M. Nicolai
La doctrine de la réincarnation Sa vraie signification

Toute doctrine présente un écueil pour le progrès humain. Elle a trop souvent le défaut de s’incruster dans la conscience qu’elle maîtrise. En général, elle y forme barrage à l’expansion normale de la vie, car celle-ci, sachons-le bien, doit s’exprimer pour remplir son rôle par les facultés agissantes d’esprit et de cœur de l’individu.

(Revue Spiritualité. No 48-49. Novembre-Décembre 1948)

Toute doctrine présente un écueil pour le progrès humain. Elle a trop souvent le défaut de s’incruster dans la conscience qu’elle maîtrise. En général, elle y forme barrage à l’expansion normale de la vie, car celle-ci, sachons-le bien, doit s’exprimer pour remplir son rôle par les facultés agissantes d’esprit et de cœur de l’individu.

Dès que celui-ci admet l’indiscutabilité de la doctrine non assimilée, il s’abandonne à la tendance de s’y référer pour s’exprimer et, pendant ce temps, il laisse sommeiller ses facultés. Il ne pense plus par lui-même. Sa conscience est devenue un simple réflecteur des idées d’autrui. Ainsi peut-on s’expliquer que tant de gens deviennent des partisans déterminés de sectes religieuses, de clans politiques ou sociaux; mieux que cela, des instruments dociles aux mains d’autorités ou de gens abusant de l’ignorance des masses qu’ils influencent sciemment, en leur présentant certaines doctrines, sujettes à caution, comme étant des vérités indiscutables.

Certes, il existe des degrés dans la puissance de ces influences. Elles n’ont pas toutes une nuisance égale. Elles peuvent même se limiter à de simples dommages, non prémédités pour l’évolution normale de l’homme. Tout dépend de l’attitude de l’individu envers la doctrine.

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La doctrine de la réincarnation, par exemple.

On peut l’admettre comme un fait vraisemblable, au nom de la logique — nous allons expliquer pourquoi —, non pas parce que d’antiques et vénérables écritures nous la présentent comme une réalité.

On peut l’admettre provisoirement, en adoptant vis-à-vis d’elle l’attitude des savants qui considèrent les doctrines scientifiques comme de simples hypothèses. Attitude qui leur a permis de faire des découvertes merveilleuses, de rectifier sans cesse les données de ces doctrines; attitude qui transposée sur le plan de la doctrine de la réincarnation, pourrait donner aussi les meilleurs résultats. C’est du moins notre avis.

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Elle nous parait tout d’abord liée à la question du rythme, des cycles qui en dérivent, dont la Nature nous fournit tant d’exemples : le cycle des jours et des nuits, le cycle des saisons, les cycles solaire, lunaire et planétaires; le cycle des marées; les cycles de croissance, d’apogée et de déclin de tous les êtres vivants, des groupements, des nations, des races, des civilisations.

Si nous portons toute notre attention sur ces cycles, nous voyons tout de suite qu’ils se ramènent toujours à l’expression de périodes successives et rythmiques d’activité et de repos. C’est là une loi générale s’appliquant à toute la création.

Dans quel but ?

Cette question, l’homme omet, en général, de se la poser; ou bien son esprit préconçu lui fournit une réponse qu’il pense définitive. Devenu un automate que l’autorité influence et exploite, il ne remarque même pas les phénomènes que nous venons de citer, ou bien il n’y accorde aucune attention. Il en accepte la répétition par le simple jeu de l’habitude qui l’endort. Il en admet, sans discussion, l’interprétation faite par la dite autorité. Cette croyance aveugle en l’autorité n’est pas sans danger pour lui.

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Dans les pays orientaux, où l’on croit fermement à la doctrine de la réincarnation, l’individu postpose généralement dans le futur les efforts qu’il devrait faire dans le présent. Il néglige ainsi, durant sa présente période de vie ici-bas, de faire fructifier ses énergies latentes; il laisse passer les occasions d’agir, d’accomplir des actes utiles, il végète sous le poids d’une fatalité qui n’est que l’effet d’une doctrine, acceptée les yeux fermés.

Pour l’occidental, c’est, au contraire, une hérésie que de croire à la doctrine de la réincarnation. Les Églises et leurs fidèles, ainsi que les matérialistes, sont tous d’accord là-dessus. L’attitude de l’occidental est-elle plus sage que celle de l’oriental ? A voir l’immense chaos qui déferle d’un bout à l’autre de la Terre, qu’il est impuissant à réprimer, ne devrait-il pas remettre en question ses conceptions au sujet du problème de la vie et en rechercher tous les aspects ? Ses échecs retentissants devraient, c’est bien certain, le contraindre à plus d’humilité.

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Qu’il veuille, par exemple, se demander la raison de la règle de l’alternance ou du rythme, à l’œuvre partout où la vie est en action; du rythme qui se manifeste dans les mondes éthérés, comme dans le monde matériel; du rythme qui révèle sa présence dans les oscillations lumineuses, magnétiques et électriques, comme dans les battements du cœur humain; du rythme, dont le droit et le devoir, qui vont de pair dans une société ordonnée, nous fournissent un exemple frappant, le droit et le devoir n’étant que les expressions, sur le plan humain, des forces centripète et centrifuge, partout à l’œuvre dans la Nature et partout interdépendantes là où règne l’harmonie.

Pareille enquête faite avec le désir sincère de voir plus clair dans ses problèmes mettrait sûrement l’homme sur une voie nouvelle qui le conduirait plus vite à sa libération. Il n’aurait plus à répéter sans cesse des expériences douloureuses qui ne sont rien d’autre qu’une continuelle réincarnation d’erreurs qu’il commet par aveuglement. Il n’aurait plus à gaspiller ses énergies, ce qui l’oblige à de perpétuels recommencements.

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Est-ce que la doctrine de la réincarnation ne serait pas tout entière incluse dans ce concept?

A tout esprit réfléchi, il paraît bien évident que le problème de la réincarnation ne se pose qu’à ceux qui ne tiennent aucun compte des grandes Lois de la Nature, qui les violent par ignorance, qui s’écartent ainsi du chemin conduisant au but de la vie, lequel est, répétons-le, libération. Libération de quoi ?

Dans l’immédiat, libération des misères de toute sorte que l’homme attire sur lui et ses semblables en méconnaissant l’ordre naturel des choses, basé sur l’Unité, laquelle est visible, pour l’œil exercé, à travers les manifestations de la vie diversifiée. Unité qui, mieux comprise, ferait reculer l’égoïsme humain au profit de l’altruisme. Unité qui implique la justice pour tous, le dévouement de chacun à la cause commune, la concorde et la paix entre tous les hommes.

Dans un futur que nous pouvons rapprocher de nous, libération de la vie terrestre infernale, à laquelle nous resterons enchaînés, tant que nous n’aurons pas compris que les séparations entre notre semblable et nous sont factices, tant que nous n’aurons pas dominé notre égoïsme qui nous empêchera toujours d’être fraternel.

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En formulant cette conclusion, nous ne posons pas une nouvelle doctrine. Nous exprimons le résultat de nos expériences vécues, en avertissant le lecteur qu’il n’a de chances de se libérer de son égoïsme ­ le plus grand ennemi de l’homme — qu’en se concentrant lui-même sur ses propres problèmes, à la faveur de ses expériences et surtout des souffrances que celles-ci lui occasionnent, souffrances dont il cherche à s’évader, perdant ainsi l’occasion d’en comprendre le sens profond.

Vivre intensément dans le présent, saisir à cette fin toutes les occasions d’agir avec à-propos qui s’offrent à nous, en mettant en œuvre avec intelligence nos facultés d’esprit et de cœur, lesquelles doivent toujours marcher de pair, tel est le moyen sûr de nous rapprocher du but de la vie, de faire en sorte, par conséquent, que la réincarnation cesse d’être un problème pour nous.

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En conclusion, ce problème se résume à un problème de conduite. Dès que nous découvrons les données de celui-ci, nous avons en mains les clés de notre libération.

A nous de faire jouer ces clés, c’est-à-dire, d’utiliser intelligemment ces données, avec le désir sincère de devenir meilleur, d’être un facteur d’union dans le monde.

Par le fait même, nous résolvons le problème de la réincarnation, en en faisant disparaître les causes qui sont en nous, nulle part ailleurs.

M. NICOLAI