La mort une autre naissance ?

C’est un problème qui préoccupe beaucoup de gens. Pour en parler exhaustivement, je devrais faire une conférence de deux heures. Après la mort que se passe-t-il ? C’est un problème religieux auquel il n’est pas nécessaire de trop penser. Ceux qui ne veulent pas mourir sont toujours préoccupés par cela. Dans le bouddhisme, on ne fait pas de commentaire sur l’après-mort. L’essentiel est « ici et maintenant ». Les problèmes métaphysiques ne peuvent pas être résolus. On ne peut ni les affirmer, ni les nier ; on ne peut rien décider.
Après la mort, que devient l’esprit ? Personne n’est revenu pour en parler. Il ne faut donc pas trop s’attacher à la mort. C’est le sens de la célèbre phrase de Dogen : « Le bois ne peut pas regarder les cendres. » Le bois représente la vie et les cendres la mort. « Les cendres ne peuvent pas voir le bois. »
On peut aussi comparer la vie aux images qui se forment sur l’écran de la télévision et la mort à l’interruption des images après avoir tourné le bouton. Si on regarde, notre vision est subjective. Si on tourne le bouton, l’image disparaît.

(Revue Question De. No 48. Juillet-Août 1982)

Voici un extrait de mondos (questions de disciples, réponses du maître) ayant trait à la mort. Un célèbre et vigoureux koan zen dit : l’être humain sort d’un trou pour rentrer dans un trou.

— Vous dites souvent que faire zazen c’est entrer dans son cercueil. Qu’est-ce réellement que la mort dans le zen ?

— Bonne question. Zazen et la mort ne sont pas pareils. La mort signifie cesser de respirer. Tandis qu’en zazen on se concentre sur la respiration. Il n’y a pas de relation. Avez-vous lu le Genjo Koan ? Il explique de façon précise zazen et sa relation avec la mort. Il faut le lire. Vous comprendrez. Le bois devient cendres ; les cendres ne peuvent redevenir bois, et le bois ne peut voir ses propres cendres. C’est la même relation qu’entre la vie et la mort. Cependant, je dis exactement : zazen revient à entrer dans son cercueil : vivre le Nirvana, pareil à la mort. Le Nirvana est l’achèvement complet de tout, c’est ku — non shiki. L’activité s’arrête. Tout s’arrête. Cet arrêt total signifie la mort. L’arrêt parfait des trois actions définit la mort.

Mais le bouddhisme Hinayana se trompe quand il déclare que pour aller au Nirvana, il faut cesser de manger, de respirer… Les illusions disparaissent mais on se rapproche de la mort. Bouddha a expérimenté et a fui ces pratiques.

Le professeur Akishige explique : « Si la conscience s’arrête, le corps est près de la condition de la mort. » Tranquille. Mais ceci non plus n’est pas la condition normale de la conscience. On devient faible, et un peu spécial. Être près de la mort n’est pas la conscience Hishiryo. Il est possible de cesser pendant un jour, deux jours, quelques jours, de prendre de la nourriture ; Bouddha, lors de ses austérités, prenait un grain de riz par jour. Mais je n’ai jamais dit qu’il fallait pratiquer la condition de la mort. Personne ne voudrait suivre cela. Ne soyez pas anxieux. Il faut manger, mais savoir diminuer ses besoins alimentaires. Dogen a écrit : « avoir le ventre vide n’est pas condition normale » car le corps et la conscience deviennent faibles. Le cerveau devient fatigué et une condition de conscience particulière se développe jusqu’à l’hallucination. J’en ai fait moi-même l’expérience. L’esprit a la mainmise sur le corps. Dans le zen, rechercher une condition spéciale n’est pas la voie. Le Nirvana est aussi équilibre du corps et de l’esprit. Manger est nécessaire. Mais en termes d’éducation je dis : vous devez devenir comme si vous entriez dans votre cercueil. Cela crée un grand choc. Inutile d’entrer vraiment dans un cercueil. Vous pouvez l’imaginer. C’est le « rien ».

— Ce matin, vous avez dit que l’esprit de Maître Yamada, qui vient de mourir, était dans ce dojo. Que pensez-vous de l’après-mort ?

— C’est un problème qui préoccupe beaucoup de gens. Pour en parler exhaustivement, je devrais faire une conférence de deux heures. Après la mort que se passe-t-il ? C’est un problème religieux auquel il n’est pas nécessaire de trop penser. Ceux qui ne veulent pas mourir sont toujours préoccupés par cela. Dans le bouddhisme, on ne fait pas de commentaire sur l’après-mort. L’essentiel est « ici et maintenant ». Les problèmes métaphysiques ne peuvent pas être résolus. On ne peut ni les affirmer, ni les nier ; on ne peut rien décider.

Après la mort, que devient l’esprit ? Personne n’est revenu pour en parler. Il ne faut donc pas trop s’attacher à la mort. C’est le sens de la célèbre phrase de Dogen :

« Le bois ne peut pas regarder les cendres. » Le bois représente la vie et les cendres la mort. « Les cendres ne peuvent pas voir le bois. »

On peut aussi comparer la vie aux images qui se forment sur l’écran de la télévision et la mort à l’interruption des images après avoir tourné le bouton.

Si on regarde, notre vision est subjective. Si on tourne le bouton, l’image disparaît.

— Mais pensez-vous qu’il y ait une survie de l’âme après la mort ?

— Et vous-même, y croyez-vous ? C’est un problème très compliqué qui pose des difficultés à la science moderne. Je ne peux pas le nier, mais je ne peux pas y croire. La science ne trouve pas d’âme à l’intérieur du cerveau, ni du cœur, ni en quelconque autre endroit du corps.

Toutefois l’action de notre conscience continue. Notre karma, nos actions, l’action de notre karma continuent. Si vous donnez un coup de poing à quelqu’un cette action continue. Lorsque nous pensons, le karma de cette pensée continue. Quand vous éteignez votre poste de télévision, l’image disparaît de l’écran, mais continue sur les ondes… C’est pareil ! Le monde de maintenant et le monde spirituel se renversent, deviennent opposés, mais ils continuent. C’est un problème à la fois difficile et facile. Mais si je l’explique, vous risquez de mal comprendre. Je ne crois pas que l’âme monte au paradis ou descende en enfer. Elle ne peut pas sortir du cercueil pour aller quelque part. Mais l’influence de la conscience se poursuit.

Il y a l’histoire du maître et du disciple qui allaient à des funérailles. « Est-ce que cela vit ou pas ? » demande le disciple en montrant le cercueil. Et le maître dit : « Je ne réponds pas, je ne parle pas ! » Le maître était habile : ni négatif, ni positif.

Penser : « j’irai au paradis retrouver une famille » c’est de l’imagination. Mais répondre : « vous êtes idiot de croire cela » n’est pas une bonne chose. Il vaut mieux rester silencieux.

Moi, j’ai mes idées, mais si je fais des catégories sur ce point, cela deviendra une généralité, alors que pour chacun, je devrai répondre différemment. Il s’agit d’un problème très profond qui touche à l’essence des religions. Il ne faut pas faire de catégories, c’est un problème particulier pour chacun.

— Le principe de la réincarnation apporte bien des réponses aux questions que l’on se pose. Mais le bouddhisme ne donne pas les mêmes réponses que l’hindouisme.

— Oui, la vieille tradition indienne a un peu influencé le bouddhisme. Mais le bouddha n’aimait pas tellement cela. Vous changez votre incarnation, telle est la réponse du bouddhisme.

Dans le zen, pas de réincarnation. Par exemple un chat devient-il un homme ou le contraire ? C’est une théorie de la tradition indienne, pas tellement importante, même si elle a influencé le bouddhisme Mahayana. L’âme demeure-t-elle après la mort ? C’est un problème de conscience.

Dans la physiologie moderne, on pense que le cerveau et les cellules restent encore vivants deux ou trois jours. Peut-être que chez certains morts, la conscience n’est pas tout à fait morte. Or le dernier état de conscience est très important. On continuera sur cet état de conscience. Quelle doit être notre dernière pensée ? Si vous avez l’habitude de zazen, votre dernière expiration sera une conscience normale, sans conscience.

Dans les temps anciens, la physiologie n’était pas développée. La part de l’imagination était importante chez les philosophes, chez les religieux : réincarnation, résurrection du Christ… C’est l’eschatologie dans le christianisme : cette fin dernière du monde n’est pas encore arrivée. Mais à la mort de chacun le monde s’arrête et on peut communiquer avec l’éternité.

— S’il n’y a pas de réincarnations, alors pourquoi le dernier moment est-il important ?

— L’esprit mushotoku est important. « Il faut que j’aille au Paradis, il faut que je renaisse dans une prochaine vie », pas la peine de penser ainsi. Si vous pensez à quelque chose, si vous avez un désir, vous restez accroché à votre existence passée. Il vaut mieux vivre mushotoku, inconsciemment. Vrai calme, vraie paix.

L’idée du Paradis a souvent trop d’importance : « Si je meurs, j’irai au Paradis. » Créer de telles images dans votre subconscient est inutile. La plus haute attitude est la non-conscience. Si vous avez une pensée, elle ne s’effacera pas pendant ces une ou deux journées de transition. Par l’harmonie avec le système cosmique votre activité, votre conscience retourneront rapidement au cosmos. Pendant zazen, vous pouvez vous harmoniser avec le système cosmique. La psychologie définit cela comme non-conscience. Le bouddhisme comme conscience alaya. C’est pourquoi je répète toujours que vous devez retourner à cette conscience normale. Pendant zazen, vous pouvez l’atteindre inconsciemment. C’est la conscience transcendantale et de cette conscience naît le juste comportement. Toutes les cellules, tous les neurones en sont activés.

Chaque chose que vous ressentez est ressentie par les neurones. L’influx nerveux leur est directement transmis. Le désir naît des impressions : le désir de continuer, le désir de posséder et cette activité de la vie est sans répit. Les idées surviennent constamment et la conscience se complique. Il faut donc toujours revenir à la condition normale. Même quand on dort, la conscience travaille. Mais quand on dort totalement, c’est la non-conscience. Deux heures de sommeil profond et puis le rêve apparaît. C’est très compliqué.

En zazen, le corps est en juste tonicité. Quand vous dormez, vous êtes totalement relâché, sans aucun tonus. Mais pendant zazen, on voit le rêve venir du subconscient, et on peut retourner à un état de non-conscience, certifié par la physiologie et la psychologie modernes. Cependant on ne doit pas dire : « Maintenant, je n’ai pas de conscience ! » Cet état est quelque chose d’inconscient. Quand je dis : « Encore cinq minutes. Concentrez-vous bien ! » ces dernières minutes sont très importantes. Au début, les pensées sont nombreuses, mais après on peut atteindre cet état. Certains l’obtiennent au bout de cinq minutes par la posture, l’expiration… Impossible de s’avachir, de pencher la tête, la nuque toujours bien tendue. Ceux qui pensent ont les pouces qui tombent. Il faut se reprendre et être très vigilant.

— Ainsi vous ne croyez pas à la réincarnation ?

— Croire ? Ce n’est pas si important. Pas la peine de croire. Savoir si cela existe ou pas est un problème subjectif. Je ne suis pas entièrement négatif au sujet de la réincarnation mais je ne dis pas que « je dois y croire ». Pour ce qui est de la réincarnation personne n’est revenu de la mort pour vraiment en parler. Mais cela excite l’imagination et les religions primitives avaient beaucoup d’idées là-dessus. On ne peut décider si tel ou tel chemin est le bon dans ce domaine. On peut y croire ou ne pas y croire. J’ai eu de nombreuses expériences métaphysiques et je crois dans ce monde métaphysique ; mais on ne peut le ramener à quelque chose de petit. Le cosmos est infini. On écrit sur le monde métaphysique mais on n’en touche que des aspects minuscules alors qu’il est infini. Aussi ne pouvons-nous pas en parler. Mon expérience et celles des autres sont différentes et on ne peut décider si c’est comme ci ou comme ça. Les catégories ramènent les choses à une petite dimension.

— Si on se souvient de ses vies antérieures, cela ne suppose-t-il pas un élément permanent ?

— Tout le monde pense à son ego. Les gens voudraient comprendre et ne le peuvent pas complètement. Ils y pensent par égoïsme. Si on n’est pas égoïste, ce sujet n’est pas tellement important : zazen l’est bien plus. Ici et maintenant s’avère bien plus efficace.

Maître Dogen a écrit profondément sur cette question : avant la naissance, après la mort… Avant la naissance : seulement la goutte de sperme du père et l’ovule de la mère… la goutte de sang… C’est aussi ku. Pas la peine d’y penser, de l’analyser. Seul ici et maintenant est important. Quand il faut mourir, il faut mourir et, à ce moment-là, cette vie se termine.

Plus les gens sont égoïstes, plus on est attaché à la vie, plus on pense à la mort.

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Témoignage d’un disciple par Luc Boussard

(Revue Question De. No 48. Juillet-Août 1982)

Tous les matins à sept heures et demie, alors que nous étions déjà assis face au mur, nous entendions tinter la petite cloche qui annonçait son entrée dans le dojo.

Nous l’entendions se prosterner devant l’autel du Bouddha et puis les trois coups de gong retentissaient : Maître Deshimaru était assis parmi nous, avec lui nous allions pratiquer zazen pendant une heure et demie. Nous allions écouter son enseignement, célébrer la cérémonie, prendre la Gen Maï (la soupe du moine) et parler librement de tout ce qui nous tenait à cœur. Cela nous paraissait immuable, nous étions ses disciples, presque ses enfants et nous aurions aimé le rester pour l’éternité. Et pourtant, il nous a bien fallu faire face à la plus cruelle des nouvelles : à l’aube du 30 avril, Maître Deshimaru nous a quittés, son cœur s’est arrêté de battre.

Maître Deshimaru avait 67 ans et, depuis quinze ans, il se dévouait corps et âme à sa mission et à l’éducation de ses disciples. Malgré l’incroyable énergie qui l’habita jusqu’au dernier moment, il avait épuisé ses forces et donné tout ce qu’un homme peut donner. Nous ne voulions pas croire à sa maladie, et pourtant, il était condamné : son pancréas était névrosé et les reins s’étaient bloqués à la suite d’une opération chirurgicale. Lui-même, avec le puissant instinct de lutteur que nous lui connaissions, avait catégoriquement refusé la maladie. Jusqu’au bout, il fit zazen avec nous tous les matins, passant ses jours et ses nuits à écrire, à préparer son enseignement et à diriger toutes les activités de sa sangha.

L’ultime enseignement

Sa mort reste pour nous l’ultime enseignement, et le plus fort de tous ceux qu’il nous a donnés. Il nous répétait sans cesse : « Au-delà de la vie et de la mort, l’univers entier est une perle brillante. Notre vie n’est qu’une bulle à la surface de l’eau, lorsqu’elle disparaît, elle retourne au courant indifférencié de l’eau. » Sans attachement, sans esprit de profit, ignorant la maladie et la mort, il est resté concentré jusqu’au dernier instant sur la pratique de la Voie.

Pas un instant nous n’avons sombré dans le désespoir. Son corps est parti en fumée, il a rejoint le flux éternel de l’énergie cosmique ; mais plus que jamais, sa présence est parmi nous. Il a laissé en nos cœurs une empreinte profonde et une graine d’une vitalité débordante. Confronté à sa mort, nous sommes envahis par l’évidence de l’impermanence, de notre propre impermanence, de notre solitude ultime et de l’urgence de s’éveiller et de pratiquer immédiatement l’enseignement si riche qu’il nous a laissé. Chacun d’entre nous entendra jusqu’à sa mort la voix puissante et calme que nous écoutions chaque jour avec tant de ferveur. « Menton rentré. Tendez la colonne vertébrale. Pas bouger. Pas bouger. Pratiquer zazen c’est comme entrer dans son cercueil. Ne fuyez pas, les pensées, mais ne les entretenez pas non plus. Il n’y a rien à atteindre, pratique et Satori ne sont pas séparés. Concentrez-vous ici et maintenant sur l’expiration, à ce moment-là, inconsciemment, naturellement, automatiquement, le véritable ego apparaît et vous êtes en harmonie avec l’ordre cosmique. »

Maître Deshimaru est venu en France en 1967. Seul, revêtu du Kolomo noir des moines zen et n’emportant que le Kesa de son maître Kodo Sawaki, il avait pris l’Orient-Express pour répandre en Occident la pratique de zazen. Il n’était mandaté par personne et ne parlait que quelques mots d’anglais, il n’avait pour lui que sa foi inébranlable et son identification totale avec la voie du zen. Il avait aussi une profonde expérience ; nous pouvons en effet dire de lui ce qu’il disait lui-même de son maître : « ayant trempé dans tous les milieux, son esprit s’ouvrait d’autant plus largement sur une immense compréhension de la vie et des hommes… Il abhorrait tous ces faux moines qui gonflent les rangs des prélats dans les temples du dogmatisme et du monachisme institutionnalisés. » Bien qu’il ait pratiqué zazen depuis son enfance aux côtés de Kodo Sawaki, celui-ci ne l’avait ordonné que sur son lit de mort. Devenu moine à cinquante ans, Maître Deshimaru avait déjà vécu tout ce que peut vivre un homme débordant d’énergie, il était passé par la vie de famille, la guerre et le monde des affaires ; ce qui fait ide lui un héritier direct des grands patriarches, ceux-ci ne sortant en effet que très rarement des milieux ecclésiastiques, confinés dans les routines et le confort d’un monde trop souvent coupé des réalités de la vie.

L’année de la non-peur

Les grands moines zen ont toujours fait l’expérience dans leur chair et dans leur sang, de l’impermanence et de la vanité de toutes les ambitions mondaines. Ce n’est que par cette vérification intime qu’ils ont pu s’immuniser réellement contre l’attrait des honneurs, du pouvoir et des jouissances matérielles et sublimer tous leurs désirs et leurs illusions vers la pratique de la Voie.

À l’aube de l’année 1982, Maître Deshimaru avait voulu qu’elle soit pour nous tous, tous ses disciples et tous les hommes « l’année de la non peur », l’année aussi du « retour à zéro ». Cela reste pour nous son testament. En 1967,  quelques disciples se joignaient à lui, quinze ans plus tard, nous sommes plusieurs centaines de moines et de nonnes et plusieurs milliers de disciples à pratiquer zazen dans plus de cent dojo répartis sur trois continents. La vie est impermanente, le temps passe comme une flèche, nous n’avons rien à perdre et rien à gagner. Sans peur, nous continuons à pratiquer la grande assise et à faire vivre l’enseignement éternel. Le monde social accumule ses productions, il empile illusions sur illusions, amasse l’angoisse et l’insatisfaction ; nous voulons, nous, revenir au point zéro de la conscience, à la source pure et sans souillure de l’esprit originel.

Maître Deshimaru reste pour nous l’incarnation de toute la dignité, la liberté, la tolérance, la compassion dont l’homme puisse être capable. Tous ses gestes, tous ses regards, toutes ses paroles traduisaient une harmonie et une douceur parfaites. Nous ne l’avons jamais vu se soumettre à qui que ce soit, ni repousser quiconque. Seule l’intéressait, en toute personne qu’il rencontrait, l’authenticité de sa quête. Homme du satori, il l’était par la pratique de zazen et l’approfondissement continuel du vrai zen. Ces deux trésors, il nous les a laissés en dépôt pour que nous les fassions fructifier. Le premier est la posture de zazen : une posture forte et harmonieuse, accompagnée d’une respiration apaisante. L’homme qui la pratique trouve sa place exacte entre le ciel et la terre ; corps et esprit en unité, il se réconcilie avec lui-même, avec tous ses semblables, avec le cosmos entier. Le deuxième est l’enseignement authentique que les patriarches se sont transmis depuis le Bouddha Sakyamuni, l’enseignement de Bodhidharma et de Dogen. Cet enseignement est celui de l’esprit religieux originel, épuré de tout mysticisme, de tout dogmatisme, de tout formalisme, de toute superstition. Il est l’attitude religieuse fondamentale, sans sujet ni objet, au-delà des spéculations, mais il est aussi une sagesse vivante, profondément concrète, humaine et naturelle, qui permet à l’homme de plonger dans le monde des illusions avec énergie et sérénité, d’aider ses semblables et de traverser la vie sans laisser de trace. Pour ce don sans pareil, je me prosterne devant mon maître avec une reconnaissance infinie. L’enseignement oral de Maître Deshimaru a été recueilli intégralement par ses disciples.. Voici, sans ordre particulier, quelques phrases extraites de ses kusen :

« Quoi qu’il en soit, Rai hai reste le plus important : la vénération juste, l’attitude religieuse originelle, sans sujet ni objet. »

« Lorsque vous êtes seul en face du cercueil, à ce moment alors s’évanouissent tous les problèmes. Je dis très souvent que le dojo c’est le cercueil. Nous sommes seuls. Tous ensemble, mais seuls. »

« Le zen n’est pas l’histoire du Karma. Quand nous brisons ce Karma, à ce moment-là, il est possible de comprendre le zen. Nous devons trouver le monde sans Karma. C’est zazen. »

« Si vous abandonnez l’égoïsme, à ce moment, c’est Shin Jus datsu raku. Seul zazen est authentique. Le reste c’est la vie du karma, le pouvoir du karma. »

« La souffrance est créée, produite toute entière par nous-mêmes. Elle est secrétée par notre propre esprit. »

« La pire faiblesse de l’être humain est de produire sa propre illusion. Courir après l’ombre de la conscience devient illusion. La plupart des gens ne font que s’entretenir avec leur propre illusion folle. »

« L’illusion signifie l’esprit qui n’est pas fixé, la condition mouvante, errante, au gré de l’environnement. Le satori signifie la condition normale, stable, originelle de l’esprit. »

« Quand nous pensons obtenir quelque chose, à ce moment-là nous sommes en train d’entretenir un rêve dans notre propre illusion. »

« Le secret dit zen est de ne pas faire de catégories limitées par ses propres conceptions… Quand nous rencontrons la vérité éternelle, immuable et permanente, c’est ce qu’on appelle la véritable sagesse de Hannya… Vous ne devez pas obscurcir Hishiriyo. Ne créez ni Kontin (la conscience obscure), ni sanran (la conscience compliquée et dispersée). »

« Le zen n’est pas comparable à de la morue séchée ou à du saumon fumé : il est comme un poisson vivant qui nage dans le courant. »

« La vraie foi est de croire en cet ego qui est le cosmos tout entier. »

« Se raser le crâne, porter le kolomo et revêtir le kesa, pratiquer zazen. Ceci simplement est le bonheur de notre vie, la dernière station de notre vie. C’est la plus haute dimension sans commune mesure avec le monde vulgaire. »

« Si nous donnons un goût à zazen, il devient vulgaire. » « Certains pensent que seul zazen est zazen et que les autres choses de la vie quotidienne ne sont pas zazen. C’est une erreur. Au contraire je dis : « Vous devez faire votre vie â travers zazen ». »

« Je veux enseigner aux jeunes de maintenant les règles de conduite pour faire leur chemin dans la vie :

1. Changer les circonstances tout en suivant les circonstances.

2. Gagner, alors que nous perdons.

3. Vivre, alors que nous mourons. »

« Vouloir contrôler son esprit par la volonté, c’est comme vouloir éteindre le feu avec le feu. »

« Autant que possible, pratiquez une expiration longue, lente, profonde qui engendre ensuite une inspiration puissante et rapide. Dans la vie quotidienne, il en est de même. »

« Je dis toujours : il ne faut pas choisir d’un seul côté. »

« Ici et maintenant est important. »

« Vous devez devenir tranquilles, calmes. C’est la vraie religion. »

« Notre vie est semblable à une bulle à la surface de l’eau, lorsqu’une bulle éclate, elle retourne au courant de l’eau. »

« Les gens sont pareils à des cocons où le ver fait son nid et d’où il ne peut plus sortir. La plupart des gens font des nœuds à leur propre conscience avec leur propre égoïsme. À la fin, ils ne peuvent plus se libérer. Pour le ver, c’est utile, il fabrique de la soie. Mais les nœuds compliqués de nos bonnes (illusions) ne peuvent être utiles à rien. »

« Si vous êtes mushotoku (sans but ni esprit de profit), inconsciemment, naturellement, automatiquement le véritable ego apparaît et vous vous trouvez en harmonie avec l’ordre cosmique. »

« Pour parvenir au sommet, il ne faut suivre qu’un seul chemin, et s’y fixer ; peiner et trimer, y laisser son corps et son esprit. »

« Seule existe dans notre monde phénoménal, la loi implacable de la causalité, dont la connaissance devrait nous amener à agir avec grande circonspection. »