L’accueil comme voie, entretien avec Jean Klein

Bien souvent, nous ne savons pas être ouverts, réceptifs aux pensées, aux sensations qui nous assaillent. Laissez-les venir, n’intervenez pas afin qu’elles se livrent à votre regard vierge. Cette écoute sans choix est détendue, paisible, nous voyons l’espace s’agrandir peu à peu. Hors de toute préhension, de toute mémoire. Le contenu de notre psychisme se révèle, s’actualise, nous contemplons d’une façon désintéressée nos agressions, nos fureurs, nos peurs, nos anxiétés. Tôt ou tard, elles se résorberont dans notre observation et la transformation, la transmutation se font dans cette résorption. Malheureusement, nous n’allons pas jusque-là, la personne se défend, elle n’approfondit pas complètement ces constatations, elle remet cette étude à plus tard, n’en ayant soi-disant pas le temps, sans vouloir comprendre le motif qui la guide. Cultivez l’observation, ne refusez pas une approche attentive, cet approfondissement vous rendra autonome.

(Revue Être. No 1. 1986. 14ème  année)

Le titre est de 3e Millénaire

Je voudrais savoir s’il est possible d’approcher la vérité ultime sans emprunter une voie traditionnelle ?

Qu’entendez-vous par voie traditionnelle ?

Le Jnâna-yoga, le Râja-yoga, par exemple avec une discipline stricte.

C’est-à-dire ce qui est transmis de maître à disciple. Posez-vous la question : Quel est le motif profond qui me pousse à entreprendre une démarche orientale traditionnelle ? N’est-ce pas simplement un besoin de sécurisation ou l’espoir de trouver ailleurs ce que vous n’avez pas rencontré encore ? Est-ce qu’obscurément, vous n’avez pas au fond de vous-même le désir de maintenir malgré tout la notion d’un moi ? Si vous obéissez à l’un de ces motifs, ce serait tout bonnement encore une fuite. Seul un appel impérieux doit nous inciter à prendre un cheminement plutôt qu’un autre.

Devons-nous étudier les textes anciens afin d’orienter notre démarche ?

Ces textes en principe, nous orientent, nous guident, pointent vers quelque chose que la pensée ne peut atteindre. Si vous les étudiez, sachez voir entre les lignes, soyez ouvert à ce qui dépasse l’entendement. Tout ce que vous comprenez dans un texte sacré sur le plan de l’intelligence doit se consumer, s’effacer afin qu’au delà des mots, derrière eux, vous sentiez votre nature profonde, le silence.

Mais ce silence n’est-il pas inaccessible si on le cherche ? Ne devons-nous pas attendre avec discernement et humilité qu’il se présente ?

La pensée, le mot sont issus du silence pour y retomber. Chaque perception se dirige vers ce que nous sommes profondément, mais comme nous ne l’accueillons pas vraiment, spontanément, elle devient immédiatement un problème psychologique. Nous ne sommes presque jamais branchés directement sur la réalité, nous permettons à un moi de s’introduire pour comparer, évaluer, conclure. Ce que nous appelons la vie n’est qu’une suite de réactions.

Au fond, le moi doit se perdre dans le silence ?

Oui, la pensée moi surgit de la totalité pour s’y replonger ensuite. Tout ce qui est perçu se rapporte à la globalité, à cet état qui n’en est pas un, à cette présence. Une attention bienveillante, dégagée de tout choix permet déjà de pressentir votre véritable nature. Votre écoute doit être de plus en plus attentive jusqu’à ce qu’elle soit complètement vacante : vous n’avez plus de programmation, vous n’êtes rien, uniquement libre, disponible. C’est un état d’amour, vous ne vous sentez plus séparé de votre environnement, vous êtes en communion avec lui, compréhensif. Faites cette expérience.

Bien souvent, nous ne savons pas être ouverts, réceptifs aux pensées, aux sensations qui nous assaillent. Laissez-les venir, n’intervenez pas afin qu’elles se livrent à votre regard vierge. Cette écoute sans choix est détendue, paisible, nous voyons l’espace s’agrandir peu à peu. Hors de toute préhension, de toute mémoire. Le contenu de notre psychisme se révèle, s’actualise, nous contemplons d’une façon désintéressée nos agressions, nos fureurs, nos peurs, nos anxiétés. Tôt ou tard, elles se résorberont dans notre observation et la transformation, la transmutation se font dans cette résorption. Malheureusement, nous n’allons pas jusque-là, la personne se défend, elle n’approfondit pas complètement ces constatations, elle remet cette étude à plus tard, n’en ayant soi-disant pas le temps, sans vouloir comprendre le motif qui la guide. Cultivez l’observation, ne refusez pas une approche attentive, cet approfondissement vous rendra autonome. Vous êtes déjà conscient, vous êtes déjà le percipient, mais vous êtes collé, attaché à la perception qui se présente à vous. Ne l’empêchez pas de vivre, prenez du recul et par votre attention, votre désintéressement, elle deviendra mouvement. Son indépendance dépend de son extension. Cette approche est l’aimant qui l’attirera vers la totalité dont elle est une manifestation.

On pourrait dire que notre désir d’absolu est une profonde nostalgie de « retour à la maison » qui subsiste en nous à l’état latent sans que nous en comprenions bien le sens. Nous pressentons la réalité, mais dans cette contemplation, notre psychisme crée en même temps la tentation d’abandon. Si notre nostalgie est assez forte, les résidus du passé disparaîtront en un seul instant, sinon, observées avec lucidité, notre peur, notre agression se résorberont peu à peu dans cette observation, entraînant la transformation, la mutation.

Si vous voulez savoir comment une cité est composée, vous raisonnez : les places, les avenues sont à tel et tel endroit, les rues sont dirigées dans tel sens, etc. Il en est de même pour le contenu de notre mental, regardez-le attentivement, avec discernement afin qu’il se dévoile à vous, qu’il s’actualise pour pouvoir s’évanouir ensuite. Rendez-vous compte que vous empêchez l’épanouissement de ces constatations, vous cherchez à vous en servir pour vous défendre, l’individu refuse de s’effacer, la mémoire vous persuade que vous avez un rôle à jouer.

Vous reconnaissez aussi les séquelles du passé par le rêve qui est généralement une continuation de l’état de veille, de choses mal ou imparfaitement vécues. Nous ne tenons pas à aller jusqu’au bout de nos investigations, comme je viens de vous le dire. Pourquoi ? Paresse de l’esprit, bien sûr, et surtout défense de l’ego qui se sent attaqué dans ses manifestations et qui veut rester maître du terrain. Voyez d’où vient cela, acceptez ces réactions afin qu’elles s’épuisent. Dans le sommeil profond, ce qui a été vécu n’est pas écrit sur la pellicule, le film tourne calmement, ces énergies sont devenues mouvement naturel sans observateur et chose observée.

Pourtant, lorsque je veux peindre, je dois bien nommer, préciser ? Quelle signification donnez-vous à cela ?

Lorsque vous admirez un paysage, vous avez d’abord un regard global, puis il est tout à fait normal de nommer ; ensuite vous revenez à la perception pure qui alors vous stimule et vous porte à mettre sur une toile ce que vous voyez, ressentez. En tant qu’artiste, vous percevez facilement la différence dans ces approches : vous remarquez un tableau représentant une maison avec un toit rouge, cette masse rouge que vous appelez toit vous attire. Si vous êtes retenu par la construction, cela devient un dessin, vous soulignez simplement ce qui vous est apparu et ce dessin est une fonction intellectuelle. Tandis que si votre regard oublie le détail et retourne à l’ensemble de l’œuvre, vous éprouvez l’émotion de la beauté, vécue comme un cadeau, c’est en quelque sorte un remerciement du don qui vous est fait, qui est lui-même une offrande.

Ceci n’est pas réservé aux artistes et se présente dans la vie de tous les jours, au cours des tâches les plus modestes. Le réflexe de la forme et du nom est sans inconvénient, il est naturel, le problème commence quand cette perception s’appuie sur la personne avec un jugement : sympathie/antipathie. Nommer est une convention nécessaire entre nous. Si nous n’avions jamais vu un avion, nous dirions : il y a un bruit, nous saurions que ce n’est pas le même que celui de la charrue, mais nous ne pourrions trouver le mot correspondant. Donc, à l’apparition de la forme, il est normal de la désigner, l’intervention du psychisme se manifeste au moment où nous qualifions, interprétons, jugeons. L’objet alors se rapporte à nous-mêmes, auparavant, il se rapportait à notre présence.

Nous disons très rapidement : ceci est un arbre et nous ne nous sommes même pas rendu compte que notre précipitation nous a poussés à préciser immédiatement. Nos premiers mouvements sont périphériques ; acceptons-le, ne les contrarions pas, une autre couche plus profonde apparaîtra. Notre agitation est encore plus subtile et si nous pénétrons en nous-mêmes, couche par couche, en quelque sorte, cette animation finit par s’estomper, se calmer : nous répondons enfin à la totalité. La situation du moment, l’existence se joue dans un espace/temps qui provient directement de l’Absolu, notre réaction en est aussi une expression.

Cette émission d’énergies dans un espace/temps, qui se meurt dans la réalité est une jubilation du tout : on ne peut y déceler un but, c’est le jeu cosmique.

Je crois comprendre ce que vous expliquez.

Non, ne projetez pas une compréhension. Elle sera vraiment accomplie quand il n’y aura plus d’observateur et de chose observée. Ne vous évertuez pas à saisir, soyez seulement ouvert, notez vos résistances, faites face à vos interprétations, à vos jugements. La pleine conscience de ce processus provoquera obligatoirement un arrêt et dans cet arrêt, la transformation s’effectuera. Avant tout, sachez que vous n’êtes pas propriétaire de votre capital mental ni de votre corps. Celui-ci apprécie sa santé, sa vitalité, votre personne, vos biens. De tout cela, vous n’êtes qu’administrateur. Si vous vous considérez réellement comme tel, vos réactions seront différentes, vous êtes déjà « distancié » par rapport aux questions d’intérêt, de situation, de problèmes familiaux ou autres. Vous ne serez plus impliqué.

C’est cela le vide, la vacuité ?

Ce vide est encore objectif, il se situe entre deux pensées. Cette absence d’activité nous semble négative ; en fait, la vacuité à son tour s’efface. Réfléchissez : comme tout ce qui est perçu, elle n’a pu se manifester sans lumière. Où se trouve cette clarté, cette luminosité ? C’est votre présence, votre conscience immuable, éternelle.

Comment prendre une décision devant une situation pleine de conflits et que nous n’analysons pas bien ?

La juste appréciation d’une situation difficile demande tout d’abord que vous la laissiez venir à vous, n’allez pas au-devant d’elle, vous seriez attaché, identifié à la difficulté. Soyez libre, ouvert pour qu’elle puisse bien se développer, s’exposer, qu’elle s’étale devant vous afin de pouvoir mieux en vérifier les rouages. Examinez ce que vous saviez au départ et ce qui se dévoile peu à peu à vous, ne restez pas enfermé dans votre mémoire. Vous apercevrez ce qui est au-delà de vos concepts habituels et la décision se prendra d’elle-même, abrupte, directe, instantanée. Restez très alerte car l’ego voudra s’approprier cette solution, il jugera, il verra le résultat et ce seront de nouveaux marchandages : j’aime, je n’aime pas. Soyez lucide vis-à-vis de ce qui est apparemment extérieur, mais aussi de votre champ psychosomatique. En vérité, on ne peut parler d’extérieur/ intérieur, c’est un même plan et ce n’est pas un procédé analytique qui permettra à la décision juste de se dévoiler à vous. Dans cette attention notre attitude est tellement dégagée que notre entourage se sent apaisé lui aussi.

Devons-nous être indifférents ?

L’indifférence est une réaction psychologique qui n’intervient pas dans ce cas. Personne n’est en cause : plaisir et déplaisir nous isolent.

Comment avoir les pieds sur terre et le faire accepter par ceux qui nous entourent ?

Lorsque vous lisez un poème, sa beauté vous apparaît après l’avoir lu. Dans le déroulement d’un texte musical, vous jouissez pleinement de la musique lorsqu’elle est terminée. N’échafaudons pas de concepts, de percepts au sujet de notre environnement. Quand vous êtes en présence de quelque chose que vous n’avez jamais vu, il vous faut plusieurs coups d’œil pour l’embrasser, vous êtes entièrement imbibé, sans analyse, sans jugement. C’est une expérience globale, ensuite vient le côté anecdotique, puis de nouveau, vous êtes renvoyé à la totalité. Rencontrez les vôtres de cette manière. Qu’ils soient toujours nouveaux pour vous, n’ayez pas une image toute faite dès que vous les apercevez.

Par ailleurs, si vous pensez : j’aime cette personne, elle m’est sympathique. De quoi provient cette appréciation ? Tout simplement de ce qu’elle vous a donné la liberté d’être, qu’elle ne vous a pas catalogué, qu’également, elle n’a rien surimposé à votre entrevue. Chacun de nous se sent confortable, s’il est abordé ainsi, il n’est pas compartimenté, jugé, classé, il se sent vivant.

Je médite parfois le matin, mais dès que je reprends la vie courante, l’état dans lequel j’étais s’efface, il n’en reste rien. Que me conseillez-vous pour garder cette paix, cette ouverture qui semblaient installées en moi ?

Vous ne pouvez pas les garder, c’est elles qui vous gardent, mais vous le refusez et vous les quittez.

Ya-t-il une relation entre la tranquillité et la patience ?

Dans la tranquillité, personne n’est tranquille, on est sans représentation, sans désir. Par contre quelqu’un de patient attend — peut-être inconsciemment — quelque chose, un résultat.

Soyez calme, réceptif devant les expressions de l’existence et constatez que vous êtes bien souvent dans un mouvement de devenir. A ce moment-là, vous n’êtes pas branché sur le courant de la vie. Vivre dans le futur est une répétition.

Dans une attention très lucide, vous êtes clairvoyant aussi bien corporellement qu’émotionnellement, dans le domaine de la pensée et sur ce qui se passe dans votre entourage le plus proche. Vous avez parfaitement conscience de tout cela. Cette observation silencieuse est un état d’amour qui facilite une communication véritable avec vos amis, ce n’est pas le contact d’une personne avec une autre.

Dans ce cas, la tranquillité reste toujours en arrière-plan et la personnalité se déploie normalement. Celle-ci surgit lorsqu’il en est besoin et se meurt ensuite dans l’ultime réalité.

Vivre ce que nous sommes profondément, en communion avec nos semblables, dans une écoute non volitive, sans choix entraîne l’action appropriée à la situation. Notre geste est spontané, puisque la mémoire n’est pas intervenue et il n’en reste aucune trace.

Une attitude momentanée dans laquelle vous entrez et sortez serait forcément un éloignement, mais si vous êtes ébloui par l’immensité qui se présente à vous dans la tranquillité, si vous baignez dans cette paix, l’apparition des états, des objets se manifeste sereinement, sans vous perturber pour s’évanouir dans le tout. Cette félicité n’est pas localisable, c’est un état originel, elle ne peut se nommer ni se décrire.

Habituez-vous à une attention calme, lucide, afin de donner libre cours au déroulement des faits menus ou importants ; vous savez que tout est attiré vers un unique pôle d’attraction. N’ayant plus de but, ce qui est observé se dilue, se vit dans la réalité. Commencer à le savoir est déjà le saisissement d’un soi-même, le mental n’a plus de rôle à jouer. Tout doit s’accomplir en nous sous forme de fonction avec laquelle nous n’essayons pas de nous identifier. Il se crée alors une certaine distanciation, nous sommes en parfaite identité avec la tranquillité où toute perception fait partie du jeu de la vie.

Le matin, ne forçons pas l’éveil du corps et des sens, abordons l’entrée du jour paisiblement, sans hâte, nous sommes encore pénétrés de la saveur de la nuit. De même, le soir, avant de nous endormir, laissons toutes nos qualifications, nos souvenirs s’estomper, s’effacer afin de célébrer la joie dans l’observation contemplative. Evitons de tomber dans les mouvements d’anticipation, de stratégie du mental en constatant combien cette façon d’agir est superficielle, le souvenir du passé ne joue, lui non plus, aucun rôle valable dans le présent. Certains éléments essentiels font partie bien sûr de notre mémoire et sont fonctionnels, mais les facteurs psychologiques ne doivent pas s’interférer. Si vous voulez commencer votre journée dans un état de fraîcheur, restez explorateur et des expériences nouvelles, originales s’offriront à vous, sinon, ce ne serait que répétitions, sans créativité.

L’activité à laquelle vous vous livrez le matin — lorsque vous méditez — vous permet d’examiner : comment vous êtes assis, pourquoi vous êtes assis, qui est assis, quelle est cette masse assise, les tensions, les crispations qui l’habitent ? Contemplez-les, cette observation non volitive supprime toute complicité avec ces nœuds, ces lourdeurs et les éléments qui les ont suscités se consumeront automatiquement dans votre attention. Une métamorphose s’accomplit alors.

Cette constatation n’est pas seulement corporelle, elle doit s’effectuer aussi sur le plan psychique. Vous verrez l’équanimité dans laquelle se déroulera votre vie à la suite de cette discrimination ; si vous n’êtes pas impliqué psychiquement, votre façon d’agir est toujours appropriée. Le soir, oubliez l’effort de la journée, soyez détendu, déposez effectivement ce que vous n’êtes pas, de la même manière que vous enlevez vos vêtements avant de vous coucher. Débarrassez-vous du fardeau accumulé afin d’être dans une parfaite nudité, dans une parfaite liberté. C’est ce même départ que vous vivrez un jour définitivement.

Quand je me lève le matin, je ne pense pas à la personne, mais à force d’en entendre parler dans ces entretiens, je la cherche.

Et vous l’avez trouvée ? Alors je vous félicite. Nous restons généralement dans notre personnalité à laquelle nous nous identifions. Nous avons une relation d’objet à objet avec notre entourage, nous voulons être reconnus, rassurés, aimés, réconfortés. C’est l’angoisse du moi qui le porte à s’accrocher à tout ce qu’il peut afin de durer, de se consolider de tous côtés. Par contre, si nous vivons dans la tranquillité, dans notre vraie nature, nous sommes en unité avec l’autre, nous formons un tout où la personnalité se manifeste pour jubiler, honorer la beauté qui est une expression de Dieu. L’humain est une prolongation du divin.

Quand nous voyons les choses d’un point de vue global, chaque détail s’inscrit dans notre conscience qui en prend note puis retourne à la totalité. Ce qu’on appelle généralement changement n’est qu’un déplacement de la perception vu sous l’angle fractionnel, incomplet de l’individu. Celui-ci peut ajourner, déplacer la difficulté qui n’est pas résolue pour autant et ses résidus s’éveilleront un jour ou l’autre. Il y a des dépassements possibles, mais pas de transformation véritable, tôt ou tard, nous retombons dans nos errements habituels.

Vous êtes la vie qui s’exprime sous forme d’énergie. Un problème, situé sur le plan sujet/objet ne peut se régler vraiment, mais quand — grâce à notre discrimination — il devient impossible au moi de trouver une prise, nous le contactons d’une façon impersonnelle, nous ne sommes pas concernés, nous sommes à l’extérieur. Plus exactement, la situation est en nous et s’explique dans notre totalité. Quand quelque chose est tout à fait intégré, le percipient et la chose perçue se fondent dans notre présence ultime, innommable, essence de toute manifestation. Nous le redisons sans cesse, du reste.

Comprenons-le bien, et examinons très attentivement les motivations, le contenu de nos agitations, de nos peurs afin qu’elles s’épanouissent, s’épuisent et disparaissent dans notre observation qui n’est pas une faculté, mais une manifestation de notre essence où la substance anxiété est entièrement consumée, comme toute perception, lorsqu’elles ont pu se développer librement.

Une action commandée par l’ultime présence, sans intervention de notre mental est toujours juste : bien des « mois » peuvent ne pas l’accepter, mais l’acte — qui sur le moment paraît peut-être incorrect à l’individu — est certainement adéquat. Il est conforme en général à nos possibilités et notre intelligence interviendra le moment venu. Un architecte, par exemple, voit les dimensions qui se déploient dans un espace, en tant qu’artiste, mais les idées qui lui viennent sont étroitement liées avec les possibilités techniques ; les instruments forgés par notre passé sont en quelque sorte nos serviteurs.

Au cours de nos entretiens, je sens parfois des contractions, des crispations, la position dans laquelle je suis me donne envie de bouger, je m’énerve. Comment me libérer de ce tic ?

Laissez venir tout ce qui est enseigné, vous savez très bien que vous ne pouvez à la fois voir et écouter, voir et toucher, sentir et écouter on le fait très rapidement mais pas simultanément. Lorsque vous acceptez ce que vous entendez vous en êtes imprégné vous êtes totalement ouvert et vous vous rendez compte que cette écoute s’étend à tout votre corps qui devient en quelque sorte une oreille. Familiarisez-vous avec cette approche spatiale c’est un peu comme si vous posiez votre tête sur les rails de chemin de fer pour savoir si le train arrive ; vous l’entendrez de loin. Une expansion de votre sensibilité corporelle va se faire, provoquant une dilatation de votre corps qui s’agrandira en tous sens. Les crispations s’envoleront alors. Une attention globale ne choisit pas, elle est simplement ouverte, pleinement décontractée et ce que vous avez entendu va enfin s’éclipser devant votre présence. C’est cela la méditation.

La question m’a été posée, qu’en advient-il dans la journée ? Pour qui vit cette méditation en permanence, rien ne se passe en relation avec les événements dits extérieurs. Malheureusement, nous aimons nous régaler avec les souvenirs du passé en échafaudant des projets merveilleux. Soyez-en conscient, sans vouloir rien changer, mais prenez note de ces mécanismes auxquels vous ne savez pas échapper. N’intervenez pas. Dans l’ouverture totale vous le savez, la perception s’épanouit, puis se vide de toute substance pour s’évanouir enfin dans votre présence. Attention, il n’est pas question d’une acceptation psychologique ici, ce serait une restriction, une contraction permettant à la personne de subsister. Constatez-le dans ce cas, ne luttez pas contre ce moi, gardez une attention vigilante, examinez ce qui se passe en vous et autour de vous, si l’on peut dire, car c’est une attitude fausse qui nous amène à parler d’intérieur et extérieur ; la plénitude ne fait pas partie de l’espace/temps.

Si vous ne manipulez plus les objets avec votre main droite pendant quelque temps, vous vous apercevez qu’elle n’en est plus capable quand vous voulez à nouveau vous en servir ; elle a perdu son agilité, sa sensibilité. Il en est de même lorsque vous ne pensez pas, le moi n’existe plus. Dans cette façon de vivre sans l’utiliser, il s’estompe peu à peu et perd son dynamisme. Si vous êtes très attentif, vous verrez clairement ce déroulement.

Vous êtes un membre de la société, il est naturel d’ouvrir la radio pour savoir ce qui se passe, de vous occuper de choses matérielles ou artistiques. Vous pouvez vous souvenir de la géographie, de l’histoire, de la littérature, ce sont des choses purement fonctionnelles, mais la mémoire psychologique ne se manifestera plus, elle est éliminée.

La vie de tous les jours ne donne pas d’aliments à l’individu, c’est lui qui les provoque, qui crée les stimulations : je veux être reconnu, on ne lit pas mes livres, etc. Il en est de même pour l’angoisse. C’est une terrible dépense d’énergie, autant que de bêcher son jardin toute une journée !

A un moment donné, tous ces matériaux qui font partie de la non-compréhension fusionnent dans la compréhension. Dans une attente sans attente, dans une ouverture sans projection d’une personne, tout est donné, tout est ; vous vivez dans une immensité. La joie, l’amour, la liberté sont des non-états que le mental ne peut comprendre, ils ne se laissent pas formuler, la joie ne peut se concevoir, elle est.