Sherifa L. Goodenough
La philosophie de l’âme

L’âme pendant sa vie sur la terre et ensuite ne change pas son plan d’existence; si quelque changement se produit c’est dans la direction de son mouvement. L’âme n’a originellement aucune pesanteur, mais dans son trajet elle s’entoure de possessions qu’elle a produit d’elle-même et qu’elle emprunte continuellement aux éléments qui composent l’univers; et de même que nos possessions ne sont pas nécessairement nous-mêmes, ainsi les possessions de l’âme ne sont pas l’âme.

(Revue La pensée soufie. Année 1973 No 46)

Sherifa L. Goodenough (1876-1937)

L’âme est appelé en sanscrit Atman, en persan elle est appelé Ruh. Quand on demanda au Prophète : « qu’est-ce que l’âme? » Il répondit en deux mots: « Umri Allah » : une activité de Dieu.

La relation entre la conscience universelle et l’âme est comme la relation entre le soleil et le rayon. Le rayon est formé par l’activité du soleil admettant sa lumière. L’activité de La Conscience émet son rayon, qui est appelé âme. L’activité d’une certaine part de la Conscience fait que cette part se projette vers la manifestation. Le rayon est le soleil, mais nous distinguons le rayon comme étant à part, distinct en lui-même, long ou court, puissant ou pâle, selon le degré d’activité qui est en lui.

L’âme pendant sa vie sur la terre et ensuite ne change pas son plan d’existence; si quelque changement se produit c’est dans la direction de son mouvement. L’âme n’a originellement aucune pesanteur, mais dans son trajet elle s’entoure de possessions qu’elle a produit d’elle-même et qu’elle emprunte continuellement aux éléments qui composent l’univers; et de même que nos possessions ne sont pas nécessairement nous-mêmes, ainsi les possessions de l’âme ne sont pas l’âme. La meilleure comparaison peut se faire avec nos yeux, dans lesquels de vastes étendues de paysage, d’énormes montagnes et des lieues d’horizon sur la mer sont reflétés d’un seul coup, et cependant les yeux ont à peine un pouce de long et de large. Telle est la nature de l’âme qui est si petite qu’elle doit être comptée comme une seule parmi les âmes sans nombre contenues dans l’univers et cependant si vaste qu’elle peut contenir en elle-même l’univers tout entier.

Le moi extérieur (le mental et le corps) ont limité une portion de la Conscience entière; cette portion même est en réalité l’âme. C’est comme si on dessinait un trait sur une étoffe, en délimitant une partie comme séparé du tout. Ou c’est comme si nous nous tenions devant un écran avec une petite lanterne de telle sorte que la lumière de la lanterne tombe sur l’écran et y forme une plage lumineuse. De la même manière, les impressions du mental et du corps sont reflétés sur l’âme et la séparent de la totalité de la Conscience. Sur l’âme est reflété le bien-être ou la misère, la joie ou le chagrin du moi extérieur mais l’âme en elle même n’est ni triste ni joyeuse. L’âme n’est sujette ni à la naissance ni à la mort et elle n’a ni croissance ni déclin, elle n’évolue pas ni ne dégénère.

Si vous êtes devant un miroir habillé en haillons, le miroir contient la réflexion de vos haillons, mais il n’est pas lui-même misérable. Si vous êtes devant le même miroir couvert de perles et de diamants, la réflexion de vos perles et de vos diamants tombe sur le miroir, mais le miroir ne devient pas diamants ou perles. Ainsi en est-il de l’âme; elle n’est ni pécheresse ni vertueuse; elle n’est non plus ni riche ni pauvre. Tout ce qui dans la vie est joie et peine, élévation et déclin, est reflété pour un certain temps sur l’écran de l’âme, et après un certain temps vient à passer. C’est pourquoi la joie et la peine d’hier ne sont plus rien pour nous aujourd’hui.

L’âme et le corps sont de même essence, l’âme a formé le corps partir d’elle-même, l’âme étant plus subtile, le corps plus grossier. Ce qui dans l’âme peut être appelé vibration, dans le corps devient atome. L’âme est devenue mental afin d’experimenter davantage, elle est devenue corps afin d’expérimenter de manière encore plus concrète; cependant le mental est indépendant du corps et l’âme est indépendante à la fois du corps et du mental.

L’âme voit à travers le mental et le corps, le corps est comme les lunettes du mental et le mental comme le télescope de l’âme. C’est l’âme qui voit, mais nous attribuons la vue et l’ouïe aux yeux et aux oreilles. En l’absence de l’âme ni le corps ni le mental ne peuvent voir. Quand une personne est morte, les yeux sont là, mais ils ne peuvent pas voir, les oreilles sont là, mais elles ne peuvent pas entendre.

C’est le travail de l’âme de connaître et de voir, et c’est le travail du mental et du corps d’agir comme un verre grossissant pour elle. Cependant chacun son tour voit et entend aussi ce lui est extérieur, puisque la conscience travaille aussi à travers lui. L’âme voit le jeu de la pensée dans le mental, le mental perçoit les souffrances et les sensations du corps; le corps est conscient de la chaleur, du froid et du toucher. Sa conscience peut être vue lorsque quelque chose est sur le point de tomber accidentellement sur lui. Avant que le mental puisse penser à un plan de sauvegarde, la partie exposée, du corps ménage instantanément sa fuite.

Le mental voit seulement le corps, mais l’âme voit à la fois le mental et le corps; mais le corps ni l’esprit ne sont capables de voir l’âme. L’âme est accoutumée à voir ce qui est devant elle et ainsi ne peut se voir elle-même. Notre âme a toujours regardé au dehors, c’est pourquoi nos yeux, notre nez nos oreilles, tous nos organes de perception sont au dehors. C’est notre mental et notre corps qui attirent notre âme au dehors. Et comme les yeux, qui voient toutes choses, ont cependant besoin d’un miroir pour se voir eux-mêmes, ainsi l’âme ne peut se voir elle-même sans un miroir.

Quand les yeux sont clos, croyez-vous que l’âme ne voit rien? Elle voit. Quand les oreilles sont fermées, croyez-vous que l’âme n’entend rien? Elle entend. Cela prouve que c’est l’âme qui voit et entend. Dans la vie méditative, en visualisant l’Ahvar et l’Ansar (L’aspect visible et l’aspect invisible de l’univers), un Soufi se rend compte de ce fait qu’il y a des objets que sans l’aide des yeux, l’âme peut voir, et qu’il y a des sons que, sans l’aide des oreilles, elle peut entendre.

Le grand poète Kabir a dit:  » Quel jeu est-ce donc que l’aveugle lit le Coran, le sourd entend la Gita, le manchot est industrieux et le cul-de-jatte danse? » Il fait allusion à l’âme qui a le pouvoir de travailler même sans instruments comme les organes du corps et les facultés de l’esprit.

Le sommeil, la condition inconsciente, est l’état originel de la vie, d’où tout est venu. « Le monde a été tire de l’obscurité » (Coran). Comme le corps dort et le mental dort, ainsi l’âme dort. L’âme ne dort pas toujours au même moment que le corps et l’esprit. Ce sommeil de l’âme est expérimenté seulement par les mystiques; ils sont conscients de cette expérience en eux-même et ainsi peuvent la reconnaître chez d’autres. Le corps dort davantage que le mental; l’âme dort beaucoup moins que le mental ou le corps. Quand une personne est profondément endormie, son âme ne perd pas contact avec le corps. Si l’âme perdait contact avec le corps, la personne mourrait; si l’âme se retirait du mental, le mental serait dispersé, l’assemblage des pensées serait dispersé, ce serait comme une éruption volcanique.

L’âme prend plaisir à l’expérience des sens, en mangeant, en buvant, en toute expérience que ce soit. Elle s’y adonne et plus elle s’y adonne, plus elle en devient captive. Tout ce que nous mangeons et buvons contient un narcotique, même l’eau pure. Par conséquent, après avoir mangé ou bu, une sorte de sommeil nous échoit, l’âme se sent un peu soulagée, elle se sent plutôt détachée du corps. L’âme ne peut pas aisément se libérer de l’esprit et du corps. Bien que sa joie véritable soit d’atteindre la paix en étant libéré de l’expérience, cependant elle l’a oublié. « Heureux celui qui la garde pure et perdu celui qui la corrompt ». (Coran)