Claudine Brelet-Rueff
La médecine sacrée en Égypte

En Égypte, science et religion sont étroitement liées. Les médecins-magiciens ne prétendent pas être les auteurs des incantations et des exorcismes, des préparations médicamenteuses ou autres techniques thérapeutiques : ils apprennent leur science et leur puissance dans les « Maisons de Vie », sortes de temples-universités, léguées directement par Thot, le dieu compatissant que Râ, le dieu soleil, chargea de protéger l’humanité. Leur savoir leur vient directement des dieux.

(Revue Question De. No 5. 4e trimestre 1974)

La médecine égyptienne, pour une bonne part encore inconnue de nos jours, était auréolée de la gloire et de l’énigme des dieux, mais elle était également, et dès le IVe millénaire avant notre ère, une science précise, infiniment nuancée. Les thérapies de l’âge pharaonique peuvent nous étonner, mélanges de précisions objectives et de formules magiques. Cependant, elles recèlent déjà tout le devenir médical de la Grèce et de Rome, et de Rome jusqu’à nous. L’article nous informe ici de ce qu’était l’univers médical égyptien.

En Égypte, science et religion sont étroitement liées. Les médecins-magiciens ne prétendent pas être les auteurs des incantations et des exorcismes, des préparations médicamenteuses ou autres techniques thérapeutiques : ils apprennent leur science et leur puissance dans les « Maisons de Vie », sortes de temples-universités, léguées directement par Thot, le dieu compatissant que Râ, le dieu soleil, chargea de protéger l’humanité. Leur savoir leur vient directement des dieux.

« Je suis sorti d’Héliopolis avec les Grands des temples (les dieux), ceux qui détiennent la protection, les seigneurs de l’éternité… Ils m’ont donné leur protection ; j’ai des formules qu’a faites le Maître universel (le dieu soleil, Râ) pour faire disparaître la douleur causée par un dieu ou une déesse, par un mort ou une morte… et qui est dans ma tête, dans mes vertèbres, dans mes épaules, dans ma chair, dans mes membres, et pour châtier le Calomniateur (le diable), le chef de ceux qui font entrer le désordre dans ma chair et la maladie dans mes membres, comme quelque chose qui entre dans ma chair, ma tête, mes épaules, mon corps, mes membres. J’appartiens à Râ. Il a dit: « C’est moi qui protégerai le malade contre ses ennemis. Ce sera Thot son guide, lui qui fait parler les écrits et qui est l’auteur des formules; il donne l’habileté aux savants et aux médecins-magiciens, ses disciples, pour soulager de la maladie celui que Dieu désire maintenir en vie. » »

Ce texte provient du papyrus Ebers[1], document le plus célèbre sur la médecine égyptienne et qui fut exhumé à Thèbes.

Comment on devient médecin

Hérodote écrit: « La médecine est si sagement distribuée en Egypte qu’un médecin ne s’occupe que d’une seule espèce de maladie et non de plusieurs. Tout y est plein de médecins: les uns pour les yeux, les autres pour la tête, ceux-ci pour les dents, ceux-là pour les maux de ventre, d’autres, enfin, pour les maladies Internes. »

Ceci est sans doute valable pour la période des Ptolémées. Mais, dans les périodes anciennes, les médecins les plus réputés n’étaient pas des spécialistes et ils pratiquaient la médecine conjointement à la magie.

Si, les temps des Pharaons ne connaissaient pas la spécialisation du médecin, il existait néanmoins des traités spécifiques pour chaque catégorie de maladie. Le papyrus Smith[2], traduit et commenté par J.-H. Breasted, révèle un ordre logique des connaissances, qui démontre irréfutablement que les Égyptiens de l’époque pharaonique étaient loin d’être dépourvus d’esprit scientifique, comme on l’a cru si longtemps, pour en attribuer la paternité aux Grecs.

Une fois de plus, soulignons ici que nous ne tenons pas notre médecine d’Hippocrate en tant qu’inventeur, mais que le « Vieillard de Cos », grand initié des temples de Thot, fut chargé par leurs prêtres et médecins-magiciens de porter le flambeau de leurs connaissances jusqu’à une autre étape du développement de l’humanité occidentale[3].

Une lecture attentive des traités d’Hippocrate permet de reconstituer le chemin que doit parcourir celui qui devient prêtre et médecin-magicien.

Pour Hippocrate, fidèle à l’enseignement des temps anciens de l’Égypte, il est une première et principale condition : le talent naturel. L’être doué de bonnes dispositions parviendra seul à acquérir cet art qu’on ne peut posséder sans intelligence, qu’il faut étudier tant qu’on est jeune, et dans un lieu propice à cet apprentissage. Il faut, de plus, être capable de travailler beaucoup et longtemps, commencer d’étudier de bonne heure et être de bonnes mœurs. Il existe encore une ultime condition : avoir le temps, qui seul donne la possibilité de fortifier, nourrir et mûrir toutes choses.

Hippocrate ajoute encore[4] : « Les choses sacrées ne doivent être enseignées qu’aux personnes pures ; c’est un sacrilège de les communiquer aux profanes avant de les avoir initiés aux mystères de la science. » Cette petite phrase lue dans ses Prolégomènes doit inviter le curieux à méditer longuement sur l’enseignement de celui qui a donné son nom au serment que prêtent toujours nos jeunes médecins le jour de leur intronisation.

La marche du cœur et sa connaissance

Le signe hiéroglyphique qui représente le cœur suspendu à l’artère est composé phonétiquement par trois signes qui signifient respectivement : la vibration ou l’air, l’être individualisé porteur de vie sur terre et la bouche par laquelle passe la respiration qui se manifeste dans le battement du cœur. Ce signe du cœur signifie « être bon ». Il constitue la base à partir de laquelle se forment d’autres hiéroglyphes signifiant le bien, l’utilité, la beauté. L’intelligence se place au cœur pour les Égyptiens.

La première référence à la numération du pouls remonte à l’Égypte pharaonique dans l’histoire de la médecine occidentale[5]. « Le cœur parle », dit le papyrus Ebers, la première encyclopédie médicale. « Si l’on met les doigts sur la tête, sur la nuque, les mains, les deux bras, les jambes, partout l’on rencontre le cœur, car ses vaisseaux vont dans tous les membres. » Le cœur est un organe qui a toujours fasciné les anciens Égyptiens. Deux mots le désignent : haty ou ib. Parfois, le mot ib désigne aussi l’estomac qui est considéré comme « l’ouverture du cœur ». Une inscription de la XXIIe dynastie nous laisse ce témoignage : « Le cœur » est un dieu dont la chapelle est l’estomac, et celui-ci se réjouit quand les autres membres sont en fête. »

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Le commencement du secret du médecin est : connaissance de la marche du cœur et connaissance du cœur. Le papyrus Ebers contient un Traité très ancien consacré spécifiquement au cœur et aux vaisseaux. Il se compose d’un exposé théorique sur cet organe, ses fonctions et les « vaisseaux », ainsi que d’un recueil de gloses.

Le mot metou est traduit par « vaisseaux ». Mais ce mot désigne aussi ce que nous nommons muscles et ligaments. Ces metou, au nombre de quarante-six dans ce Traité, sont décrits comme des conduits creux remplis de liquides, de déchets et d’air.

Le cœur, par l’intermédiaire des metou, distribue l’énergie et régularise dans tous ses détails le fonctionnement régulier de l’organisme humain. Le cœur, siège de l’intelligence et de la bonté, est également le centre moteur et directeur du corps physique de l’homme.

Le sang fait partie de ces liquides conduits par les metou.

Dans le célèbre Traité de la marche et de la connaissance du cœur du papyrus Ebers, on peut lire : « Quatre metou vont aux deux oreilles, deux à la droite et deux à la gauche. Le souffle de vie entre par l’oreille droite et le souffle de mort par l’oreille gauche. Ou bien ce souffle de vie entre du côté droit et le souffle de mort du côté gauche. »

Les metou sont donc aussi bien conducteurs des forces de vie que des forces de mort. Et l’on trouve dans les papyrus hiératiques de Leyde ces incantations : « Ouvrez vos bouches, ô metou d’un tel, fils d’une telle. Rejetez la maladie qui est en vous ! Et encore : « Je vous parle à vous, ces metou qui avez reçu le mal. »

Les incantations et leurs pouvoirs

La médecine sacrée égyptienne est une thérapeutique qui vise à rétablir chez le malade sa fréquence vibratoire. Le verdict du médecin est prononcé selon les trois expressions suivantes : « Maladie que je traiterai » (pronostic favorable) ; « Maladie que je combattrai » (pronostic douteux) ; « Maladie que je ne traiterai pas »…

Le médecin-magicien a recours aux incantations pour permettre au malade de se « brancher en prise directe sur la vie », d’une part, et, d’autre part, aux remèdes qui renforcent le terrain.

Voici ce qu’explique un médecin-magicien qui vécut sous le règne de Ramsès 1er : « Je viens de l’école de médecine d’Héliopolis, où les maîtres vénérables du grand temple m’ont inculqué leur art de guérir ; je viens aussi de l’école gynécologique de Saris, où les divines mères m’ont dicté leurs prescriptions. J’ai en ma possession les incantations dictées par Osiris lui-même, et mon guide fut toujours le dieu Toth, Toth, l’inventeur de la parole et de l’écriture, l’auteur de tant de prescriptions infaillibles ; Toth qui donne gloire et pouvoir aux médecins et aux magiciens qui suivent ses préceptes. Les incantations sont excellentes pour les remèdes et les remèdes excellents pour les incantations. »

Il existe des incantations qui sont d’une application très générale, car leur pouvoir est des plus grands. Elles ne sont pas accompagnées de l’indication d’un traitement et semblent agir par leur seule puissance surnaturelle. Mais il faut pour cela que le malade conclue en s’écriant : « Je suis, moi, celui que Dieu désire maintenir en vie », à la fin du discours de Rà psalmodié par le médecin-magicien.

Certaines incantations sont spécifiques des médications internes qu’elles doivent accompagner chaque fois que le malade avale une potion : « Allez, remèdes ! Allez et chassez ce qui est dans mon cœur et dans mes membres… »

Mais, le plus souvent, les incantations n’opèrent que par le moyen d’un substrat matériel, déterminé selon chaque maladie, c’est-à-dire par le moyen d’une préparation médicamenteuse à base de produits naturels.

Amulettes et talismans

Parfois, la thérapeutique du médecin-magicien ordonne de porter en pendentif, dans une amulette, la formule magique de l’incantation écrite sur un petit morceau de papyrus. Les amulettes sont très nombreuses et fort variées.

La croix ansée, l’Ankh, dont l’hiéroglyphe signifie « vivre », figure en bonne place[6]. De tous temps, symbole d’éternité, parce que les lignes qui la dessinent partent vers l’infini et jamais ne se rencontrent, la croix d’Égypte porte en sa partie supérieure une anse que l’on peut rapporter à l’hiéroglyphe qui figure une boucle de corde et signifie « conjuration », ou « lier par les mots ». L’Ankh symbolise donc, au niveau du microcosme, l’homme (l’anse représente sa tête ou le soleil de sa raison, le principe qui l’anime ; la barre, ses bras élevés vers le ciel ou tendus vers la terre ; le trait vertical, le corps de l’homme entre le ciel et la terre). Au niveau macrocosmique, l’Ankh représente les trois éléments : soleil, ciel et terre. Vue sous l’angle du talisman, la croix ansée est la matérialisation de toute incantation faisant appel au processus de la Vie dans l’homme, véritable nœud magique ou secret de la combinaison spécifique d’éléments qui forment un individu et son destin.

Les symboles que figurent les amulettes et talismans sont innombrables. Parmi les plus importants : le pilier Djed ou « colonne humaine », le Scarabée ou « Khepera », ou l’œil oudjat, qui est la manifestation visible de l’action de Râ, encore appelé « le soleil dans la bouche ».

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LA TECHNIQUE DE LA MOMIFICATION

Les Égyptiens prenaient grand soin des corps après la mort pour en assurer la résurrection. Ce n’était pas les médecins qui pratiquaient la momification. Elle était confiée à des techniciens spécialisés. Les dépouilles des morts étaient conservées au moyen de résines et d’essences dont ces techniciens devaient les recettes à Thot.

Trois ou quatre jours après le décès, le corps était remis aux embaumeurs qui, pendant les soixante-dix jours rituels de l’embaumement, allaient pratiquer dix-sept incisions permettant de ne conserver que l’ « enveloppe » du défunt. L’embaumement se faisait dans une chambre contenant une table d’autopsie, en bois ou en pierre, et comportant alors une sorte de cuvette vers les pieds — cuvette destinée à recevoir les liquides organiques ou les eaux de lavage. Le corps était posé sur quatre billots de bois, sous les pieds, le bassin, les épaules et la tête.

L’excérébration était pratiquée par l’introduction, dans les narines, d’un fer courbé en crochet, permettant l’extraction de la substance cérébrale qui s’écoulait par le nez, après que le cadavre avait été retourné sur le ventre. Ce crochet mesurait environ 30 cm. La trépanation a été beaucoup plus rarement pratiquée pour obtenir ce « curetage cérébral ». Les embaumeurs introduisaient ensuite par l’entonnoir nasal une substance liquéfiée, résine ou bitume, prenant en masse par refroidissement.

L’éviscération était pratiquée à l’aide de couteaux de silex ou d’obsidienne : « Avec une pierre éthiopienne aiguisée, ils fendent le flanc, font sortir les intestins de l’abdomen », nous dit Hérodote. Puis une sorte de couteau, assez large et en forme de crochet était introduit dans la cavité abdominale pour enlever le cœur, la rate, le foie, les poumons, les intestins, les reins, la vessie. Parfois, le cœur et les reins étaient laissés en place. Comme pour le crâne, les embaumeurs faisaient des coulées de plombage, bitume ou résine, dans la cavité thoraco-abdominale. Un gros tampon de chiffons de toile imprégnés de résine emplissait le petit bassin, un autre, la fosse iliaque. L’amputation du pénis et des testicules était parfois pratiquée. On les laissait entre les cuisses de la momie, sans plus aucune insertion anatomique.

Un bain de natron permettait d’imprégner les parties les plus molles du corps du fameux « liquide conservateur », soude naturelle composée de bicarbonate, carbonate, sulfate et chlorure de soude, provenant des lacs salés du désert de Libye, en Basse-Égypte, et de Mahamet, en Haute-Égypte.

Les globes oculaires étaient énucléés et les orbites comblées par plombage de résine ou, dans des cas plus rares, d’oignons, de boulettes de chiffons, une plaque de verre, d’émail ou de pierre dessinant l’œil. De petits morceaux de toile tenaient les paupières ouvertes.

L’emmaillotement était constitué par des bandes de toiles plâtrées, enroulées autour du corps par deux personnes situées de part et d’autre du corps, étendu en porte-à-faux. Entre les bandes venaient s’insérer des paquets de linges destinés à rendre au corps l’aspect du volume qu’il avait avant l’embaumement. Plusieurs centaines de mètres de bandes étaient nécessaires, leur largeur variant entre 4 et 14 cm. Enfin, un linceul venait recouvrir étroitement le corps, s’arrêtant au cou, aux poignets et aux chevilles, moulant les bras et enveloppant séparément les jambes.

Des vases canopes recevaient les organes. Cette coutume, apparue vers la fin de la IVe dynastie, s’est maintenue jusqu’à l’époque romaine (sous les Ptolémées), où apparut l’usage de laisser macérer les cadavres dans du bitume bouillant. Les vases canopes étaient déposés à côté du sarcophage contenant le cercueil couvert de formules et d’images protectrices.

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Les secrets de l’aromathérapie

C’est en Égypte qu’est née l’aromathérapie ou traitement des maladies par les essences des plantes.

Les Égyptiens ont inventé la distillation du vin et celle de la résine de cèdre. L’essence de cèdre, ou térébenthine, ainsi que le parfum des plantes sous forme d’huile distillée sont des découvertes de leurs savants. Leurs secrets furent oubliés lors de la décadence gréco-romaine. Les Arabes les redécouvrirent entre les VIIIe et XIIe siècles. Pour distiller les bois odoriférants et obtenir des essences à partir des aromates et des épices, voici comment les Égyptiens procédaient usuellement :

Des morceaux de bois, les feuilles et les tiges étaient placés dans un vase d’argile que l’on plaçait sur un feu. Son orifice était bouché par des fibres de coton disposées sur des nattes de roseau. Les essences étaient recueillies ensuite par simple pression du coton imprégné.

C’est le premier procédé de distillation, facile à reproduire pour ceux qui séjournent à la campagne. Il est à l’origine de nos liqueurs et de nos parfums.

Voyons, parmi les plantes, quelles sont celles les plus fréquemment utilisées par la médecine égyptienne. Tout d’abord l’ail et l’oignon, fort prisés à la table des anciens Égyptiens comme des modernes.

L’ail doit son odeur très particulière à une huile essentielle très volatile, constituée presque totalement par le sulfure d’allyle. Hérodote rapporte qu’une inscription gravée sur la pyramide de Gizeh disait que les ouvriers qui participaient à sa construction recevaient chaque matin une gousse d’ail, à cause de ses propriétés tonifiantes et antiseptiques. Ses vertus sont telles qu’une simple gousse d’ail peut presque être considérée comme une panacée.

L’oignon était considéré comme plante sacrée, et on le trouve représenté sur les fresques des tombeaux : des prêtres en déposent des bouquets sur des autels funéraires. Pour le peuple, il remplaçait souvent la viande. Un proverbe médiéval nous a conservé cet usage :

« Si tu te trouves sans chapon,

sois content de pain et d’oignon ! »

L’oignon est riche en sucre, en sels minéraux et en vitamines. C’est un excellent stimulant du système nerveux, hépatique et rénal. Il est antiscorbutique, anti-infectieux et antiseptique.

Les parfums magiques

Partout, en Égypte, des brûle-parfum. Dans les temples, dans les palais, jusque dans les maisons des plus humbles. L’hiéroglyphe qui représente le brûle-parfum exprime aussi l’âme, [7], qui s’envole du corps du défunt et figure sur de nombreux sarcophages que l’on peut voir au musée du Caire.

Les fumigations peuvent avoir d’extraordinaires propriétés sur l’organisme. Cela peut paraître surprenant.

Pour comprendre, il est indispensable de savoir qu’un bon fonctionnement naso-respiratoire est synonyme d’un bon équilibre psychosomatique.

Dans la tradition de Thot, le nez est considéré comme « le centre du crâne ». C’est un véritable « cerveau nasal » qui y prend racine. On le nomme rhinencéphale[8].

Les centres cérébraux sont en rapport avec les fosses nasales, et donc avec le sens olfactif.

Certains parfums peuvent développer des capacités d’intuition, de prémonition ou « vision directe ». Ainsi le bitume brûlé permet-il aux prêtres et médecins-magiciens de reconnaître les prédispositions à l’épilepsie.

La toxique jusquiame[9] est mélangée à tous les parfums des temples, et c’est elle qui leur donnait un pouvoir très particulier. Du suc de jusquiame, de ciguë, d’if de barbasse, de santal rouge et de pavot noir mélangé à de l’essence d’iris et de férule permet de faire apparaître les « esprits ». Mais la jusquiame peut provoquer la paralysie, et même la mort. Malheur à celui qui ne sait l’utiliser ! Le basilic entre également dans la composition des produits employés pour embaumer les défunts. Son essence, qu’une force obtenue par distillation des feuilles a pour vertu de guérir l’épilepsie ou, au moins de calmer les crises épileptoïdes, de « calmer les nerfs ». La plupart des plantes aromatiques viennent du pays même ou, le plus souvent quand elles sont importées, du pays de Pount (la Somalie). Le papyrus Ebers mentionne que la reine Hatchepsout (son règne s’étendit de 1520 à 1505 av. J.-C.) y envoyait chaque année des vaisseaux en expédition.

Cette longue étude consacrée aux plantes, permet de souligner que le règne végétal prédomine dans les médicaments composés par les médecins-magiciens de l’Égypte antique. Toutefois, le règne animal fournit quelques produits, particulièrement dans le domaine de la chirurgie : par exemple, la graisse du lion, de l’hippopotame, le sang du lézard, de la chauve-souris, les excréments du crocodile, de la gazelle, des mouches, du pélican, les écailles de tortue, etc. Le règne minéral fournit également un certain nombre de médications : éclats de silex, pétrole, natron, ocre jaune, marbre, etc. Citons le memphitis, ou marbre du Caire, dont Pline nous rapporte qu’il était utilisé sous forme de poudre mélangée à du vinaigre : « Cette composition endort si bien les parties où on l’applique, dit-il, que le chirurgien peut couper ou cautériser sans que le malade ressente de douleur. » Effectivement, le vinaigre ou acide acétique produit, au contact du carbonate de chaux qui compose le marbre, une certaine quantité de gaz carbonique qui peut agir localement comme anesthésique.

Comment diagnostiquer une grossesse

Les Égyptiens ont, les premiers, conçu l’idée de l’existence d’hormones sexuelles dans les urines de la femme enceinte : « Tu laisses la femme boire du jus de dattes dans du vin. Si elle le vomit tout de suite, elle est enceinte. »

Voici une autre formule égyptienne : « Pour savoir si la femme est enceinte, fais-lui des fumigations ; si elle vomit tout de suite, elle n’est pas enceinte. »

Un autre moyen de pronostic : « Mettre sur la vulve de la  femme un bulbe d’oignon qu’elle laisse toute la nuit jusqu’au lever du soleil. Si elle sent l’oignon par la bouche, la femme est enceinte. »

Les Égyptiens, qui connaissaient l’iridologie, utilisaient également ce moyen de diagnostic : « Tu laisses la femme debout dans le couloir derrière la  porte, que tu ouvres pour donner de la lumière sur son visage. Tu examines ses yeux. Si tu trouves qu’un œil ressemble à un Asiatique et l’autre à un Nègre, cette femme n’est pas enceinte. Si les deux yeux sont de la même couleur, c’est qu’elle enfantera. »

Garçon ou fille?

Quant au pronostic précoce du sexe de l’enfant à naître, il est un moyen fort simple qui nous est parvenu par le papyrus de Berlin (1350 avant J.-C.) : « Des grains de blé et d’orge sont placés dans deux sacs, puis arrosés chaque jour d’urine par la femme enceinte. Si l’orge croit seule, ce sera une fille ; si le blé croît seul, ce sera un garçon ; si rien ne pousse, il n’y a pas de grossesse. »

Yoga égyptien et sommeil sacré

Il nous faudrait encore parler du yoga des Égyptiens, sur lequel la statuaire pharaonique est une source inépuisable de renseignements. Nous ne pouvons que conseiller aux lecteurs intéressés l’ouvrage du maître iranien Otoman Zar-Adusht Hanish : L’art de la respiration[10]. De même, il faudrait faire entrer dans cette étude sur la médecine sacrée en Égypte tout ce qu’en a dit Rudolf Steiner, le fondateur de la médecine anthroposophique. Dans son ouvrage Mythes et mystères égyptiens (édition Triades 1971), il a évoqué un autre aspect de la médecine égyptienne : le sommeil sacré. « Celui qui souffrait de quelque trouble de la santé n’était pas, en ce temps-là, soigné uniquement à l’aide de remèdes extérieurs ; il n’en existait que rarement. Le plus souvent, le malade allait dans le temple où on l’endormait. Ce n’était pas un sommeil ordinaire, mais un sommeil somnambulique si profond que le malade était capable d’avoir non seulement des rêves chaotiques, mais de véritables visions. Pendant ce sommeil, il percevait des formes éthériques dans le monde spirituel, et les mages, qui connaissaient l’art d’agir sur ces visions, dirigeaient ces rêves de telle façon que des forces puissantes y pénétraient, harmonisant et ordonnant le corps dont les forces vitales étaient en disharmonie et en désordre. Ce n’était possible que grâce à l’atténuation de la conscience du moi. »

Pour ce faire, les prêtres-médecins utilisaient l’hypnotisme. Pour prolonger dans certains cas les effets de cette thérapeutique, ils utilisaient une autre forme d’hypnotisme, la suggestion à distance[11], grâce à leur capacité de concentration mentale et de conscience imaginative qui leur avait permis de gravir les plus hauts grades de l’initiation.

Claudine Brelet-Rueff

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Incantation pour guérir les maladies des yeux

Lorsque la cornée se couvre de taies blanches obscurcissant la vue, il est recommandé de psalmodier: « Il y a du bruit dans le ciel du sud depuis la tombée de la nuit, et de l’orage dans le ciel du nord. Un monceau de têtes tranchées est tombé dans l’eau. L’équipage de Rà enfonce les pieux d’amarrage parce que des têtes sont tombées dans l’eau. Qui donc rapportera ce monceau de têtes? C’est moi qui le trouverai. J’ai rapporté vos têtes. J’ai rattaché vos vertèbres cervicales. J’ai remis en place vos têtes coupées pour que vous écartiez le mal qui m’a été causé. »

Cette incantation est à réciter sur de la bile de tortue. A piler dans du miel et à placer sur le « dos des yeux » (paupières).

Pour certains auteurs, le fils de Tobie serait allé en Égypte pour trouver un remède à la cécité de son père (Tobie, X, 11-12). De plus, selon Meyerhof (L’opération de la cataracte du chirurgien Antylle d’Alexandrie, Le Caire, 1932), les Égyptiens auraient pratiqué couramment l’opération de la cataracte.

L’ail et la bonne santé

Des gousses d’ail placées dans un sachet ou en collier et fixées au cou préviennent les maladies infectieuses en cas d’épidémie.

Une ou deux gousses d’ail prises chaque matin permettent de rester en bonne santé. Pour éviter les inconvénients d’une « haleine forte », il suffit de mâcher ensuite deux ou trois grains de café, ou quelques grains d’anis ou de cumin, une pomme ou une branche de persil.

Pour détruire les parasites intestinaux, il suffit de râper trois ou quatre gousses d’ail dans un bol de lait et de boire le mélange le lendemain matin à jeun, après avoir laissé l’ail macérer toute la nuit.

Les bons traitements de l’oignon

La très fine pellicule qui se trouve entre chaque couche de l’oignon constitue un excellent pansement antiseptique qu’il suffit de maintenir à l’aide d’un linge sur les plaies, les coupures, les brûlures, les ulcères et les panaris. Cuit, on l’utilise en cataplasme contre les abcès, les furoncles et les hémorroïdes.

Coupé en deux, l’oignon éloigne les moustiques de l’endroit où on le place. Pour soulager les piqûres d’insectes, frotter la région douloureuse avec un morceau d’oignon frais.

Il faut savoir, enfin, que l’« encre sympathique » des messages secrets n’est, en fait, que du jus d’oignon.

Recette pour prendre soin de ses dents

Soucieux de leur esthétique, les Égyptiens prenaient grand soin de leurs dents. Le papyrus Ebers conseille : Pour faire disparaître un ulcère dans les dents et raffermir les gencives : une partie de fenouil, une partie de fruits entaillés du sycomore, une partie d’anis, une partie de miel, une partie de résine de térébinthe, une partie d’eau. Laisser ce médicament à la fraîcheur de la nuit, puis mâcher.

Recette pour avoir une belle chevelure

Riche en recettes fort variées, le papyrus Ebers livre le secret d’une belle chevelure, ou pour faire repousser les cheveux — ou les faire tomber chez une rivale ! — ou combattre leur blanchiment. Nous vous livrons ici quelques-uns de ces secrets : La chevelure d’une femme devient plus fournie grâce aux graines de ricin que l’on broie, réduit en masse et transforme en huile ; s’en oindre la tête.

Pour que tombent les cheveux : un ver cuit et bouilli avec de l’huile de ben. A mettre sur la tête de la femme haïe.

LE COMMERCE DES MOMIES EN EUROPE

Certains médecins sont allés jusqu’à considérer la momie comme une médication, surtout grâce à ses parties résineuses et asphaltées. Déjà dans l’Antiquité, l’asphalte était connu pour ses propriétés apaisantes ; cet asphalte fut appelé « mum ». Pourtant, il ne faut pas s’étonner qu’un  intense commerce de la momie se soit établi.

Ce commerce prit naissance, en Europe, lors du retour des croisades, avec une telle ampleur que, lorsque la source d’approvisionnement (les tombes violées par les Bédouins) tarit, de fausses « mumies » furent fabriquées. Guy de La Fontaine, médecin du roi Henri IV, put ainsi voir à Alexandrie, en 1564, quarante momies dans l’entrepôt d’un négociant palestinien qui les avait fabriquées lui-même. Le Dr Naguib Riad, dans son livre, La médecine au temps des pharaons (Librairie Maloine, 1955), raconte de quelle façon :

« C’était des morts quelconques, de préférence des esclaves dont on ne doit compte à personne. L’industriel en momies ne se souciait ni de la maladie qui les avait fait mourir, ni du sexe, ni de l’âge. Il les préparait, les enduisait de poix des Indes et les emballait dans des tissus trempés d’asphalte fondu. Au bout de deux ou trois mois, il avait une momie présentable… ».

Les Européens, à leur tour, essayèrent cette recette. Bientôt la momie encombra le marché, sa cote descendit à six écus, et nul n’y prêta plus attention à la fin du XVIIe siècle. (Fouquet possédait encore deux momies dans leur sarcophage, à Saint-Mandé, dans sa maison de campagne.) C’est ainsi que la momie disparut de la pharmacopée…

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Site de Claudine Brelet: http://cbrelet.free.fr/


[1] De tous les papyrus médicaux, c’est le mieux conservé et l’un des documents capitaux sur la Médecine sacrée des Égyptiens. Long de 20,23 m et large de 0,30 m, il comporte 108 pages mais, dans le numérotage, l’on passe de la page 27 à la page 30. Il comporte donc effectivement 110 pages, nombre qui est celui du terme ultime de la longévité humaine pour les Égyptiens.

[2] Rédigé en écriture hiératique (= abrégée et cursive), le papyrus Edwin Smith se divise en trois parties. La première est un traité de chirurgie, de médecine chirurgicale, de thérapeutique externe et d’anatomie; la seconde est une incantation « pour détourner le vent de l’année de la peste » ; la troisième, une incantation pour « transformer un vieil homme en un jeune homme de vingt ans ». Le corps humain y fait l’objet d’observations (titre général ou nom de la maladie, examen médical ou description des symptômes, diagnostic, pronostic) comparables à celles que l’on trouve dans nos traités modernes.

[3] Voir Mythes et Mystères Egyptiens, Rudolf Steiner (Paris, éditions Triades, 1971).

[4] Cf. « Institutions d’Hippocrate », ou exposé philosophique des Principes Traditionnelle de la Médecine, suivi d’un résumé historique du Naturisme et du Vitalisme et de l’Organicisme et d’un essai sur la Constitution de la Médecine », par le Dr T.C.E.  Edouard Auber (Paris, Germer Baillière Libraire-Editeur, 1864).

[5] Selon le papyrus Smith, traduit et commenté par Breasted, les Egyptiens utilisaient de petits clepsydres (= horloges à eau) portatifs, dès la XVIIIe dynastie, pour mesurer le pouls. L’un de ces instruments a été trouvé dans les fouilles de Gaza, en Palestine, et porte le nom du Pharaon Mine-Ptah (XIXe dynastie).

[6] Le symbole de l’Ankh figure dans le hiéroglyphe qui signifie la Maison de Vie. Le port de ce talisman était réservé à la classe aristocratique. La Croix ansée, ou Clé du Nil devait être tenue par la main droite chez l’homme, et par la main gauche chez la femme. Selon L. Chaumery et A. de Belizal, in Essai de Radiesthésie vibratoire (Paris. 1956)

[7] L’âme Bâ est celle par laquelle se manifeste le courant évolutif de l’individu. Elle correspond à la partie supérieure du « cercle» de la matière, ou Nephesh.

[8] Cf. l’article de MM. Passouant et Cadilhac, in les Grandes activités du Rhinencéphale.

[9] Elle était utilisée, en Grèce également, à des fins divinatoires. Chez les Romains, l’on sait que la jusquiame noire rend fou. Des expériences récentes ont permis de recueillir les impressions ressenties par des sujets à qui l’on avait fait absorber de la scopolamine, élément le plus actif de la jusquiame : impression de pesanteur sur la tête comme si l’on avait posé un objet lourd, invisible qu’une force ferme les paupières, hallucinations, avec apparitions de cercles noirs sur fond d’argent, vert ou fond doré puis pendant lequel l’individu rêve d’apparitions fantastiques. Cf. Phantastica, Dr Louis Lewin (Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1970).

[10] Cf. l’Art de la Respiration éditions (Paris, édition Aryana, 1967).

[11] Ce procédé qui utilise la concentration mentale et la conscience imiginative a été décrit d’une façon assez simple pour être expérimenté sans difficultés par Paul-C. Jagot: L’influence à distance, la transmission de  pensée et la suggestion  mentale (Paris édition Dangles 1925). C’est en fait l’une des applications de la technique de l’hypnose.