Maud Forget
La réincarnation

Il est difficile à un Occidental athée ou judéo-chrétien de comprendre les civilisations orientales s’il n’est au fait de cette croyance et de ses conséquences dans la vie journalière, quelle que soit la religion ou la philosophie de ceux qu’il rencontre, que ce soit le Bouddhiste athée ou l’Hindouiste ayant le culte de l’un des représentants de la Trimurti : Brahma, Vishnou, Shiva ou de l’une des nombreuses sectes que l’on trouve en Asie : Jaïna ou Sikhs, Krishnaïtes ou Parsis (ces derniers ayant apporté avec eux les croyances zoroastriennes des persans avestiques), l’objectif unique est la libération (Moksha) : se délivrer de l’inexorable loi du Karma qui lie au Samsara, autrement dit à la roue des renaissances.

(Revue Énergie Vitale. No 10. Mars-Avril 1982)

La croyance en la réincarnation, terme occidental de création récente que l’on doit aux théosophes, est commune à toutes les populations du continent asiatique quelles que soient leurs ethnies. Cette croyance existait en Europe jusqu’à l’avènement du Christianisme ; elle existait même chez les premiers chrétiens dont Origène est l’un des représentants les mieux connus.

Il est difficile à un Occidental athée ou judéo-chrétien de comprendre les civilisations orientales s’il n’est au fait de cette croyance et de ses conséquences dans la vie journalière, quelle que soit la religion ou la philosophie de ceux qu’il rencontre, que ce soit le Bouddhiste athée ou l’Hindouiste ayant le culte de l’un des représentants de la Trimurti : Brahma, Vishnou, Shiva ou de l’une des nombreuses sectes que l’on trouve en Asie : Jaïna ou Sikhs, Krishnaïtes ou Parsis (ces derniers ayant apporté avec eux les croyances zoroastriennes des persans avestiques), l’objectif unique est la libération (Moksha) : se délivrer de l’inexorable loi du Karma qui lie au Samsara, autrement dit à la roue des renaissances.

Ceux qui, par le renoncement (Vairagya) atteignent plus vite que les autres le but, sont les yogins dont la discipline accélère le processus évolutif et permet d’obtenir cette liberté ici même et maintenant.

La transmigration se dit en sanskrit Pretyashava ; Preta : le défunt dans le monde de « ces toujours vivants qu’on appelle les morts », selon l’heureuse formule de Sri Aurobindo, et Shava, cadavre. Pretyashava peut se traduire par « naissance encore et encore ».

En Inde, la croyance à la renaissance est importante, populaire et traditionnelle ; c’est à cette croyance que je vais emprunter l’essentiel de ce qui suit.

La constitution de l’homme selon le Vedanta :

Selon la tradition védantique, l’homme se compose de trois corps : Sharira :

— un corps physique : Sthula Sharira

— un corps subtil : Sukshma Sharira que les Tibétains appellent « corps d’Arc-en-Ciel »

— et un corps causal : Karana Sharira.

C’est le corps subtil qui transmigre. Il est aussi appelé Linga Sharira « le corps qui est le signe ».

Ce Linga Sharira est formé des premiers développements de la nature (Prakriti) c’est-à-dire des 18 constituants (Tattva) énumérés par le Samkya[1].

L’intelligence impersonnelle (Buddhi) antérieure à l’individuation appelée aussi grand principe (Mahan), le sens de l’individuation (Ahamkara), le mental (Manas).

Les cinq facultés de sensation (Jnanendriya) nommément : l’ouïe, le toucher, la vue, le goût et l’odorat.

Les cinq facultés d’action (Karmendriya) nommément : la parole, la préhension, la marche, l’excrétion et la génération et enfin,

Les cinq qualités sensibles à l’état principiel (Tanmatra) sonore, tangible, visible, sapide et olfactive.

« C’est ce corps subtil impérissable jusqu’à la délivrance qui transmigre d’un corps à l’autre, emportant avec lui toutes les impressions résiduelles, les tendances et les caractéristiques de l’individu, c’est en ce corps que demeure le Jiva[2] dans l’état de rêve (Svapna) où il n’a conscience que d’objets intérieurs à lui-même (Antarprajna) et vit dans un univers mental[3] ».

Le Jiva : le principe vital – l’Être Vivant

C’est le corps subtil qui permet au Jiva de recevoir l’expérience du monde par les sens. Le jiva n’est pas maître du mental et le corps n’est qu’un outil dont il a besoin pour réaliser son évolution.

Selon les croyances traditionnelles, il se tient dans une cavité du cœur pendant le sommeil profond, alors qu’il se tient dans le cerveau pendant l’état de veille, ce qui donnerait partiellement raison à Descartes qui situe l’âme individuelle dans la glande pinéale.

Au-delà de notre vie, l’Atman demeure le témoin qui ne subit pas l’influence des objets qu’elle illumine, l’Atman est distinct des modifications du corps et de l’esprit.

Le Jivatman est la conscience conditionnée, le Paramatman est la conscience informelle, l’Atman universel.

Jivatman : Le Jiva plus l’Atman est le Jivatman.

Quand le Jiva meurt, l’Atman le quitte et entre dans un nouveau corps, toutes les actions accomplies par le Jiva produisent des fruits qu’Atman emporte avec lui quand il quitte le corps[4]. Les Upanishads[5] préparent à comprendre qu’au-delà de la vie « l’Atman demeure comme le témoin qui ne subit pas l’influence des objets qu’elle illumine. Atman est distinct des modifications du corps et de l’esprit[6] ».

« C’est par ignorance que l’ignorant Jiva a confondu le corps mortel impur avec le moi pur et immortel[7] ».

Il existe une différence entre le concept Bouddhiste et le concept védantique.

Le bouddhiste nie l’existence de l’Atman (Âme). C’est la raison pour laquelle le Bouddhisme doit être considéré comme une philosophie et non comme une religion.

Bouddha, interrogé sur l’existence de l’Atman, a répondu par le silence.

C’est l’ignorance qui donne naissance au désir et le désir qui pousse l’homme à l’action ; il suscite les épreuves dont il a besoin pour son évolution.

Cette conception exige que l’on s’assume et interdit de rejeter sur un éventuel destin inéluctable les épreuves que l’on doit subir.

Dans la Prasna Upanishad, le destin d’un mourant dont l’âme est illuminée est décrit comme suit :

« Les seize éléments constitutifs du corps subtil reposant dans l’âme disparaissent lorsque l’individu a atteint le but suprême ». Il est libéré, c’est un Jivan-mukta. Il n’aura plus à se réincarner, il pourra cependant le faire dans un esprit de sacrifice pour aider l’humanité.

Peu nombreux sont les yogins qui atteignent Moksha, quatre ou cinq par génération tout au plus ; ils sont l’objet d’une grande vénération et suscitent en Inde de véritables Cultes. Actuellement, il n’en est pas qui soient en mesure de se prétendre « libérés ».

Parmi ceux dont la célébrité a franchi les frontières, on peut citer : Ramakrishna, Ramana Maharshi, Ramdas ; une yogini vit encore, Ma Ananda Mayi, mais elle annonçait il y a quelques mois sa fin prochaine (décédée le 28 août 1982).

La tradition révèle que c’est la présence de ces « Grands Êtres » qui sauve l’humanité de ses plus lourdes épreuves. Nous pouvons souhaiter que dans le secret, il en existe encore.


[1] La philosophie la plus ancienne de l’Inde sur laquelle repose toutes les autres.

[2] L’être vivant.

[3] Hatha-Yoga Pradipika, traduction et commentaires de Tara Mikaël, p. 70, éd. Fayard.

[4] Swami Ritajananda, revue Védanta, n° 52, p. 16.

[5] Partie ultime, des Véda appelée aussi Védanta.

[6] Swami Ritajananda, revue Védanta, n° 52, p. 16.

[7] L’enseignement de Sivananda, p. 54, éd. Albin Michel