Salim Michaël
La mort et le sens profond de la méditation

Il est nécessaire d’évoquer une nouvelle fois l’étrange phénomène existant dans l’Univers et dans toute la Création, qui consiste à vouloir répéter ou revivre ce qui s’est déjà produit ou qui a déjà été éprouvé à un moment donné. Ainsi, une fois qu’une sensation agréable, une quelconque action ou même une simple pensée ont eu lieu, un désir incontrôlable s’installe en l’homme de vouloir les reproduire. Et, au fur et à mesure qu’il les répète, il ne peut plus s’empêcher de chercher à les ré-éprouver ou à les re-penser, jusqu’à ce que ces actes, ces pensées et ces sensations finissent par devenir chez lui une impulsion irrésistible dont il ne peut plus se défaire — à moins qu’il ne se lance dans une pratique spirituelle sérieuse et ne parvienne à se connaître et à connaître l’aspect supérieur de sa double nature.

Texte d’une conférence de Salim Michaël (1921-2006) publié avec l’aimable autorisation de Michèle Michaël

Ordinairement, il n’existe aucune possibilité d’expliquer la vie et la mort. Pour comprendre la vie et sa véritable signification dans le Cosmos, il est nécessaire de comprendre un peu la mort ; et pour comprendre un peu la mort, il est également nécessaire de comprendre mieux la vie et, par-dessus tout, comprendre ce que l’on appelle en Inde « CELA », ou, en d’autres termes, l’Esprit Primordial qui est derrière la vie, qui l’anime et qui soutient l’Univers entier.

Il semblerait qu’il n’y ait aucun moyen de trouver la réponse à cette énigme si l’on ne pouvait pas avoir, durant des états mystiques particulièrement profonds et intenses, un avant-goût et une connaissance subtile de l’état d’après la mort, c’est-à-dire en quoi l’on sera réabsorbé en quittant cette forme d’existence.

Toute pratique sérieuse de méditation constitue en réalité une initiation à la mort. Sans même que le chercheur ne le réalise, tout le temps au cours duquel il médite, il est également en train d’apprendre à mourir ; il est, en fait, en train de se préparer pour son grand départ du monde phénoménal qui l’attend un jour: Car, au fur et à mesure que sa méditation s’approfondit, et qu’il devient de plus en plus absorbé intérieurement, sa concentration (si elle est suffisamment intense) finit par l’éloigner de lui-même et — sans que nécessairement il ne se rende compte au commencement de ce qui lui arrive — par lui faire perdre son identité, son nom, sa forme, l’image de lui-même, la manière dont il se sent ainsi que tout ce qui constitue son individualité telle qu’il la connaît habituellement pour être transformé en l’état d’où il a émergé originellement.

Quand un débutant entend dire que, s’il souhaite connaître la Source d’où il a émergé, il lui faut se défaire de tout ce qui compose son individualité ordinaire, il est saisi de peur. Il est difficile à un chercheur de comprendre au début de ce mystérieux voyage à l’intérieur de son être que, tout comme il est impossible à l’air d’occuper une jarre déjà remplie d’eau, de même, les deux aspects de sa double nature ne peuvent coexister. Lorsque l’aspect supérieur de son être domine, l’aspect inférieur de sa nature ne peut, par une loi incontournable, qu’être éclipsé ; et, lorsque l’aspect inférieur de lui-même domine, c’est alors l’aspect supérieur de sa nature qui est éclipsé. Il est donc demandé à l’aspirant un sacrifice particulier qu’il ne lui est pas facile d’accepter au commencement — le renoncement à lui-même tel qu’il se connaît ordinairement.

Nombre de chercheurs en Occident ainsi qu’en Inde font preuve d’un étonnant manque de réalisme lorsqu’ils croient fermement qu’au terme de leur quête, Dieu, le Sublime, le Nirvâna, leur Etre Céleste ou la Grâce consistera en « quelque chose » qu’ils pourront, tout simplement, ajouter à leur moi ordinaire, tandis qu’ils continueront à demeurer ce qu’ils sont habituellement, sans avoir à renoncer à quoi que ce soit en eux-mêmes !

L’appréhension consciente ou inconsciente que certaines personnes éprouvent quand elles se trouvent confrontées à ce renoncement peut s’avérer un obstacle important au franchissement d’un seuil décisif durant leur méditation. Cette peur doit être affrontée avec calme et dépassée en essayant d’en voir clairement l’origine et la raison. Puis, avec une compréhension tranquille, le chercheur, doit aider ce côté de sa nature à accepter de passer par cette subtile mort intérieure et la perte de son individualité coutumière, dans son propre intérêt, afin de rendre possible la découverte en lui de son Etre Céleste.

Quand l’aspirant rencontre une résistance cachée de ce genre en lui durant ses pratiques spirituelles, il se peut qu’au début, il ne la comprenne pas et soit poussé à abandonner complètement sa méditation, se contentant simplement de revenir à la fausse sécurité de son état d’être coutumier — car, lorsque l’homme commence à rejoindre un état de conscience plus éthéré durant sa méditation, un état de conscience particulier qui va lui donner l’impression d’un vide inquiétant, il n’y a pas de doute qu’il va, dans un certain sens, perdre une forme de sécurité à laquelle il s’est habitué et dans laquelle il a vécu jusqu’alors.

Tandis qu’il plongera encore plus profondément en lui-même pendant sa méditation et qu’il sera toujours plus immergé dans cet état de conscience qui ne lui est pas habituel, il va lui sembler qu’il est mystérieusement suspendu dans une sorte de vide, sans aucun support. L’état dans lequel il va soudainement se trouver lui paraîtra incompréhensible et lui donnera l’impression de n’avoir ni haut ni bas, ni dehors ni dedans, ni ici ni là, etc.

Si le chercheur n’est pas préparé à affronter ce phénomène aussi inattendu qu’inhabituel (un phénomène qui ne ressemble à rien qu’il puisse relier au monde tangible), chaque fois qu’il atteindra ce stade crucial au cours de sa méditation, à moins d’avoir la force de demeurer inébranlable, il se peut qu’il soit saisi de terreur et se précipite aveuglément vers son vieil état d’être, où, inconsciemment, il se croira en terrain sûr, et donc, en sécurité. Et, ce faisant, il ne cessera de manquer une précieuse opportunité pour aller au-delà de lui-même et de son état de conscience habituel.

S’il a pu parvenir à franchir ce seuil capital en lui, alors qu’il ira toujours plus loin dans sa méditation, une connaissance secrète et subtile commencera à se révéler mystérieusement à lui — une connaissance très particulière par laquelle il va, selon le degré qu’il lui est permis d’atteindre dans cette forme d’existence, en arriver à sentir et à comprendre, déjà, en ce monde, ce que sera sa condition d’être dans l’état d’après la mort.

Tout comme un homme a besoin de se familiariser peu à peu avec les conditions de la vie terrestre quand il naît, de la même manière, il a besoin, lorsqu’il quitte ce monde, de faire connaissance avec les conditions, inconnues pour lui jusqu’alors, de l’état d’après la mort. Il lui est toutefois indispensable d’arriver à découvrir et à comprendre durant sa vie terrestre, ne serait-ce qu’un peu pour commencer, ce qu’est cet état — une compréhension qui sera fonction de son niveau d’être, de son niveau d’intelligence et de son niveau de conscience.

Le grand mystère de son origine ne peut lui être révélé que dans un état de profonde absorption intérieure. S’il peut le reconnaître et en apprécier l’importance capitale pour son éventuelle émancipation, il sera progressivement aidé à perdre la peur de la mort lorsqu’arrivera pour lui l’heure inévitable de renoncer à son enveloppe physique. Par la concentration et la méditation, il va, petit à petit, apprendre à consentir à ce changement en lui qui n’est, en fait, que le retour à un certain état d’être, un état éthéré et immuable d’où il a surgi originellement. La méditation et tous les efforts spirituels qu’il accomplit (quand ils sont profonds et véridiques) aident ainsi un homme à se préparer à accepter sa mort corporelle, lui enseignant — sans nécessairement qu’il ne le réalise au commencement — comment entrer sans résister dans cette condition d’être particulière, ou plutôt, cet état d’être sans forme.

De cette Source Mystérieuse — au-delà de tout ce qu’il peut imaginer dans son état coutumier d’être — l’homme a surgi. Et, à cette même Source Insondable, il va un jour inévitablement revenir pour y être réabsorbé au terme de son voyage terrestre. Par des efforts ardents et sincères durant sa méditation, il lui est possible, et, en vérité, essentiel, d’en arriver à découvrir, tant qu’il est encore en vie, la réponse à l’énigme de son origine ; faute de quoi, lorsque l’heure de sa mort surviendra, tous ses sentiments et toutes ses pensées ne seront tournées que vers les conditions d’existence qu’il a connues de son vivant, auxquelles il s’est habitué, et auxquelles il est devenu éperdument attaché ; il éprouvera par conséquent un terrible refus d’accepter sa mort physique ainsi qu’une peur incompréhensible de retourner à l’état primordial d’où il avait surgi initialement. Ce refus de la perte de son enveloppe corporelle s’avérera alors être pour lui une cause de grande souffrance émotionnelle et psychique.

C’est la raison pour laquelle un chercheur sérieux qui aspire à sa libération éventuelle doit s’efforcer de connaître, ici et maintenant, l’état d’où il a émergé originellement et vers lequel il doit forcément revenir un jour. Ainsi, plus sa méditation s’approfondira, plus cette réabsorption dans sa Source Originelle commencera à se produire pour lui dans le présent, durant sa vie actuelle.

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L’homme passe environ un tiers de son existence dans son sommeil nocturne. Quel est le rapport entre la mort et ce sommeil dans lequel il sombre chaque nuit ? Outre son utilité afin que l’homme récupère ses forces suite à la fatigue de la journée, peut-être recèle-t-il également un indice important permettant à un aspirant avisé d’arriver à comprendre, ne serait-ce qu’un peu, l’état d’après la mort qui l’attend.

Lorsqu’un homme est emporté, ou plutôt, aspiré en lui-même dans son sommeil nocturne, l’Univers ainsi que ses biens, ses amis, sa famille et même son propre corps n’existent plus pour lui. La vie à travers laquelle il est passé depuis sa plus tendre enfance jusqu’à ce moment se trouve également entièrement oblitérée. C’est comme s’il ne l’avait même jamais vécue ! Dans cet état énigmatique en lequel il est plongé, le temps n’a-t-il pas, lui aussi, cessé d’exister pour le dormeur ? Et l’homme ne touche-t-il pas alors le « Maintenant Eternel, » mais (faute de pratiques de méditation et d’autres exercices de concentration) sans jamais Le comprendre ?

Et, en dépit du fait qu’il ne reconnaît plus l’existence manifestée ni du Cosmos ni de lui-même en tant qu’être humain, peut-on réellement affirmer qu’il est totalement inconscient dans son sommeil nocturne ? Ou n’est-il pas plutôt parti rejoindre un autre état d’être et de conscience qu’il ne cherche pas à déchiffrer lorsqu’il se réveille au matin et se retrouve tel qu’il se connaît habituellement dans son état diurne ?

Il se peut que, sans qu’il ne le soupçonne d’ordinaire, l’homme dispose d’une précieuse opportunité de parvenir, pour autant qu’il se donne la peine de fournir l’effort nécessaire, à appréhender durant sa méditation quelque chose de l’état d’après la mort — et qu’il lui est impossible de découvrir dans son état coutumier de tous les jours — quelque chose qui se rapproche de l’état mystérieux dans lequel il se retrouve immergé chaque nuit de sa vie lorsqu’il est emporté par son sommeil nocturne.

Après sa mort, l’homme retourne à sa Source d’Origine, dans un monde intérieur qui n’est qu’à lui seul, ainsi qu’il lui arrive, sur un autre plan, chaque nuit, quand il ferme les yeux et que le sommeil nocturne l’emporte dans le monde de ses rêves. Mais comme, d’ordinaire, il passe sa vie sans effectuer aucun préparatif pour ce mystérieux voyage intérieur qui l’attend depuis sa naissance — des préparatifs qui lui permettraient de reconnaître, de son vivant, cet aspect de sa double nature — l’état dans lequel il est emporté après la mort lui paraît incompréhensible.

Tout au long de sa vie terrestre, l’homme subit chaque nuit une petite mort lorsqu’il sombre dans son sommeil nocturne. Il meurt à lui-même, à l’Univers et à tout ce qui lui est arrivé au cours de la journée — y compris tout ce qu’il a éprouvé comme expériences agréables ou douloureuses. Il accepte pourtant volontairement de se laisser emporter par ces petites morts répétées ; et, plus encore, il peut même se montrer fort mécontent si on l’empêche de dormir !

S’il ne craint pas de subir ces morts nocturnes répétées, est-ce seulement parce qu’il sait d’expérience (bien que rien ne soit certain dans cette forme d’existence) qu’il va se réveiller le matin suivant, ou bien serait-ce parce qu’il conserve dans son sommeil une certaine forme de conscience qui ne peut être appréhendée que dans un état de profonde méditation ? Et qu’en est-il alors de la grande mort qui attend inexorablement tout être incarné?

Le fait que l’homme meure chaque nuit de sa vie et ressuscite le lendemain ne constitue-t-il pas pour un chercheur l’indice qu’un phénomène similaire puisse se produire à la suite de la grande mort physique…, et ce, afin que l’être humain ait une possibilité d’accomplir une tâche énigmatique qui ne peut être effectuée en une seule et brève existence terrestre ?

Après avoir consacré sa vie entière à chercher à se perfectionner dans un domaine artistique, scientifique ou mystique, à peine l’homme est-il parvenu à un quelconque résultat que l’implacable dieu de la mort se dresse devant lui et l’emporte ; et l’homme se trouve alors forcé de quitter ce monde sans avoir atteint l’objectif qu’il s’était fixé. Faut-il en conclure que tout le travail qu’il a accompli jusqu’alors et qui lui a coûté tant de labeur et de peine a été vain ? Ou bien existera-t-il pour lui une nouvelle possibilité de retrouver des conditions lui permettant de poursuivre ce qu’il n’avait pu achever auparavant, pour le mener à son terme ? Son existence terrestre n’aurait aucun sens si tous les efforts qu’il a fournis et le peu qu’il a commencé à connaître sur lui-même et sur l’Univers s’arrêtaient à ce stade et que l’homme s’abîmait définitivement dans la mort !

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Afin de parvenir à comprendre, ne serait-ce qu’un peu, le mystère de la mort, il faut peut-être commencer d’abord par essayer de comprendre un peu l’énigme de la vie elle-même, alors que celle-ci est généralement acceptée comme une évidence non mise en question. Mais, pour tenter de comprendre la vie et le rôle sacré qu’elle semble destinée à jouer dans l’Univers, ne faut-il pas chercher à la vivre autrement qu’on ne le fait d’ ordinaire ?

Il est nécessaire pour l’homme de reconnaître qu’il lui est impossible d’arriver à déchiffrer l’énigme de la vie par la seule analyse de la matière qui compose son corps planétaire et le monde manifesté. Au lieu de garder son esprit dirigé uniquement vers l’extérieur, à analyser le monde visible, il lui faut plutôt commencer à chercher la réponse en lui-même. Il doit, par une pratique assidue de la concentration et de la méditation, parvenir à découvrir, en son propre être, la Source d’où il a (comme toute vie manifestée) originellement émergé et vers laquelle il retournera au terme de ses pérégrinations tumultueuses dans le monde des sens.

A ce propos, on peut évoquer les paroles tellement frappantes de l’Evangile selon Thomas où les disciples demandent à Jésus : « Dis-nous comment sera notre fin ? Jésus leur répond : Avez-vous donc dévoilé le commencement pour que vous vous préoccupiez de la fin, car là où est le commencement, là sera la fin. Heureux celui qui se tiendra dans le commencement, et il connaîtra la fin, et il ne goûtera pas de la mort. »

Dès que l’homme s’incarne dans la matière, le phénomène de l’oubli commence insidieusement son action en son être, éclipsant petit à petit le souvenir de la Source Invisible d’où il a surgi et le remplaçant par l’attrait du visible à travers tout ce que le monde des sens lui offre comme distractions et comme plaisirs temporaires. Plongé ainsi dans cet état d’oubli, il ne peut appréhender que tout le bien que le monde tangible peut lui octroyer ne constitue, en fait, qu’un reflet évanescent de la Source d’où toute forme manifestée a jailli.

Ayant oublié sa Source Originelle, l’homme a le regard et l’esprit tournés uniquement vers l’extérieur, avec la ferme conviction que la modification des conditions du monde phénoménal résoudra tous ses problèmes. Il passe ainsi son existence à tenter désespérément de fixer ce qui lui est agréable — souvent aux dépens des autres — sans comprendre que les conditions de la vie phénoménale ne peuvent rester statiques puisqu’elles sont soumises à l’usure du temps. Il se trouve, par conséquent, plongé dans un état de tourment perpétuel, toujours occupé à courir après l’ombre qu’il aperçoit devant lui et qui ne cesse de le fuir, oubliant l’existence de la lumière derrière lui, qui en est la cause.

Ce n’est pas le monde extérieur qui doit changer pour résoudre les problèmes de l’homme, mais c’est l’homme lui-même qui doit changer s’il veut être comblé et heureux. La vie n’a pas été créée pour sa satisfaction ; c’est plutôt lui qui a été créé pour répondre à un besoin énigmatique de son Créateur, qui ne peut être appréhendé qu’à la suite d’une longue pratique de méditation assidue.

Peut-être le Divin a-t-il besoin de l’existence d’une forme de vie suffisamment évoluée pour reconnaître de façon consciente sa Sainte Présence dans le Cosmos.

Comme dit précédemment, lorsque l’homme est emporté par son sommeil nocturne, l’Univers tout entier disparaît et n’existe plus pour lui ; et plus encore, c’est comme s’il n’avait même jamais existé ! Il faut que l’homme se réveille de son sommeil nocturne pour que l’existence de l’Univers et du monde phénoménal qui l’entoure soit perçue à nouveau. De manière analogue, il est nécessaire pour l’homme de se réveiller d’une autre forme de sommeil (en lequel il est plongé dans son état diurne) pour pouvoir reconnaître en lui la Présence Sainte de son Créateur. Mais éveiller l’homme de son sommeil diurne n’est guère facile !

L’attitude de l’homme face à la vie et à la Création doit changer. Ce n’est pas le monde manifesté qu’il doit tenter de connaître en premier ; il doit plutôt commencer par chercher à se connaître, à connaître qui il est réellement, de quelle Source Insondable il a émergé, et où il ira, ou, plutôt, en quel état énigmatique il sera réabsorbé quand la mort surviendra pour lui, entraînant inévitablement la perte de son enveloppe corporelle.

Dans l’Evangile selon Thomas, on trouve le passage suivant qui est des plus significatifs :  « Quand vous vous connaîtrez, alors vous serez connus, et vous saurez que c’est vous les fils du Père-le-Vivant ; mais s’il vous arrive de ne pas vous connaître, alors vous êtes dans la pauvreté, et c’est vous la pauvreté. »

Lorsque l’homme commencera à se connaître, il commencera, par là même, à connaître l’Univers également, ainsi que sa relation avec celui-ci.

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Depuis l’instant fatidique où l’homme a inspiré son premier souffle de vie, la mort n’a cessé de se tenir silencieusement à ses côtés, attendant inexorablement de l’entraîner dans son royaume — une compagne tenace, dont il ne peut se séparer, pas plus qu’il ne peut se détacher de son ombre. Et, en dépit du fait qu’il subisse inévitablement, au cours de son passage sur Terre, la douleur de la mort d’un parent, de la perte d’un ami ou même le choc du décès d’un voisin, pourtant, par un phénomène des plus étranges, il porte en lui le curieux sentiment inconscient qu’un tel événement n’arrive qu’aux autres et ne pourra l’atteindre personnellement.

A ce propos, il existe dans le Mahabharata (texte sacré de l’hindouisme), cet étonnant dialogue au cours duquel le Dharma, personnification du devoir et de la vertu, qui s’est dressé sous la forme d’une cigogne devant Yudhisthira, lui demande :

« De toutes les merveilles du monde, quelle en est la plus étonnante ? »

Et Yudhisthira répond :

 » Qu’aucun homme, bien qu’il voie les autres mourir autour de lui, ne croie qu’il va mourir lui-même. »

Aussi, utilise-t-il le précieux don de sa vie à courir après le transitoire, à chercher l’admiration des autres ou à se perdre dans des dissensions futiles, mais sans jamais penser à se préparer pour cet événement implacable qui l’attend !

Les différentes voies de méditation et de Yoga (si elles sont authentiques) ne constituent pas seulement des moyens destinés à aider l’aspirant dans la quête de son Origine Céleste, mais elles doivent également lui apprendre, dès le départ, à consentir à sa mort physique.

Les pratiques assidues de méditation ainsi que les divers exercices de concentration auxquels l’aspirant se consacre doivent constituer une sorte d’apprentissage continuel pour consentir à tout lâcher, à s’abandonner avec confiance et à accepter, sans résister, de retourner à la Source d’où il a originellement surgi quand ce moment inéluctable surviendra pour lui de quitter le monde des sens qu’il a connu jusqu’alors.

Cette démarche mystérieuse ne peut s’accomplir si le chercheur n’est pas parvenu, durant sa méditation, à accepter la perte de son individualité telle qu’il la connaît habituellement pour arriver à reconnaître, à travers une expérience directe, la Source d’où il a jailli et dans laquelle il est destiné, dès sa naissance dans cette forme d’existence, à être réabsorbé. Même s’il ne le réalise pas au commencement de cette étrange aventure spirituelle, ce n’est qu’à la suite de cette découverte capitale qu’il disposera d’une meilleure chance de pouvoir affronter, avec une certaine tranquillité d’esprit, cet instant vertigineux qui attend tout être vivant ayant pris forme dans la matière.

Sans négliger ses devoirs envers ses semblables et, en particulier, envers les personnes qui partagent sa vie, l’homme doit consacrer son existence entière à ses pratiques spirituelles en prévision de cette heure initiatique qui l’attend au terme de son séjour sur Terre ; il se trouvera alors confronté, d’une manière qu’il n’attend ni n’appréhende de son vivant, à lui-même et à ce qu’ il a fait de sa vie, que celle-ci ait été créative, médiocre ou stérile.

La vie, telle qu’elle est, avec tous ses problèmes, ses incertitudes et ses drames, lui offre le moyen indispensable et peut-être la seule opportunité qu’il ait d’apprendre à se sublimer au travers de ces difficultés mêmes ; car, après la mort, les conditions nécessaires à sa transformation n’existeront plus.

Dans l’état qui suit la mort, l’homme, n’ayant plus de corps à devoir nourrir, n’aura plus la tentation de prendre injustement le bien d’un autre afin de satisfaire ses propres besoins physiques ou son désir pour le plaisir ; les continents et les différents peuples ne seront plus à sa portée pour qu’il soit tenté de les conquérir, allant même jusqu’à annihiler ses semblables pour satisfaire ses désirs de pouvoir et de prestige ; les conditions par lesquelles il lui était possible de dénigrer un autre pour apparaître meilleur que lui aux yeux de son entourage n’existeront plus ; en outre, il n’aura plus personne â envier à cause de ses propres manques.

Par ailleurs, certaines activités nécessaires à sa croissance intérieure et qui demandent d’immenses efforts et une véritable abnégation de soi — telles la création de chefs d’œuvre artistiques ou la découverte de profondes vérités scientifiques ou spirituelles concernant l’univers et la vie — ne seront plus possibles pour lui, car elles demandent également l’existence terrestre pour leur accomplissement.

Lorsqu’il quittera cette forme d’existence, il demeurera seul avec ce qu’il aura fait de lui-même par la façon dont il se sera conduit et par les activités auxquelles il se sera livré de son vivant. Sans qu’il n’en soit conscient, la manière dont un homme agit dans sa vie quotidienne ainsi que les activités principales auxquelles il se livre forgent à chaque instant son être en ce qu’il va devenir.

De surcroît, à tout moment de son existence, l’homme se trouve à une bifurcation invisible: l’un des chemins mène aux satisfactions temporaires de son moi ordinaire qui peuvent ne pas être justes ni profitables pour son évolution spirituelle, alors que l’autre chemin mène à son Etre Princier — mais les conditions immédiates que ce dernier lui impose peuvent ne pas être nécessairement à son goût ni faciles à accepter. En fait, sans qu’il ne le réalise ordinairement, il n’y a pas un instant de son existence où l’homme ne se trouve pas à une bifurcation et où il n’est pas placé dans une situation d’épreuve dans laquelle une lutte invisible doit se dérouler en lui pour qu’il fasse un choix quelconque ou prenne certaines décisions.

Au commencement, un homme peut éprouver quelques scrupules en cédant à un comportement ou à un désir non profitable spirituellement. Mais, en le répétant, à cause de la tendance inhérente à la nature de l’homme à toujours vouloir repenser, refaire, ou ré-éprouver ce qu’il a pensé, fait ou éprouvé dans le passé, un tel comportement ou un tel désir finira petit à petit par devenir en lui une habitude non mise en question et difficile à changer. Avec le temps, l’homme pourra en arriver à un point où il se trouvera extrêmement handicapé dans ses efforts pour rejoindre la lumière intérieure qu’il tente si désespérément d’atteindre — ce qui lui causera beaucoup de souffrances, ainsi qu’une perte de temps précieux avant qu’il ne parvienne à se racheter.

Ce qui est exposé ci-dessus peut sembler excessivement sévère, de la même manière que l’insistance du bouddhisme sur la nécessité de mener une vie juste est parfois perçue comme trop moralisatrice ; il est toutefois nécessaire de comprendre qu’il ne s’agit en fait que de la perception du fonctionnement de lois impersonnelles incontournables qui, si elles ne sont pas respectées, produiront inévitablement des effets indésirables se révélant par la suite être des obstacles sur la voie.

Au terme de son voyage terrestre, l’homme ne pourra éviter de graviter à un état de conscience qui correspondra à ce qu’il aura fait de lui-même. Il ne pourra pas changer cette loi d’une précision mathématique parfaite qui est l’attraction et la gravitation de chacun à la place qui lui revient selon son niveau d’être et la pesanteur de son esprit.

Cette règle régit d’ailleurs le Cosmos tout entier ; chaque étoile, chaque planète et chaque satellite voyageant dans l’immensité de l’espace intersidéral sont maintenus à la place qui leur est propre selon leur masse, leur densité et leur taille. Si la Terre souhaitait se rapprocher du Soleil, il lui faudrait accepter un changement radical dans sa densité, sa masse et sa taille. De la même manière, si l’être humain désire se rapprocher de son Origine Divine, quelle que soit la force de son désir, il ne pourra le réaliser qu’au prix d’une transformation de tout ce qui est encore indésirable en lui et s’oppose à cet accomplissement.

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Naître dans un corps physique et devoir affronter les incertitudes, les risques et les changements continuels inhérents à l’existence terrestre sont des conditions de vie indispensables à l’éveil intérieur de l’homme ; sinon, quelle serait la nécessité ou le sens même de cette existence, une existence si précaire, impermanente et éphémère ?

La vie, avec toutes ses imperfections, est, dans ces imperfections mêmes, extraordinairement parfaite ! Sans les luttes, les peines et les incertitudes qui accompagnent l’existence terrestre, l’homme ne songerait jamais à chercher un moyen de se libérer de son être inférieur pour en arriver à la découverte de l’aspect Divin de sa double nature. Finalement, il végéterait et en arriverait à sombrer dans un étrange sommeil intérieur, sans pouvoir y échapper. En effet, si la vie était paradisiaque, l’homme ne ferait rien d’autre que paresser, manger, s’accoupler et se perdre dans les innombrables plaisirs des sens que le monde ne cesse de lui proposer, ce qui scellerait la destruction définitive de son être.

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Tout comme une certaine séparation de lui-même et de ce qu’il est habituellement se produit en l’homme durant son sommeil nocturne (au cours duquel il est immergé dans un état qui lui demeure toujours incompréhensible dans son état diurne), de même, lorsque la mort l’aura emporté, il se trouvera plongé en lui-même dans un état qu’il ne pourra pas appréhender ; il sera alors pris au dépourvu (n’ayant rien préparé de son vivant pour cet instant monumental) lorsqu’une certaine séparation se produira entre son moi coutumier et l’aspect supérieur de sa nature au travers duquel il verra comment il était réellement en lui-même durant son bref passage sur cette Terre et, surtout, les conséquences sur son être et sur son destin ultérieur — qu’il aura tracé pour lui-même à son insu   — de tout ce qu’il a pensé, fait et dit.

La manière dont un homme agit pendant son séjour sur ce globe dépend de ce que la vie signifie pour lui, et déterminera les sortes de pensées et de désirs intimes (qu’ils soient spirituels ou autres) qui l’accompagneront lorsqu’il quittera cette forme d’existence. Et les sortes de pensées et de désirs qu’il emportera avec lui détermineront à leur tour la sorte de monde dans lequel il se trouvera après sa mort. Il sera alors plongé en lui-même dans un monde (non spatio-temporel) qu’il aura créé, n’appartenant qu’à lui seul, et qui ressemblera plus ou moins (mais à une échelle d’une tout autre ampleur) au monde qu’il crée pour lui-même de son vivant et dans lequel il disparaît à chacun de ses sommeils nocturnes.

Tout comme l’homme ne comprend pas l’état dans lequel il se trouve lors de son sommeil nocturne et croit implicitement au monde irréel qu’il crée pour lui-même avec son propre esprit quand il est plongé dans ses rêves, de manière similaire, un homme non illuminé croira avec impuissance à tout ce qui se déroulera en lui après la mort et qui surgira également de son propre esprit.

L’enseignement du Bardo Thödol, le Livre des Morts Tibétain, cherche précisément à faire comprendre au défunt l’illusion du monde mental dans lequel il se trouve. Aussi, l’injonction suivante lui est-elle constamment répétée : « O fils noble, réalise que ces apparitions ne sont que tes propres formes-pensées. Si tu ne les reconnais pas, les lueurs te subjugueront, les sons te rempliront de crainte, les rayons te terrifieront. »

Tout ce qu’un homme a fait de son vivant et tout ce qu’il a soudé en lui comme manière d’être et de penser joue un rôle déterminant au moment où il lui faut quitter le monde phénoménal. Du fait qu’il ne possède plus un corps à protéger, à nourrir et à satisfaire, il peut dorénavant contempler sa vie depuis une autre perspective, libre de l’intérêt personnel de son moi ordinaire. Il va ainsi digérer ce qu’a été son existence jusqu’à cette heure monumentale, avec les nombreuses expériences qu’il a amassées durant son existence planétaire et les leçons importantes qu’il peut en tirer. Ses actions passées vont lui apparaitre dans leur vraie lumière, à travers le regard impartial et objectif d’un Mystérieux Témoin Silencieux qu’il portait tout le temps en lui à son insu — un regard objectif qui se trouve symbolisé dans le Livre des Morts Tibétain par un miroir, le Miroir du karma en lequel tout acte, bon ou mauvais, est reflété dans toute sa réalité.

L’idée du jugement qui suit la mort, tel qu’on l’imagine ordinairement, s’appuie sur une incompréhension de ce qu’est cette Déité qui punit ou qui récompense. L’homme ne sera en réalité jugé que par lui-même ; car la manière dont il aura vécu son existence et ce à quoi il l’aura consacré déterminera ce que sera son niveau d’être à l’heure de sa mort ainsi que l’état de conscience auquel il gravitera à cet instant fatidique — que cet état soit béatifique, morne et sans intérêt, ou douloureux.

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Afin de mieux saisir les implications de ce qui vient d’être exposé ci-dessus, il est nécessaire de tenter de comprendre la tendance à l’habitude qui existe en l’homme et dans l’Univers, ainsi que le mystérieux phénomène de la répétition de certaines manifestations de la vie dans le temps et l’espace et, finalement, le mouvement du Temps lui-même, qui s’altère selon les différentes dimensions à l’intérieur desquelles il se déroule.

L’homme est une créature d’habitudes, et il ne peut en être autrement. Une fois qu’il a pensé, dit, fait ou éprouvé quelque chose, sans le réaliser, il ne peut plus s’empêcher de vouloir le répéter ou le ré-éprouver. Or, au fur et à mesure qu’il répète une parole ou une action, l’habitude s’installe en lui jusqu’à se transformer en une tendance tenace qui le conditionne et qui, à son tour, déterminera ce que le futur sera pour lui. Et cet étrange phénomène peut même être observé à l’échelle de l’Univers. En effet, les innombrables corps célestes qui le peuplent ne sont pas, eux non plus, épargnés par l’habitude. Une fois lancée dans l’espace, la Terre n’a pas cessé de refaire la même trajectoire circulaire autour de son parent le Soleil, depuis déjà plus de quatre milliards d’années.

Il est possible, au cours de certains états mystiques, de se trouver mystérieusement projeté hors du Temps tel qu’on le connaît au niveau humain et de réaliser que sa vitesse, c’est-à-dire la vitesse de son déroulement n’est pas la même pour une galaxie, une étoile, un être humain ou un atome.

Pour les cellules microscopiques qui naissent et meurent tellement rapidement dans le corps de l’homme, le mouvement du temps au cours d’une existence humaine, si elles pouvaient le percevoir, leur apparaîtrait étonnamment lent. De même, si une étoile pouvait appréhender le mouvement du temps pour une galaxie, elle le percevrait comme étant d’une lenteur infinie, alors qu’au contraire, le déroulement du temps pour un homme lui apparaîtrait vertigineusement rapide.

En dépit de la brièveté fulgurante de son existence par rapport à un Cosmos dont l’immensité lui demeure toujours impossible à concevoir, l’homme ressent néanmoins sa vie avec acuité, mais sans jamais comprendre l’énigme de la direction que le temps emprunte dans sa course. En effet, lorsqu’il pense à ce qu’il va faire demain, le mois prochain ou dans un an, en raison de son niveau de conscience limité, le temps va lui apparaître se dérouler de façon linéaire. Il lui est extrêmement difficile de concevoir que le mouvement du temps est courbe et que, lorsque celui-ci a accompli sa trajectoire circulaire, il se retrouve à son point de départ pour effectuer un nouveau périple avec peu ou peut-être pas de changement — à moins que quelque chose d’inattendu ne surgisse pour changer sa trajectoire.

Le déroulement de certains événements troublants qui surviennent parfois dans la vie d’un homme, ou des rencontres inopinées qui peuvent se produire si mystérieusement à des moments décisifs de son existence, ou encore, la détermination avec laquelle il peut se livrer à des activités artistiques, scientifiques ou mystiques, accomplies avec une étrange certitude et une perfection surprenantes, demeurent toujours une énigme inexplicable à l’esprit rationnel.

La plupart des hommes et des femmes qui peuplent cette planète ne vivent que superficiellement, depuis la surface d’eux-mêmes. Aussi, tout ce qu’ils font et éprouvent durant leur bref séjour sur Terre, ne laisse aucune trace en leur être. C’est comme s’ils n’avaient même jamais vécu leur existence ! Mais, pour quelques rares personnes qui, on ne sait par quel mystère, parviennent à vivre depuis les profondeurs d’elles-mêmes, les activités principales auxquelles elles se livrent durant leur vie et qui leur tiennent à cœur, laissent en leur être une subtile et indélébile trace que la mort ne peut pas effacer.

Contrairement à ce que l’on pourrait être tenté de croire d’ordinaire, un grand génie n’est pas le produit du hasard : il se souvient ! A un moment décisif de sa vie, un souvenir insondable et silencieux s’éveille mystérieusement en son être, grâce auquel il va désormais connaître avec une inexplicable conviction ce à quoi il doit consacrer son existence.

Le déroulement troublant de la vie de certains êtres ne peut s’expliquer si l’on ne prend pas en considération l’influence déterminante d’un passé énigmatique. Aucune explication rationnelle ne permet de comprendre l’étrange enfance du célèbre compositeur Mozart, ou d’appréhender les vies de Milarepa (le yogi tibétain) et de Ramana Maharshi (le mystique indien) qui, tous deux, alors qu’ils n’étaient encore que de simples adolescents, n’avaient qu’un seul but dans l’existence : se lancer dans une quête spirituelle. Est-ce un souvenir silencieux et impérieux qui a soudainement surgi en ces deux êtres exceptionnels, les appelant avec insistance à poursuivre ce qui avait déjà été entrepris dans un passé insondable, un appel auquel ils ne pouvaient qu’obéir ?

L’énigme de la récurrence, ou répétition cyclique dans la vie, et le mystérieux déroulement du temps ne peuvent être expliqués par la logique coutumière. Des réponses subtiles sous forme d’aperçus directs peuvent parfois venir à un homme durant de profonds états de méditation ou au cours de certaines expériences mystiques ; mais lorsqu’il tente par la suite de les transcrire dans le vocabulaire ordinaire de ce monde, les mots par lesquels exprimer ce qu’il a reçu durant ces moments privilégiés restent toujours limités et, par conséquent, insatisfaisants.

En général, l’homme ne réalise pas que tout ce qu’il a pensé, dit et fait dans le passé existe toujours influençant le présent qui, à son tour, fait de l’avenir ce qu’il va inévitablement être. Ce n’est certainement pas parce que l’on ne voit pas le soleil durant la nuit qu’on peut affirmer qu’il a cessé d’exister. De même, ce n’est pas parce que le passé est inaccessible d’ordinaire qu’on peut affirmer qu’il n’existe plus.

L’homme ne réalise pas qu’il vit simultanément sur différents plans d’être qu’il ne peut appréhender depuis son état coutumier de penser et de se sentir. Il vit dans d’autres dimensions — qui ne sont pas spatio-temporelles et qui lui demeurent inconnaissables d’ordinaire — en même temps que dans le monde matériel qu’il a l’habitude de connaître (si imparfaitement) au travers de ses organes sensoriels limités. Par conséquent, tout ce qu’il fait dans le monde manifesté se joue également sur d’autres plans invisibles qu’il lui est impossible de concevoir communément. Et il ne peut pressentir de quelle façon mystérieuse son passé l’attend dans le futur !

Tout ce qu’un homme pense, fait et dit durant sa vie est mystérieusement accumulé dans des plans énigmatiques de son être et du Cosmos, attendant des conditions favorables pour pouvoir se manifester à nouveau ultérieurement. En outre, l’homme ne peut concevoir, depuis son état coutumier d’être, de quelle façon son passé et son avenir convergent à chaque fraction de seconde dans le présent, ni la manière dont les événements de son passé sont en train de se re-jouer indéfiniment sur d’autres plans qui lui restent incompréhensibles tant qu’il demeure tel qu’il est ordinairement.

Les erreurs tragiques que l’humanité a commises dans un passé proche ou lointain n’ont pas disparu comme on aimerait le croire. Tous les drames qui se sont déroulés sur la Terre depuis son origine sont continuellement en train de se re-jouer, d’une manière ordinairement inexplicable, sur d’autres plans où ils attendent les conditions pouvant leur permettre de se manifester à nouveau dans le monde visible.

L’aspirant ne doit pas oublier qu’en raison de cette étrange tendance inhérente à la nature de tout homme et de toute femme à chercher, malgré eux, à répéter ce qu’ils ont pensé et fait dans le passé, ils créent, par là même, les conditions permettant la manifestation de ce qui est mystérieusement enfoui dans les replis obscurs de cette mémoire qui, en dépit de son invisibilité, reste toujours vivante et active dans des dimensions incompréhensibles à l’homme du commun.

Il existe donc une interaction permanente entre, d’une part, cette tendance irrésistible en l’homme à toujours vouloir répéter ce qu’il a pensé, éprouvé et fait dans le passé, et, d’autre part, cette mémoire vivante, à jamais active sur d’autres plans, qui attend de pouvoir recommencer à se manifester dans le monde matériel lorsque les conditions qui y sont favorables se présentent.

En admettant pour un moment la possibilité de la récurrence de l’existence, et en prenant en considération, d’une part, la tendance à l’habitude (inhérente à l’être humain et à toute forme de manifestation dans le Cosmos), et, d’autre part, le fait que le temps est courbe, on se trouve confronté à une troublante interrogation ; en effet, lorsque l’homme parvient à la fin du cycle de son existence, ne va-t-il pas se trouver sans le savoir sur le point de recommencer la même trajectoire, refaisant peut-être les mêmes activités, les mêmes rencontres, les mêmes erreurs, et ainsi de suite, avec peu ou pas de changements ? On ne peut alors manquer de songer aux paroles énigmatiques du Bouddha évoquant l’enchaînement de l’homme à la ronde de la naissance et de la mort !

L’homme ne peut être que le résultat de la façon dont il a vécu l’instant d’avant, la semaine précédente ou l’année écoulée. Le passé n’a pas cessé d’exister pour lui, et continue de peser sur son être, sa vie et son avenir d’une manière qui lui demeure toujours incompréhensible.

C’est la raison pour laquelle, si un aspirant souhaite que demain lui apporte le changement auquel il aspire, il lui faut nécessairement vivre le présent différemment. Et, comme à chaque instant de son existence, le passé et le futur convergent dans le moment présent, il lui est donc possible, par une pratique spirituelle ardente, non seulement de changer son avenir, mais, de la manière la plus mystérieuse, de changer son passé aussi, de sorte que celui-ci ne puisse plus se répéter de la même façon.

Seule la pratique constante de la méditation et de certains exercices de concentration (dont la difficulté rebute la plupart des gens) permettra à l’aspirant de réussir à s’arracher à l’aspect inférieur de sa double nature ainsi qu’à l’attachement qu’il éprouve envers son corps planétaire, pour découvrir, à l’arrière-plan de son apparence physique, l’Infini qui est au-delà du temps et de l’espace, et par lequel uniquement, il pourra être un jour libéré du cycle de la répétition.

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De même qu’un homme lutte pour naître dans ce monde, il lutte également pour naître dans l’autre. La manière dont il quitte son corps à cet instant dramatique, où l’avenir est en jeu pour lui, dépend de la façon dont il a vécu sa vie et peut être comparée à celle d’un nouveau-né qui se débat pour sortir du ventre de sa mère. Tandis que le mourant tente de prendre son dernier souffle, une question vertigineuse, non formulée en paroles, s’élève des profondeurs de son être : « Qu’ai-je fait de ma vie ? Avec quoi ai-je été occupé tout au long de mon existence ? Et où vais-je maintenant ? »

L’agonie qui précède la mort, et la peur de l’inconnu que l’homme subit avec impuissance à cet instant fatidique où son futur destin se décide peuvent être considérablement allégées si, par une pratique tenace de la méditation et de divers exercices spirituels, il est arrivé à connaître l’autre aspect de sa double nature qui transcende l’existence temporelle et auquel il a déjà appris à s’abandonner.

Ce n’est que dans la mesure où l’homme est capable d’accepter de tout lâcher, de mourir à lui-même et de se donner à quelque chose de plus haut en lui au cours de ses séances de méditation qu’il pourra s’abandonner à la mort sans résister quand surviendra pour lui ce moment ultime et qu’il lui faudra accepter la perte définitive de son individualité coutumière pour s’immerger dans l’immensité de l’Etre Cosmique d’où il a jailli originellement.

Tant qu’un homme demeure enfermé en lui-même et en sa peur de l’inconnu devant l’épreuve de sa mort physique, s’accrochant à son vieux corps usé qui lui est devenu inutile, la porte qui mène à la Lumière de son Etre Céleste reste close pour lui.

A la fin de cette lutte dramatique, qui apparaîtra au mourant comme le déroulement d’une immense dissolution cosmique, celui-ci commencera à traverser le pont invisible qui mène de la vie à la mort, un passage intermédiaire « neutre » où il sera confronté à la Lumière d’une Conscience Claire et Translucide qu’il a toujours portée en lui sans jamais l’avoir appréhendée.

A ce moment crucial, il se trouvera, pour ainsi dire, sur une longue route dont une extrémité mène vers le monde des sens qu’il sera en train de laisser derrière lui, tandis que l’autre extrémité, qui semble disparaître dans une brume mystérieuse, va vers la Vie au-delà du temps et de l’espace. Un homme non illuminé continuera immanquablement de regarder en arrière, en direction de la vie terrestre qu’il sera en train de quitter avec une douloureuse nostalgie, et, comme il ne comprendra pas le monde de l’Infini qui s’étendra devant lui (mais qui, en fait, se trouve en lui-même), il le contemplera avec effroi. Cela lui semblera un vide terrifiant vers lequel il se sentira aspiré avec impuissance et en lequel il croira disparaître à jamais.

La manière dont ce Vide est décrit au défunt dans le Livre des Morts Tibétain se révèle capitale pour un chercheur : « Ce Vide n’est pas de la nature du vide du néant, mais un Vide dont la vraie nature t’impressionnera et devant lequel ton intellect brille clairement et plus lucidement. Dans l’état où tu existes, tu expérimentes avec une intensité insupportable : Vide et Clarté inséparables… Ne sois pas distrait. La ligne de démarcation entre les Bouddhas et les êtres animés passe ici ».

Il faut souligner ici que, si le défunt n’a pas effectué, de son vivant, des pratiques de concentration et de méditation assidues grâces auxquelles il est parvenu, au moins dans une certaine mesure, à reconnaître l’État Primordial ou cette Conscience Claire et Ethérée d’où il a surgi, il ne pourra y parvenir au moment ultime de la mort — sans même parler de demeurer non distrait, ce qui implique une totale maîtrise du mental !

Il est nécessaire d’évoquer une nouvelle fois l’étrange phénomène existant dans l’Univers et dans toute la Création, qui consiste à vouloir répéter ou revivre ce qui s’est déjà produit ou qui a déjà été éprouvé à un moment donné. Ainsi, une fois qu’une sensation agréable, une quelconque action ou même une simple pensée ont eu lieu, un désir incontrôlable s’installe en l’homme de vouloir les reproduire. Et, au fur et à mesure qu’il les répète, il ne peut plus s’empêcher de chercher à les ré-éprouver ou à les re-penser, jusqu’à ce que ces actes, ces pensées et ces sensations finissent par devenir chez lui une impulsion irrésistible dont il ne peut plus se défaire — à moins qu’il ne se lance dans une pratique spirituelle sérieuse et ne parvienne à se connaître et à connaître l’aspect supérieur de sa double nature.

Par conséquent, à partir du moment où l’homme a pensé, fait ou éprouvé quoi que ce soit, l’attachement à ce qu’il s’est habitué à connaître s’installe en lui. La constante répétition de ce qu’il a pensé, fait ou éprouvé le conditionne et, si ces actes, pensées ou émotions sont d’une nature indésirable, lui ferme la porte ouvrant sur des perspectives intérieures plus vastes et d’autres dimensions qui transcendent le monde des sens. Il reste ainsi craintif de l’inconnu et s’accroche aux seules impressions avec lesquelles il est familiarisé, ce qui l’empêche d’être neuf et ouvert à de nouvelles formes de connaissances inaccessibles au commun des mortels.

Sans qu’il ne le sache, l’homme s’emprisonne dans ce qu’il s’est accoutumé à éprouver et à connaître et qui conditionnera inévitablement les dernières pensées et les derniers désirs qu’il emmènera avec lui au moment de sa mort, lesquels détermineront les niveaux d’être et de conscience auquel il gravitera inéluctablement.

Ainsi, le futur destin d’un homme sera déterminé par les penchants que ses pensées et ses désirs prédominants auront soudés en lui tout au long de son séjour sur cette Terre.

On comprend alors d’autant mieux les paroles suivantes de la Bhagavad-Gîtâ où Arjuna demande à Krishna :

« Au moment critique du départ de l’existence physique, comment peux-Tu être connu par celui qui a acquis la maîtrise de soi ?

Le bienheureux Seigneur lui répond :

— Quiconque à la fin abandonne le corps, attachant sa pensée sur quelque forme d’être, celui-là atteint à la forme dans laquelle l’âme croissait intérieurement à chaque instant durant la vie physique.

Donc, quiconque abandonne son corps et s’en va en pensant à Moi au moment de sa fin, vient en Ma condition d’être ; on n’en saurait douter.

Aussi, à tout moment, souviens-toi de Moi et lutte ; car si ton mental et ton entendement sont toujours fixés sur Moi et donnés à Moi, à Moi sûrement tu viendras. « 

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Pour un mourant qui n’a rien connu d’autre qu’une existence quasi végétative, le problème qui se pose pour lui à cet instant crucial de sa vie consiste à accepter d’abandonner tout ce qu’il croit posséder (nom, forme, identité, son propre corps inclus — qui, en réalité, ne lui appartient pas ou, plutôt, ne lui a jamais appartenu) et de quitter ce monde comme il y est venu, c’est-à-dire, les mains vides — ou, en d’autres termes, d’accepter de perdre le non-réel en lui pour accéder au Réel, car tout ce qui lui est arrivé durant son bref séjour sur cette Terre ainsi que toutes les expériences agréables ou désagréables qu’il a pu éprouver n’avaient pour but que de l’aider à se connaître.

L’attachement qu’il porte au monde des sens, à son corps planétaire et à toutes les impressions et sensations agréables qu’il a pu ressentir dans cette forme d’existence ne peut que lui rendre ce passage vers l’inconnu extrêmement difficile. Et, malheureusement pour le mourant, il ne se trouve pratiquement jamais personne à ses côtés possédant la connaissance et la compréhension nécessaires pour l’assister à ce moment décisif.

La mort, qui doit être acceptée à la fois comme une délivrance de la souffrance (lorsque le corps est devenu trop usé, infirme et inhabitable) ainsi qu’en tant qu’initiation à un autre monde ou état d’être en soi-même (inconnu à l’homme dans son état coutumier d’être), est regardée par le mourant comme une effroyable ennemie devant laquelle il se trouve impuissant et sans défense.

Et ce qui lui rend ce moment ultime plus difficile encore, c’est que les personnes qui l’entourent, ignorant tout dans ce domaine fondamental, cherchent, par tous les moyens, médicaux ou autres, à le retenir et à empêcher son départ, sans nul autre résultat que prolonger son agonie et augmenter ses souffrances morales et physiques !

Les médecins devraient d’abord être des mystiques avant de se permettre de donner une assistance médicale à quiconque, et surtout aux mourants. Ils devraient posséder une connaissance particulière du sens caché de la vie, et savoir comment préparer un homme à l’initiation de la mort par laquelle il est destiné à passer et qu’il a même, sans en avoir conscience, attendue secrètement tout au long de sa vie.

En plus de leur savoir médical, les soignants (qui sont probablement à l’heure actuelle les personnes les plus importantes au chevet d’un mourant), devraient avoir acquis la connaissance requise pour aider celui-ci à accepter avec tranquillité son passage vers un monde intérieur énigmatique, comme le faisaient les anciens yogis indiens et tibétains dont beaucoup étaient également très versés dans la médecine de leurs pays respectifs. Les médecins occidentaux devraient savoir comment préparer l’esprit et les sentiments du mourant en vue de cet ultime voyage silencieux, le plus important qu’il lui soit donné d’entreprendre. Tandis qu’au contraire, on les voit suspendre par la force et contre nature la vie d’un homme, ou plutôt, pour être plus exact, le maintenir entre deux états, remplissant son esprit de confusion par des drogues dont ils savent très bien la plupart du temps l’inutilité.

De cette façon, ils ne font qu’intensifier l’agonie à la fois physique et morale du mourant, le privant ainsi de ce qui est probablement l’unique possibilité qui lui reste à ce stade de son existence de comprendre, même un peu, le sens de sa venue sur Terre et ce que sa vie a été jusqu’à cet instant monumental — particulièrement s’il ne s’est pas consacré de son vivant à la quête de la réponse au mystère de sa véritable identité (ce qui est malheureusement le cas de l’écrasante majorité des hommes et des femmes).

Cette attitude irréfléchie des médecins ne peut qu’être comparée à l’inconscience de quelqu’un qui, sans réaliser la gravité de ce qu’il fait, empêcherait par la contrainte un enfant de sortir du ventre de sa mère lorsqu’est venu le moment de sa délivrance de la matrice maternelle.

Aux tout derniers instants précédant sa mort, il se peut que l’homme soit, pour la première fois de sa vie, dans un état d’abandon tout à fait particulier, qu’il ne lui avait jamais été possible de connaître auparavant, au travers duquel le frémissement d’une étrange compréhension intuitive pourra peut-être commencer à se faire sentir silencieusement en son être.

L’état d’extrême faiblesse physique dans lequel il peut se trouver à ce moment-là, au point parfois de ne plus pouvoir bouger — une situation qui a déjà pu se produire au cours de sa vie lors d’une grave maladie ou d’une forte fièvre — favorise cet abandon de lui-même, de sorte qu’alors, plus rien d’extérieur ne compte pour lui.

Il se peut qu’en raison précisément de l’état particulier dans lequel il se trouve à cet instant, il puisse commencer à appréhender un peu le sens véritable de son existence terrestre et de ce qu’il en a fait jusque-là, afin qu’il soit préparé, dans la mesure du possible, à affronter ce qui l’attend après sa mort physique.

Mais, en cherchant par la contrainte à le retenir; on le maintient, comme dit précédemment, entre deux états, ce qui l’abrutit de plus en plus et lui vole la dernière chance dont il aurait peut-être pu disposer de tourner son regard dans la direction opposée à celle du monde des sens auquel il est en train de faire ses adieux.

L’abandon de soi-même à cette heure cruciale est (contrairement à ce que l’on serait tenté de croire) peut-être l’acte le plus difficile à comprendre et à effectuer. Aussi, toutes les pratiques de méditation que l’aspirant entreprend ne constituent-elles, en fait, qu’un apprentissage en vue de l’abandon ultime de lui-même et de tout ce qui peut l’entraver à l’instant implacable de sa mort physique afin qu’il puisse rejoindre sa Patrie Originelle.

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Afin d’aider les chercheurs à mieux appréhender ce qui vient d’être exposé, il est nécessaire à présent d’évoquer un problème survenant dans la méditation et dont malheureusement on ne parle jamais.

Au commencement de son engagement dans une pratique spirituelle, quand l’aspirant en est encore à lutter avec l’effort initial pour demeurer présent et concentré durant sa méditation, il va remarquer (s’il est assez honnête et cherche vraiment à se connaître) que, la plupart du temps, il éprouve un désir caché d’arrêter et qu’il est même soulagé lorsque le moment arrive de cesser de méditer. C’est comme s’il était même secrètement content de revenir à ses conditions de vie habituelles pour s’installer une fois de plus dans ses vaines rêveries coutumières, dans son sentiment habituel de lui-même et dans ses préoccupations ordinaires, préférant tout cela y compris les tracas, les tourments et les souffrances que cet état d’être entraîne dans son sillage — plutôt que de devoir faire l’effort indispensable pour demeurer concentré et présent à lui-même intérieurement. C’est comme si, de la manière la plus étrange et absurde, il avait besoin de tous ses problèmes extérieurs et intérieurs pour remplir un vide en lui qu’il lui serait autrement trop intolérable à supporter.

Il doit arriver à voir clairement ce qui se produit en son être pendant qu’il tente de méditer (et qui lui est caché d’ordinaire) pour que l’inverse de cette attitude puisse commencer à se manifester en lui ; c’est-à-dire qu’au lieu de souhaiter secrètement finir rapidement sa pratique de concentration pour revenir à ce qui l’attire extérieurement, il en vienne à aspirer au contraire à terminer ce qui l’occupe extérieurement afin de pouvoir retourner à sa méditation ; faute de quoi, il se produira toujours un conflit caché en lui tandis qu’il essaiera de se concentrer, et ses efforts ne le conduiront finalement nulle part. Il peut même en arriver par être tenté d’abandonner complétement sa méditation comme cela arrive à tant de chercheurs sans qu’ils n’en comprennent la raison véritable. Toutefois, ce qui vient d’être expliqué ne doit à aucun prix signifier que l’aspirant doive négliger ou mal remplir ses devoirs extérieurs, car tout doit être utilisé comme un moyen pour lui de devenir plus concentré, plus digne, plus vrai et plus noble.

Un renversement des sentiments et de la manière d’être de l’aspirant durant ses pratiques spirituelles est d’une extrême importance, et doit commencer à se produire en lui pendant qu’il est encore en vie. Car, tout comme quelque chose en lui refuse, lorsqu’il essaie de méditer, d’abandonner ce qui le préoccupe secrètement et auquel il est en fait, à son insu, profondément attaché, de la même façon, à l’heure cruciale où il sera appelé à abandonner son enveloppe corporelle, tous ses sentiments et toutes ses pensées seront dirigés vers le monde extérieur auquel il s’est accoutumé et si désespérément attaché, puisque c’est la seule chose qu’il ait connue de son vivant.

Quand l’aspirant apprendra à être de plus en plus présent à lui-même et relié intérieurement à son Essence Divine, non seulement durant sa méditation, mais aussi au cours de la vie active, il pratiquera ainsi, inévitablement, le détachement indispensable de l’esclavage de son moi ordinaire. Reconnaître pleinement cet état élevé en soi-même comme étant la Vérité Suprême, c’est avoir trouvé la clé secrète avec laquelle ouvrir la porte de la prison dans laquelle l’homme est enfermé, et par laquelle il pourra éventuellement être libéré de sa nature inférieure et de la dualité. Cette découverte capitale signifiera également pour lui l’espoir extraordinaire de pouvoir finalement vaincre la mort elle-même — à condition d’avoir pleinement compris ce qu’est réellement la mort, c’est-à-dire dans quel véritable sens elle doit être prise, de quelle manière l’homme est en train de « mourir » intérieurement à chaque instant de sa vie sans le réaliser d’ordinaire, et quel aspect de sa nature y est soumis.

Dans son état d’être habituel, le présent ne peut pas exister pour l’homme. A peine l’instant présent est-il là qu’il s’évanouit dans un passé obscur et insondable. Afin que l’homme puisse commencer à connaître le présent dans sa réalité, il lui faut d’abord parvenir à rejoindre l’Aspect Céleste de sa double nature qui, Lui, n’est pas affecté par le déroulement du temps, un Temps à jamais en mouvement vers un devenir perpétuel.

Il est nécessaire à l’aspirant de comprendre que le Temps est l’ennemi de l’Eternité et que ce n’est qu’au fur et à mesure qu’il apprendra à se tourner intérieurement vers son Foyer Divin et à y demeurer qu’il pourra commencer à éprouver l’étrange sentiment d’un « maintenant éternel. » Il connaîtra alors les prémices d’une énigmatique sécurité intérieure au sein d’une existence qui, par nature, ne peut qu’être précaire, en flux continuel et à jamais changeante. Il aura ainsi trouvé en son propre être un sanctuaire inviolable et la vraie sécurité au cœur même de l’insécurité.