L'art et la manière de vivre la vie intérieure aujourd'hui - propos de Chiragh

Saint François d’Assise ou Sainte Thérèse d’Avila, Abdul Kadr Jilani, Ramakrishna, Inayat Khan ou Ramana Maharshi, ou encore Sri Aurobindo (pour ne parler que de ceux qui sont passés de ce monde) nous montrent une stature qui nous semble sans commune mesure avec la nôtre. Voilà, nous disons-nous, des héros qui ont montré tous les courages, été jusqu’au bout de tous les héroïsmes, prouvé à leurs frères humains les plus hautes formes de la bénévolence et de l’amour; qui, de plus, ouvraient à ceux qui les approchaient — et par le magnétisme de leur seule présence — la voie cachée des connaissances suprasensibles, soulevés qu’ils étaient au-dessus de la condition humaine par une inspiration et une force divines. Voilà, des sortes de géants qui s’avancent en droite ligne dans leur destinée, qui marchent d’un pas assuré vers leur but, tout obstacle renversé d’avance par une espèce de détermination et de volonté vraiment surhumaines…
Oui, eh bien, si telle est la vie spirituelle, qu’irions-nous y faire, nous autres pauvres pécheurs?

(Revue La pensée Soufie. No 51. 1975)

A toutes les âmes hésitantes qui ont compris la réalité et la valeur de l’idéal spirituel, mais qui n’osent.

LIMINAIRE

La vie spirituelle a ses coryphées. La tradition de n’importe quelle race aussi bien que l’histoire de toutes les religions nous offrent de grandes figures de mystiques, de saints et de maîtres, devant lesquels chaque âme sensible, chaque esprit tant soit peu éveillé ne peut que poser son front dans la poussière. Saint François d’Assise ou Sainte Thérèse d’Avila, Abdul Kadr Jilani, Ramakrishna, Inayat Khan ou Ramana Maharshi, ou encore Sri Aurobindo (pour ne parler que de ceux qui sont passés de ce monde) nous montrent une stature qui nous semble sans commune mesure avec la nôtre. Voilà, nous disons-nous, des héros qui ont montré tous les courages, été jusqu’au bout de tous les héroïsmes, prouvé à leurs frères humains les plus hautes formes de la bénévolence et de l’amour; qui, de plus, ouvraient à ceux qui les approchaient — et par le magnétisme de leur seule présence — la voie cachée des connaissances suprasensibles, soulevés qu’ils étaient au-dessus de la condition humaine par une inspiration et une force divines. Voilà, des sortes de géants qui s’avancent en droite ligne dans leur destinée, qui marchent d’un pas assuré vers leur but, tout obstacle renversé d’avance par une espèce de détermination et de volonté vraiment surhumaines…

Oui, eh bien, si telle est la vie spirituelle, qu’irions-nous y faire, nous autres pauvres pécheurs?

Et si quand même, par excès d’enthousiasme ou de jeunesse ou par aveuglement nous nous lançons dans l’aventure, tôt ou tard nous finirons par comprendre qu’à poursuivre un modèle hors mesure le plus bel enthousiasme s’époumone, la volonté la plus tendue se fige en grimaces et le discernement — s’il est resté lucide — ne peut que nous renvoyer l’image dérisoire d’un singe minable et nain qui s’essouffle vainement à tirer du fourreau l’épée du guerrier.

Or la vie spirituelle est impossible sans enthousiasme; elle échappe des mains de celui qui est crispé, elle laisse à sa propre petitesse celui qui s’hypnotise devant son image.

Or, l’avouerais-je? la constatation candide, en mon âge mûr, que la vie spirituelle a aussi ses petits rôles et même ses figurants, m’a causé une très grande joie. La découverte que l’on peut mener sans avoir de grands dons, ni même de talents, tout en vivant une vie de tous les jours des plus médiocre, et à l’arrière-plan de cette vie, une recherche intérieure authentiquement fructifiante m’a comblé de soulagement, et j’ose l’avouer, d’un sentiment de gratitude et de bénédiction.

Ce n’est pas là, une découverte bien neuve, dira-t-on. Et l’on dira peut-être aussi qu’elle témoigne de la part de son auteur d’une bonne dose de naïveté. Était-ce donc la peine de prendre la plume pour nous assener des truismes?

Sans doute, peut-être, j’en conviens…

Mais qui a passé des lustres de son existence louvoyer péniblement vers un but qu’il voyait trembloter dans la lointain, tantôt masqué, tantôt bien présent (et avec quelles rechutes, quels repentirs, quels méandres!) celui-là finit peut-être aussi par glaner quelqu’expérience et par accéder à quelques vérités de première main.

Et j’ai assez souvent ressenti, par exemple dans ces périodes noires où l’on s’enlise lourdement dans l’ornière, cette impulsion fraternelle qui vous saisit et vous pousse en avant à la lecture de tel ou tel livre écrit, sinon par un saint, du moins par un esprit sincère et qui parlait d’expérience, pour tenter à mon tour de jeter ma corde à qui voudra s’en servir. Je dirai même que ces lectures m’ont parfois mieux éclairé dans mes efforts que celles de Maitres authentiques, éminents, mais trop grands, et qui par là planent trop au-dessus de nos misérables difficultés quotidiennes.

En somme étant moi-même un médiocre (je n’y mets aucune nuance péjorative), c’est pour mes semblables que je veux écrire et pour que la conscience de cette médiocrité ne nous soit pas un obstacle mais un encouragement.

Ces propos viendront sans plan bien établi, comme le hasard, les rencontres, les occasions les feront naitre, mais ils garderont toujours un œil sur l’art et la manière de vivre la vie intérieure dans la société d’aujourd’hui, pour les femmes et les hommes de ce temps, laïcs en cette partie du monde. Et ils s’efforceront de garder la simplicité de ton qui sied à la position de leur auteur aussi bien qu’à l’audience à laquelle il aspire.

1. DE LA GRÂCE DU LIBRE-ARBITRE ET DU COMMENCEMENT DU VOYAGE

Ce n’est pas certes, en théologiens ni en métaphysiciens que nous pourrons aborder cette question de la grâce lorsqu’elle se posera à nous dans son acuité. Et Dieu sait si elle se pose parfois de façon critique, à telle ou telle croisée des chemins de notre vie.

Par exemple nous voici désemparés devant les conséquences de nos actes, de nos défauts, de nos erreurs. Désolés, humiliés devant l’évidence de nos manquements sans nombre à l’idéal de vie que nous nous étions fixés; et non seulement à cet idéal, mais aussi à la morale la plus courante; nous voici coléreux, jaloux, intolérants à la moindre opinion qui heurte la nôtre, égoïstement intéressés par un gain même petit, ou bien cachant nos turpitudes minables et nos suspectes attirances sous le manteau mal joint de notre vertu. Ah ! comment pourrions-nous jamais prétendre à une vie spirituelle quelconque? « Et pourtant » nous disons-nous « cette vie-là m’était bien apparue comme ce qui pouvait donner son sens, son orientation, son heureuse destinée à ma propre vie. Mais je me vois si imparfait, nul et faible que je doute fortement d’y être appelé. En suis-je vraiment digne? C’est peu probable. Aurai-je la persévérance qu’il faut pour la suivre? C’est des plus douteux. Deviendrai-je vraiment un spirituel, si Dieu me prête vie? C’est bien peu vraisemblable. Et d’ailleurs n’était-ce pas orgueil de ma part de vouloir monter si haut? » Nos moments d’hésitations, de dépression font éclore ces oiseaux sombres. Et ils viennent souvent après une première période euphorique d’intense aspiration vers le haut, pendant laquelle il nous semblait que nous étions enfin en route vers notre but et que nous sentions presque pousser notre auréole… Et voilà que nous retombons lourdement. Le but s’est obscurcis, nous sommes saisis par nos vieux désirs, nous avons repris la ligne des errements anciens et réintégré l’ornière de nos intérêts triviaux et terrestres; et l’auréole s’est changée en bonnet d’âne. La tentation d’abandonner nous saisit alors et si nous y succombons, que de retards et de détours inutiles! Mais si nous reprenons courageusement notre effort, cherchant à réinstaller constamment devant les yeux de notre esprit le but auquel tendons malgré les nuages sombres de la dépression, les tiraillements des vieux désirs, la constatation de nos indignités et autres courants traversiers qui tendent à masquer ce but ou nous en écarter, nous irons bien plus vite. Et si la question de savoir: « sommes-nous appelés ou non? » nous tourmente, il y a une réponse très simple à nous faire: le fait même que nous avons conçu — ne serait-ce qu’ un instant — qu’il y avait un but et perçu la direction dans laquelle chercher, voilà la première et la principale des grâces accordés aux débutants que nous sommes.

La chute après le premier envol est naturelle et sans doute nécessaire. Je dirais volontiers qu’elle est la première scène de l’acte I de cette pièce qui va se jouer dans le théâtre de l’âme. Pièce qui se déroulera jusqu’à ce que l’âme ait rempli le grand dessein qui, en Elle, a projeté l’univers.

A quoi ressemble cette pièce? Je ne me sens guère autorisé qu’à parler du premier acte et j’aimerais commencer à la mode ancienne par un apologue. Nous pourrions l’appeler si vous n’y voyez pas d’inconvénient la:

FABLE DU PETIT POISSON T DU PECHEUR

Au fond d’un fleuve où s’amassait la vase vivait, plus ou moins, heureux, un petit poisson d’entre ses congénères. Bien calé sur ses nageoires il rampait le plus souvent sur le lit du fleuve et trompait sa faim grâce aux vers minuscules et aux crustacés lilliputiens que sa vue très limitée par l’eau limoneuse et la lumière chiche lui permettait d’apercevoir.

Un jour, par chance, peut-être, ou peut-être parce que l’eau était plus reposée et le temps plus beau, un rayon de ce soleil qui nous éclaire tous parvint jusqu’aux profondeurs où il avait ses habitudes. Son cœur en fut tout réjoui, si réjoui qu’il se mit sans y penser à suivre ce rayon, vers le haut, jusqu’en des eaux qui lui parurent différentes; plus claires, d’autre température, vides des formes familières, animées de courants qu’il ne connaissait pas. Un moment il fut sous le charme; puis il revint à lui-même, tout effaré de ce qui lui arrivait, de son audace, de la nouveauté de ce qu’il éprouvait. Et il redescendit vite vers sa quiète obscurité. Mais à partir de ce jour (était-ce curiosité ou attirance d’autre sorte?) il se mit à poursuivre ces rais de lumière jusque dans la zone inconnue avec laquelle il se familiarisait ainsi peu à peu. C’est ainsi que dans une de ces explorations, il fut attiré par l’odeur et la saveur vraiment délicieuses d’une chose qu’il rencontra et qu’il chercha à happer. Mais hélas, une secousse le souleva tout-à coup et il lâcha prise.

Or, il revint à ses profondeurs avec la nostalgie de cette chose. Les vermisseaux lui devinrent fades et les plus gras copépodes, insipides. Il languit, il s’isola de ses congénères. De plus en plus souvent, qu’il fit soleil ou qu’il plût des cordes, on le vit monter vers les eaux claires, enragé à trouver cette nourriture suave dont il s’était toqué. Une ou deux fois il parvint à la rencontrer mais à peine avait-il eu le temps d’y poser les lèvres qu’elle lui était arrachée, aspirée vers le haut par une force incompréhensible.

C’était si fugitif que, redescendu dans sa vase, il se demandait s’il n’avait pas rêvé; si, après tout, cette eau claire et vide, ces courants qui parlaient d’une vie mystérieuse et plus vaste et surtout cette chose qui l’attirait tant, n’étaient pas tout simplement des enfantements de son cerveau malade.

Mais un jour, entre temps il avait grandi et il était devenu, sans qu’il en eut tout à fait conscience, un gaillard gros comme un poignet — un jour donc il monta, rencontra l’objet de ses rêves, ouvrit une large gueule et s’enferra sur l’hameçon.

Demandons ici aux cœurs sensibles de ne pas se fier aux vaines et cruelles apparences d’une conclusion un peu brusque et voyons en quoi cette fable peut nous aider à mieux comprendre les choses qui adviennent à ceux qui cherchent à entrer dans la vie intérieure venant « du siècle » comme on disait autrefois, c’est à dire de la vie profane.

En regardant les choses d’une certaine façon, on pourrait dire que cette vie profane est comparable au fond d’un fleuve boueux, en ceci que notre vue, la vue de notre intelligence, y est très limitée. Nous voyons les choses, les évènements qui nous arrivent, mais nous ne comprenons pas bien pourquoi ni comment ils nous arrivent ainsi. Nous ne comprenons pas bien leurs causes et encore bien moins les raisons de leurs causes, et nous n’en prévoyons que très rarement les vraies conséquences. En ceci encore que notre sens du bien et du mal est très boiteux et que par conséquent nous allons très souvent, croyant de bonne foi trouver le bien, vers ce qui se prouvera plus tard des plus funestes.

Nous y trompons notre faim, la faim de notre âme, avec ce qui ne peut la satisfaire. Ainsi nous allons constamment d’un désir à un autre pensant que si le prochain était comblé, le bonheur et la paix que nous cherchons s’ensuivraient. Par exemple nous voulons une maison à nous, et dès que nous en avons joui quelque temps, nous nous disons « Il me faudrait de meilleurs meubles. Ceux que j’ai là ne conviennent pas ». Avec le temps, nous achetons les meubles, mais alors nous découvrons que ce serait tellement mieux si nous avions notre maison à la campagne. Et ainsi de suite jusqu’à ce que l’impuissance de la vieillesse vienne changer le désir en regrets et en gémissements sur le passé enfui, ou que la mort nous prenne. Telle est notre destinée, en trois mots en sans fard, lorsque nous nous limitons à nos appétits et que nous ne développons, que notre côté possessif, tournés que nous sommes vers la vie extérieure, exclusivement.

Cependant il vient une heure où nous prenons conscience de cette limitation abusive de nos possibilités. Peut-être pas dans ces termes mêmes, en nous l’expliquant de cette façon. Peut-être de façon très différente. Mais il nous apparait que mener une vie aussi bornée ne nous satisfait pas vraiment. C’est comme si la Vérité ce soleil qui nous éclaire tous, nous avait touché d’un de ses rayons. Et nous commençons à monter comme le petit poisson vers des horizons plus clairs, à prendre conscience qu’il y a autre chose dans la vie que satisfaire ses appétits; que cela nous rend plus vivants, plus vastes, que cela comble mieux notre cœur et que cela nous exalte davantage, lorsque nous sommes capables de les sacrifier par exemple à une grande cause, de donner notre temps et nos forces à construire quelque chose d’utile, de grand ou encore exprimer quelque chose de beau, d’inédit, d’original que nous sentons en nous. De cette façon nous affinons la perception de notre cœur, qui est comme un œil ouvert dans la profondeur de notre esprit.

Et cet œil étant ouvert, il vient un jour où nous prenons enfin conscience que nous sommes marqués pour une destinée plus grande encore que cette destinée temporelle et terrestre. C’est alors comme si nous nous trouvions dans ces eaux plus claires, plus légères, plus limpides, mais qui nous paraissent vides; les anciens points de repères ont disparus; nous ne savons pas où nous allons, ni très bien où nous en sommes. Nous ne voyons rien, ne sentons rien de solide à quoi nous appuyer, mais nous percevons des influences qui nous viennent, nous élèvent, nous inspirent, nous éclairent et nous parlent enfin d’une Vie plus vaste en plus libre qui est la nostalgie de notre âme.

C’est en ce lieu que se fait la rencontre avec le Divin, qui vient souvent d’abord comme une impression. Une impression qui parle pour elle-même, qui est elle même sa propre évidence, et qui nous soulève au-dessus de nos limitations, de nos imperfections.

Quand nous retombons à ce que nous étions avant, nous en sommes tout étourdis. Peut-être avons-nous rêvé et sommes-nous victimes d’une autosuggestion? Mais alors d’où venait-elle? Le monde nous parait insipide, nous perdons notre appétit pour lui et notre tendance est à l’isolement; nous nous cherchons une coquille pour préserver notre nostalgie, y rêver, essayer encore….

Jusqu’au jour où le Pêcheur nous ferre.

Mais ceci est une autre histoire et le commencement d’un tout autre Acte.

On se demandera peut-être, mais où est la grâce et où le libre-arbitre dans ce jeu, dans cette suite d’évènements que nous nous posons à nous-mêmes.

Il peut arriver par exemple que dans le désarroi qui accompagne une grande difficulté, une maladie qui ne se guérit pas, la perte d’un être cher, il se produise en nous un total bouleversement. Nous voyons alors les choses sous un aspect nouveau. Nous nous rendons compte que les secours, le réconfort ne peuvent pas nous venir uniquement du monde extérieur, en lequel jusque là nous avions mis notre entière et un peu puérile confiance. Et nous commençons à chercher dans une autre direction. Et c’est comme une question posé. Ou bien encore un être — même très tôt dans la vie — pourra rencontrer, comme à un détour de son esprit, une interrogation étrange qu’il mesure aussitôt et qu’il juge inexplicablement essentielle et vitale pour lui; par exemple: « Je perçois seulement deux choses et je ne vois que ces deux choses, où que je regarde, le monde et moi, moi et le monde. Or, le monde est perçu par moi. Mais d’où, de quel œil est-ce que moi-et-le monde sont perçus? » Et à Qui, à quelle Entité, à quelle Personne cet Œil appartient-il? Car cet être-là, sait bien que s’il résolvait cette énigme, il aurait résolu la totalité des autres, passées et à venir.

Ou bien se pose à nous dans des circonstances diverses de notre vie, mais de façon insistante, telle ou telle de ces questions:

« Suis-je là pour assouvir mes désirs? Mais j’en ai tant qu’il me faudrait quarante vies pour les assouvir tous. Quel est alors mon désir le plus profond, le plus vrai? » et « quel est le sens de ma vie? » et « cette conscience dont je n’ai aucun souvenir, aucune preuve qu’elle ait ou non commencé avant ma naissance mourra-t-elle avec le corps? et: « Est-il vrai qu’on peut atteindre Dieu en ce monde?

Toutes ces questions auxquelles ni étude, ni philosophie, ni religion, ni autrui, ni rien ne pourra et n’a jamais pu donner de réponse qui vous satisfasse — rien, sinon vous-même, à qui s’est posée la question, et la vie qui vous entoure.

C’est bien pourquoi personne n’a le droit de poser délibérément de telles questions à un autre, sous prétexte de l’éveiller. Personne d’ailleurs ne le peut. Mais s’il vous en vient une, elle ne peut surgir que du fond de l’être. Et comme la même découverte et avec cette force inexorable qui, au ventre de celui qui est perdu dans le disert fait tout-à coup apparaître et s’installer la crampe terrible de la soif.

Mais il peut arriver aussi qu’au hasard d’une rencontre ou d’une lecture ou pour toute autre raison nous ayons comme un sursaut qui réveille en nous une voix qui vient du fond de nous-mêmes: « Voilà, — crie-t-elle — c’est cela, c’est bien cela que j’ai toujours cherché! » Et cela aussi c’est la grâce.

La part du libre arbitre est la façon dont nous réagissons devant cette situation nouvelle produite en nous par l’irruption de la grâce. Elle est dans la volonté, la persévérance, l’obstination que nous mettons dans notre quête, soit pour résoudre la question qui nous tourmente, soit pour suivre le chemin qui s’ouvre à nous une fois que nous avons compris que désormais nous avions trouvé notre but.

Une attitude par trop quiétiste qui nous ferait par exemple nous dire: « J’ai confiance en Dieu. Il fera tout. Moi, chétif je ne suis capable de rien. Je laisse donc faire la grâce et ne m’occuperai de rien. » serait à ce stade, prématuré et produirait des résultats néfastes.

Nous nous élevons, et puis nous retombons en gémissant, et ceci un nombre incommensurable de fois, malgré les efforts que nous avons l’impression de faire pour en sortir. Cela fait partie du jeu. Dans ce jeu, le petit poisson que nous sommes grandi sans s’en rendre compte. Il n’y a pas de miroir en effet, auquel nous puissions demander si nous nous transformons, si nous grandissons. Et il n’y a qu’un signe qui permette de s’en rendre compte et c’est la faim et la soif. Si l’appétit pour ce que nous cherchons augmente, c’est le signe de croissance.