Pierre Bour
L’apprivoisement de nos pulsions

Dans le timbre de notre voix, le parfum de notre peau, les traits de notre visage, les sillons de notre paume, dans un seul de nos cheveux réside « un petit quelque chose… » une réalité impondérable qui fait de nous cet être là, cet être unique… et pas un autre. Sans cette part inviolable infiniment tendre et vulnérable qui se rebiffe à tout inventaire et qui subsiste chez le plus chétif des hydrocéphales ou le plus apparemment déchu des malades mentaux quel serait le sens de notre vie, de notre vocation, de notre dignité ? Ainsi nous récusons toute position réductionniste limitant le psychisme humain à la seule psychologie en privant celle-ci soit de sa base corporelle soit de son ouverture spirituelle.

(Revue CoÉvolution. No 13. Été 1983)

Comme la lave incandescente nous informe des forces atomiques à l’œuvre au sein de la terre certains troubles mentaux témoignent de la formidable poussée de notre énergie psychique inconsciente que recouvre non sans peine la mince couche corticale de notre cerveau conscient.

Bien souvent faute de pouvoir les apprivoiser l’homme porte en lui ces forces comme un danger et les réprime aveuglément sans pour autant s’en rendre maître… et pourtant si nous passons un tiers de notre vie à dormir ce n’est pas gaspillage de temps mais nécessité, plus impérieuse que la faim, de puiser chaque nuit à cette source archaïque primitive à la faveur du travail du rêve.

Ainsi monte en nous silencieusement la sève de nos pulsions que nous sommes appelés, éveillés, non pas à redouter mais à assumer et à accomplir (Pierre Bour, Les racines de l’homme, Ed. Laffont, 1976).

Le domaine de l’inconscient avant d’être objet de connaissance est découverte d’expérience qui commence par soi-même.

Qui suis-je ?

Qui suis-je en effet ? Question universelle.

Qui suis-je ? Un animal comme un autre ? Un système cybernétique organisé ? Un faisceau d’énergies pulsionnelles ? et pourquoi pas un secret ? Mais il faudrait que ce soit un secret bien gardé.

« Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre constate que les mortels ne peuvent cacher aucun secret ; celui dont les lèvres se taisent bavarde avec le bout des doigts, il se trahit par tous les pores : c’est pourquoi la tâche de rendre consciente les parties les plus dissimulées de l’âme est parfaitement réalisable. » Ainsi s’exprimait Freud au début de notre siècle.

Mais n’y a-t-il pas un abîme entre l’organisme humain abordé, analysé de l’extérieur (comme un objet) et l’intime éprouvé vital du sujet. Plus celui-ci est pourchassé, catalogué, enregistré, plus il se tait.

Réduire l’organisme humain à la somme de ses cellules de ses organes voire de ses comportements resterait aussi illusoire que de prétendre rendre compte du ressenti d’une mouche après avoir inventorié la couleur, la forme et le nombre de ses ocelles (éléments constituant les yeux de certains insectes).

L’essentiel fort heureusement échappe à ces bilans.

Dans le timbre de notre voix, le parfum de notre peau, les traits de notre visage, les sillons de notre paume, dans un seul de nos cheveux réside « un petit quelque chose… » une réalité impondérable qui fait de nous cet être là, cet être unique… et pas un autre. Sans cette part inviolable infiniment tendre et vulnérable qui se rebiffe à tout inventaire et qui subsiste chez le plus chétif des hydrocéphales ou le plus apparemment déchu des malades mentaux quel serait le sens de notre vie, de notre vocation, de notre dignité ?

Ainsi nous récusons toute position réductionniste limitant le psychisme humain à la seule psychologie en privant celle-ci soit de sa base corporelle soit de son ouverture spirituelle.

C’est en effet dans ce domaine que nous touchons aux limites de l’héritage freudien. Si Freud est resté maître dans le rattachement des nœuds névrotiques au passé du sujet, dans le démaquillage des rêves et des actes manqués ou dans le maniement du puissant levier du transfert il n’en va plus de même avec les instincts et les pulsions.

Tandis que partout ailleurs, il n’est jamais avare de précisions Freud se montre ici paradoxalement flou et changeant. « Nous concevons l’instinct, écrit-il, comme une notion limitrophe entre le somatique et le psychique ». Et en 1933 il fait cet aveu rétrospectif : « La théorie des instincts est pour ainsi dire notre mythologie, les instincts sont des êtres mythiques superbes et indéfinis ».

Ces propos surprenants chez un homme aussi épris de rigueur scientifique traduisent le même malaise qui accompagne son concept de libido censé monopoliser l’ensemble des motivations inconscientes auquel il avait conféré d’abord un caractère strictement sexuel.

Sans compter le défoulement chaotique ayant succédé à l’ouverture de la boîte de Pandore dont Freud serait lui-même aujourd’hui horrifié — lui qui était dans la vie d’une si grande honnêteté et probité — il semble qu’il ait porté à son tour un coup fatal à ce concept de « libido » en essayant d’y intégrer l’instinct « du moi » et puis sur la fin de sa vie l’instinct de mort.

Si ce terme de libido n’était pas devenu la bouteille à l’encre nous l’aurions volontiers repris pour désigner le noyau énergétique primitif et indifférencié de notre psychisme inconscient, dérivé lointain de la structure énergie primitive ayant présidé il y a 14 milliards d’années au saut initial (Ursprung) du jaillissement du cosmos.

C’est ce sens élargi de la libido récusé par Freud que Jung avait adopté. Sans doute tous deux seraient tombés d’accord à reconnaître que cette énergie permise, au départ — non culpabilisable — est appelée à servir de tremplin à notre vie consciente et que par ailleurs l’apprivoisement de ce monde inconscient habillé de nos discours de nos gestes de nos fantasmes qui retentit quotidiennement sur la conduite de notre vie représente la tâche la plus délicate tant en matière éducative qu’en objectif thérapeutique.

C’est ici que s’est insérée notre triple expérience clinique analytique et psychodramatique rapportée dans les Racines de l’homme où sont identifiées à titre d’hypothèse les grandes lignes de forces ou constantes pulsionnelles qui sous-tendent notre vie consciente et que celle-ci serait appelée à assumer.

Nous distinguons alors de la naissance à la mort trois pulsions fondamentales dont nous donnons les définitions permettant de les départager de leur prise en charge consciente.

Ambitio : tendance à nous affirmer, à croître et dominer (différente d’ambition)

Agressio : aptitude à nous opposer à … (le « contre ») destiné à nous garder de toute intrusion ou à vaincre les obstacles à nos choix. Différente d’agression ou hostilité.

Attractio : capacité d’être ému ou attiré par tel ou tel objet au sens le plus large du terme, l’autre sexe, l’enfant, les parents. Régit nos affinités. Distincte de l’amour.

Chacune de ces pulsions à l’âge de raison devrait être prise en charge par l’enfant qui, en pouvant dire oui ou non à ses pulsions, va les personnaliser. Age de la « tenue nécessaire » ou du self control.

Il convient d’y ajouter

— l’assimilation psychique

— l’élimination psychique.

L’ambitio

Cette tendance à s’affirmer, à croître et à dominer existe à tous les échelons de la nature et se situe à la base de l’évolution. Chez le nourrisson, elle entraîne vers le 8ème mois le passage du stade caudocéphalique (des tissus périphériques vers le cerveau) au stade céphalocaudal (où le système nerveux va prendre progressivement en charge tout le reste de l’organisme). Du point de vue corporel on peut considérer que l’ambitio se projette suivant l’axe du rachis et de la colonne musculaire qui le maintient. Chez une danseuse dressée sur ses pointes cet axe va de l’extrémité du gros orteil en longeant la colonne vertébrale jusqu’au vertex. Par ailleurs, cette pulsion aurait tendance à se projet sur le tronc de l’arbre dessiné spontanément au cours du test de l’arbre et de la forêt.

Du point de vue psychique, l’ambitio peut se trouve anormalement développée chez un enfant gâté ayant tendance à devenir un tyran domestique. On peut la déceler dans les rêves de l’adulte : par exemple, chez une standardiste en état psychasthénique rêvant qu’elle était la maîtresse de Napoléon ou bien chez un homme jeune rêvant qu’il assassine De Gaulle (pour prendre sa place). On retrouve l’ambitio dans le comportement explosif de l’adolescent au volant d’une voiture ou de l’adulte qui joue des coudes pour se pousser en avant ; à l’inverse elle reste insuffisamment développée chez le timide volontiers effacé mais qui peut souffrir d’un complexe d’infériorité bien mis en lumière par Adler.

Le schéma des pulsions (A)

1— Pulsion inconsciente :

L’attractio, le besoin d’Être, la nature profonde de l’Être.

2 — Pulsion consciente :

Dans l’équilibre de la nature profonde, l’ambitio, le pouvoir, la réalisation et l’affirmation du MOI.

3 — Pulsion inconsciente :

L’agressio, la protection du MOI. Cette protection doit se réaliser dans l’action et non dans l’agressivité.

schéma B

En cas de blocage de l’état évolutif, l’Être va développer la pulsion consciente d’Ambitio, dans une seule direction créant un Sur-Moi.

L’Agressio n’arrivant pas à couvrir le Sur-Moi développé, il y a agressivité dans l’attitude de défense si un point quelconque du Sur-Moi est contesté par le milieu. De suite, l’Être se sent agressé dans sa nature profonde et répond, non sur les idées, mais sur les individus en portant des jugements de valeur.

L’équilibre des pulsions est garant de la bonne vision des exigences du réel.

Schéma de Gabriel Loison paru dans CoEvolution n° 11, inspiré des travaux de Pierre Bour.

En pathologie l’hypertrophie de l’ambitio peut se voir dans la manie, dans la mégalomanie, dans les délires de grandeur ou dans le narcissisme paranoïaque. La prise en charge consciente de l’ambitio ou ambition, peut être très variable dans sa forme selon les cas ; elle peut être démesurée et monstrueuse comme chez les dictateurs Néron ou Hitler ou au contraire tout-à-fait rectifiée et subordonnée à la générosité jusqu’au don de sa vie dans l’obéissance du moine ou le courage du soldat. Selon la qualité de prise en charge consciente de cette pulsion se dégagera la véritable autorité (étymologiquement du verbe latin « augere » qui signifie « faire croître l’autre » et non pas se développer à ses dépens). C’est cette saine maîtrise de soi dans la véritable autorité qui permet de différencier le souverain respecté qui gouverne dans la paix, du despote qui s’impose avec cruauté. Dans ce domaine de l’ambitio nous pouvons méditer une sage maxime brésilienne : « celui qui n’est pas le plus grand, qu’il essaie donc d’être le meilleur ».

L’agressio

Tout à fait distincte de l’hostilité consciente qui met en jeu son libre usage par chaque personne, l’agressio qui fonctionne un étage plus bas est une force d’opposition inconsciente qui présente une double finalité.

Tout d’abord elle comprend une force de protection susceptible d’assurer nos frontières et d’éviter les intrusions que l’on peut comparer à l’écorce d’un arbre, critère positif du non empiètement au cours des psychothérapies ou dans la vie commune. Par ailleurs, s’y ajoute une force de percussion qui nous rend capables d’agir sur la matière et de la transformer.

Cette force positive chargée de vaincre la résistance de la matière (on n’oubliera jamais que « l’on ne s’appuie que sur ce qui résiste » (mot de Talleyrand)) mais à une condition : celle de ne pas se tromper de cible et de ne jamais viser une cible humaine.

En effet, depuis Caïn, quel gâchis résulte-t-il lorsque les hommes se dressent les uns contre les autres ! Autrement dit, au lieu de s’acharner au « contre-qui » il importe de le convertir ensemble en un « contre-quoi », comme ce dut être le cas des efforts qui présidèrent à l’envoi de la première fusée habitée autour de la lune.

Dans les rêves au travers des scènes ou des images les plus variées, on peut déceler cette force, qui peut se présenter entravée, (le sujet restant poursuivi, paralysé ou enlisé dans un tunnel ou dans la boue sans pouvoir réagir) ou au contraire, défoulée, elle préside à des scènes de revanche ou de combats victorieux. Il n’est pas rare que cette pulsion revête en rêve l’apparence d’un comportement animal, par exemple d’un chien d’abord agressif que le sujet secondairement est capable de maîtriser.

En pathologie, on distingue les syndromes d’auto-agressio, où cette pulsion « rentrée » se retourne contre le sujet lui-même; par exemple, dans le masochisme ou les délires de persécution. Par contre lorsqu’elle se manifeste sous forme d’hétéro-agressio, on la rencontre dans l’impulsivité surtout chez l’adolescent ou dans les délires de revendication chez l’adulte. En ce qui concerne la prise en charge consciente de cette pulsion nous ne saurons trop insister sur la valeur des activités dérivées à valeur exutoire si bien étudiées chez l’animal, en particulier par Konrad Lorenz.

Cette activité dérivée se retrouve en milieu humain dans le recours aux sports pas seulement les arts martiaux ou d’affrontement mais tous ceux qui recourent à un « objet intermédiaire » supportant la décharge (javelot, balle de tennis, criquet, ballon rond ou ovale). Ainsi les Jeux Olympiques que réhabilita Pierre de Coubertin en sont une éclatante illustration et tout effort est à base d’agressio.

L’attractio

Nous définirons cette pulsion d’attractio de la façon suivante : c’est elle qui régit notre capacité d’être ému et attiré par tel ou objet.

Premièrement l’attractio hétéro-sexuée que l’on retrouve chez l’animal de façon très nuancée (certains papillons males sont attirés par la femelle à plusieurs kilomètres de distance), tient une place fondamentale chez l’homme. Celui-ci peut ressentir un coup de foudre dans le métro, dans la rue sans que cela prête à conséquence car cette attractio qui rejoint nos goûts ou nos affinités est tout-à-fait spontanée et caractérisée exclusivement par l’objet attirant. Elle est absolument différente de l’amour qui concerne sa prise en charge consciente et concerne donc le sujet qui aime. Pouchkine exprimait cette différence à sa façon : « Tu me demandes pourquoi je t’aime, pose la question à mon cœur, à lui de te dire pourquoi il t’aime (attractio), à moi de te dire pourquoi je t’écoute (amour) ». Si dans l’amour nous voulons rejoindre l’autre en tant qu’autre, il nous est nécessaire de passer par le point zéro en maîtrisant notre ambitio. Parfois, cela peut nous entraîner jusqu’à une sorte de mort psychologique : nous avons désigné le passage par cette porte étroite sous le nom de « loi du sablier ».

A l’orée de la vie l’attractio maternelle du nourrisson envers sa mère, dépendra pour se déployer sainement, de l’accueil affectif de cette dernière. Les expériences de Harlow sur les singes auxquels on ne présente qu’une mère-robot artificielle démontrent que ces petits périclitent et à un âge adulte seront incapables de s’accoupler.

La mère devra, au cours de cette période de croissance de l’enfant se frayer un chemin entre deux écueils : celui du collage ou celui de l’indifférence.

Dès l’âge de 4 ou 5 ans « au stade nucléaire » se développe l’attractio parentale permettant à l’enfant de se constituer sexué. Dans les cas normaux cette réussite est le double produit d’une identification au parent du même sexe que lui et qui lui sert de modèle, avec d’autre part une attirance envers le parent de sexe différent. C’est l’unité du couple qui représente pour lui un gage d’équilibre et, à l’inverse, les dissociations parentales ont des conséquences variables toujours importantes. L’enfant aura tendance à prélever sur son capital biologique intact deux pôles de renfort, un pôle masculin chargé virtuellement d’apporter à la mère ce qu’elle ne reçoit pas de son conjoint et un pôle féminin chargé d’apporter au père ce qu’il ne reçoit pas de son épouse.

Ce qui peut entraîner dans le cas extrême de la schizophrénie, un véritable séisme psychique ébranlant la personnalité de l’adolescent écartelé par la quête douloureuse de son origine. Parfois survient dans l’inconscient le cas particulier d’une tension de type œdipien lorsque le sujet va rejeter le parent de même sexe que lui non réceptif à ce dynamisme compensatoire et ressenti comme rival.

On trouve l’attractio dans les rêves, tantôt de façon patente lorsque ceux-ci vont dans le sens de la réalisation de désirs inassouvis de rapprochement avec le père, la mère ou tel ou telle partenaire, tantôt par le jeu d’une culpabilité inconsciente, ces rêves de satisfaction prennent une allure fantasmatique déguisée où la représentation symbolique des attributs sexuels tient une place importante que Freud a su déchiffrer avec une perspicacité et une pénétration de détective.

Quant à la pathologie de l’attractio sexuée on peut la trouver mêlée à un trouble de l’agressio dans le sadisme ou le masochisme, elle est déviée de son objet dans l’homosexualité souvent en rapport avec, au stade nucléaire, une impossibilité d’identification au modèle du parent de même sexe, ou un rejet du parent de l’autre sexe. Enfin dans l’érotomanie ou délire érotique, l’objet sexuel est purement fantasmé : il n’existe pas de dialogue puisque le sujet à la fois, fait les demandes et invente les réponses.

Soulignons que les objets d’attractio dépassent largement le domaine sexué, par exemple dans l’attrait de l’amitié, dans l’attrait de la beauté chez l’artiste, dans l’attrait de la vérité objective chez le savant et dans l’attrait de la justice ou de l’amour universel chez le citoyen généreux et capable de se dépasser.

L’assimilation psychique

L’assimilation ou capacité de recevoir, se rencontre aussi bien chez l’enfant tétant sa mère, se tournant dans un premier réflexe vers le sein, puis vers le visage de celle-ci lors de son premier sourire.

L’enfant passera ensuite de la réceptivité intéroceptive ou cénesthésique [1], où la découverte du monde se confond dans un premier temps avec la conscience de son propre corps, à la réceptivité extérioceptive où, progressivement, il va découvrir les objets puis les reconnaître et les désigner.

En ce qui concerne l’assimilation psychique au niveau scolaire, on appréciera une formation faite d’expériences vécues jointes à l’enseignement opposée à une information excessive et tournant au bourrage de crâne, encombrant le cerveau de l’enfant au lieu de la nourrir.

Quant à la mémoire, nous discernerons la mémoire d’engrangement consistant en enregistrements mécaniques (utiles par exemple à l’apprentissage des mathématiques, des langues et de la musique) à une mémoire affective, où la « mouillature émotionnelle » imprime en nous-mêmes profondément tel ou tel événement fut-il une brève scène sentimentale ou psychodramatique et cela pour la vie entière.

Enfin une méthode mise en valeur par Roger Vittoz de Lausanne permet un réapprentissage du contrôle cérébral conscient à base de réceptivité sensorielle, et rend de considérables services, chez les malades instables en proie à une sorte de vagabondage cérébral par défaut de fixation ou de concentration de leur attention.

L’élimination psychique

Cette fonction psychique souvent méconnue ou négligée concerne aussi bien l’apprentissage de la propreté chez l’enfant auquel il est facile de faire prendre conscience de la valeur du triage intestinal et viscéral qui s’exécute à l’intérieur de lui (et dont il peut être félicité), lui permettant de choisir entre les éléments qu’il est capable d’absorber, qui vont s’intégrer à son corps et devenir lui-même, et les matières qu’il va rejeter et qui vont pouvoir entrer dans le cycle de la nature pour nourrir les plantes.

Dans les rêves la fonction d’élimination a été relativement négligée par Freud, mais pas par Robert qui le précéda ; elle est importante car nos cauchemars interviennent dans la régulation de notre psychisme inconscient pour évacuer et éliminer nos craintes. Il semble que Freud avec sa tendance au collectionnisme et sa peur de perdre voulait réduire tous les rêves à des réalisations de désir.

L’embouteillage de cette fonction se retrouve au plan pathologique chez les obsédés et les scrupuleux. D’autre part, lorsqu’il existe des idées fixes ou des « clichés », quelquefois très profondément enfouis et spécifiques pour tel sujet particulier, tel que : « incapable », « indéfendable », « il est trop tard », « je suis fou », etc… ces clichés peuvent être éliminés méthodiquement lorsqu’on a pu les faire affluer sous formes d’images mentales jusqu’au plan conscient.

A ces constantes pulsionnelles il est indispensable d’ajouter les archétypes auxquels nous avons été initiés nous-mêmes par les malades schizophrènes ou psychotiques que depuis 35 ans nous avons réunis en dynamique de groupe autour d’objets intermédiaires à valeur symbolique à savoir les quatre éléments ayant présidé aux synthèses de la vie sur notre planète, la terre, l’eau, l’air et le feu, éléments proclamés par Empédocle comme dissociés dans la haine et rassemblés dans l’amour (rêve de Solange).

Enfin l’épanouissement de ces constantes universelles serait supposé être le fruit de la première éducation de l’enfant. Mais quand celui-ci aurait-il appris de ses parents :

—        à rêver

—        à s’affirmer, à se défendre

—        à respirer

—        à assimiler

—        à éliminer

—        à créer

—        à aimer ?

Aussi doit-on ajouter à la structure dynamique du « ça » ou de l’« ego », la notion chère à René Laforgue de superego constitué par les sédimentations éducatives profondément incrustées dans l’inconscient.

Mais l’expérience nous a appris à distinguer à cet endroit deux parts bien différentes. L’une bien assimilée qui représente en quelque sorte l’héritage culturel de la tribu ou de la famille et qui s’intègre plus ou moins complètement à la personnalité et l’autre d’un tout autre ordre, inassimilée, de l’ordre de la censure, et qui forme comme un couvercle intérieur entravant de façon répressive l’essor de l’un ou de plusieurs de nos élans pulsionnels.

Enfin on tiendra toujours compte dans le dynamisme psychique inconscient, confronté à la psychothérapie, de la force de l’habitude et de l’importance du conditionnement. Ainsi dénouer un nœud ou résoudre un problème figé dans l’inconscient représente le premier temps de toute libération. Or, dans ce domaine aussi sensible que le tissu cérébral et directement relié à celui-ci, ce qui est fait est fait et ce qui n’est pas fait reste à faire. Donc après toute opération il convient de ne jamais adopter une attitude triomphaliste mais plutôt de prévenir le sujet qu’il ne sortira que progressivement de la cage psychique ou le rivait son ancien conditionnement. C’est en tenant compte de cette réalité que, pour des sujets ayant traversé un épisode mental dépressif et éprouvant, seront réunies les meilleures conditions de lutte pour une patiente émergence.

Ainsi ne soyons pas dupes de nos tendances pulsionnelles, les découvrir, les désenfouir, pour bien les apprivoiser c’est la tâche de toute une vie c’est aussi la condition de toute véritable communication. Cependant, au cas où nous aurions la chance de ne pas avoir perdu la clef de notre propre cave, n’oublions jamais d’y descendre la lampe de Diogène pour y chercher un homme.


[1] Cénesthésie : ensemble de sensations vagues que l’homme a de son être et de ses fonctions, en dehors des données fournies par les organes des sens ; cette sensibilité extra-sensorielle dépend du système nerveux végétatif.