Hazrat Inayat
Le bonheur

Souvent, les conditions de la vie sont telles qu’elles font de cette vie un esclavage; il semble que nous soyons condamnés à marcher entre l’eau et le puits . Pour s’élever au-dessus des contingences, il faut des ailes que tout le monde ne possède pas. Ces ailes sont attachées à l’âme; l’une est l’indépendance, l’autre, l’indifférence. Nous ne pouvons acquérir l’indépendance qu’au prix de nombreux sacrifices. Arriver à l’indifférence, alors que l’on serait naturellement porté à aimer et à sympathiser avec autrui, équivaut, semble-t-il, à s’arracher le cœur. Évidemment, lorsque l’âme parvient à déployer ses ailes, les conditions terrestres semblent disparaitre au loin et l’on est délié.

(Revue La pensée soufie. No53. 1976)

Le bonheur dépend-t-il des circonstances de la vie, ou de notre manière de l’envisager? C’est une question souvent posée et à laquelle il n’est guère facile de répondre. Partant d’un point de vue philosophique, beaucoup diront que le monde matériel est illusion et les évènements qui le conditionnent, un songe, mais, en réalité, fort peu parviennent à s’en persuader: la notion théorique est bien différente de la notion pratique; car il est fort difficile, en ce monde, de s’élever au-dessus de l’effet produit par la vie phénoménale. Il n’y a en vérité, qu’un seul moyen de s’élever au-dessus d’elle, c’est de modifier sa manière de l’envisager; ceci, pratiquement, revient à changer d’attitude vis-à-vis de la vie.

En langage Hindou, la vie du monde est appelée Samsara. On la dépeint comme une vie entourée de brouillard. Nous pensons, parlons, agissons et sentons, sans cependant être pleinement conscients de la raison qui nous guide. Et si même quelqu’un connait la raison de son action, il en est une autre, cachée derrière celle-ci, qu’il n’a pas encore discernée.

Souvent, les conditions de la vie sont telles qu’elles font de cette vie un esclavage; il semble que nous soyons condamnés à marcher entre l’eau et le puits [1]. Pour s’élever au-dessus des contingences, il faut des ailes que tout le monde ne possède pas. Ces ailes sont attachées à l’âme; l’une est l’indépendance, l’autre, l’indifférence. Nous ne pouvons acquérir l’indépendance qu’au prix de nombreux sacrifices. Arriver à l’indifférence, alors que l’on serait naturellement porté à aimer et à sympathiser avec autrui, équivaut, semble-t-il, à s’arracher le cœur. Évidemment, lorsque l’âme parvient à déployer ses ailes, les conditions terrestres semblent disparaitre au loin et l’on est délié.

Il n’est difficulté qui, tôt ou tard, ne puisse être surmontée; mais alors même que l’on satisfait à l’un de ses désirs, il demeure toujours quelque désir inatteint. Et, allant de l’un à l’autre de ces désirs, si nous nous efforcions de les assouvir, les objets de notre désir se multiplieraient l’infini. Plus notre activité est grande, plus nous nous heurtons à des difficultés. D’autre part, si nous nous tenons à l’écart de la vie, notre présence en ce monde est vaine. Plus la tâche est importante, plus il est malaisé de la remplir. Et c’est ainsi que chaque jour est suivi d’un soir, et cela jusqu’à l’éternité. La tâche d’un Soufi n’est donc pas uniquement de supporter les choses avec patience, mais encore d’envisager ces choses de manière à ne pas en souffrir. Souvent, le seul point de vue auquel il se place vis-à-vis de la vie, métamorphose cette vie pour un être. Il peut, à volonté, transformer l’Enfer en Ciel et notre peine en de la joie. Vue d’une certaine façon, une piqûre d’épingle parait un coup d’épée, transperçant le cœur.Vu d’une autre, le cœur devient impénétrable aux coups d’épingles, rien ne peut l’atteindre, les balles tirées contre lui retombent sans l’avoir touché.

Quelle est la signification de la marche sur les eaux? Les eaux sont le symbole de la vie. Certains s’y noient, d’autres y nagent, d’autres enfin, peuvent marcher sur les flots. Celui dont la sensibilité est si développée qu’il souffre nuit et jour à la suite d’une piqûre d’épingle est l’homme de la première catégorie. Celui qui accepte les coups et les rend, faisant un jeu de la vie, est le nageur. Il lui importe peu de recevoir un coup, car il trouve de la satisfaction à en rendre deux. Mais celui que rien ne peut atteindre est tout à la fois de ce monde et au-dessus du monde. Il est celui qui marche sur les flots. La vie est à ses pieds, avec, à, la fois, ses joies et ses chagrins.

En vérité, l’indépendance et l’indifférence sont les deux ailes qui permettent à l’âme de voler.

APHORISMES de HAZRAT INAYAT KHAN

Toutes les âmes dans le monde sont les réceptacles du message de Dieu; et non seulement les êtres humains mais même la création inférieure, tous les objets et toutes les conditions nous transmettent le message de l’Un, l’Etre Unique.

Il n’y a rien dans le monde qui ne soit pas l’instrument de Dieu.

Nous sommes trop limités pour voir la justice de l’Être Parfait

L’esprit est un monde, un monde que l’homme construit et dans lequel il fera sa vie dans l’au-delà, comme une araignée vit dans la toile qu’elle a tissée.

Quelle relation a l’âme qui a passé de la terre avec ceux qui y restent? La relation du cœur reste intacte et demeure ininterrompue aussi longtemps que le lien de sympathie persiste.

Celui qui ne cherche pas Dieu, à la fin du voyage d’illusion a un grand désappointement, car dans tout son voyage, il ‘n’a pas trouvé la perfection d’amour, de beauté et de bonté sur terre, et il ne croit pas en un tel idéal ni ne s’attend à le trouver dans le Ciel.

Aucune âme ne périt; l’âme n’est pas née pour périr.

La mort est l’enlèvement d’un voile, après lequel beaucoup de choses seront connues de l’âme, relativement à sa propre vie et relativement au monde entier, qui avaient jusque-là été cachées.

La mort pour les âmes spirituelles est seulement un portail à travers lequel elles entrent dans cette sphère que chaque âme connait comme étant sa demeure.

Ce n’est pas seulement le lien de l’amour et de la sympathie, mais aussi la croyance en la vie future jusqu’au point d’une conviction, qui élèvent ceux qui sont sur la terre jusqu’à connaître quelque chose de ceux qu’ils aiment qui sont passés de l’autre côté.

Il n’existe rien de tel que la mortalité, excepté son illusion et l’impression de cette illusion que l’homme tient devant ses yeux sous forme de peur durant sa vie et encore comme une impression après qu’il ait passé de cette terre.

L’ignorance de soi-même donne la peur de la mort. Plus on apprend du vrai moi, moins on craint la mort. Car c’est seulement une porte par laquelle on passe d’une phase de la vie à une autre et l’autre phase est bien meilleure.

C’est la mort qui meurt, non la vie.

La vie et la mort sont toutes deux des aspects contraires d’une seule chose, qui est le changement. La mort, c’est seulement passer de la vie sur la terre une vie encore plus grande.

Souvent nous souffrons parce que nous ne comprenons pas. La compréhension est une grande chose ; une fois que nous avons compris, nous pouvons tolérer.

L’âme de chaque individualité est Dieu, mais l’homme a un esprit et un corps qui contiennent Dieu dans la mesure de l’accommodation.

L’eau de l’Océan est toujours pure en dépit de tout ce qui peut y être jeté. Ainsi l’Être Pur consume toutes impuretés et les tourne en pureté.


[1] Certains puits, en Orient, ont un mécanisme intermédiaire entre l’eau et la surface; c’est à ce niveau intermédiaire que devait autrefois travailler l’esclave qui s’en occupait et qui ne voyait ainsi ni l’eau ni la lumière du jour. D’où l’expression employée ici. (N.D.L.R.)