Robert Linssen
La seule réponse fondamentale au problème de la mort

Depuis qu’est née l’espèce humaine, d’innombrables réponses ont été données au problème de la mort. Cet événement concerne évidemment tous les êtres humains sans exception, ainsi que tous les êtres vivants : plantes, animaux. Pourquoi la mort est-elle devenue un problème d’importance majeure ? Existe-t-il une approche différente de la mort ? La vie et la mort ne sont elles pas les faces opposées mais complémentaires d’un processus infiniment plus élevé qui les englobe et les domine ? N’y a-t-il pas une VIE qui est bien au-delà de la vie et de la mort biologique que nous connaissons ? L’Univers, le monde, la matière, ne sont-ils pas d’une toute autre nature que ce qu’en perçoivent nos sens ? Au seuil du troisième millénaire, l’humanité de cette fin du XXème siècle n’est elle pas encore complètement engloutie dans les ténèbres résultant d’une erreur fondamentale de perception ?

(Revue Être Libre, numéro 303, Avril-Juin 1985)

Depuis qu’est née l’espèce humaine, d’innombrables réponses ont été données au problème de la mort. Cet événement concerne évidemment tous les êtres humains sans exception, ainsi que tous les êtres vivants : plantes, animaux. Pourquoi la mort est-elle devenue un problème d’importance majeure ? Existe-t-il une approche différente de la mort ? La vie et la mort ne sont elles pas les faces opposées mais complémentaires d’un processus infiniment plus élevé qui les englobe et les domine ? N’y a-t-il pas une VIE qui est bien au-delà de la vie et de la mort biologique que nous connaissons ? L’Univers, le monde, la matière, ne sont-ils pas d’une toute autre nature que ce qu’en perçoivent nos sens ? Au seuil du troisième millénaire, l’humanité de cette fin du XXème siècle n’est elle pas encore complètement engloutie dans les ténèbres résultant d’une erreur fondamentale de perception ?

C’est évidemment à cette dernière question qu’il importe de répondre de façon claire, directe. C’est à cette question que répondent les plus grands génies de la science, tels que David Bohm, Fritjof Capra, Larry Dossey, et cette rubrique est loin d’être limitative. C’est à cette même question que Krishnamurti donne des réponses directes, brutales, incisives. Et elles doivent être directes, brutales et incisives afin de heurter de front l’inertie, l’endormissement de toutes les philosophies, de toutes les religions, de toutes les mystiques qui n’ont pas vu, que dès le départ, l’homme est dans une situation fausse, que l’égo est inexistant et résulte d’une erreur fondamentale de perception, et que le monde extérieur n’a pas la réalité que nous lui accordons.

L’erreur de perception qui nous rend incapables de poser correctement non seulement le problème de la mort mais tous les problèmes est multiple. Erreur de perception du temps, erreur de perception de la durée, erreur de perception de l’espace, erreur de perception de la séparativité, erreur de perception dans la fragmentation, incapacité totale de perception dans l’apparente continuité de la conscience, incapacité totale d’attention dans le présent, etc. etc.

Chacun peut comprendre aisément que si nous ne percevons pas les choses, les êtres, les événements tels qu’ils sont, les images qui se présentent à notre esprit sont faussées. Dès lors, tous les problèmes qui résultent de ces images fondamentalement erronées sont faussés.

Nous nous posons des tas de questions dans une situation illusoire. En fait, nous sommes dans un rêve.

Tous nos problèmes ne sont que des pseudo-problèmes. Et, comme le déclare David Bohm, « la mort est une abstraction », la mort est un pseudo-problème résultant d’une erreur de perception.

L’énoncé d’une affirmation aussi brève que brutale fera sursauter n’importe qui parce que pour « n’importe qui » la mort est au contraire un problème grave, entier, souvent dramatique. Ceci montre l’abîme existant entre l’immense majorité des êtres humains et le climat de l’éveil intérieur résultant de la perception correcte.

Ceci nous montre aussi l’ampleur de la ré-éducation qui s’impose en vue d’orienter les êtres humains vers la perception globale qui les affranchira de la formulation de faux problèmes et surtout de l’angoisse de la mort. C’est une tâche très ardue et ingrate parce que l’humanité actuelle est complètement paralysée sous le poids de milliards de mémoires d’un inconscient collectif profondément corrompu par des idées-forces de toutes les religions et plus spécialement celles du judéo-christianisme. Celles-ci enferment l’être humain depuis des siècles dans les fausses certitudes de la réalité de l’égo, de l’immortalité de l’âme individuelle, des mérites à acquérir, des rituels, des dogmes de la théologie.

Les religions judéo-chrétiennes ne portent pas seules la responsabilité des erreurs fondamentales de perception. La psychologie moderne encourage la croyance en la réalité de l’ego et prétend que le dépassement de l’ego et le silence de la pensée sont des dangers. Au lieu d’aider l’évolution spirituelle de l’être humain de nombreux psychologues le replongent dans de fausses certitudes.

Ces fausses certitudes, les vains espoirs, les efforts qu’elles ont inspirés se sont solidifiés en ondes de formes mentales puissantes au cours des siècles. Elles se sont mêlées aux milliards d’ondes de formes mentales qu’ont laissés les joies, les plaisirs, les souffrances, les craintes, les passions, les refoulements de tous les hommes de toutes les femmes, de tous les criminels, de tous les saints depuis 50 millions d’années environ. Ces formes mentales constituent l’inconscient collectif. Il s’agit d’un immense magma psychique où se mêlent tout ce que l’on peut imaginer de noble et d’ignoble, de positif et de négatif. Cet ensemble doit être considéré comme une réalité matérielle, psycho-physique d’une puissance insoupçonnée.

Les très anciens l’avaient pressenti. C.G. Jung a tenté de le resituer dans notre langage. David Bohm et Rupert Sheldrake, comme savants, en exposent certains processus. Krishnamurti révèle toute l’ampleur de l’action paralysante de cette énorme cristallisation du passé, véritable poubelle psychique.

C’est elle qui nous enferme et nous maintient, à notre insu, dans les mailles du gigantesque filet de la mort. Mais il est vraisemblable, qu’à ce point du début de notre exposé, un tel énoncé semble n’être qu’une affirmation verbale dénuée de sens.

L’action des milliards de mémoires formant l’inconscient collectif est énorme et constante. Nous ignorons même son existence et lorsque celle-ci est évoquée cela n’entraîne aucune conséquence. En dépit du fait que nous serions d’accord pour admettre le bien-fondé de l’action de ces milliards de mémoires, nous n’en saisissons pas les implications immédiates et nous ne voyons pas immédiatement les conséquences qui en résultent dans notre sensibilité, nos aspirations et notre comportement.

Nous ne sommes pas réellement des individus ! Nous ne sommes que des maillons dans l’immense chaîne des mémoires de l’inconscient collectif (1). Nous sommes psychiquement liés aux autres beaucoup plus que nous le pensons. Nous sommes certainement différents les uns des autres, par notre hérédité physique, par nos traits, par nos goûts, par nos sensibilités, par nos habitudes. Non seulement, sommes nous différents mais souvent diamétralement opposés.

Mais savons-nous que s’il existe quatre ou cinq milliards d’êtres humains, différents ou opposés (chacun ayant une singularité propre) il n’y a en eux qu’un seul et même processus du « moi » s’exprimant par six verbes principaux : le verbe « avoir », avoir plus, devenir, durer, se protéger, continuer.

Ces verbes ont toujours été, pour la plupart d’entre nous, les verbes spécifiques de la vie.

Attention ! car, contre toute attente, ce sont les six verbes de la mort parce qu’ils sont prisonniers du Temps. Mais il ne s’agit pas ici du « temps chronologique » qu’enregistrent les montres. Il s’agit du « Temps psychologique », c’est-à-dire de notre identification au temps, à la durée, le sentiment d’attente ou l’impatience en vue d’obtenir ce que l’on désire ou de réaliser ce que l’on voudrait devenir, etc. La tension qui s’établit en notre esprit dirigé vers l’avenir forme écran masquant à nos yeux la lumière du Présent. Or, c’est dans la lumière du Présent qu’est l’essence de la Vie. Mais nous sommes prisonniers de la continuité du temps psychologique et la Vie réelle nous échappe.

La forme la plus haute de la Vie est intemporelle. Elle n’a ni commencement ni fin. En elle se concentre la plus haute qualité d’énergie dans chaque moment présent. Elle réside dans les ultimes profondeurs de la matière, bien au-delà des molécules, des atomes, des électrons et des champs.

Une image très simple pourrait nous faire saisir intuitivement les raisons pour lesquelles le « temps psychologique » impliqué dans notre attente de l’avenir est une barrière. Tout désir de possession ou de réalisation dans l’avenir, toute projection de la pensée dans le futur crée un véritable train d’onde horizontal qui partant du passé se dirige vers le futur. Le moment présent n’est jamais vécu pleinement. Il n’est qu’un passage rapide dont les contenus sont inaperçus. Ce train d’onde venant du passé et allant vers l’avenir est d’une grande densité. Il forme une sorte d’écran entretenant la conscience de l’égo dans une apparente continuité. Ce train d’onde horizontal est, sur le plan psychique une barrière plus solide que le serait un mur de béton sur le plan matériel. A quoi cette barrière psychique s’oppose-t-elle ? Elle est en opposition radicale avec un mouvement d’une toute autre nature, un mouvement de création constante, discontinu.

C’est le mouvement de la Vie, l’holomouvement dont la toute puissance de l’énergie est entièrement concentrée en chaque instant présent. Il est semblable à un cœur de lumière cosmique, dont les pulsations intemporelles soutiennent les univers.

Le premier mouvement dont la continuité nous engloutit est horizontal. Le second, le mouvement du Vivant est vertical.

Le premier mouvement est celui que nous suggère le verbe « avoir » sa direction est horizontale.

Le second mouvement est celui du verbe « ETRE ». Il est vertical.

Le premier que nous croyons être le mouvement de la vie est en réalité celui qui structure le Royaume de la mort.

Le second que nous croyons être un néant est au contraire Plénitude de vie et conscience créatrices.

* * *

En bref, disons simplement que nous sommes tous piégés. Rappelons-le et répétons-le sans cesse. Nous tenterons de le faire comprendre, d’abord au niveau des mots. Ce rappel est très limité mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Nous souhaitons cependant que la précision et la répétition de l’exposé verbal finiront par faire sentir non mentalement ce qui dépasse les mots et les symboles. C’est une forme subtile de suggestologie dans laquelle nous ne sommes que simples catalyseurs suggérant au lecteur d’être en lui-même et par lui-même à l’écoute de ses propres profondeurs, par une sorte de résonnance émanant à la fois de notre essence spirituelle ultime et du vécu du suggestologue.

Nous sommes donc tous piégés. Dès la naissance. Et avant même notre naissance. Parce que nos parents étaient eux-mêmes piégés et ne s’en rendaient certainement pas compte. Et ainsi de suite.

Mais il est vraisemblable que l’humanité ne sera pas toujours piégée parce que l’univers n’est pas une simple mécanique dont les milliards de rouages tournent indéfiniment de la même façon sous le signe d’habitudes et de répétitions stériles. Chacun de nous peut être le catalyseur contribuant au changement de direction de l’évolution actuellement désastreuse du monde. Ceci dépend, non seulement de nos actes extérieurs mais infiniment plus, du vécu authentique de notre propre mutation spirituelle. Celle-ci nous conduit à la source première et toute puissante de toutes les énergies.

Ainsi que l’a montré récemment, le Prix Nobel Ilya Prigogine, il y a une prédominance de processus irréversibles et de créations imprévisibles au cours de l’évolution naturelle.
Ce n’est cependant pas le moment d’envisager les hypothèses de l’avenir, car ces anticipations font elles-mêmes partie du temps psychologique dont nous dénonçons les conditionnements.

Nous sommes donc pièges… Pièges par quoi ? par qui ? Comment ? Pourquoi ?

Nous sommes pièges parce que nous subissons à notre insu, de façon constante, la pression des milliards de mémoires qui se sont accumulées depuis la formation de l’Univers, il y a environ 15 milliards d’années. Ces mémoires ont la direction et les mouvements des événements, des êtres et des choses qui les ont provoqués. Elles tendent à imprimer les mêmes directions et les mêmes mouvements présents et à venir, à leur insu.

Ceci n’est plus une théorie mais un fait élémentaire de la plus haute importance. Les anciens Eveillés l’enseignaient. En 1985, les savants les plus illustres l’admettent et tendent à le démontrer. Krishnamurti en expose et vit tous les processus, toutes les implications. Chacun de nous peut non seulement en comprendre le bien-fondé mais en sentir les implications dans une prise de conscience parfaitement claire et s’affranchir de la pesanteur du passé par une mutation naturelle qui le délivre du rêve individuel et collectif.

Nous sommes donc pièges dès la naissance et avant même de naître. Pas une seule de nos cellules n’est délivrée de l’empreinte indélébile qu’ont déposé les milliards de mémoires qui se sont accumulées depuis des millions d’années. Pas une goutte de notre sang n’échappe au lourd fardeau du passé. Non seulement le corps matériel porte l’empreinte du passé mais la totalité des ondes de forme de la matière mentale ne sont que l’écho du passé. En bref, comme le dit Krishnamurti, nous ne sommes qu’un paquet de mémoires. Nous sommes (physiquement et psychologiquement) le passé.

Mais ce que nous connaissons de nous-mêmes n’est pas du tout la totalité de notre être. Il y a — bien plus en profondeur — au-delà des niveaux physiques, moléculaires, cellulaires, atomiques, sub-atomiques, « CELA » qui ne peut être nommé, « CELA » qui est l’ETRE dans sa plénitude, « CELA » dont les Sages de tous les temps nous interdisent de parler, « CELA » que les savants gnostiques de Princeton désignent comme l’Endroit de l’Univers. David Bohm, LE nomme « la Source », ou le « terrain suprême » (the « ground »), Krishnamurti LE désigne par « l’autreté » (the « otherness »), l’Intemporel, mais il évite d’en parler de peur que nous en construisions un cliché mental formant un écran subtil masquant à nos yeux le Réel tel qu’IL est dans sa splendeur première.

L’immense majorité des êtres humains est fort éloignée de ces préoccupations et de ce niveau. Ainsi que nous le disions précédemment, une erreur fondamentale de perception de nous-mêmes, du temps, de l’esprit et de la nature réelle de l’univers, nous plonge dans une situation d’isolement et de véritable exil.

L’entièreté du fonctionnement de la pensée reste perpétuellement attachée aux préoccupations pitoyablement limitées de l’égo. Nos revendications, notre compte en banque, notre réputation, notre pays, notre avenir, nos remords, nos regrets, nos plaisirs, nos croyances, nos lectures, nos attachements, nos ambitions. Aussi longtemps que la totalité du fonctionnement de notre pensée reste uniquement engloutie dans le champ de ces occupations égocentriques, aucun espoir de perception correcte n’existe. Le vacarme de la pensée nous empêche d’être à l’écoute des richesses que nous portons en nous à des niveaux beaucoup plus profonds.

L’identification exclusive au corps, à l’ego, l’illusion de la séparativité résultant de l’erreur fondamentale de perception font apparaître divers pseudo-problèmes et parmi eux le problème de la mort.

Au pseudo-problème de la mort, une foule de réponses ont été données de tous temps, par toutes les religions. Aucune de ces réponses n’est vraie dans le sens absolu du terme.

Le fait de l’existence d’un psychisme indépendant du corps physique et l’existence d’un univers pluridimensionnel où s’expriment et persistent divers niveaux d’énergies non physiques, ne résolvent pas fondamentalement et de façon définitive le problème de la mort.

Nous avons d’ailleurs signalé intentionnellement que dans notre esprit la « réincarnation » — qui pour nous est un fait — est une servitude; la « chaîne des existences successives » est une prison sans issue aucune. Elle est sans issue car l’ego doit inévitablement, tôt ou tard, être dépassé et son existence est essentiellement conflictuelle.

Il n’entre pas dans nos intentions d’approcher le problème de la mort en apportant les consolations habituelles de la réincarnation, en évoquant l’éventuelle retrouvaille du psychisme des êtres aimés et disparus dans le monde psychique et la perspective de renouer des contacts dans une incarnation future. L’évocation de telles possibilités et les espoirs vers l’avenir qu’elles suggèrent constituent le pire obstacle à la compréhension spirituelle adéquate du problème de la mort. Certes, certaines perspectives apportent des consolations mais ces consolations sont finalement illusoires et prolongent notre situation d’exil et de servitude. C’est à nous de choisir. Ou bien les consolations ou la vérité. Nous croyons malheureusement trouver la sécurité dans les consolations assurant la réalité de l’ego et sa continuité alors que la seule véritable sécurité nous est accordée par la rupture de l’identification au Temps, à la durée, à la continuité. Cette mutation nous apporte la bénédiction d’une renaissance intérieure prodigieuse émanant de la Source suprême. Mais nous en sommes fort éloignés par notre éducation, notre hérédité et la superficialité du niveau moyen des générations dont nous sommes issus.

L’obstacle le plus pernicieux à la mutation spirituelle est la croyance en la réalité de l’ego et son indestructibilité. Cette croyance a produit une pseudo-civilisation où l’égoïsme règne en maître.

Nous sommes tous témoins de la violence, de la corruption, de la lutte pour le pouvoir, de l’exploitation de l’homme par l’homme qui en résultent. La croyance en l’éternité de l’ego est le poison suprême.

La seule réponse au problème de la mort n’est pas métaphysique ni théorique quoiqu’elle le paraisse. Elle consiste à véritablement mourir à nous-mêmes, psychologiquement en étant vivant.

Certaines allusions à la « mort à soi-même » sont faites dans les textes classiques chrétiens ou autres. On les cite souvent mais pour beaucoup ce ne sont que des amusements intellectuels. On se borne à les répéter du bout des lèvres. Ceux qui en parlent le plus restent fermement établis dans leur ego et n’ont ni le courage ni l’honnêteté de quitter les organisations ou les églises enseignant la réalité absolue du « moi » et son éternité.

Nous devons une fois pour toute cesser de faire référence aux textes soi-disant sacrés quels qu’ils soient — y compris ceux de Krishnamurti.

Un texte n’est jamais sacré. Le « sacré » réside secrètement dans le cœur de tous les êtres, profondément enfoui sous les mémoires accumulées du passé. Lui seul résoudra le problème de la mort et des angoisses que la perspective de mourir peut provoquer. Dès lors se pose la question « qu’est-ce que le sacré ? ». Comment le découvrir ? Il se trouve bien plus près de nous que nous le supposons. Un petit écran intérieur, une vieille habitude nous en séparent : une mauvaise perception du Temps.

Le « sacré » se révèlera à ceux qui se seront affranchis de la magie du temps, de la durée et de la répétition des automatismes du passé. Nous vivons tous, sans nous en rendre compte, complètement emprisonnées dans une constellation d’habitudes mortes, dépourvues de créativité authentique. Avons-nous une seule fois compris ou senti, dans toute notre vie, que la continuité de notre conscience est une prison qui nous enferme en nous-mêmes ? Nous n’y avons peut-être jamais pensé.

Une sorte de barrière intérieure nous sépare de l’intensité vivante du « sacré ». Nous sommes corrompus par trop de noms, trop de formes, trop de mémoires, trop de pensées.
Le langage du sacré est vivant, non mental, non verbal. Il diffère donc de tout ce que nous suggère le terme « langage ».

A la frontière du monde manifesté, là où finit le Royaume de la pensée, du temps, de la mémoire et de la mort, le voyageur doit abandonner tous ses bagages : ses croyances, ses acquisitions intellectuelles, son corps, l’attachement de la chair, la famille, les êtres aimés, la maison, le compte en banque, l’auto, les amis et les livres qui ont été souvent les amis précieux entre tous.

Il doit être psychologiquement nu et transparent comme cristal. En somme, le « moi » n’est que la somme des bagages qui furent provisoirement nécessaires mais qui sont devenus inutiles.

Dès lors, chacun se pose la question de savoir, mais que reste-t-il ? Rien, répondra l’ignorant. Tout sauf les illusions répondra le Sage.

Tout, parce que l’essentiel, le Vivant n’a jamais cessé d’être là dans sa plénitude de conscience mais l’ignorant ne le sait point.

Dans le silence parfait de la pensée, ce qui reste du voyageur peut être enfin, à l’écoute de CELA, suprêmement vivant, qui n’étant pas né est affranchi de la naissance et de la mort. Il a découvert, comme le suggéraient les anciens maîtres chinois « ce qu’il était avant même que ses parents ne l’aient conçu » et Ce qu’il est maintenant, bien au-delà de sa vie physique et psychique.

Les anciens Chinois appelaient cela : « Retourner chez soi ».

(1) C’est ici que se révèle la véritable signification de l’affirmation souvent répétée par Krishnamurti:   « You are the world and the world is you (Vous êtes le monde et le monde est vous) ».