Dr. F. Beyens
L'acupuncture technique thérapeutique et/ou vision du monde !

Il y a au départ dans l’acupuncture, collection d’une quantité énorme d’observations d’où étaient tirées des formules pratiques, des modèles thérapeutiques plus ou moins souples et dont l’efficacité observée était suffisante pour que ce mouvement, purement empirique, ait été conservé. Ce squelette de l’acupuncture a cependant des limites floues. Où s’arrête l’empirisme efficace, où commence l’abstraction théorique, le symbolisme, l’analogie qui feront retourner au geste thérapeutique pour des raisons autres que l’efficacité première ?

(Revue CoÉvolution. No14. Automne 1983)

Avec l’acupuncture, nous nous trouvons devant une technique thérapeutique appuyée par une théorie complexe. Il faut, au départ, différencier ces deux aspects.

Il faut sauvegarder la connaissance pratique, la technique de base, même élaborée, celle qui donne des résultats vérifiables, peut-être même quantifiables, qu’on peut donc soumettre, moyennant un certain dialogue, une certaine adaptation, à l’expérimentation.

Dans les grandes lignes, ce tremplin pratique se compose de :

1. L’existence de points sur la peau, plus ou moins sensibles, et à la localisation relativement précise.

2. L’existence de trajets sensibles sur la peau, dans certains circonstances, et qui n’ont pas de lien direct avec ce que nous connaissons de la distribution primitive des territoires cutanés, nerveux ou musculaires au cours de l’évolution de l’embryon.

3. La possibilité de déduire, par la souffrance d’une région superficielle, une pathologie interne. En d’autres mots, un rapport entre la surface de la peau et les organes non encore expliqué par la science.

4. La possibilité d’agir, soit localement, soit à distance, par stimulation de ces points, quelle que soit la méthode employée : massage, aiguilles, moxas, électricité, laser, etc…

Il y a au départ dans l’acupuncture, collection d’une quantité énorme d’observations d’où étaient tirées des formules pratiques, des modèles thérapeutiques plus ou moins souples et dont l’efficacité observée était suffisante pour que ce mouvement, purement empirique, ait été conservé.

Ce squelette de l’acupuncture a cependant des limites floues. Où s’arrête l’empirisme efficace, où commence l’abstraction théorique, le symbolisme, l’analogie qui feront retourner au geste thérapeutique pour des raisons autres que l’efficacité première ?

Car à l’autre extrême du bagage empirique, peu à peu approuvé par l’expérimentation, il y a la vision culturelle de toute une civilisation qui s’est penchée sur les phénomènes naturels, puis biologiques, puis physiopathologiques. Cette vision y a laissé l’empreinte des concepts de l’époque, des différents courants de pensée qui régnaient dans les premiers siècles avant notre ère. Ainsi les théories de l’acupuncture, intégrées ensuite dans celles de la médecine chinoise, sont-elles nées du rapprochement d’une culture, d’une réflexion et d’un savoir pratique, celles-là coiffant de leur autorité et structurant celui-ci. La notion de souffles — ou énergies —, la notion de dualité Yin-Yang, le jeu d’interdépendance des Cinq Eléments ou Cinq Mouvements, ont été appliqués de manière systématique aux informations éparses issues de la pratique. Le savoir pratique a été structuré et organisé selon des lignes de pensée qui, à l’origine, étaient indépendantes du domaine médical. Le système théorique universel des chinois a récupéré et intégré les résultats empiriques.

A partir de ce moment-là, les raisonnements concernant diagnostic et application pratique ont suivi grosso modo deux voies distinctes.

1. S’en tenir aux résultats efficaces, aux techniques appliquées pour les obtenir, et les expliquer tant bien que mal par les systèmes de référence produits à l’intérieur de l’ensemble théorique. Comme ces systèmes de référence sont nombreux, il y en a toujours un qui convient, mais cela ne nuit pas à l’efficacité pratique.

2. S’éloigner de la pratique, suivre l’une ou l’autre des argumentations du système pour arriver à une conclusion pratique qui n’a plus aucun rapport avec la réalité, mais qui respecte une des lois du système.

C’est bien sûr faire injure à l’acupuncture et à la médecine chinoise de réduire ainsi la complexité de la situation. Ce système médical est extrêmement sophistiqué. L’intrication des données est telle, l’intelligence des observations si évidente, la subtilité des rapports physiopathologiques des diagnostics proposés et des choix thérapeutiques si manifeste que quelques phrases ne peuvent en rendre qu’une idée rudimentaire.

Bien que la science occidentale ait tendance à essayer de démystifier les médecines de système, ou du moins leur support théorique, je pense qu’il est absolument nécessaire, au stade actuel, de garder non seulement l’aspect pratique, ce qui est en train de se faire, mais également l’aspect théorique. Pourtant cette sauvegarde est plus du ressort de l’histoire des cultures, de la philosophie, de la sociologie, de l’histoire des médecines. Mais ce n’est pas encore le moment pour la science de se débarrasser du substrat théorique, et cela pour deux raisons majeures.

1. Il est encore difficile de discerner la ligne de démarcation entre la pratique empirique pure et celle née d’un raisonnement suivant les lois d’un système théorique. Il faut donc suivre encore les références indiquées par celui-ci, afin de pouvoir étendre le plus possible le champ de ce qui peut être étudié par la méthode expérimentale.

2. Acupuncture et médecine chinoise, privées de leur support théorique, restent nues, désincarnées. Aucun autre modèle complexe de raisonnement ne peut être bien appliqué. Aussi faut-il conserver l’original, responsable de la richesse de l’ensemble, en attendant que la science occidentale ait fait la part des choses dans l’amas d’informations qui nous est soumis et y substituer une vision autre, plus proche de la réalité physique ou physiopathologique et j’ai la conviction que ce que l’on trouvera ou démontrera dépassera de loin la simple explication de l’action antalgique de l’acupuncture par la sécrétion des endorphines.

Docteur en médecine, François Beyens est également président du Centre d’Etudes de Médecine Chinoise et d’Acupuncture. C’est, sans doute, le plus Chinois des Bruxellois de souche. D’ailleurs, dans sa maison, l’Extrême-Orient semble proche. Membre fondateur de l’Association Belge des Médecins Acupuncteurs (ABMA). Moniteur des cours pendant 10 ans. Enseignant principal pendant 16 ans. Successivement Vice-président et Président de l’ABMA. Membre fondateur et Secrétaire Général de l’International Council for Medical Acupuncture and Related Techniques (ICMART), une association qui regroupe plus de 80 associations d’acupuncture médicale, et représente plus de 35,000 médecins acupuncteurs.

Écoutez une interview avec Dr. Beyens ici

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Extraits de Réflexion sur la droite et la gauche selon la pensée énergétique chinoise par Dr. Jean Schatz – CoÉvolution no 4. 1981

Dans la pensée chinoise traditionnelle, ce n’est pas le Nord telle une substance, ou le Sud… qui importent, mais tous les mouvements qui se passent dans les différents points cardinaux, qui se déroulent dans tous les déploiements du passé, du présent et du futur. Ainsi, de façon analogique à ce que nous avons vu pour la prégnance de l’actuel dans les séquences du passé et du futur, le Centre exprime la répartition et la dynamique des quatre points cardinaux. C’est le théâtre où se vivent les métamorphoses et les fluctuations des quatre directions. Ainsi, l’une des grandes perspectives chinoises est non pas la catégorisation des phénomènes en quatre éléments, mais en cinq éléments dans lesquels la Terre représente le Centre, — les autres éléments étant le Bois, le Feu, le Métal, l’Eau.

Le peintre présente les quatre faces d’un objet parce que ces quatre faces appartiennent à l’Unité existentielle de cet objet. De même, le savant chinois décrivait en un même temps les événements qui caractérisaient le passé, le présent et l’avenir d’un objet clinique. En effet, un objet ou un événement ne peuvent être portés à la description livresque dans la mesure où ils correspondent à l’authenticité de la production. Il s’agit d’un processus de fidélité à la réalité.

Dans la pratique, quand on veut augmenter les énergies avec les aiguilles d’acupuncture (ou tonifier les énergies), on visse de la Gauche vers la Droite, comme si l’on voulait enfoncer dans le corps les énergies du Cosmos, à l’instar de leur déploiement dans l’univers, de l’Est vers l’Ouest, de la Gauche vers la Droite. On agit en fonction du Soleil : on le fait entrer dans le corps. La dispersion, manœuvre inverse, se fait de la Droite vers la Gauche dans un mouvement de dévissé.

Le docteur Jean SCHATZ (1919-1984), co-fondateur de l’Ecole Européenne d’Acupuncture, fut un très grand acupuncteur et l’un des principaux artisans de son rayonnement en Europe et dans le monde. Dès 1970, il relança l’étude sérieuse des textes classiques de la médecine chinoise et montra comment ils inspirent encore aujourd’hui une pratique authentique.