Houei-Neng
La réalisation

En cherchant à comprendre, il faut faire l’introspection de votre propre esprit, indépendamment des choses et des phéno­mènes. La distinction de ces quatre véhicules n’existe pas dans le dharma lui-même, mais dans la différenciation que fait l’esprit des gens. Voir, entendre et réciter le sûtra, c’est le petit véhicule. Connaître le dharma et comprendre sa signification, c’est le véhicule moyen. Mettre le dharma en pratique, c’est le grand véhicule. Comprendre à fond tous les dharmas, les avoir complè­tement en nous, être libre de tous attachements, être au-dessus des choses et des phénomènes et n’être en possession de rien, c’est le suprême véhicule.

(Revue Être. No 4. 14e année. 1986)

Le titre est de 3e Millénaire

Extrait des Discours et Sermons de Houei-Nêng, Collection « spiri­tualités vivantes » auxÉditions Albin Michel.

Le bhikshu Tchi-Tch’ang, natif de Kwé Hsi de Sin Tchéou, entra dans l’Ordre monastique dès son enfance. Il s’efforçait avec zèle de réaliser sa nature propre. Un jour qu’il était venu rendre hommage au patriarche, celui-ci lui demanda d’où il venait et pourquoi il était venu.

« Je me trouvais dernièrement à la montagne de la Falaise blanche, à Hung Tchéou, répliqua-t-il, pour interroger le Grand Prêtre Ta Tung, qui fut assez bon pour m’enseigner comment réaliser la nature propre et atteindre ainsi l’état de Bouddha. Néanmoins, comme j’avais toujours quelques doutes, j’ai voyagé de loin pour venir ici vous présenter mes respects. Voulez-vous, je vous prie, Seigneur, éclairer mes doutes.

– Quelles instructions vous a-t-il données ? demanda le patriarche. Voulez-vous, s’il vous plaît, me les répéter ?

– Après un séjour de trois mois, aucune instruction ne m’avait encore été donnée. Étant plein d’ardeur pour le dharma, une nuit j’allai seul dans sa chambre et lui demandai ce qu’était la nature propre. »

– Voyez-vous le Vide illimité, me demanda-t-il ?

– Oui, je le vois », répliquai-je.

« Alors il me demanda si le Vide avait une forme parti­culière. Lorsque je lui eus dit que le Vide étant sans forme, ne pouvait avoir de forme particulière, il me dit : « Votre nature propre est exactement semblable au Vide. Réaliser que rien ne peut être perçu, est la vue juste. Réaliser qu’il n’y a rien à connaître, est la vraie connaissance. Réaliser qu’elle n’est ni verte ni jaune, ni longue ni courte, qu’elle est de nature pure, que sa quintessence est parfaite et claire, c’est réaliser la nature propre et, par là, atteindre à l’état de Bouddha, qui est aussi appelé la Connaissance bouddhique. »

Le patriarche lui dit : « Son enseignement indique qu’il retient toujours les concepts arbitraires des « points de vue » et de la « connais­sance », ce qui explique pourquoi il n’arrive pas à vous donner un enseignement clair.

« Écoutez ma stance :

Réaliser qu’il n’y a rien à voir, mais retenir le concept de l’invisibilité, est quelque chose de semblable à la surface du soleil obscurcie par des nuages passagers.

Réaliser qu’il n’y a rien à connaître, mais retenir le concept de l’inconnaissable, peut être comparé au ciel pur défiguré par la lueur d’un éclair.

Permettre à des concepts arbitraires de surgir spontané­ment dans votre nature indique que vous n’avez pas reconnu la nature propre et que vous ne connaissez pas encore les moyens propres à sa réalisation.

Si vous réalisez, pour un instant, que ces concepts arbi­traires sont faux, alors votre propre lumière spirituelle vous éclairera constamment. »

Ayant entendu cela, Tchi-Tch’ang sentit aussitôt que son esprit s’illuminait et il soumit au patriarche la stance suivante :

Permettre aux concepts d’Invisibilité et d’Inconnaissable de surgir spontanément dans l’esprit. C’est chercher l’Illumination sans être libéré soi-même des concepts arbitraires des phénomènes 1.

Celui qui s’enorgueillit de la moindre impression : « Je suis illuminé » ne vaut pas mieux qu’au moment où il était encore dans l’illusion.

Si je ne m’étais mis aux pieds du patriarche, j’aurais été troublé sans savoir quel bon chemin devait être suivi.

Un jour, Tchi-Tch’ang demanda au patriarche :

« Le Bouddha prêcha la doctrine des trois véhicules et, également, celle du suprême véhicule. Ne comprenant pas cela, auriez-vous la bonté de m’éclairer ? »

Le patriarche répondit :

« En cherchant à comprendre, il faut faire l’introspection de votre propre esprit, indépendamment des choses et des phéno­mènes. La distinction de ces quatre véhicules n’existe pas dans le dharma lui-même, mais dans la différenciation que fait l’esprit des gens. Voir, entendre et réciter le sûtra, c’est le petit véhicule. Connaître le dharma et comprendre sa signification, c’est le véhicule moyen. Mettre le dharma en pratique, c’est le grand véhicule. Comprendre à fond tous les dharmas, les avoir complè­tement en nous, être libre de tous attachements, être au-dessus des choses et des phénomènes et n’être en possession de rien, c’est le suprême véhicule.

« Puisque le mot véhicule (yâna) signifie « mouvement » ou, au figuré, « mise en pratique », argumenter sur ce point n’est pas nécessaire ; tout dépend de la pratique personnelle et ainsi vous n’aurez plus besoin de me questionner davantage. Je puis aussi vous dire ceci : « A tout moment, la nature propre est dans un état d’Identité. »

Tchi-Tch’ang s’inclina, remercia le patriarche et, dès lors, le servit comme son Maître jusqu’à la mort de celui-ci.

1 L’illumination est au-delà des phénomènes, des concepts et de la parole.