Frédéric Lionel
Le bonheur, un état d'âme

Le dictionnaire définit le bonheur comme une parfaite satisfaction intérieure, définition contestable, puisqu’elle fait penser à un égocentrisme vaniteux auxquels font appel politiciens, sociologues ou technocrates, proposant d’innombrables recettes pour l’atteindre, sans jamais être découragés par leurs insuccès. Le poète conseille de vivre caché pour vivre heureux, ce qui implique qu’une attaque extérieure pourrait détruire le bonheur. Est-il donc vulnérable et, dès lors, qu’est le Bonheur ?

(Extrait de l’énigme que nous sommes, édition R. Laffont 1979)

La roue des choses qui furent et qui sont tourne sans cesse, mais s’échauffe dangereusement. A défaut de freiner son accélération, elle risque d’exploser, car la passion illusoire des hommes accentue le mouvement et personne ne saurait se plaindre des conséquences qui en découlent, fruits que déterminent la paresse, la facilité ou la peur.

Il faut du courage pour choisir librement sa voie, sans être contraint par le destin, sans être esclave de ses habitudes de pensée, sans se référer à des fausses notions ou à des faux critères.

« La Liberté est l’Essence de l’Esprit », disait Goethe, et à défaut de liberté l’homme erre de prison en prison, dans la lumière diffuse d’une conscience insuffisamment éveillée.

Des doutes le tourmentent. Ils sont le reflet d’ombres vacillantes qui agitent l’inconscient. L’intellect s’en empare, leur donne conscience, ce qui suscite l’émotion qui étreint la perception des relations qui unissent chaque chose à toutes les autres et l’homme à l’Univers tout entier.

La perception globale de ces relations est déterminante, car l’évolution doit conduire à la perfection finale. Entre-temps, il est conseillé de s’élever pour voir et de relier pour comprendre. Pour ce faire, il faut dépasser l’observation sommaire, l’interprétation hâtive, les conventions habituelles et les a priori auxquels, par habitude, ignorance ou défi, on s’accroche.

Troublé par les tribulations de l’existence, l’homme ne comprend pas le pourquoi de son passage sur Terre. L’apparence des choses voile l’unité fondamentale qui est la Loi de l’Univers, et à défaut de fraternité agissante, surgit l’angoisse.

Pour atteindre un état au-delà de l’angoisse, il faut être attentif au nouveau qui, d’instant en instant, se manifeste dès qu’on a dépassé les limites d’un monde conceptuel et dès qu’on s’ouvre à la fraîcheur non altérée de la Vie.

Etre attentif, c’est se connaître tel qu’on est en sa totale nudité. Etre attentif, c’est s’accepter tel qu’on est, sans se raconter des histoires. Etre attentif est une grande aventure dont aucun élément ne peut être fragmenté ou isolé.

Il n’y a pas un monde intérieur et un monde extérieur, vertical ou horizontal, logique ou intuitif. Il n’y a qu’un seul monde et son aspect kaléidoscopique résulte de la réfraction de l’apparence des choses dans le prisme de notre conscience, en d’innombrables combinaisons qui déroutent.

Le rythme incessant qui, par son instantanéité, donne l’illusion de l’immobilité, engendre un besoin d’inertie. On voudrait ne pas abandonner ce qui semble établi. Tout, néanmoins, bouge. Les hypothèses scientifiques à peine émises doivent céder la place à d’autres hypothèses, souvent contradictoires ; les théories et systèmes déclarés infaillibles volent en éclats, ce qui explique que l’homme enfermé dans les limites de son monde conceptuel, victime d’une pensée rodée par le jeu des opposés, ne perçoit pas l’essentiel qui se dérobe.

Pour se libérer des limites, il faut déceler les facteurs conscients, subconscients et inconscients, qui voilent ce qui est, par un jeu de cache-cache décevant.

Etre libre, c’est s’abandonner à sa conscience profonde, à son maître intérieur, à ce qui est essentiel. Alors les doutes s’estompent, les avidités se dissipent et les désirs se perdent.

Oser se fier à sa conscience profonde est la seule façon d’atteindre le bonheur et de vouloir ce qui s’inscrit dans le Plan de l’Univers, donnant à l’accomplissement humain sa véritable dimension.

Mais attention au piège que constitue une conviction qui n’est que le reflet de ses ambitions, surtout inavouées. Il est facile de se convaincre qu’une volonté supérieure pointe dans la direction qu’on désire prendre. Il est difficile de déceler le piège que constitue cette conviction.

Par l’accomplissement s’inscrivant dans l’Ordre Souverain, on participe à la Joie Cosmique, don de la Vie, et on traduit l’harmonie qui est sa Loi sur le plan choisi.

Telle est la réalité du bonheur !

Chacun aspire au bonheur. Toutefois, chacun se pose la question : Y a-t-il un bonheur permanent et si oui, comment l’atteindre ?

La première remarque qui vient à l’esprit est qu’un bonheur que l’on craint de perdre cesse d’être un bonheur, puisque toute crainte s’oppose à la plénitude indissolublement liée au bonheur.

Du reste, on ne possède pas le bonheur, il correspond à un état d’être.

Le dictionnaire définit le bonheur comme une parfaite satisfaction intérieure, définition contestable, puisqu’elle fait penser à un égocentrisme vaniteux auxquels font appel politiciens, sociologues ou technocrates, proposant d’innombrables recettes pour l’atteindre, sans jamais être découragés par leurs insuccès.

Le poète conseille de vivre caché pour vivre heureux, ce qui implique qu’une attaque extérieure pourrait détruire le bonheur. Est-il donc vulnérable et, dès lors, qu’est le Bonheur ?

Ce n’est pas la jouissance des choses qu’on craint de perdre. Ce n’est pas l’obtention d’honneurs dont on désire être comblé. Ce n’est pas la bonne opinion qu’on aurait de soi, bonne opinion qu’il s’agirait d’entretenir par des succès vers lesquels il faudrait tendre.

Or, le Bonheur ne saurait s’accommoder de tension !

Le mot bonheur est donc odieusement profané, lorsqu’il évoque une variété de convoitises liées à la notion de possession.

Le bonheur est un état de conscience vive et silencieuse, un état d’âme où Psyché épanouie et quiète baigne dans la lumière de l’Esprit et dans la paix profonde du cœur.

Le bonheur ne s’accommode d’aucune réaction, laquelle ne suscite que continuelle provocation. Agir sans réagir, c’est admettre que victoire et défaite se situent sur le seul plan existentiel et qu’elles ont, par voie de conséquence, la même valeur. C’est se laisser guider par une connaissance qui permet l’emploi de l’ensemble de ses moyens.

L’action sans réaction postule un détachement total des tribulations existentielles. Détachement, néanmoins, n’est pas abandon ou abdication. Etre « là » de juste façon transforme l’existence en laboratoire en lequel, jour après jour et heure après heure, en fonction des expériences de tous les instants, on accède à la compréhension, plate-forme d’une authentique Liberté.

Est-ce convenable ? Oui, si l’on admet que le bonheur découle d’une vision toujours élargie de l’Ordre des Choses auquel on s’intègre en conscience.

Nous voyons le monde ambiant avec nos yeux physiques, nous le voyons donc recouvert d’un voile d’ombre, troué par quelques zones de lumière. Plus diminuent les zones de lumière, plus augmente l’anxiété.

Habités par l’Esprit divin que l’ascèse doit dégager de toute stratification dont l’existence le recouvre, nous pouvons dépasser les impulsions égocentriques de la créature, pour vivre à la Lumière de l’Amour qu’engendre la Connaissance sous le Souffle de l’Esprit, au-delà de toute anxiété. Tel est le sens du Bonheur !

Y accéder est l’aspiration consciente, secrète ou confuse qui incite, à travers le monde, des individus parfois mal préparés, soit à rechercher un Maître qui saurait les guider, soit à s’assembler pour tenter d’établir de nouvelles relations humaines, soit, encore, à aider leurs semblables en pratiquant, entre autres, la guérison ésotérique.

Ils sont intuitivement conscients de pouvoir, par ce biais, non seulement aider, mais découvrir le mystère qui conduit au bonheur. Tenter l’expérience les incite à établir des rapports avec le monde de l’occulte, ne serait-ce que pour recevoir des réponses aux questions que suscite leur quête.

Elle prend de nombreuses formes. J’assistai récemment à une séance de guérison collective dont je voudrais rendre compte.

Imaginez l’amphithéâtre d’une institution adonnée à la recherche parapsychique. Imaginez les gradins bondés, entourant, en demi-cercle, un parterre ovale réservé aux handicapés, assis dans des fauteuils roulants, soutenus par l’espoir évident de partir en marchant.

Imaginez à l’extrémité de la plate-forme ovale une estrade et sur cette estrade, un groupe d’une douzaine de jeunes gens et de jeunes filles qui, debout, psalmodient des cantiques.

Imaginez… Mieux vaut décrire la scène.

Un projecteur s’allume. Le public attentif est silencieux, tandis que le groupe, sur l’estrade, dirigé par Nadia, une jeune femme en robe blanche, accélère le rythme vocal. Se tournant vers le public, Nadia l’invite à reprendre les refrains en chœur, en lui demandant de lever, à chaque fin de phrase, les mains au ciel comme pour implorer son secours.

D’enthousiasme le public accepte, joignant gestes et paroles aux gestes et paroles scandées par de jeunes chanteurs, sur l’estrade.

Lorsque retentit l’Alléluia final, repris par tous les auditeurs et répétés, sur l’injonction de Nadia, une fois, deux fois, cinquante fois, accompagné chaque fois du geste d’imploration des deux mains levées vers le ciel, l’exaltation atteint son comble.

L’effet fut spectaculaire. L’Alléluia transformé en mot de puissance les Orientaux diraient en mantra provoqua par sa vibration sonore, scandée et répétée, une ambiance difficile à imaginer.

Sentant le paroxysme de l’exaltation approcher, Nadia, tournée vers les handicapés, lesquels vibraient à l’unisson du public, leur enjoignit d’une voix impérieuse de se lever et de venir vers elle.

Le miracle s’accomplit. Un grand nombre de handicapés, dont un garçonnet de huit à neuf ans, se levèrent pour s’approcher en titubant de l’estrade, soutenus par des aides bénévoles et encouragés par des alléluias de plus en plus frénétiques.

Il ne s’agit pas de s’appesantir sur le phénomène. La puissance de la vibration sonore agissant, par résonance, sur le rythme intérieur amplifié par l’unisson des accords toniques, est connue depuis la plus haute Antiquité. Toutes les guérisons ésotériques sont le résultat d’un retour au rythme normal de l’oscillation des cellules perturbées par un blocage accidentel ou héréditaire.

L’exaltation par l’exaspération du rythme intérieur peut avoir un effet bénéfique. Le tout est de savoir s’il est durable. Le choc émotionnel passé, le malade risque d’avoir une rechute qui le démoraliserait. Aussi est-il plus sage de rechercher le retour à l’équilibre harmonieux, donc à la santé, par des moyens moins spectaculaires.

La remise en phase des oscillations cellulaires s’obtient parfois par la simple apposition des mains, conductrices du fluide vital, à condition que le rythme du guérisseur s’accorde, par un phénomène d’osmose, avec celui du malade.

La mise en phase du rythme du guérisseur avec celui du malade nécessite une grande pratique et une sensibilité réceptive qui, à défaut d’être innée, requiert beaucoup d’abnégation.

Il est évident que la prière, la musique, le mantra, surtout soutenus par la foi, qui facilite et favorise l’interaction rythmique, sont les moyens dont dispose le guérisseur et qu’il doit employer avec discernement.

Mais revenons à l’épisode dont il vient d’être question. Un ami m’invita le même soir à l’accompagner chez Nadia. J’acceptai aussitôt et nous nous rendîmes chez elle.

Entourée d’un certain nombre de personnes, elle reposait sur un divan. On nous fit signe de ne pas parler et de nous installer dans un coin de la pièce.

Nadia, j’en fus vite conscient, était en état de transe. Sa respiration était oppressée, sa bouche était entrouverte et des spasmes la secouaient périodiquement.

Au bout d’un moment, un jeune homme auquel plusieurs personnes avaient remis des questions écrites s’approcha du divan, s’agenouilla et d’une voix monocorde posa la première question que voici :

— Quelle est l’énergie qui guérit ?

La réponse, Nadia la donna d’une voix gutturale, différente de celle entendue la veille.

— L’Amour est cette énergie. Tout en ce monde est Amour, il faut aimer celui qu’on veut guérir, au point de prendre sur soi sa maladie.

Surpris, le jeune homme posa une seconde question :

— Si tel est le cas, le guérisseur tombera-t-il malade à son tour ?

— Non, répondit-elle, car on peut et doit rejeter ce qu’ainsi on prend sur soi par amour du prochain.

Ne jugeons pas du bien-fondé de la réponse donnée en transe, c’est-à-dire dans un état second en lequel on devient le canal d’une sollicitation émanant d’une dimension occulte de notre Univers. Retenons, en revanche, la puissance bénéfique et universelle de l’Amour et tirons de ce chapitre la leçon qu’il comporte.

Le Bonheur par l’Amour-Connaissance, dont il est l’expression, est un état en lequel on prend conscience de l’harmonie des plans supérieurs pour la manifester au niveau de sa propre action.

Dès lors, pour vivre heureux vivons Conscients et tout le reste nous sera donné par surcroît.