A.-M. Cocagnac
Expérience spirituelle de la maladie

La science a imposé une image quasi mécanique de l’univers. De nos jours cette image est devenue si abstraite que l’homme ne sent plus sa place dans le cosmos, parce qu’il se perçoit lui-même comme une réalité concrète, organique, vivante. Il ne reconnaît plus sa place dans un ensemble dévitalisé, le ciel de Copernic ou celui des physiciens contemporains. Un signe de cette angoisse est l’intérêt surprenant que portent nos contemporains à la pluralité des mondes habités. Le goût des OVNI, des extra-terrestres, les mythes littéraires de la science-fiction constituent un document impressionnant. Ce dossier est celui d’un effort incroyable pour pallier le mal éternel qui est aussi celui du siècle : la peur.

(Revue Question De. No 21. Novembre-Décembre 1977)

Toutes les librairies françaises offrent au public un nombre considérable d’ouvrages touchant de près ou de loin à la maladie et aux problèmes médicaux. Les médecins ont soudain éprouvé le besoin de s’exprimer publiquement comme pour se justifier de pratiquer une technique mise en accusation. Les malades ont cherché à se rassurer ou à s’informer dans de nombreux ouvrages de vulgarisation. Des guides pratiques ont même été proposés aux bien-portants « pour le cas où » la maladie imprévue surgirait. Sans parler de cette flambée d’intérêt pour les fameux guérisseurs philippins. Bref, l’expérience ou seulement la peur de la maladie pose à l’homme contemporain des questions angoissantes et fondamentales. C’est autour de ce thème qu’est construit ce journal du père Cocagnac qui resitue dans leur véritable contexte — celui des thérapies païennes — les guérisons miraculeuses du Christ.

On dit de l’homme d’aujourd’hui qu’il ne prend pas le temps de vivre. Ceci est certainement vrai de l’homme moderne engagé dans la course d’une société technologiquement avancée. Je crois toutefois que bien des êtres humains dans les forêts, sur les hauts plateaux, dans les déserts ou sur des îles ont encore le temps de vivre, d’aimer, de souffrir et de mourir. Ils ont aussi le loisir d’interroger leurs maladies. Leur interrogation n’est pas crispée, elle n’est pas l’évaluation follement angoissée du temps qui reste à vivre ; c’est plutôt un dialogue avec soi-même, une occasion privilégiée de se mieux connaître, de se resituer en ce monde comme dans l’Ailleurs qui se profile autour de la mort. L’homme des grandes villes socialement sécurisé par la médecine scientifique, les hôpitaux perfectionnés, les neuroleptiques et les bonnes paroles n’est pourtant pas satisfait de son rôle de malade. Il jette, en coulisse, un regard sur les médecines parallèles, mêlant dans l’ombre du décor la psychologie, la parapsychologie, la magie vulgaire et la prestidigitation de doigts plus habiles à palper des honoraires qu’une tumeur sous un muscle.

D’où vient ce désarroi ? D’une désillusion certaine. L’image du médecin tout-puissant s’efface avec l’idée du pouvoir illimité de la science. Après les coups d’éclat de la jeune médecine scientifique, la recherche, sans piétiner, a pris sa vitesse de croisière, qu’il devient chaque jour plus coûteux de maintenir. De grands esprits contemplent de loin des objectifs que la pure raison déclare accessibles mais qui, de fait, demeurent au-delà du savoir. Nombre de chercheurs, sérieux, honnêtes n’ont pas crainte de le dire et ce goût de la vérité est tout à l’honneur de leur qualification scientifique. Ce faisant, ils détruisent pourtant le mythe du « Docteur » souverainement efficace. Les patients découvrent du même coup que le médecin doit soigner mais que le devoir du malade est de guérir. L’homme atteint doit, dit-on, se rétablir. Le langage populaire a, une fois de plus, profondément raison. La santé est bien un établissement si l’on entend par là une harmonie des relations entre l’espace intérieur et l’espace extérieur. Le domaine des médecins et des psychologues ne recouvre pas la totalité de ces relations car, à l’intérieur de lui-même comme à l’extérieur, l’homme se pose des questions fondamentales qui échappent à la science des praticiens. Les réponses à ces demandes sont alors pour lui une source de paix ou l’occasion d’un bouleversement.

Une névrose, un cancer sont peut-être l’écho répercuté à différents niveaux d’une onde de choc dont l’épicentre est ailleurs.

L’Indien malade va trouver le chaman qui l’installe dans un mandala. Il s’agit d’un acte rituel. Le terme même de rituel suggère le maintien de l’ordre cosmique par le jeu d’une action symbolique. L’Indien se sent malade parce qu’il s’est déplacé. Le chaman l’aidera donc à se resituer. Il restaurera en lui une perception du monde perdue accidentellement, il l’aidera à regagner sa place dans un univers qui s’étend au-delà du monde sensible, au-delà des simples relations de groupe. Ainsi l’homme se trouvera rétabli, c’est-à-dire établi à nouveau dans un ordre cosmique dont il est partie prenante. L’homme d’autrefois projetait dans le cosmos la forme organique qui constitue l’individu. L’univers faisait ainsi figure de corps vivant en lequel la cellule consciente humaine avait sa place, sa fonction, sa raison d’être. Une certaine médecine pouvait donc agir sur la dimension profonde de la maladie, l’angoisse radicale qui marque dès l’origine la condition humaine.

La science a imposé une image quasi mécanique de l’univers. De nos jours cette image est devenue si abstraite que l’homme ne sent plus sa place dans le cosmos, parce qu’il se perçoit lui-même comme une réalité concrète, organique, vivante. Il ne reconnaît plus sa place dans un ensemble dévitalisé, le ciel de Copernic ou celui des physiciens contemporains. Un signe de cette angoisse est l’intérêt surprenant que portent nos contemporains à la pluralité des mondes habités. Le goût des OVNI, des extra-terrestres, les mythes littéraires de la science-fiction constituent un document impressionnant. Ce dossier est celui d’un effort incroyable pour pallier le mal éternel qui est aussi celui du siècle : la peur. Peur de la solitude de l’individu qui se sent en tant que tel radicalement coupé des autres. Peur de l’espèce humaine tout entière qui meurt d’effroi à l’idée d’être peut-être seule de son genre.

La racine de tout mal humain est sans doute la solitude. D’un mourant on dit qu’il est perdu : c’est la constatation d’une rupture qui existait depuis toujours mais que recouvrait l’illusion qui se nomme peut-être effort de vivre. Quand la cellule perd le contact avec la puissance d’intégration qui organise la fonction vitale et maintient les différences fonctionnelles, elle se sent seule et dégénère. Le cancer est peut-être une forme de solitude contagieuse, un « à quoi bon continuer comme ça » qui vient brutalement ébranler l’unité profonde de la vie.

L’incommunicabilité est un terme à la mode parce qu’il se fonde sur une constatation : le développement technologique isole les êtres. L’univers, la société deviennent de plus en plus un fond repoussant qui rejette la conscience individuelle dans sa solitude. L’expérience de la maladie tend de nos jours à se transformer en pure angoisse, parce qu’avec la meilleure volonté du monde, scientifiques et politiciens aggravent la solitude de l’individu qu’ils veulent soigner ou aider à vivre.

Qui sortira l’homme de sa solitude ? Qui lui rendra sa place active dans un univers revitalisé ? Qui rendra toute sa dimension à l’expérience de la maladie ? Qui apprendra à lire dans les affections du corps, les déplacements imperceptibles de la conscience ? Qui sera capable d’asseoir un patient dans un « mandala » nouveau incurdala, dans une vision chaleureuse, vivante du monde, pour recevoir du corps cosmique la chaleur nécessaire à la vie et le simple courage de faire un pas de plus ?

JESUS ET LES DIEUX THERAPEUTES

Les guérisons opérées par le Christ gênent bien des gens, à commencer par certains théologiens. Elles représentent pourtant un élément important de l’annonce évangélique. Les textes, d’entrée, disent que les foules se précipitaient au devant de Jésus pour l’entendre et se faire guérir. Il y avait là des mal-portants atteints de divers maux, des démoniaques, des lunatiques, des paralytiques. Cette description pittoresque montre bien que la conscience populaire de ce temps ne discernait pas de frontières entre le champ du corps et celui de l’esprit.

La maladie manifestait au contraire la jointure, le lien organique de ces deux aspects du vivant. A ce titre elle devenait, pour le Christ, le lieu privilégié de la manifestation de son pouvoir. Les malades viennent entendre Jésus et se faire guérir car pour eux la parole de Dieu est souverainement efficace. Un texte tardif résumera ainsi cette conception : « Vivante est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de la division de l’âme (psyché) et de l’esprit (pneuma) des articulations et des moelles. » (Epitre aux Hébreux 4, 12) Et Matthieu, soucieux de la tradition, assure que tout cela est arrivé : « afin que s’accomplît ce qui a été dit par Isaïe le Prophète disant : Il a pris nos infirmités, il s’est chargé de nos  maladies » (Matthieu 8, 17 Isaïe 53, 4).

Jésus reprend donc à son compte le thème du Dieu-médecin, maître de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie. Ses déclarations sont cependant nouvelles, scandaleuses comme l’annonce d’un nouveau Royaume où les pauvres jouissent de privilèges insolites. Jean-Baptiste lui fait demander : « Es-tu celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus répond : Allez informer Jean de ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts se réveillent et les pauvres sont évangélisés. Heureux celui qui ne sera pas scandalisé à mon sujet ! » (Matthieu 11, 3 citant Isaïe 26,  19 ; 29, 18-19 ; ’35, ‘5-6 ; 61. 1). Cette large citation d’Isaïe permet de comprendre que la guérison spirituelle et corporelle est partie intégrante du royaume messianique dont Jésus annonce la venue. Les guérisons de Jésus se situent toutefois dans un contexte qui mérite d’être évoqué pour mieux saisir leur portée réelle et leur signification [1].

Dans le monde sémitique, la Palestine et la Syrie, Eshmun était un dieu guérisseur dont on peut se demander s’il était d’origine babylonienne, sumérienne ou l’objet d’un culte local ancien. Palmyre vénérait Shadrafa dont le culte se retrouve aussi à Carthage. Quant aux Juifs, leur langue possédait une racine verbale « RP » qui signifie, outre guérir, restaurer les forces cosmiques, les puissances vitales. C’est à partir de ce radical que s’est forgé le terme de Rephaïm dont la signification demeure complexe. Rephaïm désignait sans doute une ancienne population de Palestine imaginée volontiers comme gigantesque, héroïque et dotée de pouvoirs particuliers. Le même terme évoquait aussi les ombres du Shéol, résidence souterraine en laquelle les morts poursuivaient une existence larvaire. Sur les tablettes d’Ugarit [2], sept « rephaïm » ont pour chef Rapha-Baal qui signifie sans doute « le Seigneur qui guérit ». On note ici un lien possible entre le culte des guérisseurs et la vénération des ombres du Shéol dotées de pouvoirs magiques.

Si Raphaël est devenu un ange et apparaît dans le Livre de Tobit comme un thérapeute du corps et de l’esprit, il mérite donc bien son nom de « médecine de Dieu ».

Au chapitre 5 de l’Evangile de Jean, on nous parle d’un paralytique guéri par Jésus dans le cadre d’une piscine miraculeuse, celle de Bezatha. Ce malade gisait donc en un lieu de guérison païenne. Jésus a donc rencontré ce phénomène et l’Evangile de Jean est écrit pour montrer comment le pouvoir guérisseur de Jésus se précise face à des thérapies spirituelles païennes tolérées par l’orthodoxie juive en marge de la pratique officielle.

LES DEUX THERAPEUTES DIVINS DU MONDE MEDITERRANEEN

Dans le monde gréco-latin, deux thérapeutes divins se partageaient la gloire des guérisons spirituelles.

Asklépios était à l’origine un héros, une divinité chtonienne [3] qui prit ultérieurement la figure d’un dieu guérisseur. Barbu, portant le bâton sur lequel s’enroule le serpent, il présidait à la cure dite d’incubation — il faut entendre par là un long séjour dans un temple où le patient partageait son temps entre les bains dans la fontaine sacrée et de longues périodes de sommeil. Au cours de ce repos, il pouvait recevoir en songe la divinité du dieu et l’indication du remède approprié.

Passant de l’idée de guérison à celle de pouvoir absolu sur la vie et la mort, la croyance populaire finit par attribuer à Asklépios le titre de Sôter, Sauveur, titre égal à celui de Zeus ou d’Apollon.

Le culte d’Asklépios était très répandu au temps de Jésus en Syrie et en Phénicie.

L’autre dieu thérapeute, Sérapis, a lui aussi une origine mystérieuse on le découvre « débarqué » en Egypte avec, comme Asklépios, les caractéristiques d’une divinité d’abord chtonienne puis médicale. Il porte en guise de coiffure le calathos, corbeille des mystères et de la fécondité. Le serpent est aussi bien son compagnon que son attribut. Il connut lui aussi la promotion divine en devenant, comme Asklépios, un Sôter, un Sauveur.

Le syncrétisme assez naturel du monde méditerranéen devait souvent confondre Eshmun et Asklépios, ce dernier s’identifiant aussi à Sérapis dont le culte, soutenu par la dévotion de certains empereurs romains, devait finir par devenir prédominant.

Un culte des anges des eaux, porté par le courant apocalyptique juif, devait se mêler à ces pratiques médicales divines. On ne doit donc pas s’étonner de voir le paralytique de Bezatha languir en attendant le bouillonnement des eaux que provoquait, de temps en temps, l’ange infirmier chargé de cette station balnéaire.

Mais il nous faut revenir quelque peu sur le serpent d’Asklépios et de Sérapis, auquel le Christ ne demeure pas tout à fait étranger. Jésus s’adresse à Nicodème, Pharisien de bonne volonté mais là quelque peu interloqué. Il vient d’avoir avec lui un long entretien sur le baptême. Il lui a dit que ce bain rituel était une renaissance, un retour à une sorte de matrice spirituelle originelle. Le climat de ce discours n’est pas sans analogie avec les archétypes en vigueur dans la pratique de l’incubation. L’eau, le retour onirique aux racines de la conscience. Il ne manque plus que le serpent : le voilà quand Jésus dit : « Comme Moïse éleva le serpent au désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme, afin que tout homme qui croit ait la vie éternelle (Jean 3, 14). » Jésus fait aussi allusion à un épisode relaté par le livre des Nombres (Nombres 21, 4-9). Dieu envoie des « serpents brûlants » pour punir son peuple de sa révolte. Mais le même Dieu vengeur envoie aussi le remède : il dresse dans les mains de Moïse un étendard portant un serpent d’airain qu’il suffit de regarder pour être guéri de la morsure mortelle des reptiles-fléau. Le sens de ce passage est clair : Dieu aide Moïse à reprendre un pouvoir contesté. Le terme de serpent brûlant est cependant intéressant. Le mot hébreu seraph traduit ici par brûlant sert à former le nom de séraphin, une catégorie d’anges de nature ignorée. Serpent ailé, dragon, monstre créé pour la circonstance, ces animaux surnaturellement dangereux demandent une guérison paranormale. Le pouvoir divin entre les mains de Moïse fait de lui un médecin infaillible, un Sôter. C’est bien cela que le Christ entend dire lorsqu’il s’assimile, en tant que crucifié sur le bois, au serpent de jadis fixé sur l’étendard, signe et puissance divine de salut.

Certes, on a dit que le serpent de Moïse ressemblait fort aux serpents de certains cultes syriens. La pratique magique du Patriarche sentait un peu le fagot et demeurait comme une pièce païenne, étrange, cousue sur le tissu du texte biblique. Ceci n’a pas grande importance pour qui veut bien admettre le symbolisme de cet épisode. En reprenant un archétype ancien, Jésus au moment même où il révélait le mystère des eaux du baptême se met à parler du serpent. Le lien eau-serpent est trop évident dans les cultes de fécondité et donc de salut pour ne pas devenir, dans la bouche du Christ, l’expression d’un mystère sauveur qu’il reprend à son compte. Le temps est révolu où les chrétiens prenaient ombrage de toute allusion à une influence des religions anciennes sur leur propre Révélation. Il s’agit ici d’une correspondance sémantique relevant des secrets du langage. A ce titre elle intéresse directement l’incarnation de la Parole de Dieu.

L’HUILE DE DIEU

Si la guérison spirituelle fait partie du mystère chrétien, il ne faut pas s’étonner de voir le Christ désigner soixante-douze disciples pour les envoyer, deux par deux, munis d’un pouvoir spécial, « chasser les esprits impurs, guérir toute maladie et toute langueur » (Matthieu 10, 1).

C’est un don gratuit, ils devaient donc donner gratuitement, partir sans argent, sans valise, attendre leur nourriture au jour le jour de la bonne volonté de chacun. Ce tableau saisissant d’une stricte pauvreté fait penser aux Sadhu ou aux Bhikshu de l’Inde, quêtant Dieu sur les routes dans la plus stricte pauvreté. Il y a pourtant dans ce texte autre chose qu’une simple condition morale à l’exercice d’une activité spirituelle. La puissance de guérison mystique est ici radicalement détachée d’un temple. Ceci est un des fondements de la foi et de la pratique chrétienne. Par ailleurs, la lettre de saint Jacques, si soucieuse de pauvreté, comporte la mention d’une cure spirituelle : « Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les anciens de l’Eglise, qu’ils prient sur lui après l’avoir oint d’huile au nom du Seigneur, la prière de la foi sauvera le patient et le Seigneur le relèvera » (Lettre de saint Jacques).

Ce qui a pris ensuite dans l’Eglise catholique la forme d’un sacrement est essentiellement un rite d’onction, rite simple aux significations multiples. L’onction est certes une médication simple mais mystérieuse puisqu’elle pénètre par les pores quasi invisibles de la peau. L’onction est aussi un rite de consécration. Dans la tradition d’Israël, les rois, parfois les prophètes et plus tard les prêtres ont reçu l’onction. Le Christ est nommé « Messie », l’Oint de Dieu, car, résumant la triple fonction ancienne, il est marqué par Dieu pour être le Sauveur, le Sôter, titre jadis accordé, nous l’avons vu, aux dieux guérisseurs. En recevant des Anciens la marque du baume, le malade de l’Eglise primitive se savait intégré ou réintégré dans la communion des croyants. Il reprenait un contact direct avec le Christ en lequel réside le vrai pouvoir de guérison parce qu’il est Sôter ou, comme auraient dit les anciens Hébreux, Raph-Baal, Maître de toute médecine.

Le serpent a disparu, effacé par l’image du Christ en croix. La grotte et le temple ont été détruits, le Christ est sur la route et entre dans les maisons pour y porter la paix, racine de toute guérison.

Une grande question demeure posée à l’Eglise d’aujourd’hui. Pourquoi a-t-elle perdu le pouvoir de guérir ? La technique médicale lui a-t-elle ravi cette puissance ? Ce serait là bien mal poser le problème. L’Assistance publique a repris la direction des hôpitaux dans une société qui n’est plus fondamentalement chrétienne. Elle y a été poussée par la constatation qu’une Eglise assumant cette fonction fondamentale pouvait être tentée d’exercer une contrainte cléricale sur la société, en intervenant d’une manière arbitraire sur l’homme faible, malade, ou mourant. Tout ceci contient une grande part de vérité.

Mais pourquoi la communauté des chrétiens ne parvient-elle pas, aujourd’hui, à mieux distinguer le pouvoir de guérison qui lui reste, en dehors de tout l’appareil médical ? Si la santé est l’intégration mystérieuse de facteurs en nombres infinis, le facteur spirituel n’est pas un des moindres.

La cure morale n’est pas suffisante, il s’agit d’un soin d’un autre ordre. Pour contribuer à rétablir un malade, la communauté des croyants peut l’aider à élargir la perception de lui-même et du monde, à regarder d’un autre œil la santé, la maladie et la mort. Il n’est pas question de retourner à des pratiques magiques qui, en dehors de leur temps et de leur cadre, ne sont plus d’aucune efficacité. Il convient de revenir à une forme proprement charismatique de l’aide spirituelle où le temple ne joue plus aucun rôle, où le serpent monétaire du profit cesse ses fascinantes ondulations.

A.-M. Cocagnac


[1] Voir A. Duprez, Jésus et les dieux guérisseurs (Paris, Gabalda, 1976).

[2] Ugarit : Centre de culture non biblique situé sur la côte palestinienne à la hauteur de la pointe nord de Chypre.

[3] Chtonien : terrestre, souterrain, l’« en-bas » par opposition à l’« en-haut » — le ciel, l’air, etc.