Frédéric Lionel
La haute Alchymie d’où naîtra l'homme nouveau

Toute mission comporte un engagement libre­ment consenti et découle d’une vocation qui doit être reconnue. La confusion du monde moderne fausse les données indispensables de cette reconnaissance. La technologie contemporaine devrait être au service de l’homme, sans susciter la crainte de lui donner les moyens de faire sauter la planète. Les fausses notions foisonnent et […]

Toute mission comporte un engagement libre­ment consenti et découle d’une vocation qui doit être reconnue. La confusion du monde moderne fausse les données indispensables de cette reconnaissance. La technologie contemporaine devrait être au service de l’homme, sans susciter la crainte de lui donner les moyens de faire sauter la planète.

Les fausses notions foisonnent et servent de justi­fication à des choix dictés par des considérations théoriques, sociologiques, politiques ou pseudo-philosophiques, autrement dit, par des idéologies érigées en dogme.

L’homme confronté à des problèmes qui dépas­sent sa compétence, voit sa perplexité croître et, à défaut de sérénité que donne la paix intérieure, il oscille entre Charybde et Scylla, entre bâbord et tribord, du navire qui porte son destin, sans pour autant changer de cap.

La dualité existentielle l’aveugle. Il ignore que au-delà d’elle une Réalité transcendantale révèle une Loi fondamentale qu’il est appelé à découvrir pour s’y conformer. Il n’y parviendra qu’en se libérant de toutes les barrières psychologiques que dressent les idées toutes faites, les réactions intempestives et les pré­jugés issus de croyances dont il faut se débarrasser pour pouvoir maîtriser son destin. C’est certaine­ment à ces barrières que songeait Goethe, en mettant dans la bouche de Faust ces paroles : « Celui-là seul mérite la liberté, qui sait la conqué­rir chaque jour. »

Il faut constamment se rendre à l’évidence qu’à défaut de sérénité on réagit au lieu d’agir en fonc­tion d’un libre choix. « Le libre choix n’est-il pas un leurre ? » s’écrient les timorés évoquant la fatalité ou le karma, mot sanskrit désignant les énergies d’accomplissement se manifestant comme effets de causes suscités malgré soi.

Des affirmations de ce genre, basées sur des notions mal assimilées sont à l’origine d’interpré­tations erronées du terme « liberté ». On lui attribue une valeur politique ou sociologique, quant au fait il s’agit d’une valeur métaphysique. On confond la liberté avec la licence et on s’efforce de fanatiser les masses en prétendant vouloir les défendre. Politiciens, syndicalistes, dictateurs, révolutionnaires de tous bords l’inscrivent sur leur bannière pour mieux la supprimer lorsqu’elle s’avère contraire à leurs intérêts.

A défaut d’idées justes, des mots font l’affaire. On clame vouloir la paix sans être pacifiés, en oubliant que la guerre ne fait que surgir au grand jour les contradictions qui habitent chacun. On se bat, on s’entretue et rien n’est résolu. Les conflits subsistent à l’état latent et on oublie que même en s’opposant avec violence à la guerre, elle éclate du fait même de cette violence, génératrice d’affrontements.

Se déclarer pour ceci ou contre cela ne fait qu’accentuer une opposition stérile. Discerner les causes qui engendrent l’affrontement, sans pour autant se laisser emporter par des réactions impul­sives, c’est pouvoir les éliminer en faisant preuve de sagesse.

L’action juste s’impose d’elle-même. Elle peut parfois paraître sévère, mais d’une sévérité qui découle de la compréhension et non d’une réaction. Une telle compréhension entraîne une ferme réso­lution qui, mieux que le branle-bas des armes, découragera l’éventuel agresseur.

A défaut de reconnaître son rôle et sa raison, l’homme occidental cherche, dans l’agitation, un exutoire à son angoisse. Il attend tout de l’extérieur, préférant se soumettre à une organisation étatique, pour clamer ses droits et oublier ses devoirs, refusant d’accepter ses responsabilités. Il s’abandonne, ainsi, de plus en plus à une tentaculaire emprise bureaucratique en abdiquant son individualité.

En créant les organisations, les hommes se plient à leurs impératifs qu’ils cherchent, par la suite, à conserver par crainte d’avoir à prendre des initia­tives dont ils ont perdu le goût.

Ils revendiquent et les groupes socio-profession­nels s’opposent les uns aux autres à l’intérieur des nations. On cherche des boucs émissaires et le terrorisme fleurit. On s’épuise en vaines luttes et on établit de fausses trêves basées sur de fausses notions, sur de faux droits et sur une fausse liberté.

On se passionne pour de faux problèmes et on invente de fausses justifications, qui sont autant de faux-fuyants. Effusion de sang et effusion de larmes ravinent les champs où la passion et les croyances s’affron­tent. Les croyances puissamment armées de théories et de systèmes se mesurent en un incessant tournoi et les antagonistes invoquent à tour de rôle la justice de Dieu, des prophètes et des saints pour camoufler leur désarroi, leurs doutes et leur volonté de puissance.

Un brouillard épais pèse sur le monde, mais le monde est celui des hommes, et les hommes ont le choix de leur sort, à condition d’assumer leur humanité. Elle les engage à méditer l’avertissement de Lao Tseu, le sage Chinois,qui déclare : « Pour triompher d’autrui, il faut avoir la force. Pour triompher de soi, il faut être fort. »

« Tout n’est que trame et machination, s’écrie Don Quichotte. Je n’y puis mais… » Que si ! Mais seulement en pleine liberté inté­rieure, qu’il n’est possible d’atteindre qu’en dépas­sant la condition corruptible de la nature.

C’est à quoi tendent les différentes méthodes auto-réalisatrices qui, de nos jours, connaissent un essor croissant en Occident. Le Yoga, la méditation, les exercices de relaxation, les thérapeuties respira­toires, sans omettre la prière, à condition de lui attribuer une valeur métaphysique, conduisent, lorsqu’ils ne sont pas pratiqués dans un but d’effi­cacité, vers un autre état de conscience.

La vocation de l’Occident est de le promouvoir, non comme fin en soi, mais comme une plate­forme du progrès. Le progrès ne pourra s’épanouir qu’en fonction de cet autre état de conscience, donc par une muta­tion alchymique, dans le sens noble du terme. La Haute Alchymie d’où naîtra l’homme nouveau est à la portée de l’homme moderne, à condition d’oser abandonner ses mécanismes de pensées périmées. A condition de comprendre que chaque chose mène à toutes les autres lorsqu’on découvre le fil qui éta­blit la relation. A condition de vouloir ce qui est inscrit dans le Grand Plan de l’Évolution, à condi­tion d’être intérieurement silencieux, sourd au bruit dissonant de l’agitation du monde.

Alors, il saura écouter la voix qui sourd des profondeurs de l’Être. La voix du maître intérieur, celle de la conscience éveillée, reflet de la conscience cosmique.

« Regarde en dedans de toi, recommandait Marc Aurèle, le sage empereur des Romains, et tu trou­veras la source du vrai bonheur, source intarissable si tu creuses toujours. »

Les quatre maîtres mots : oser, comprendre, vou­loir et se taire, résument l’essentiel d’un humanisme qui ne peut exister qu’en pleine liberté, puisqu’il implique l’harmonie qui résulte de la découverte intérieure débouchant sur la juste façon d’accom­plir son périple terrestre ; par l’harmonie, chaque chose trouve sa place et on peut assigner sa place à chaque chose.

La Haute Alchymie postule une mutation permet­tant de manifester l’intelligence profonde, celle dont les racines plongent au cœur de l’Être. Au centre de l’âme humaine se réfugie le mystère des choses, tant physiques que spirituelles. L’âme humaine participe essentiellement à l’Âme du Monde, métaphore poé­tique pour désigner le mouvement de la Vie qui, par un gigantesque systole et diastole, rythme l’existence.

Au centre de l’âme humaine s’ouvre le grand livre de la Connaissance. Pour le feuilleter, il faut franchir une première étape, celle de la Connais­sance de soi. Il s’agit, à écouter Démosthène, d’un précepte divin.

Sainte Thérèse d’Avila en était consciente, en affirmant qu’il serait folie de s’imaginer qu’on puisse entrer au Ciel sans entrer auparavant en soi-même pour se connaître vraiment.

Ayant réussi cette plongée, on aborde une deuxième étape, qui débouche sur une façon diffé­rente d’apprécier l’existence. Ce qui semblait important perd de son impor­tance, ce qui semblait accessoire apparaît primor­dial, bref, les relations visibles et invisibles avec le monde ambiant, se transforment par une compré­hension génératrice d’amour, non dans le sens d’une générosité, mais dans le sens d’une fraternité vivante établissant un lien entre le monde ambiant et soi-même.

La troisième étape se confond avec l’illumination, clef de voûte de la grande aventure humaine sur Terre. Il n’est guère possible de décrire cet état d’Être que connaît le mystique, mais que nous sommes appelés à connaître lorsque viendra l’heure.

Trois étapes, trois coctions, dira l’alchymiste en évoquant la Table d’Émeraude sur laquelle les hiérophantes gravèrent, pensait-il, la somme de la Science « Royale », la science qui permet de « sépa­rer l’éphémère de l’éternel ».

Ce pouvoir postule un mental en repos et un tympan insensible au bruit du monde. L’oreille intérieure percevra, alors, le message du Verbe enfoui dans les ténèbres de l’inconscient, le message de la Vie qui anime l’Être.

Le dessein supérieur de l’existence s’inscrit dans l’évolution des choses et correspond à l’évolution des œuvres humaines. La variété infinie des combinaisons physiques, chimiques, biologiques et spi­rituelles offre à l’homme un jeu sans limites de contemplation et de méditation, débouchant sur l’action créative, source de joie et de bonheur.

La Haute Alchymie, qui postule l’abandon de toute croyance, de tout préjugé, de tout conditionnement faisant obstacle à la claire compréhension des êtres, des actes et des choses, façonnera la matrice d’où naîtra l’homme nouveau, l’homme éveillé, puisque conscient de l’essentiel.