Shri Anirvan
La sainte communion de Purusha et Prakriti

POUR la plupart des gens la vie ordinaire est vécue sous une impulsion aveugle, comme un sommeil profond ou sous l’influence d’un narcotique. Bien que non dépourvu d’une sorte de but, ce mode de vie n’a ni hauteur, ni profondeur. Quelques uns seulement s’éveillent. Souffrant d’être inadéquats ils deviennent sensibles et regardent autour d’eux, désirant ardemment une vie qui transcenderait les besoins physiques habituels, les impulsions vitales et les associations mentales; ils s’absorbent finalement dans une nouvelle interrogation. Dorénavant commence le voyage de l’homme vers la plénitude de la vie dans le secret de son cœur et dans l’indépendance infinie de son âme.

(Revue Aurores. No 42. Avril 1984)

Lizelle Reymond vient de republier son livre « La vie dans la Vie, Pratique de la philosophie du Samkhya d’après l’enseignement de Shri Anirvân » (Albin Michel) Elle y écrit: « Assis autour de Shri Anirvân, se trouvaient, selon les jours: hindous, bouddhistes, chrétiens, musulmans —croyants ou incroyants — chacun vivant sa discipline, son effort, son idéal, chacun recevant la nourriture dont il avait besoin. Nous apprenions, jours après jours, à vivre dans la Vie ».

En répondant aux différentes questions, le maître Baul utilisait la propre expérience de chacun pour l’amener à concevoir le Vide qui est à la fois le « tout » et « rien», la relation du Purusha avec la Prakrti.

Lizelle Reymond vient de nous envoyer quelques pages inédites de cet enseignement qui n’ont pas pu être insérées dans la nouvelle édition. Nous les publierons intégralement sur plusieurs numéros.

***

On ne peut pas faire

mais on peut regarder

Et voir l’Etre Unique

et être avec Lui.

POUR la plupart des gens la vie ordinaire est vécue sous une impulsion aveugle, comme un sommeil profond ou sous l’influence d’un narcotique. Bien que non dépourvu d’une sorte de but, ce mode de vie n’a ni hauteur, ni profondeur.

Quelques uns seulement s’éveillent. Souffrant d’être inadéquats ils deviennent sensibles et regardent autour d’eux, désirant ardemment une vie qui transcenderait les besoins physiques habituels, les impulsions vitales et les associations mentales; ils s’absorbent finalement dans une nouvelle interrogation. Dorénavant commence le voyage de l’homme vers la plénitude de la vie dans le secret de son cœur et dans l’indépendance infinie de son âme.

La quête est par essence intégrale, bien que cela ne soit que fort peu perceptible dans la conscience du monde où elle s’ébauche à peine, une lutte pour une vie pleinement consciente opère ici et maintenant.

Les obstacles proviennent d’une vue étroite, qui ne considère pas la réalité comme un tout, mais distingue entre matière et conscience.

En d’autres termes, la Totalité, en quoi toutes les contradictions se neutralisent, a été déformée dans un «Tout» divisé en deux parties avec, pour résultat, que la «Vérité intégrale» est toujours restée déconcertante et insaisissable.

C’est la destinée de l’homme de réaliser l’Unité, ce qui signifie réaliser le Soi, car l’un est la manifestation de l’autre, en degrés comme en multiplicité.

Le chemin passe à travers multiplicité et oppositions dues à l’ignorance, vers le rivage de la connaissance. Le monde est le champ d’expérience de l’homme dans sa quête pour l’Unité.

Par son effort pour se conformer aux Lois cosmiques l’homme engendre toutes les oppositions au moyen du mécanisme de l’égoïsme et de l’intellect. Par exemple, l’opposition joie et peine est relative et «primale». Elle n’existe pas pour le «Moi» unifié, mais seulement pour le moi étroit et borné.

Ce qui convient à la connaissance superficielle ne suffit pas à la connaissance intégrale et par conséquent doit être remplacé par l’intuition ou la connaissance par identité contrairement à la connaissance intellectuelle. Ainsi un recul s’amorce, un abandon de l’objet des sens hors du mental en une immersion où le mental est transformé dans le sixième sens des mystiques, dans lequel seulement les mystères profonds sont révélés.

L’Univers entier est une pulsation d’énergie maintenue par qui? Ce qui est d’une importance pratique est que l’énergie peut être mesurée et mise au service, que sa pulsation survient dans le mental où elle est maintenue et se manifeste dans un jeu dynamique.

Après tout, pourquoi l’existence doit-elle vibrer ? La question peut être négligée en tant qu’elle se rapporte à la matière, mais non en tant qu’elle se rapporte à la conscience. Si l’existence est conscience, les ondes d’énergie doivent aussi être conscientes.

Cependant il ne semble pas en être ainsi dans l’état de veille considéré à tort à l’heure actuelle comme la seule mesure de conscience. Une réponse satisfaisante peut venir de l’intuition qui est en mesure de pénétrer dans les profondeurs du Soi et d’en réaliser la nature. L’Existence est conscience et ses pulsations sont des pulsations conscientes qui dans les profondeurs de notre être sont perçues comme une joie primordiale.

Pour un regard tout embrassant, l’univers est la joie de l’Etre pur, cristallisé à travers l’expression du Soi. Etre est Sat-Chit-Ananda, pure sensation. Ceci est la nature essentielle de l’homme, bien qu’elle soit déformée par le sens des limitations.

Nous ne sentons pas que nous sommes vastes, sans limites, mais nous sentons que nous sommes enfermés, confinés, sans repos. Nous sommes mus seulement par des impulsions aveugles de plaisir, de douleur, d’indifférence. Cette phase peut être dépassée par la pratique d’une indifférence intentionnelle «toute-acceptante» jusqu’à ce qu’enfin, quand chacune de nos réactions s’éclaire dans la conscience, l’incommensurable paix cosmique est atteinte.

Une brèche évidente dans la lutte consciente de l’homme a été comblée par le pouvoir de projection de l’ego, ainsi cette réalité est devenue simple répétition ou plus encore des images reflétées avec de multiples changements et gradations. Le pouvoir qui appartenait intégralement au mental était projeté hors du soi, mais peut maintenant être ramené dans le Soi.

En fait, le mental ordinaire voit et juge, il voit seulement les erreurs de la marche du monde et donne son consentement parce qu’il le veut ainsi. Ce processus entier est régi par une tension contraignante intégrée en vue de créer la «pluralité» qui apparait ensuite comme vérité, l’acquisition de la connaissance apparaissant comme ignorance.

Pourtant nous avons quelques connaissances de l’esprit supérieur véritablement créateur, qui existe en germe dans le mental ordinaire. Il est une conscience vivante, une pure sensation dans laquelle le sujet est l’objet. La connaître est être. Existence et conscience sont un: Un Tout harmonieux.

Le Sâmkhya donne la meilleure explication du concept de Purusha et Prakriti. Purusha le «hors du temps», l’immobile, le Voyant, rassemblé dans la totalité et Prakriti avec son dynamisme de volonté dans le temporel. L’urgence de la vie se précipite tirée par quelque force cachée qui la pousse du bas ou la tire d’en haut, mais après avoir atteint un certain point elle se dissout dans la quiétude qui pour la conscience signifie une fusion du plein et du vide.

En elle-même, cette quiétude est simple, sans couleur et indéterminée, elle est l’étape finale et abstraite de la pure conscience. Sa valeur ne peut pas être mesurée, elle est en même temps le zéro et l’infini. La seule valeur qualitative qui peut lui être attribuée est un sentiment de relaxation et d’expansion, le sens d’un équilibre serein dans le vide. Il peut signifier une plénitude qui, comme l’accomplissement de la mort, peut éclater dans toute sa gloire, à chaque point de l’évolution de la Prakriti.

Le monde de l’esprit est tout aussi réel que le monde des sens, et les mystères abondent en l’un comme en l’autre. Dans ces deux domaines les aventures de l’esprit humain sont également légitimes, car leur but ultime est la création de quelques valeurs permanentes qui doivent élargir la conscience, le dernier facteur irréductible dans l’échelle de l’être. Ce qui est caché doit être révélé et permettre la croissance de l’être comme un tout.

Ici la science et la religion se rencontrent comme sur un même terrain. Un bond dans l’au-delà, — que ce soit à la faveur d’un élan de l’imagination, sous l’effet d’une foi vivante soutenue par ce qui semble être une vérité naissante, — est la force qui anime les deux. Le but des deux est de convertir la connaissance en un véhicule qui conduira à une croissance harmonieuse de la vie collective.

Si la science met l’accent sur des données tangibles, la quête spirituelle est davantage concernée par un ensemble de phénomènes subjectifs qui semble ne pas tenir compte des sens. Dans les deux cas l’esprit est confronté avec des faits d’expérience indubitables, derrière lesquels il perçoit l’existence d’une force occulte dont il tente de saisir et de manipuler l’action. Mais il n’en est pas ainsi avec les anciens prophètes védiques.

La pureté de la conscience leur permettait de voir la réalité comme un Tout et, dans l’échelle de la matière, de la force et de l’esprit, ils pouvaient discerner un processus d’illumination graduelle apparaissant en un certain Etre mental d’extension universelle et de potentialité infinie. Ceci est la vision Védique intégrale, sur laquelle repose les deux mondes où la matière est aussi aisément spiritualisée que l’esprit est matérialisé.

Le Sahaja est la nature innée de l’homme simple et heureusement libre qui doit être découverte dans la profondeur secrète de son être, son essence —«ce qui est né avec lui»—. Elle repose clans le temple de son cœur bien qu’inondant la terre et transcendant le ciel. Le Sahaja peut être réalisé rationnellement par une simple intuition du Vide ou émotionnellement par une sublimation de l’amour humain.

En effet, le vide et l’amour conscient sont les deux aspects de la même réalité, et l’homme conscient est l’ultime vérité de l’existence. Une foi profonde, un rationalisme éclairé, une vision pure comme un cristal sont parmi les caractéristiques d’un mysticisme Sahaja particulier qui a été qualifié de différentes manières par les écoles rationalistes, comme capable d’atteindre à la lumière. Le principe fondamental est une intériorisation qui prend la forme d’une concentration: cela correspond au plan de la vraie connaissance exprimée dans les Upanishads et à l’état d’absorption du mental décrit par les disciples des écoles rationalistes.

Le terrain de base de la vie mystique est toujours une intériorisation qui conduit à un approfondissement et à un élargissement de la conscience, laquelle rejoint et assimile la réalité: cela signifie pressentir le réel et devenir le réel — pour trouver finalement le lien de la pure Existence au sein de la non-Existence.

La définition Védique de la Voie mystique vers le Vide a donné un essor à la science pratique de Samkya avec d’innombrables détails psychologiques basés sur un système de théories philosophiques bien construit, codifiées par Patanjali dans un ensemble d’aphorismes qui restent insurpassés. Mais le mental, avant de pouvoir travailler ainsi doit saisir le sens de quelques données objectives parmi les données subjectives décrites, qui forment le noyau de chaque discipline spirituelle.[i]

Dans le Vide, l’énergie primordiale simplement existe. Dans son essence réelle elle est à la fois dynamique et passive — les deux forces opposées s’affrontant toujours en nous! Du mariage de ces qualités incarnées sous les traits de Kardama et Devahuti, naquit Kapila, le fondateur du Sâmkya connu comme Maître de Sagesse. Sa nature était double; la puissance qui créa son père Kardama d’une boue absolument pure et sa mère Devahuti d’une matière subtile et divine. Devahuti qui était toute aspiration, était attirée par l’essence matérielle de Kardama dont elle avait besoin pour sa descente sur la terre. Sa nature de boue condamnait Kapila à vivre dans des cavernes. Il eut la double tâche d’amener la race humaine à concevoir le Vide dans toute chose et de démontrer qu’il est impossible de réaliser le Divin sans avoir un corps de boue. Même Bouddha avait un tel corps afin d’être capable de le nier.

La sagesse primordiale de Kapila serait restée une abstraction pour nous et aurait disparu complètement si sa mère Devahuti, comme il a toujours été dit, ne s’était consacrée volontairement au service de l’aspiration humaine au Divin.

Le Vide est d’abord une conception obscure pour beaucoup jusqu’à ce que l’existence Bi-une en nous devienne une réalité. L’énergie cachée de la terre monte comme la sève d’un arbre à travers le tronc du corps jusqu’au sommet de la tête où elle fleurit. Telle est l’union de Kardama et Devahuti.

Dans la pratique de votre discipline quand vous disparaissez dans le Vide, vous utilisez votre propre énergie qui, d’habitude reste latente. Mais elle est là, c’est votre support intérieur d’être dans le monde et non du monde ! Vous pouvez dire: «En nous-mêmes nous sommes un avec notre pouvoir de manifestation tandis que l’esprit reste le témoin». Lorsque vous sentez qu’ils se rencontrent, restez tranquille. C’est une indescriptible sensation de sagesse. Cette sagesse née en vous vient d’en haut ! Mais soyez toujours humble, rappelez-vous que votre conscience physique, avec ses multiples contradictions est un don de Kardama, l’être fait de boue, tandis que Devahuti, la forte aspiration de l’âme ouvre vos yeux à une dimension plus haute. Le niveau de vie qui comporte une recherche d’une conscience mentale a déjà une plus haute dimension bien qu’elle reste dans le domaine de la dualité. Ensuite, une aspiration vers l’unité resplendit comme une énergie lumineuse qui cherche la voie pour atteindre le Vide. Evidemment, c’est une joie de vivre dans le Vide, de voir ce qui a été fait pour nous, par notre propre pouvoir de manifestation.

La qualité d’une sensation pure se développe petit à petit, car à chaque moment la Vérité est nouvelle. On ne peut pas l’atteindre en accumulant les expériences parce que la Vérité est libre comme le sont les Lois de la vie qui gouvernent les événements. Les valeurs créées par le pouvoir de manifestation sont réelles seulement dans la mesure où elles correspondent à l’esprit intérieur. Là, on n’éprouve rien puisque le Vide absorbe tous les chocs et vous voyez au-dessus de vous, un ciel serein. Le sens de toute existence est une paix qui maintient tout.

N’importe quel discours réel sur les voies scientifiques est simplement un retour vers l’empirisme de base: où vous n’êtes rien qu’une pure sensation vidée de toute coloration ou d’accent.

Restez inébranlable dans votre esprit, c’est la loi de la manifestation partout. Ainsi, extérieurement la vie passe par la mort tandis qu’intérieurement, elle est immortelle.

Sri Anirvân

Suite dans notre prochain numéro.

La sainte communion de Purusha et Prakriti (SUITE) texte inédit de Shri Anirvân

(Revue Aurores. No 43. Mai 1984)

Le ciel est clair, on peut dire que c’est agréable: d’après quel critère? Au delà du plaisir et de la peine il y a pure Existence — le Vide qui ne connaît ni comparaison, ni degré est ainsi, incommensurable. Il est aussi léger et superficiel que l’apparence des choses. Au fond de cette superficialité, il y a pure vacuité. Ceci est un accomplissement au-delà de la compréhension. Le temps s’arrête. Et vous êtes libre. Les choses arrivent et passent. Elles n’arrivent pas pour rester. Elles sont toujours en mouvement. On est ni attaché à elles, ni détaché d’elles: on regarde simplement, immobile au cœur de tout mouvement.

Le corps, la partie la plus dense de prakriti est lent à se mouvoir. Ainsi, il reste souvent en arrière quand l’esprit à son tour est libre. La meilleure manière pour le corps de se remettre d’une fatigue quelconque est de trouver au fond de lui-même, un repos dans la source profonde du Vide. Là, il co-existe avec le ciel, suivant la description si vivante qu’en donne Taittririya Upanishad. Il est comme un petit enfant â peine éveillé dans lequel le corps et l’esprit sont unis dans un état d’universalisation. Le corps vieillissant disparaîtra un jour c’est la loi mécanique de prakriti. Mais immédiatement il y aura résurrection du corps divin dans lequel «le verbe s’est fait chair».

Une vision est un phénomène commun au commencement des expériences spirituelles. C’est un fait de la réalité intérieure qui prend naturellement forme dans un symbolisme extérieur. Les symboles ne doivent jamais être analysés par l’intellect, mais absorbés et compris par le cœur. L’intellect nous lie souvent aux conventions extérieures qui ne nous permettent pas de voir l’unicité de la Vérité sous le symbole. Là est l’accomplissement du drame éternel de l’éveil de prakriti par la touche fortuite de Purusha et de l’illumination intérieure trouvant son expression dans le signe.

Pendant quelques jours, j’ai longuement réfléchi à l’idée du suprême Pouvoir (Mahashakti) comme étant une toute petite fille. L’expérience est si extraordinaire. Aller vers l’Enfant-Christ, l’Enfant-Krishna, l’Enfant-Gauri c’est atteindre les profondeurs où l’idéal et le réel fusionnent de façon si merveilleusement simple qu’ils deviennent plus expressifs quand ils sont inexprimables! Ce symbolisme vital est la réelle approche tantrique pour regarder les choses. C’est ce que les Upanishads désignent ainsi «Après la pleine connaissance, le retour de l’esprit à l’enfance». C’est exactement l’opposé et en même temps le complément de ce que les psychologues freudiens appelleraient: sexualité enfantine. Concrètement, c’est aller vers les racines de la matière en esprit. Et dans le christianisme, c’est l’incarnation qui n’est rien d’autre que l’idolâtrie sublimée.

C’est une vie intérieure, une vie, bien sûr, une éruption volcanique hors des Lois parfaitement équilibrées et une joie aussi bien dans la création que dans la destruction.

L’autre jour, une très simple et étrange expérience eut lieu. Un bébé hurlait dans la maison voisine: quelque chose avait dû le heurter durement. La mère était penchée sur lui essayant de le tranquilliser. L’enfant souffrait, sans aucun doute, mais la souffrance était certainement mécanique et ne signifiait réellement rien pour lui. Il n’avait pas encore de mental et il souffrait passivement sans que l’action du mental crée davantage de souffrance. Mais la mère? Son angoisse qui est une création du mental augmente à mesure que passent les jours et elle ne peut pas la rejeter; sa souffrance est plus résistante que celle de son enfant. Le mental de l’enfant est si léger — il est un avec Purusha et non avec Prakriti. Pourquoi la mère a-t-elle oublié l’art de souffrir mécaniquement, comme elle le faisait dans son enfance? C’est pour cette raison que la vie est devenue pour elle, une malédiction.

Quand l’esprit et la matière se rencontrent, un mouvement d’énergie passe entre eux. Là, monte une souffrance causée par un mauvais ajustement. Mais pourquoi y faire intervenir le mental? Pourquoi changer une souffrance mécanique irréelle en une souffrance créée par le mental. Pourquoi ne pas rester toujours dans son cœur, comme un enfant ?

Il y a et il doit y avoir souffrance. Mais faites d’elle une chose morte, mécanique, seulement un mouvement de Prakriti! Pas de mental, pas de souffrance! Et ceci est Sâmkhya sous le costume du Zen! C’est pourquoi peut-être, le théâtre Indien transforme toujours une tragédie en comédie!

COUVRIR L’AUSTERE NUDITÉ DE LA VÉRITÉ

Une fine comédie est jouée par Prakriti. Il est tout à fait naturel que toute chose meure, même les plus nobles pensées. Mais après leur mort, nous les transformons solennellement et rituellement en momies et nous érigeons des pyramides au dessus d’elles. La graine de la vie échappe à notre attention. Elle prend racines dans le sol et silencieusement répand un tapis de vert gazon tout autour des structures colossales des vérités inventées par l’homme et dont les archéologues sont si fiers. Chacun de nous mourra, mais en nous la vérité nue survivra. Elle apparaîtra dans un nouveau vêtement. Prakriti tisse toujours un nouveau vêtement pour couvrir l’austère nudité de la vérité, exprimée, par exemple, par l’image de Shiva nu errant sur le lieu de la crémation.

Ici est la vie, ici est la mort; et les deux s’unissent pour accomplir la Vérité. Beaucoup marchent sur ce chemin, mais seuls, quelques uns atteindront le but. Ceux qui tomberont à côté du chemin deviendront un bon engrais. Ainsi, rien ne sera perdu ; il n’y a aucun regret quand le cœur est plein et porte en lui l’univers tout entier. «Mets-toi en mouvement comme le vent rafraîchissant du printemps et fais pousser les feuilles nouvelles» dit Shankara.

Quand un travail est l’expression de la vie intérieure, il s’accomplit toujours avec douceur. Il est comme un ruisseau. Si des difficultés s’accumulent sur son chemin, il les contourne simplement, librement, et puis sereinement reprend son cours.

Lorsque vous vous trouvez en face de difficultés, identifiez-vous avec le pouvoir de Shakti qui est en action derrière chaque mouvement. Vous pouvez travailler au niveau de votre compréhension. Et vous pouvez prendre la vie telle qu’elle nous est offerte. C’est une expérience intérieure joyeuse de l’accepter avec tout ce qu’elle nous apporte. Mais le moment venu nous devons savoir comment rompre les liens mêmes qui nous lient à cette vie.

Nous devons rester pleinement en Prakriti et en même temps au-dessus d’elle, voyant en nous-mêmes le déroulement du grand drame de la vie dont la glorieuse fin est déjà connue de nous.

Le rideau descend, et nous restons là, rassemblant en nous la troupe entière des personnages dramatiques. Comme disent les Bouddhistes: c’est le tour de roue de la destinée qui ne s’arrête jamais. La roue est toujours en mouvement. Elle tournera jusqu’à la fin des temps. Révéler cela au regard des autres, le suivre avec vos yeux, avec votre cœur, avec votre esprit immortel, le sentir avec chaque atome de votre être, c’est cela l’immortalité!

Dans cette expérience exceptionnelle, toutes les philosophies créées par les hommes ne sont que des mots vides de sens. Le «Je» disparait comme la brume devant la lumière. Mais là, à nouveau, l’esprit a soif de la Vérité. Qu’est-ce que la Vérité? Une sensation précise du «Je sujet» complètement dissocié du «Je objet». Je suis détaché de mon existence, de tout ce qui est matière, énergie, mental. Mais même à ce niveau, le «Je sujet» est encore ce qui goûte l’état de pure conscience. Mais où est le cœur des Lois cosmiques, le cœur du principe de vie? Le mystère reste insoluble, la face de la Vérité est encore voilée.

Au moment où nous commençons à vivre à l’extérieur de nous-mêmes, nous sommes divisés et séparés des autres par nos réactions physiques, vitales et mentales. Entre les deux attitudes, il y a évidemment un terrain de «romance spirituelle» où l’inaccessible apparaît comme aisément atteint — mais il ne laisse de trace d’aucune sorte.

L’EXISTENTIALISME SPIRITUEL

Les Védas parlent de l’existentialisme spirituel comme étant le domaine de Shakti, inscrutable dans son mystère et pour toujours insaisissable. Cependant elle créée tout et chaque chose. Elle est la pure sattva du Sâmkhya. Quand quelques cœurs sincères veulent s’unir dans cette pure sattva, ils forment le noyau d’un puissant centre spirituel, qui pourrait vivre et progresser longtemps. Tôt ou tard, il dégénère sous forme d’église ou d’ashram, suivant ainsi la loi naturelle de la dégradation de la matière. Mais l’idée resurgit et se lève à nouveau de sa tombe.

L’existentialisme spirituel est une bonne expression. L’idée qu’elle recouvre, peut être celle d’une communauté de sentiments au niveau économique et social. Mais les idéologies sont destinées à dépérir, si elles ne sont pas soutenues par un sentiment de communion avec l’esprit qui embrasse la totalité de l’existence: matière, vie, mental et esprit. C’est la véritable Sainte Communion. Dans le Christianisme on dit: «Dieu le Père, le Fils, le Saint Esprit». En termes de Sâmkhya, c’est la sainte communion de «Purusha et de Prakriti»; dans le tantrisme: «Shiva – Shakti»; dans le Védanta: «Brama – Maya»; on ne peut séparer les paires car ils s’interpénètrent comme dans la métaphore des «deux maisons atteintes par le même feu» ou comme un couple enlacé dans une étreinte amoureuse ou «chacun est les deux». L’idée apparaît un peu partout dans les sculptures des temples indiens.

Les mystiques ont appelé cela Sahaja. Nous l’appelons le Vide qui n’est pas une négation mais une idée vivante et positive dans laquelle le mystère de l’existence semble être comme un mélange du noir et du blanc. Le noir est la matière et le blanc est l’esprit[ii]. Ils s’interpénètrent et entre ces deux pôles —matière et esprit, terre et ciel dans les Vedas — apparaît une infinité de nuances coexistant à différents degrés.

Densité est un mot important dans la philosophie du Vide, qui est exprimé en Samkhya par les trois gunas. C’est une expression philosophique du phénomène naturel de la lumière devenant ténèbres et vice versa. Vous ne pouvez pas les séparer. L’illumination de la plus haute réalisation d’un chercheur, contient imperceptiblement la sombre matrice de la nature, comme cette sombre matrice contient en elle-même les lumineuses possibilités de l’évolution spirituelle. Réaliser les deux mouvements simultanément dans un éclair de conscience, c’est réaliser le Vide de la vie intérieure.

Là, toutes les densités disparaissent; et esprit et matière deviennent un, étant réellement les aspects «dualité-unité» d’une réalité totale. La plus subtile densité de la manifestation naturelle est d’ego» (I-ness), si insaisissable qu’il est extrêmement difficile de la déraciner. La fusion ne se réalise pas entre noir et blanc quand l’ego divise automatiquement l’expérience spirituelle; quand les deux fusionnent, le Soi apparaît comme le Vide tout embrassant. Il y a un sentiment d’expansion sans limite (akasha) qui couvre toute chose et cependant permet de maintenir leurs individualités distinctes, qui sont à nouveau un nombre infini de points contenant chacun la matrice d’un autre univers. C’est l’attribut de Prakriti en tant que force créatrice et exécutive. Ceci peut être comparé à un gland contenant dans ses innombrables petites graines une entière forêt de chênes.

Si quelqu’un pouvait concevoir ceci, non seulement en sentiment, mais en sensation corporelle, il pourrait envisager la création d’une communauté; laquelle vivrait un réel existentialisme spirituel capable de se maintenir et de prospérer. C’est une grande tâche qui requiert le pouvoir d’un être supra-humain. Mais pour un homme ou une femme, l’entreprise est valable.

Je peux supposer que quelques uns d’entre vous sont au bord du Vide. Avec une légère poussée vous y tomberiez pris dans une étreinte étroite. Vous seriez transformés dans une fusion de feu et d’éther.

L’éther se répand dans un espace infini et le feu se condense dans un point lumineux qui devient la matrice de la matière. Mais vous devez vous rappeler qu’il n’est pas question de division entre les deux, mais d’une fusion dans laquelle chacun participe de la nature des deux. Et de nouveau, vous pouvez être aidés dans votre conception de cette communion plus profonde par la métaphore «d’un feu consumant deux maisons» dans lesquelles les flammes se mêlent comme un couple dans l’acte d’amour. Un Baül du Bengale le décrit ainsi: « quand je l’aimais je ne savais pas s’il était un homme et moi une femme. Nos cœurs étaient simplement broyés et transformés en une substance dans laquelle deux éléments se mélangeaient.»

C’est une découverte fascinante de comprendre comment les centres supérieurs — mental et émotionnel — travaillent en conjonction avec les centres inférieurs y compris le sexe. Ils peuvent être physiquement sentis dans le système nerveux au long duquel le groupe des cinq éléments est soigneusement et méthodiquement disposé. Ceci donne la clef de la transformation –  ou comme les mystiques chrétiens la nomment: «la transubstantiation» — du corps du Christ. Cela montre clairement par quel cheminement le corps du Christ devient l’Eglise. Et par rapport à une période encore plus antérieure cela explique le Dharma et le Sangha (le principe spirituel universel et la vie en communauté) des Bouddhistes. Vous devez vous rappeler ici que le Sâmkhya mystique (et non le sâmkhya académique du troisième siècle qui s’est séparé du tronc de la tradition) enseigne ouvertement que les cinq principes matériels sont disposés d’après un schéma de densités différentes.

Ces choses peuvent être senties et projetées telles des étoiles brillantes dans le ciel, comme sur une plaque photographique éclairée. Vous devez être pleinement attentif à ces points lumineux non pas d’une manière objective comme le fait l’ego, mais d’une manière subjective, c’est-à-dire un voir-sentir direct qui ne vient pas de l’ego mais du Soi, qui est simplement le Vide. Ceci est ce que les mystiques connaissent de l’intérieur, quand la périphérie cosmique et «l’au-delà» sont ressentis par le centre du cœur.

Ici, cet au-delà, ou transcendance, devient une expérience positive et absorbe en lui-même toutes les modalités négatives des expériences mentales. Dans un éveil suprême, le Vide est atteint sans aucune hésitation du mental.

Suite dans le prochain numéro

La sainte communion de Purusha et Prakriti (SUITE) texte inédit de Shri Anirvân

(Revue Aurores. No 44. Juin 1984)

Cet ego, quel mystère ! S’il n’est pas en mouvement, rien n’est vivant. S’il est en mouvement, il est subjectif; s’il regarde autour de lui, il est séparé des autres. Dès l’instant, où il est à la fois «ceci et cela» nous connaissons la densité qui est la nôtre: poids, nom, couleur et forme. Plus nous descendons profondément en nous-mêmes, plus nous devenons vulnérables jusqu’à ce qu’un renversement prenne place, comme une forte rafale de vent qui nous précipiterait presque dans le vide.

Il y a quelque chose à remarquer dans les langues indo-européennes. Elles utilisent trois genres pour décrire chaque chose: le singulier, le duel et le pluriel. Plusieurs langues indiennes ont conservé ce trait. Le pluriel est évidemment descriptif de la pluralité de l’univers. Dans chaque phase de l’existence nous rencontrons le multiple. Il se rassemble et se bouscule et ensuite se groupe par paires; Ces dualités apparaissent dans le schéma de polarité: lumière et obscurité, plaisir et peine, matière et énergie, corps et esprit et ainsi de suite. Ces dualités sont recouvertes par un principe spirituel qui tente de s’exprimer en tout dans une sorte de monisme qui reste valable quelque soit l’angle sous lequel nous regardons les choses. Ainsi, nous arrivons aux concepts de matière, vie, humain, nationalité, monde, Dieu, etc. L’universalité des entités apparemment multiples ne peut se comprendre que dans une prise de conscience.

L’éveil total de l’identification au «multiple» dans le Sâmkhya a été appelé Purusha. Le suprême Purusha peut être exprimé non seulement comme une fusion complète de toutes les polarités et multiplicités, mais aussi comme un principe «unité-dualité» de Prakriti-Purusha unifiés.

Et nous pouvons observer la dualité intrinsèque de Purusha-Prakriti, clairement manifestée par la vie des hommes et des femmes qui se multiplient en d’innombrables garçons et de filles.

Bien sûr, nous sommes dans l’embarras quand nous mettons seulement l’accent sur les individualités multiples. Là, nous «discutons». Quand nous en venons à la dualité, nous pouvons déjà voir la vérité. Plus loin, la fusion nous révèle la vraie vision de l’Unité.

LA CONSTRUCTION MENTALE : UN OBSTACLE

Avec le langage nous devons être extrêmement prudent dès le début: nous devons être attentifs aux images suggérées par les mots que nous utilisons habituellement. Les anciens maîtres Sâmkhya disent que la construction mentale (vikalpa) est un obstacle à la réalisation de l’essence des choses. Pour comprendre ce qu’est essentiellement un arbre, nous devons considérer la graine qui contient l’arbre dans sa coque sans différencier les parties. La graine est au centre de l’infini que nous avons nommé le Vide sans y mettre d’étiquette ou de particularité d’aucune sorte.

Il faut avoir une juste idée de l’infini sans nom et sans particularité, symbolisé au mieux par le ciel (âkâsha) comprenant différentes densités, tel que l’air, le feu, l’eau et la terre d’après l’ancienne nomenclature. On les retrouve dans d’autres textes anciens comme non-être, vide et force de vie (les deux étant sans forme); la lumière ou la matrice de toute forme, l’eau ou la substance de vie à laquelle toute matière doit être réduite, la terre ou la matière solide qui est un agglomérat d’innombrables particules organisées. Par exemple notre corps est constitué d’innombrables cellules qui ont chacune une composition et une fonction distincte mais toutes collaborent à former un véhicule pour l’esprit. L’esprit à son tour est sans forme et sans particularité: le Vide.

Ici, nous voyons clairement le jeu des trois qualités distinctes de densité (gunas). Au sommet est sattva (en sanscrit, «l’être» ou la nature essentielle); c’est le pur aspect de Prakriti supportant Purusha — qui est lui-même pure conscience ou éveil. Plus dense est rajas ou l’énergie de vie manifestant le pouvoir de Purusha sur Prakriti. Enfin, tamas, ou l’inertie qui parfait le corps de Purusha.

Dans le schéma des cinq éléments spirituels, éther, air, feu, eau et terre, sattva est représenté par le ciel et rajas par l’air et l’énergie vitale. La lumière représente un double principe incluant le sans forme. L’élément suivant est l’eau sous une forme condensée de vie montant de la matière grossière. L’ultime est la terre ou la matière elle-même. Ainsi tous les êtres sont organisation de l’esprit, énergie et matière sous ses différents aspects.

Réaliser le Vide ou l’esprit pur, c’est entrer dans le domaine des sensations «mystiques» présentes au cœur des sensations élémentaires. L’odorat est une faculté de sensation ordinaire, primitive, par laquelle commence la vie. L’odeur peut être bonne ou mauvaise, douce ou irritante, etc… Sa qualité mystique est un parfum qui éveille en nous l’extase; ordinairement le goût est doux, amer, etc… sa contrepartie mystique est Saveur.. Au niveau – ordinaire la vision de la lumière est la beauté. La qualité mystique, connue de tous les aspirants spirituels, du toucher est révélée à travers la musique, dont le rôle est très important dans toutes les religions.

Nous devons exercer nos sensations habituelles à s’élever, à s’étendre et aussi à plonger dans les sensations «mystiques». Ainsi, nous verrons et sentirons que toutes les existences sont projetées par l’esprit. Rappelons-nous que la réalité est ni une ni multiple, elle est bi-une produisant le multiple, l’étreinte de Purusha et Prakriti donne naissance à un grand nombre d’enfants qui sont eux-mêmes des êtres bi-un.

En s’élevant dans l’échelle ascendante de la raréfaction en passant par les différentes gradations des cinq éléments, on remarque qu’une intense lumière entre les sourcils se développe dans le Vide de la pure existence qui contient l’univers illimité, calme et serein, essence de tous les êtres; là, le créateur et le créé sont un. L’Un est ainsi la substance de la réalité.

LE MYSTICISME N’A RIEN DE MYSTÉRIEUX

Tel qu’il a été décrit le Sâmkhya ne relève pas d’un savoir livresque. En fait, il est le noyau de toutes les religions, y compris les plus anciennes. Les principaux contours en sont clairement définis, mais non d’une manière académique. Si l’on essaie de comprendre pas seulement avec l’intelligence du mental, mais aussi avec l’intuition du cœur, il ne nous sera vraiment pas très difficile de parvenir au thème central. Les expériences spirituelles reposent sur le mysticisme, et le mysticisme n’a rien de mystérieux. C’est simplement la confirmation de vérités que nous avons recouvertes avec des constructions mentales. Ces expériences requièrent une ferveur, une souplesse de l’intellect, la simplicité de l’enfance qui voit directement les choses telles qu’elles sont sans être bloquée par des préjugés. Il s’agit de tenter d’atteindre l’expression subtile de la pure Existence par toutes les sensations. Par la musique, l’amour, la beauté, le goût et l’odorat, de simples perceptions sensorielles peuvent nous faire éprouver cette subtilité de la pure Existence. Ces expériences ont été minutieusement décrites dans les Sutras sur le yoga de Patanjali, interprète d’une ancienne connaissance transmise par les Védas et les Upanishads, et qui vit encore aujourd’hui dans le Bouddhisme tantrique Sahaja, témoignage des Baüls illétrés, des Saints du Bengale et de l’extrême sud de l’Inde.

Je considère que les enseignements du Christ sont exprimés à la manière de ceux des Baüls; ses paroles ont conquis le cœur des gens simples dans le monde entier. Sâmkhya est une voie mystique, une sublimation des sensations. Nous devons non seulement penser à Dieu, mais «penser à Dieu et le sentir».

Approcher réellement une dimension nouvelle signifie s’immerger dans le Vide. Réfléchissons longuement à ceci et gardons ce secret vivant dans notre conscience. Il y a là un processus qui peut demander une vie entière. Je ne vous donne ici que quelques suggestions.

Par exemple, vous regardez un enfant et vous vous dites: «Quel bel enfant!» C’est une constatation positive. Elle appartient à l’étape de la sensation. L’enfant est en dehors de vous, vous le regardez objectivement et vous avez seulement l’impression de son apparence.

Si votre sens de la beauté se change en amour vous commencez à aimer cet enfant et vous vous exclamez: «Quel trésor!» Ceci est la seconde étape où l’élément de l’émotion entre en vous. Si cette sensation devient plus intense, vous vous approchez de la troisième étape et vous sentez l’enfant comme vôtre propre enfant. Il devient réellement vôtre, l’enfant que vous avez porté, pour ainsi dire. Là, vous êtes complètement identifié. L’enfant et vous agissent l’un sur l’autre. C’est la dernière étape dans le développement d’une pure sensation.

L’ESPACE ET LE TEMPS NE FONT QU’UN

Un scientifique observe une chose et il pense: mais si son cœur est ému il veut comprendre le sens de son travail. En agissant ainsi il ajoute quelque chose à ce que ses sens ont découvert. Il aborde une nouvelle perception de l’univers. Le poète devient un mystique quand il s’identifie pleinement à ce qu’il «voit». Dans cette totale identification, l’espace et le temps ne font qu’un comme Purusha-Prakriti. Ils fusionnent dans l’expérience de la conscience mystique.

La continuité espace-temps, selon la conception d’Einstein se situe sur un plan d’observation. En ajoutant l’élément émotionnel le poète et le philosophe découvrent la réalité «bi-une» existant en Purusha-Prakriti, qui pourrait aussi être comprise comme Shiva-Skakti.

Dans la troisième étape, Purusha-Prakriti agissent l’un sur l’autre et entrent en communion jusqu’à ce qu’ils fusionnent en l’Un, qui est simplement le Vide.

Ici l’espace fusionne avec le temps. Nous pouvons dire qu’à cet instant la redoutable déesse noire, Kali, qui représente le temps, réduit l’univers tout entier en pulpe, et l’avale. Autrement dit la réalité bi-une de Purusha-Prakriti se dissout dans le vide.

Nous pouvons connaître par une profonde concentration et une méditation, ce qu’est un atome, en vivant et en devenant le Vide en nous-mêmes. C’est ce que tous les mystiques ont fait à travers les âges et en tous lieux; ils ont témoigné de leurs découvertes dans un langage cryptique qui leur est propre.

Ils ont connu subjectivement, à travers la contemplation des Lois de l’Univers décrites dans les Védas et le sens de nombreuses écritures sacrées des temps anciens, ce que nous tentons maintenant de découvrir «objectivement» par la science moderne.

Approcher une nouvelle dimension demeure le but d’une recherche profonde. Une fois, j’ai eu la vision d’une pyramide dont je ne pouvais qu’à peine distinguer l’apex, car les lignes telles que je les voyais ne se rencontraient pas. Je voulus l’escalader. Cette ascension m’a demandé des années et des années. Je n’en voyais pas le sommet, mais seulement une petite plate-forme sur laquelle on ne pouvait se tenir qu’un court instant.

Celui qui escalade cette pyramide symbolique est le fils de l’homme. Mais là, dans l’humilité, dans la perception du mystère, où toute chose est renversée, le fils de l’homme peut seulement s’interroger: «Qui suis-je?»; «Je suis ceci et Cela aussi». Dans le fils de l’homme mourant, un fils de Dieu est conçu.

On ne peut pas rester longtemps au sommet. Celui qui en descend connaît l’espace que les Sages ont perçu. Il sait aussi que dans sa vie sont instantanément effacées les nombreuses années de sa recherche. Rien ne demeure, sauf un reflet de l’immensité, le «Tout et le Rien — le Vide parfait».


[i] Dans l’Inde médiévale (15ème – 16ème siècle) il y avait une confluence de courants mystiques des trois grandes religions vivantes: Bouddhisme , Hindouisme, Islam. Ceci explique pourquoi certains termes les plus signifiants peuvent être considérés comme interchangeables.

[ii] — L’opposition blanc-noir signifie toujours Purusha-Prakriti (esprit-matière)