Hazrat Inayat Khan
La loi du rythme

Pour connaitre le rythme, on doit développer le sens du rythme. Combien il est facile de le remarquer quand on a une légère douleur ! Par exemple, une congestion cause une maladie ; mais qu’est-ce que la congestion et quel est son effet ? Elle arrête le rythme. Le rythme avec lequel circule le sang est arrêté par la congestion ; c’est ce qui provoque la maladie. Par la régularité, on maintient le rythme en tout ce qu’on fait et l’être dont le rythme est irrégulier se trouvera toujours perdu ; il ne pourra rien accomplir parce qu’il manquera de rythme.

(La pensée Soufie. No 59-60. 1979)

(Philosophie Chapitre VIII)

La loi du rythme est une grande loi cachée derrière la nature. Elle est cette loi par laquelle toute forme est créée et toute condition se manifeste à la vue. La création n’est donc pas seulement et sans restriction un phénomène de vibrations. S’il n’y avait pas de rythme si ce n’était pas pour la loi du rythme, nous n’aurions pas de formes distinctes et de conditions intelligibles. Il n’y a pas de mouvement dépourvu de son et il n’y a pas de son dépourvu de rythme. Pour montrer le rythme, point n’est besoin d’un chef d’orchestre ni d’une baguette pour battre la mesure ; il nous suffit d’agiter la main. Divisez un et c’est deux ; doublez un et c’est deux. Cela montre qu’en un il y a deux ; cela prouve que la dualité vient de l’unité.

Puis, si nous y regardons d’un autre point de vue nous verrons que la dualité n’est rien d’autre en fait que l’unité, autrement dit que deux est un. Le point le plus intéressant est que, dès que nous voyons deux, chacun des deux prend tout de suite à nos yeux une position différente et particulière. C’est clair en ce qui concerne l’homme et la femme, mais aussi la main droite et la gauche chacune présentant un pouvoir particulier et une fonction particulière ; le pied droit et le pied gauche ont aussi chacun leur place particulière dans la vie. Le pied droit est distinctement différent du pied gauche, de même que la vue des deux yeux n’est pas semblable. Un œil est toujours meilleur et plus fort que l’autre ou au moins différent de l’autre et s’il n’y avait pas de différence entr’eux, les yeux ne seraient pas un instrument approprié à la vue. S’il n’y avait pas de différence entre le pouvoir et la force du coté droit et du coté gauche de l’homme il ne pourrait pas vivre.

C’est la différence qui cause la dualité et c’est la dualité qui maintient 1’existence des choses. On peut voir l’aspect le plus subtil de ce phénomène clans le rythme musical. Quand nous disons : « un, deux ; un, deux » nous comprenons alors ce qui nous fait mettre l’accent sur le un et ce qui rend le deux comme un écho, une réflexion, quelque chose qui répond au un. Et supposons que nous ne disions pas « un-deux » mais seulement : « un, un, un, un, un » tous avec la même force d’accentuation, nous n’en serions pas satisfaits. Nous ne sentirions aucun rythme jusqu’à ce que le un devienne accentué et que le deux – ou quoi que nous disions ensuite, le suive ; cela devient alors parfait. Nous voyons la même chose se produire dans l’action de la marche qui s’accomplit par les deux jambes ; si nous pratiquons la marche sur une seule jambe, nous trouverons dans le rythme quelque chose de perdu.

Cela prouve que le rythme est une loi cachée de la nature. Le lever et le coucher du soleil, la naissance et la décroissance de la lune, les changements réguliers des mares et le va-et-vient des saisons, tout présente le rythme. C’est le rythme qui fait le vol des oiseaux, c’est par le rythme que marchent les créatures de la terre.

Si nous fouillons profondément cette science du rythme, nous trouvons que c’est lui qui détermine la façon dont est constituée une certaine chose. Qu’elle soit triangulaire, carrée, ronde ou à cinq pointes, ou qu’il lui ait été donne quelqu’autre forme géométrique, la raison cachée derrière sa forme est le rythme du pouvoir qui l’a créée. C’est le rythme qui est la cause de sa formation.

Les formes harmonieuses sont la manifestation d’un bon rythme et les formes inharmonieuses sont celles d’un désordre dans le rythme. Les couleurs comme le bleu, le vert, le rouge et le jaune apparaissent distinctes et différentes pour la raison même qu’une couleur particulière vibre en accord avec un certain rythme, et c’est ce rythme qui donne aux couleurs l’apparence qui nous les fait distinguer.

La loi du rythme se trouve derrière le beau et le mauvais temps, et c’est l’influence du temps, beau ou mauvais, qui agit sur les êtres vivants créant dans leurs vies un résultat analogue. Le beau temps donne aux êtres vivants un rythme désirable et le mauvais temps amène un résultat indésirable pour leur santé. Il ne serait donc pas exagéré de dire avec les anciens yogis que la naissance et la mort, aussi bien que l’espace limité de temps qui sépare la naissance de la mort sont l’aboutissement d’un certain rythme fixe. Et si nous approfondissons un peu plus cette idée, nous verrons alors, comme l’ont vu les anciens yogis, qu’en contrôlant ce rythme, on peut prolonger sa vie, et qu’en le négligeant, on peut aussi l’écourter.

Pourquoi la musique qui accentue le rythme donne-t-elle à tous le désir de danser ? Les chevaux même commencent à bouger au rythme de la musique de cavalerie. Même les soldats les plus abattus et déprimés se sentent remontés lorsqu’ils entendent le rythme martelé d’une marche militaire. L’enfant se calme lorsque la mère lui donne de petites tapes sur le dos : la mère qui n’a pas la connaissance du rythme donne intuitivement du rythme au corps de l’enfant.

En agitant la main au départ d’un ami, nous lui donnons contre le regret ou le chagrin, un rythme que nous lui laissons pour le maintenir rythmique sur tous les plans de vie.

Ce qui nous attire ou nous repousse dans un être est très souvent son rythme. Un homme est rythmique et son influence est apaisante ; un autre est hors de rythme et il indispose tout le monde. N’avons-nous pas tous entendu une servante dire à un moment ou à un autre :  » toutes les fois que je vois la cuisinière, je suis hors de mes gonds  » ?

Pourquoi le rythme doit-il avoir une telle influence sur nous ? Parce que nous sommes rythme nous-mêmes. Le battement de notre cœur, la pulsation de nos artères dans le poignet ou la tète, notre circulation, le travail du mécanisme entier de notre corps est rythmique et quand le rythme est gênés viennent alors le désordre et la maladie ; tout malaise, chagrin et déception suivent l’interruption du rythme.

Quand nous regardons cette question au point de vue symbolique, nous trouvons que nos gains et nos pertes, nos succès et nos échecs ont beaucoup à faire avec le rythme par lequel nous poursuivons notre mobile dans la vie. Cette vérité se trouvera toujours que lorsque l’homme ne prend pas garde au rythme, qu’il agisse bien ou mal, avec droiture ou fausseté, dans les deux cas un mauvais rythme le fera échouer ; car le rythme est non seulement une loi à laquelle la nature est assujettie mais il maintient les choses comme elles sont et leur donne ainsi qu’aux êtres le pouvoir de continuer à vivre et à progresser.

Pour connaitre le rythme, on doit développer le sens du rythme. Combien il est facile de le remarquer quand on a une légère douleur ! Par exemple, une congestion cause une maladie ; mais qu’est-ce que la congestion et quel est son effet ? Elle arrête le rythme. Le rythme avec lequel circule le sang est arrêté par la congestion ; c’est ce qui provoque la maladie. Par la régularité, on maintient le rythme en tout ce qu’on fait et l’être dont le rythme est irrégulier se trouvera toujours perdu ; il ne pourra rien accomplir parce qu’il manquera de rythme.

Le rythme est un grand mystère et un sens qu’on devrait développer plus que n’importe quoi d’autre dans la vie. Mais si on devait expliquer ce qu’est le bon rythme de travail et de repos, toute la manière de vivre de l’Occident serait en question ; car lorsque nous la considérons au point de vue du rythme et de l’équilibre, il y a beaucoup trop d’activité dans la vie en Occident. Cela rendrait anormal n’importe qui. Les mauvais effets de ce comportement se font continuellement sentir, mais depuis que les gens sont tellement absorbés par la vie, ils ne sont plus capables de se rendre compte à quel point ils souffrent de ces mauvais effets. Néanmoins, avant qu’il soit longtemps, viendra un moment où les gens réfléchis commenceront à comprendre que ce problème a été par trop négligé. Et quelle en a été la cause ? Cette vie de compétition. Toute cette misère est causée par la compétition. Les gens font les choses non pour leur propre plaisir ou le plaisir de Dieu, mais pour entrer en compétition avec un autre.

La loi du rythme peut être considérée comme gouvernant quatre actions : le rythme bon ou mauvais dans le sentiment, la pensée, la parole et l’action. Non seulement la haine, mais même l’amour qui n’est pas maintenu par le rythme faillira ; sans égard pour le rythme, non seulement une mauvaise pensée, mais même une bonne pensée se prouvera désastreuse. Non seulement la parole fausse mais même la parole vraie qui manque de rythme se prouvera fatale ; non seulement une mauvaise action, mais même une bonne action dépourvue de rythme ne sera pas à sa place. Avec celui qui est mauvais, même si nous faisons bien, cela tournera parfois en mal ; par exemple lorsque nous disons à un être en colère et qui vient de se quereller : « vous avez mal fait ». En le lui disant, nous lui avons donné une bonne pensée mais nous avons fourni du combustible à sa colère de sorte qu’il peut se battre avec nous aussi. On voit souvent que lorsque deux individus se battent et qu’un troisième les approche avec les meilleures intentions, les deux premiers se retournent contre lui et cela en fera trois qui se battront en même temps.

Chaque plan de l’être humain dépend des autres plans. Par exemple, si le corps a perdu son rythme, l’esprit s’en ressent ; si l’esprit a perdu son rythme, le corps va mal ; si le cœur a perdu son rythme, l’esprit est troublé ; si le rythme de l’âme est perdu, alors tout va mal, dire que la vertu d’un pécheur est péché et que le péché de l’homme vertueux est vertu est une affirmation extrême, mais cela ne serait pas exagéré.

Le rythme de l’âme est influencé par le mental et par l’action. L’âme n’a pas maintenu son propre rythme. Comme en un sens plus élevé, l’âme est pure de tout ce qui peut être distingué et divisé, on pourrait demander alors comment il est possible que le rythme de l’âme soit perdu ? Mais si nous voyons notre ami en grande peine, nous nous sentirons aussi dans la peine. Ce n’est point parce que nous avons nous-même de la peine ; nous la sentons seulement parce que notre ami est dans la peine et qu’elle se reflète sur nous. L’âme            n’est pas sujette à un bon ou à un mauvais rythme, mais un bon ou un mauvais rythme peuvent se refléter dans l’âme. Par exemple, si quelqu’un dit d’une certaine chose que c’est laid, ce qui est laid est en dehors de lui. Alors pourquoi sent-il l’inconfort ou la laideur ? Parce que cela se reflète sur lui. Sur le moment tandis qu’il regarde ce qui est laid, cette laideur est dans ses yeux et dans son esprit, exactement comme notre image n’est pas gravée sur un miroir lorsque nous sommes en face de lui ; elle s’y reflète seulement et elle y restera tant que nous demeurerons devant lui. Ainsi l’âme peut expérimenter la misère ou l’infortune, un mauvais rythme ou un bon rythme mais quand nous nous éloignons l’âme en est de nouveau libérée.

Pour maintenir une condition parfaite dans la vie, on doit être maitre du rythme.

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Pensées du VADAN de HAZRAT INAYAT

L’art sans beauté, la poésie sans inspiration, la musique dépourvue de sentiment, la science sans raison, la philosophie sans logique, la religion sans dévotion, le mysticisme sans extase sont comme un lac sans eau.

Une plaisanterie sans esprit, un discours sans signification, des larmes sans romanesque, un savoir sans sagesse, une situation sans honneur, un cœur sans amour une tète sans pensée, sont comme l’espace sans l’air.

Un homme sans courage viril, une femme sans grâce-féminine, un enfant sans enfantine simplicité, un petit enfant sans innocence enfantine, un amant sans sacrifice volontaire,  un adorateur sans l’idéal de Dieu, un donateur sans une grande modestie sont comme un roi sans royaume.