Roger Van Malder
La caractérologie au service de la connaissance des Hommes et de soi-même

Nous avons, pour la plupart, la déplorable habitude de projeter sur nos semblables nos propres qualités et surtout nos propres défauts. En agissant de la sorte, nous nous imaginions, bien à tort, que les autres hommes possèdent un caractère égal au nôtre. Comme cela n’est généralement pas le cas, et qu’en plus, nous ne nous connaissons même pas nous-mêmes, la vie en société, le contact avec autrui est le plus souvent une source de conflits et de souffrances.

(Revue Être Libre. No 104-107. Mai-Août 1954)

Nous avons, pour la plupart, la déplorable habitude de projeter sur nos semblables nos propres qualités et surtout nos propres défauts. En agissant de la sorte, nous nous imaginions, bien à tort, que les autres hommes possèdent un caractère égal au nôtre. Comme cela n’est généralement pas le cas, et qu’en plus, nous ne nous connaissons même pas nous-mêmes, la vie en société, le contact avec autrui est le plus souvent une source de conflits et de souffrances.

Est-il possible de mettre un terme à cette situation pénible? Krishnamurti le déclare, mais pour y parvenir, il nous demande de cesser de rechercher la satisfaction personnelle dans nos rapports sociaux, de faire preuve de plus de lucidité dans notre conduite et de comprendre enfin ce processus mental qui nous pousse à analyser et à juger tant les autres hommes que nous-mêmes.

Il est évident que la plupart d’entre nous ne disposent pas toujours de la lucidité voulue pour accéder à une juste et saine compréhension de ces problèmes. C’est la raison pour laquelle nous avons cru utile de mettre en lumière les ressources inestimables que nous offre la caractérologie dans ce domaine.

La caractérologie, qui comme son nom l’indique, est la science de l’étude des caractères, dispose de plusieurs systèmes de classification. L’un des plus intéressants, auquel on a volontiers recours ces derniers temps, est sans doute celui de l’éminent caractérologue français René Le Senne.

A regret, nous avons dû employer le mot classification. En le lisant, la plupart de nos lecteurs auront manifesté sans doute un sentiment de désapprobation bien légitime, et ils se seront demandés si Le Senne divisait cet ensemble complexe et plein d’impondérables que constituent les individus, en catégories nettement délimitées. Nous allons voir plus loin qu’il n’en est rien et qu’au contraire Le Senne est le premier à nous mettre en garde contre pareille façon de procéder.

Précisons tout d’abord, que le caractère constitue pour lui, la structure congénitale que l’individu tient de ses hérédités. Entre ce déterminisme du caractère et la responsabilité de l’action, l’auteur de « La Destinée Personnelle » insère la liberté du moi, et déclare : « Nous ne sommes pas responsables de ce que nous avons reçu de nos hérédités, ni généralement de ce que nous imposent nos situations, mais nous le sommes de ce que nous en faisons ». Le caractère n’est donc que la substructure de la destinée, le terrain de notre vie au-dessus duquel le moi ne constitue pas une nature mais une liberté toute puissante.

Comme nous pouvons le constater à présent, Le Senne ne prétend pas réduire la caractérologie à une classification, et un homme vivant, singulier à une formule. Il ne prétend pas davantage pétrifier un homme dans son caractère, ni méconnaître l’extraordinaire complication de tout individu.

Il importe selon lui de passer du caractère considéré comme une abstraction à ce tout ultérieur de l’individu que nous appelons individualité, quand nous le considérons dans son objectivité, et à la personnalité, quand nous le rapportons à l’activité du moi qui l’a constitué.

Les différents types de caractères ne constituent donc que des abstractions, des repères en vue d’une étude caractérologique.

Quels sont ces types-repères? Pour y arriver Le Senne part de trois propriétés constitutives, fondamentales et variables, qui sont : l’émotivité (E), l’activité (A) et le rentissement de nos représentations qui peut être primaire (P), lorsque la résonnance est immédiate mais superficielle, et secondaire (S), lorsqu’elle est lointaine et profonde. Nous arrivons ainsi au huit types-repères suivants :

les nerveux qui sont des émotifs – non actifs primaires (EnAP) ;

les sentimentaux qui sont des émotifs – non actifs secondaires (EnAS) ;

les colériques qui sont des émotifs – actifs primaires (EAP) ;

les passionnés qui sont des émotifs – actifs secondaires (EAS) ;

les sanguins qui sont des non émotifs – actifs primaires (nEAP) ;

les phlegmatiques qui sont des non émotifs – actifs secondaires (nEAS) ;

les amorphes qui sont des non émotifs – non actifs primaires (nEnAP) ;

les apathiques qui sont des non émotifs – non actifs secondaires (nEnAS).

Résumant la classification de Le Senne, Guy Palmade précise dans « La Caractérologie » que :

le type NERVEUX se caractérise par une primarité émotive qui rend son humeur inégale et ses sympathies peu constantes. Il peut souffrir vivement mais se console assez vite. Sa variabilité affective lui rend difficile la pensée et l’action. Le besoin d’émotions nouvelles lui est essentiel;

le SENTIMENTAL est sensible aux événements extérieurs, mais il a le goût de la solitude ; il est méditatif, fermé, se montre maladroit dans l’action. Le passé a une grande influence sur lui. Il est sérieux et les sentiments moraux se développent facilement chez lui. Intraversif, il est le type caractérologique qui est le plus exposé aux conflits intimes ;

le COLÉRIQUE, au contraire, est caractérisé par son extraversité. Quand il échoue, il réfléchit sur les choses non sur lui-même. Sa primarité affective lui permet la rapidité de réaction, voire l’opportunité et la souplesse. Le colérique est mobile et affairé, toujours au travail, excitable, cordial. Il est sociable, mais a tendance aux manifestations excessives ;

le PASSIONNE, dont le trait fondamental est l’ambition, est souvent un personnage important par son autorité et sa personnalité. Son action enrichie par son émotivité est organisée par sa secondarité. Son influence dans l’histoire humaine est particulièrement importante ;

le SANGUIN est assidu au travail, froid, objectif, décidé et net dans sa façon de parler. Il a du sens pratique et fait preuve d’exactitude dans ses observations. Il est libéral mais égoïste. Il aime le sport et l’activité physique. Il est moins impulsif, moins violent et plus circonspect que le colérique ;

le PHLEGMATIQUE dont la disposition fondamentale serait « le sens de la loi », est sobre, froid, persévérant et tempérant. Il a de la simplicité. Il se montre désintéressé, honorable et digne de foi. Il a beaucoup de ponctualité. Il se caractérise nettement par son égalité d’humeur et une réduction sensible de l’activité manifestée ;

l’AMORPHE est le moins ponctuel des hommes. Il est indifférent aux systèmes sociaux et à la religion. L’amorphe reste étranger aux émotions des autres comme au milieu dans lequel il vit. Il a souvent du talent musical (comme exécutant) ou scénique et on l’a considéré comme un « miroir mimique » ;

l’APATHIQUE, qui peut être considéré comme un mixte d’un sentimental et d’un amorphe, est caractérisé par la persistance des impressions, la diminution des aptitudes, l’honorabilité. Il est fermé, mais n’a pas de vie intérieure intense. A son sujet on a parlé d’« une schizothymie sans intimité frémissante ».

Il est évident que ce trop bref aperçu du système de Le Senne ne peut que donner une vue très limitée de la différentiation des types caractérologiques. Remarquons en passant qu’il s’appuie sur des données statistiques et biographiques importantes, et qu’il suffira pour nous permettre de constater qu’armés de cette connaissance, nous pouvons enfin envisager une meilleure connaissance des autres et de nous-mêmes. Grâce à elle, nous apporterons plus d’objectivité dans nos contacts sociaux et nous éviterons, par une meilleure connaissance du terrain de notre vie, de nous lancer dans ces folles aventures, par lesquelles la plupart d’entre nous essayent de réaliser cet homme idéal et abstrait qui est l’objet de leurs aspirations les plus intimes.

Pour être plus pratiques, nous dirons que le sentimental, par exemple, qui gaspille la plus grande partie de son énergie en émotions souvent stériles, alors qu’il a un urgent besoin de celle-ci pour des activités plus réalistes, se rendra enfin compte, par une meilleure connaissance de ses possibilités, qu’il doit renoncer à vouloir briller à tout prix dans la vie mondaine à laquelle son capital d’émotivité secondaire le rend peu apte. Il comprendra également qu’il est vain dans son cas de vouloir acquérir une musculature puissante par la pratique intensive de la culture physique et des sports violents par lesquels il risque d’hypothéquer dangereusement son cœur et sa résistance nerveuse. Hyposthénique longiligne, le plus souvent, il abandonnera ses exercices aux colériques qui disposent d’un tonus musculaire plus élevé, et leur préférera des exercices de souplesse et de gymnastique respiratoire, Dans un autre domaine, il se rendra compte qu’il est important pour lui de mettre fin à son introspection et à diriger davantage son attention vers l’extérieur.

Le sanguin tentera de comprendre comment il pourra développer son émotivité quelque peu embryonnaire. Par ailleurs, il n’aura plus tendance à considérer l’émotivité des nerveux et des sentimentaux avec le mépris que lui inspire son goût de l’activité. Le sentimental à son tour fera preuve de plus de compréhension pour le comportement combattif des colériques dont l’activité lui paraît bien souvent stérile.

L’amorphe et l’apathique essayeront de réveiller leur émotivité et leur activité…

Bref, chacun essayera de tirer le meilleur parti de ses aptitudes et de parer à ses déficiences caractérologiques propres.

Sur un plan plus vaste, la caractérologie permettra une plus grande objectivité dans notre façon de juger le comportement de certaines nations dans lesquelles prédomine un type caractérologique déterminé.

Nous comprenons le pourquoi des activités mystique, artistique et philosophique, la raison d’être du pacifisme et de l’esprit guerrier inhérents à tel ou tel type.

Nous ne nous étonnerons plus sur nos sympathies et nos antipathies spontanées et nous leur substituerons une attitude plus juste, plus sage.

Ainsi sera enfin rendu possible cet amour véritable dont tout individu doit être dans le monde un centre de rayonnement.

Nous comprendrons, en effet, combien est précaire le mérite que nous attribuons à telle ou telle qualité comme l’intuition, la combativité, le dynamisme, la sociabilité, le sens pratique, la sensibilité, etc… et ainsi notre véritable sympathie ira à ce que chacun aura pu réaliser A PARTIR de la structure congénitale héréditaire que constitue son caractère ; la sympathie vraie, la sympathie caractérologiquement fondée consistant à se mettre à la place d’autrui en éliminant ce qui ne manifeste que le moi. Alors disparaîtront ces sentiments primaires que sont l’hostilité, la jalousie, le mépris, l’adulation et l’attachement, auxquels se substituera une attitude de saine et large compréhension.

Comme on pourra le constater au terme de ce bref exposé, la diffusion de la sympathie caractérologique avec la diffusion de la caractérologie apparaît ainsi comme la condition et de l’intelligence mutuelle entre les hommes, et de leur bienveillance réciproque. Bien comprise, elle constitue la clé et le centre de la connaissance des hommes et de nous-mêmes.

Roger VANMALDER

RECTIFICATION

J. J. Poortman, de La Haye, nous ayant communiqué que le système de classification caractérologique dont question dans l’article de R. Vanmalder, intitulé « Caractérologie et Connaissance de Soi » n’est pas dû à R. Le Senne, mais à Heymans et Wiersma, l’auteur de l’article nous prie, par cette voie, de faire savoir à notre aimable correspondant qu’il n’est jamais entré dans ses intentions d’attribuer la paternité du système précité à Le Senne, Dans son esprit il s’agissait de la classification dont faisait usage Le Senne, puisque c’est de lui qu’il est question tout au long de l’article. Il est tout à fait exact que la classification dont question a été empruntée par Le Senne à G. Heymans et E. Wiersma. Le Senne le déclare d’ailleurs clairement. L’auteur déclare pour le surplus se faire un devoir et une joie de préciser que cette classification, aussi dite « de Groningue », et publiée en 1908, est basée sur une enquête biographique faite sur 110 personnalités, pour la plupart criminelles ou historiques, et sur une enquête statistique, basée sur un questionnaire envoyé par les deux professeurs hollandais à 3.000 médecins d’Allemagne et des Pays-Bas.