquement insolubles. On a parlé de la « Terre infestée d’hommes ».

On pourrait m’objecter que prochainement l’homme terrestre pourra coloniser les planètes qui gravitent autour de lui. Nous ne sommes pas ici pour faire de la science fiction. Il existe probablement dans d’autres systèmes solaires des planètes semblables à la notre, mais les savants, les vrais savants sont précisément d’accord pour reconnaître que dans l’état actuel de la prospective scientifique rien ne permet de croire à cette colonisation.

2) La disparition de la chlorophylle. Cette disparition est liée à l’accroissement de la démographie. Récemment, dans la revue « Les Temps modernes », Jean-Paul Sartre dénonçait l’excès d’une technocratie criminelle. C’est au nom de cette technocratie que disparaissent les forêts au profit des bâtisses alvéolaires qui resteront la honte de notre époque.

3) Le péril nucléaire. Grâce aux machines à penser et à calculer de la cybernétique appliquée, d’ici une décennie, une cinquantaine de nations possèderont des bombes H. Je n’ai pas besoin d’insister sur la menace qui pèsera alors, à chaque instant, sur l’humanité, menace qui dispersera des milliards de dollars avec lesquels on pourrait soulager la misère et la faim qui régneront encore dans le monde.

4) Le développement excessif de la cybernétique appliquée beaucoup plus orientée vers des fins mercantiles que vers l’épanouissement de la condition humaine.

5) La modification de l’homme par l’homme. On parle de fécondation artificielle extra-utérine d’ovules sélectionnés; de modification de notre système humoral; de mutations provoquées; d’implantations d’organes.

Nous vivons en vérité une époque explosive et si un Comité des Sages, comme je l’ai toujours réclamé, ne parvient à se constituer pour ruiner toute application de notre science fondamentale qui n’a pas, pour seul but, l’amélioration de la condition humaine, le pire est à craindre. Il existe des technocrates dont l’autorégulation psychique est dévoyée vers un méprisable mercantilisme ou une aberrante productivité.

Ici il convient de réfléchir. Le progrès de l’investigation scientifique a été tel au cours de ces quinze dernières années que les savants les plus authentiques du monde entier se posent une angoissante question, non pas au sujet du savoir de la science fondamentale, dont le développement est le propre de l’homme, mais de l’usage qui est fait de cette science fondamentale.

Si ces applications se poursuivent au même rythme au cours des décennies à venir et si un Comité International des Sages ne parvient pas à écarter les applications qui ne concourent pas à l’épanouissement de la condition humaine, on peut craindre le pire.

Des savants authentiques parlent de délire technocratique. Mon ami Paul VALERY pendant l’occupation me parlait déjà des horribles applications de la science.

En d’autres termes, toutes les fonctions qui représentent le développement de la technocratie sont exponentielles. Au rythme actuel, il n’y aura bientôt que des technocrates, c’est-à-dire des hominidés conditionnés. Tout ne sera plus que machines à penser, à calculer; des laboratoires couvriront la surface du globe, toute la sacralisation de l’homme aura disparu au profit de l’efficacité et la productivité.

Grâce à l’énergie thermonucléaire enfin domestiquée, grâce à la cybernétique appliquée, grâce à des rayonnements du type laser et maser on peut à la fois tout craindre et tout espérer.

C’est à l’homme de décider s’il préfère s’épanouir dans une manière de spiritualité ou disparaître pour le profit provisoire d’un certain mandarinat.

***

Il serait ridicule de parler du sens de la vie sans poser le problème de la destinée humaine, plus précisément de notre destinée, de la destinée de l’espèce humaine, de celle enfin de notre planète.

Pour les uns, le problème est résolu de façon dogmatique; par exemple, pour les théistes chrétiens, aussitôt après la mort notre âme ira rejoindre les autres âmes, afin d’y attendre le jugement dernier et l’avènement du nouveau monde. Pour d’autres, par exemple les matérialistes, après notre mort il ne restera de nous que cendres et poussières.

Ce sont deux solutions dogmatiques; elles sont respectables l’une comme l’autre pour l’esprit tolérant mais précisément parce qu’elles sont dogmatiques elles ne sauraient satisfaire le véritable homme de science.

Sans parler de l’âme angélique des croyants, il paraît de plus en plus évident que l’homme est doublé d’un corps spirituel, d’une âme organique et d’après moi c’est surtout par là qu’il est lié au monde cosmique. Mais ce corps spirituel, cette âme organique c’est nous qui l’élaborons par nos batailles, nos luttes, nos victoires, nos efforts, nos rêves, notre idéal. Cet ego ne saurait être anéanti par la mort de notre corps physique. Il va rejoindre le domaine du sublime, étant entendu que l’espace et le temps n’ont plus du tout pour lui la même structure, la même signification.

Pour atteindre l’avènement d’un monde nouveau absolument spiritualisé, est-ce qu’il va se matérialiser à nouveau, perdre sa personnalité, se réincarner ou attendre simplement l’avènement du monde absolument spiritualisé. Là, l’homme de science n’est pas en mesure de vous répondre.

En ce qui concerne l’espèce humaine, les biologistes sont d’accord pour lui reconnaître une durée d’environ huit millions d’années, si aucun accident cosmique ne survient d’ici là.

Quel sera l’homme de cette époque ? Quel degré de dématérialisation aura-t-il atteint ? Les hommes de science ne le savent pas, mais on peut croire qu’ils vont rejoindre le domaine du sublime et y atteindre l’avènement du cosmos désubstantialisé.

***

Pour ce qui regarde la destinée de notre cosmos, la science propose plusieurs solutions. Notre galaxie ayant atteint, dans sa fuite, la vitesse de la lumière, s’annihile pour donner naissance à un champ de création pure.

Autre solution : après avoir atteint sa dilatation maximum, elle se condense à nouveau en matière dense et le cycle recommence. Pour les uns, les quasars, ces galaxies denses sont des protogalaxies, pour les autres ce sont des galaxies fossiles.

Ainsi, d’après ces deux solutions, le cosmos dans son universalité n’aurait pas de fin.

Au contraire, en considérant simplement l’entropie positive, notre cosmos court à sa propre perte pour donner naissance à un cosmos sublime, dématérialisé, tout de pureté et de bonté principielle.

***

De toute façon, nous avons suffisamment affaire avec notre destinée pour ne pas nous soucier, par surcroît, de ce qui se passera dans huit millions d’années.
Retenons seulement que la mort ne doit pas nous effrayer. Qu’en dehors du criminel parfaitement conscient de ses crimes, nous, hommes de bonne volonté, malgré nos erreurs, irons rejoindre un monde de pureté.

Pour ma part j’ai plus de considération, je trouve plus de mystique et de pureté chez l’athée qui refuse un Dieu assis devant une balance de précision où il fait la pesée de toutes nos fautes et de toutes nos bonnes actions, plutôt que pour un croyant qui veut un Dieu vengeur, méticuleusement vengeur.
Notre degré de liberté est faible : notre responsabilité est limitée. La vie est dure, difficile. Hommes de bonne volonté, ne craignons ni la mort, ni le jugement dernier.

***

En résumé, le sens de la vie et le sens du cosmos sont étroitement liés. Mais la vie permet non seulement sa propre valorisation, c’est-à-dire sa désubstantialisation, mais encore sa personnalisation, personnalisation qui dépend de notre comportement, de la psyché que nous nous efforçons d’acquérir.

Notre conscience réfléchie est un mécanisme, extrêmement complexe et c’est son contenu, l’Ego, cet égo dématérialisé qui ne connait pas la mort et qui est destiné à rejoindre le domaine du sublime, lequel un jour remplacera notre cosmos matériel.

Tout ceci rejoint la pensée de Jean ROSTAND qui, il y a quelques semaines, me disait : « c’est l’homme qui donne un sens à la vie ».

Certains parmi nous se posent certainement la question de savoir ce qu’il y a derrière ce Règne du Sublime, de l’omnitude.

Je vais vous donner mon opinion, mais je dois confesser que là ce n’est plus l’homme de science qui parle.

D’abord n’oublions pas que notre cosmos, celui qui comprend tous les amas de galaxies que nous connaissons est, si je puis dire, un univers tordu; la particule, l’atome, la molécule, les étoiles, les amas de galaxies ont un certain sens de rotation. Il nous parait, à nous hommes de science, impossible qu’un autre univers ayant un sens inverse de rotation n’ait pas pris naissance en même temps que le notre et rien ne nous interdit de penser que notre univers est sous la dépendance de cet autre univers, ce qui permettrait l’explication de toute une phénoménologie.

Ceci ne résout pas votre problème. Il est tard; qu’il me soit permis pour conclure de citer la phrase d’EINSTEIN, qui n’était ni un spiritualiste ni un vitaliste : « J’ai la profonde conviction sentimentale de la présence d’une raison puissante et supérieure se révélant dans l’incompréhensible univers ».

Professeur Robert Tournaire, de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie, de la Faculté des Sciences de l’Université de Paris, du Cercle de Physique Supérieure Théorique, du Groupement de l’Energie nucléaire.