Robert Linssen
Le Bouddhisme Zen

Il semble de plus en plus évident que Bodhidharma (480-528), ce véritable géant de la révolution spirituelle du Bouddhisme chinois, doit être considéré responsable de l’essor extraordinaire de toute la pensée d’Extrême-Orient par le rayonnement important qu’il donna au Bouddhisme Ch’an (le Zen actuel) dont il est le fondateur.
Sans lui, le Bouddhisme n’aurait jamais connu la renaissance spirituelle profonde qui se développa dans toute la Chine et s’étendit ensuite au Japon.

(Doctrine positive denrichissement spirituel et social)

(Revue Synthèses Numéros 140-141, Janvier-Février 1958)

La religion du peuple chinois résulte d’un syncrétisme de provenance complexe dont la formation s’est amorcée principalement sous la dynastie des T’ang (618-907). Certains éléments de ce syncrétisme remontent à des périodes infiniment plus lointaines.

Au Confucianisme et au Taoïsme déjà intimement liés au Bouddhisme s’ajoutèrent des religions et des croyances étrangères totalement inconnues jusqu’alors en Extrême-Orient, telles lIslamisme, le Mazdéisme, le Manichéisme et le Nestorianisme.

Dans cet ensemble complexe la doctrine du Bouddha occupe néanmoins une place prépondérante.

Il semble de plus en plus évident que Bodhidharma (480-528), ce véritable géant de la révolution spirituelle du Bouddhisme chinois, doit être considéré responsable de l’essor extraordinaire de toute la pensée d’Extrême-Orient par le rayonnement important qu’il donna au Bouddhisme Ch’an (le Zen actuel) dont il est le fondateur.

Sans lui, le Bouddhisme n’aurait jamais connu la renaissance spirituelle profonde qui se développa dans toute la Chine et s’étendit ensuite au Japon.

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Antécédents du Bouddhisme Zen :

Nous employons le terme « Zen » quoiquil soit spécifiquement japonais.

Il est le signe conventionnel, partout reconnu, sous lequel les spécialistes désignent le Bouddhisme Ch’an fondé en Chine au VIe siècle après J.C. Le terme Ch’an correspond au « Dhyâna » sanscrit généralement traduit par « Méditation ». La signification véritable de « Dhyâna » et par conséquent de Ch’an et Zen est à la fois infiniment plus vaste et profonde. Pour Hui-Neng « Dhyâna » signifie détachement; méditation et détachement sont inséparables.

La période « pure » du Zen se situe entre les VIe et XIVe siècles de l’histoire chinoise. L’unanimité nest pas acquise quant à la perpétuation de cette pureté dans les écoles japonaises actuelles.

Le Zen doit être considéré principalement comme une synthèse des éléments les plus purs du Bouddhisme Mahayaniste et des Taoïsme et Confucianisme.

Les auteurs spécialisés en la matière, et notamment D.T. Suzuki, N. Senzaki, S. Ogata, Alan Watts et Chr. Humphreys considèrent le Zen comme le sommet du Bouddhisme, ayant retrouvé assez paradoxalement, la pureté et la profondeur des premiers enseignements du Bouddha, mille ans après la mort de celui-ci.

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Gautama Siddhârta, prince du Népal (le Bouddha) naquit aux Indes dans la ville de Kapilavastu vers l’an 560 av. J.C. Renonçant à la couronne et à la gloire il se consacra à la recherche de la Vérité.

Déçu par les brahmanes, les lettrés et les pratiques rituelles, il rechercha la clé des grands mystères de l’existence, les causes de la douleur, de la vie et de la mort, en lui-même et par lui-même. Ayant atteint le but de sa recherche lors de son « Eveil » ou « Illumination » il fut surnommé « le Bouddha » (l’Eveillé). Parcourant toute l’Inde il prêcha la doctrine durant un demi-siècle.

Après avoir favorisé l’épanouissement d’une des civilisations les plus belles de l’histoire sous l’Empereur Açoka (274-236 av. J.C.) le Bouddhisme déclina rapidement aux Indes.

Deux moines indiens, Matanga et Bhorana l’introduisirent en Chine dans la ville de Loyang vers l’an 65 ap. J.C.

Le Bouddhisme était alors divisé en deux grandes écoles : le Hinayana ou Petit Véhicule (Ancienne Ecole de Sagesse) et le Mahayana (Grand Véhicule) ou Nouvelle Ecole de Sagesse, apparu vers le IIe siècle av. J.C.

Parmi les différences essentielles des deux écoles nous signalerons que

1°) Dans l’Ecole du Petit Véhicule ou Hinayana (basée sur les textes Pâli), le Nirvâna (ou l’expérience d’illumination spirituelle) ne peut être réalisé qu’en dehors du Samsâra (monde manifesté-roue des morts et naissances successives).

2°) Selon l’Ecole du Grand Véhicule ou Mahayana, le Nirvâna et le Samsâra sont les faces apparemment opposées mais complémentaires d’une seule et même Réalité. Il n’y a pas d’opposition ni de séparation entre l’esprit et la matière. « Nirvâna » est « Samsâra » et réciproquement (1).

1°) Les Ecoles du Petit Véhicule sont généralement attachées aux textes et rituels. Elles enseignent souvent que le Nirvâna n’est pas accessible durant la vie physique.

2°) Les Ecoles du Grand Véhicule et surtout le Zen tendent à se dégager de l’emprise des textes et des rites. Elles conseillent une participation active à la vie tout en insistant sur la liberté, la non-identification et le détachement vis-à-vis des apparences matérielles. Dès l’instant où le «Nirvâna» est atteint, le Bouddhiste du Mahayana désire en faire bénéficier la société.

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L’étude du Tao est indispensable à la compréhension du mysticisme chinois et du Zen. Ce dernier s’est profondément imprégné des éléments les plus purs du taoïsme.

Lao-Tzu, fondateur du Taoïsme vécut au Ve siècle av. J.C. On lui attribue le «Tao-Te-Ching, recueil d’aphorismes exposant les principes du Tao.

Signalons ici que les philosophes chinois assignent au Taoïsme et au Confucianisme une origine antérieure à celle généralement admise par les Occidentaux. Les œuvres de Lao-Tzu et de Confucius (Kong-Fu-Tzu) seraient l’aboutissement dun ouvrage fondamental ; le «I Ching » ou «Livre des Changements». Le «I Ching» datant d’environ 3000 à 1200 av. J.C. est considéré comme l’élément central de toute la pensée, la culture et la psychologie chinoise. Les Occidentaux l’ont considéré avec quelque dédain comme un simple livre de « divination ». Le «I Ching » consiste en un ensemble de représentations symboliques basées sur les dispositions variées de soixante quatre figures composées chacune de six lignes. Ces lignes sont de deux espèces : négatives, lorsqu’elles sont divisées; positives lorsqu’elles sont continues. Les Chinois enseignent que ces hexagrammes ont eu pour origine d’inspiration les différentes craquelures apparaissant sur une carapace de tortue lorsqu’elle est chauffée.

Encore faut-il dire que pour le Chinois, l’étude des différents symboles en question n’est évidemment qu’un prétexte en vue d’obtenir la libération des contenus de linconscient et d’arriver à certains états de perception intuitive. Il n’y a pas lieu de discréditer systématiquement ces pratiques anciennes.

Les psychanalystes modernes procèdent de même lors de l’utilisation des tests de Rorschach, au cours desquels les conditionnements psychologiques d’un patient sont diagnostiqués en fonction des images qui se présentent spontanément à son esprit à la vue des formes irrégulières d’une simple tache d’encre.

Ainsi que l’exprime l’éminent orientaliste Alan W. Watts « II semble que si les origines profondes du Taoïsme doivent être recherchées dans le ‘ I Ching ‘ ce n’est pas tant dans les textes mêmes de l’ouvrage qu’elles se situent mais surtout dans l’attitude d’esprit particulière avec laquelle il était approché» (2).

Cette attitude d’esprit est l’une des bases essentielles du Taoïsme offrant d’ailleurs une similitude profonde avec le Bouddhisme. C’est la spontanéité, l’exercice d’une intuition pure s’exprimant sans aucune interférence mentale. Tel est le premier principe du Taoïsme.

Lao Tzu déclarait en effet que « le principe du Tao est la spontanéité ».

L’Univers ne résulte pas de l’exécution d’un plan prédéterminé. Loin d’être une absence d’intelligence ou une incohérence, cette non-détermination, cette spontanéité et cette liberté sont l’expression d’une des plus hautes formes de l’intelligence.

Le second principe du Taoïsme nous donnant la clé essentielle du mysticisme chinois est celle du « Wei-Wu-Wei ». Ce second principe est lié au premier. « Wei » signifie agir, « Wu » est négatif ou privatif, le second «Wei» signifie « faire ». Ceci nous donne « agir sans faire » et nous semble de prime abord absurde.

Le premier « Wei » désigne en réalité l’action par excellence : l’action du Tao ou Principe suprême. Le « Wu-Wei » correspondant au « sans faire » s’applique à la passivité du « moi ». Il évoque la nécessité d’une pause et d’un silence parmi les agitations du « moi », parmi ses confections mentales stériles. Ceci correspond d’ailleurs étrangement à ce qu’un penseur indien moderne, Krishnamurti, désigne par la « passivité créatrice ».

L’œuvre krishnamurtienne est d’ailleurs la seule qui ait une similitude parfaite avec les enseignements du Tao et du Zen, Krishnamurti s’étant totalement affranchi de ce que nous appellerons « la psychologie indo-européenne ».

La « passivité créatrice » du Tao n’est pas négative. Lao Tzu l’a précisé très clairement dans le Tao Te Ching : « Quoique le Tao n’ait aucun but, il ne laisse rien inachevé » et L’homme du Tao, dégagé de l’emprise des actions » (à but personnel) permet «à l’empire (du Réel) d’être Sa propre loi en lui » (3).

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Naissance du zen

Vers l’an 520 ap. J.C. un moine indien nommé Bodhidharma (480-528) se rendit en Chine. Il espérait y trouver des communautés bouddhistes fidèles à l’esprit profond des enseignements du Bouddha.

Une chose importait avant toute autre pour Bodhidharma la réalisation effective de l’état d’Eveil ou « Bouddhéité ». Aux yeux du maître indien le bouddhisme était un état de religion vivante impliquant une libération de l’esprit à l’égard des rites, des écritures, des spéculations intellectuelles.

Lorsqu’il prit contact avec les milieux bouddhistes de Chine, Bodhidharma éprouva une amère déception. Il ne trouva parmi eux que des lettrés, des érudits n’ayant aucune expérience spirituelle authentique. Aucun d’eux n’avait réalisé une approche même modeste de l’état «Non-Mental» dont les éléments se trouvaient pourtant admirablement définis dans le Lankavatara Sûtra (où se trouve exposée la doctrine de «la force d’inertie des habitudes mentales ») et, dans le Vajracchedika Sûtra (où se trouvent définis les processus de la conscience cosmique Non-Mentale et la Doctrine du Diamant de l’Eclair Eternel).

Bodhidharma entreprit alors une véritable croisade contre l’état de léthargie spirituelle dans lequel se trouvaient les chefs bouddhistes. Il discuta de la question avec ces derniers en présence de l’Empereur Wu mais il se heurta à une incompréhension totale. II se retira ensuite au Temple de Shorinji dans le Nord de la Chine durant neuf années.

Désormais enrichi d’une illumination intérieure définitive Bodhidharma reprit alors sa campagne en faveur d’une renaissance du Bouddhisme vivant.

Il définit alors le Zen comme :

« Une transmission orale en dehors des écritures. »

« Aucune dépendance à l’égard des mots et des lettres. » « Une recherche directe vers l’essence de l’homme.»

« Voir dans sa propre nature et atteindre l’Eveil parfait (Bouddhéité).»

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La place nous manque évidemment pour donner un aperçu historique complet du Zen. Signalons cependant qu’avec Bodhidharma le Bouddhisme connut une des périodes les plus brillantes de son histoire depuis la mort de Bouddha. Toute une lignée de patriarches illustres succéda à Bodhidharma parmi lesquels nous mentionnerons Houeï-k’o (593), Tsen-T’sang (606) auteur dun poème immortel : le Hsin-Hsin-Ming, Tao-Shin (580-651), Hung-Jen ou Cinquième Patriarche (601-675), Hui-Neng (638-712) le Sixième Patriarche connu au Japon sous le nom de Wei-Lang ou Daikan-Eno) et plus tard Yung-Shia, Hui-Haï.

Les œuvres de Hui-Neng sont considérées au même titre que celles du Bouddha comme des Sûtras. La façon originale dont Hui-Neng se fit connaître situe l’un des climats spécifiques de la pensée Zen.

Le Cinquième Patriarche Hung-Jen avait reconnu en Hui-Neng un homme ayant parfaitement réalisé la Bouddhéité. Il souhaitait secrètement qu’Hui-Neng puisse devenir son successeur. Mais une énorme difficulté restait à résoudre (4). Hui-Neng nétait quun simple laïque, illettré, dépourvu dérudition. Hung-Jen, le Cinquième Patriarche était le chef spirituel d’un vaste monastère où vivaient cinq cents moines lettrés, dont beaucoup étaient imbus de la prétendue supériorité conférée par toute érudition. Certains d’entre eux convoitaient la succession du Cinquième Patriarche. Hung-Jen, parfaitement conscient des données du problème, suggéra à Hui-Neng de se présenter au monastère comme simple laïc cherchant du travail. Il pourrait trier et broyer le riz destiné aux moines dans les greniers du monastère. C’est ce qu’il fit immédiatement.

A ce moment, le Cinquième Patriarche annonça solennellement aux cinq cents moines vivant sous sa direction qu’il désirait nommer son successeur.

Quiconque lui présenterait une stance ou un poème exprimant parfaitement l’esprit du Zen serait instantanément désigné comme Sixième Patriarche.

Le moine Jin-Shu, le plus savant de la congrégation composa les vers suivants :

« Ce corps est l’Arbre de Bodhi

» Et l’esprit est comparable à un miroir clair posé sur un support

» Balayons-le constamment

» Et ne laissons aucune poussière s’accumuler sur lui. »

Cette stance ne fut toutefois pas approuvée par Hung-Jen. Le Cinquième Patriarche estimait qu’elle n’exprimait pas un état d’illumination véritable. Au surplus, cette image avait été employée par Chuang-Tzu, le principal successeur de Lao-Tzu, fort longtemps avant le moine Jin-Shu.

Tandis que tous les moines du monastère discutaient entre eux du refus des vers composés par Jin-Shu, Hui-Neng demanda à l’un d’eux de lui montrer l’inscription se trouvant sur le mur du grand hall du monastère.

Etant illettré il ne parvint pas à la déchiffrer et pria un moine de la lui lire.

Après avoir écouté attentivement le poème de Jin-Shu, Hui-Neng pria un moine de l’accompagner durant la nuit et lui dicta les vers suivants :

«La Sagesse ne connaît aucun arbre qui puisse croître

» Et le miroir ne repose sur aucun support

» Depuis le commencement rien n’existe

» Où, la poussière pourrait-elle s’accumuler. »

Dès le lendemain, les moines stupéfaits se groupèrent après avoir pris connaissance de l’inscription de Hui-Neng. Certains la jugèrent insolente.

Cependant, la nuit suivante, le Cinquième Patriarche remit à Hui-Neng la robe et le bol de Bodhidharma. Ceux-ci étaient considérés comme les symboles de la transmission spirituelle dont le Sixième Patriarche devait être porteur. Hui-Neng quitta le monastère durant la nuit, dans le plus grand secret. Il entreprit ensuite de nombreux voyages au cours desquels il parvint à donner au Zen la plénitude de son rayonnement.

L’époque glorieuse du Bouddhisme Zen chinois se situe entre les VIe et XVIe siècles durant les périodes T’ang, Sung, Yuan et Ming de l’histoire chinoise. La phase la plus pure se situe surtout au temps de la dynastie T’ang.

Remarquons ici que le plein épanouissement du Bouddhisme en Chine après son déclin aux Indes pourrait également s’expliquer par le fait que son fondateur, Gautama le Bouddha n’était pas spécifiquement indien. Les origines mongoles de la dynastie des Cakyas ne font actuellement plus aucun doute.

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C’est au XIIIe siècle que le Bouddhisme Ch’an pénétra au Japon durant la période Kamakura de l’histoire japonaise. Dès lors il porta le nom de Zen. Le Zen japonais est divisé en de nombreuses écoles dont les principales sont :

1. La secte Rinzaï; 2. La secte Soto; 3. La secte Ummon; 4. La secte Igyo; 5. La secte Hogen.

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Le Zen est-il une religion?

A la question de savoir ce qu’est le Zen, le professeur Sohaku Ogata répondait : « Le Zen c’est la vie elle-même ». Il a horreur des spéculations métaphysiques. Il se défend même d’être un système philosophique. Nous pourrions le définir comme une technique d’action adéquate, harmonieuse, éclairée par un éveil total de la conscience dans l’instant présent. Encore faut-il dire que les maîtres Zen sourient à la vue de nos tentatives de définition et de mise en catégories. La Vie ne se définit pas ! Le Zen n’est pas une religion si nous accordons à ce terme la signification donnée par le Larousse, à savoir « l’ensemble des obligations dans lesquelles se trouvent les fidèles, de témoigner un culte à la divinité».

Le sens d’obligation, de coercition, les cultes tels que nous les concevons en Occident sont totalement étrangers au Zen « pur ». La notion de divinité — nous le verrons ultérieurement — doit être approchée avec de grandes réserves si nous voulons éviter des malentendus.

Si par religion, nous entendons l’établissement d’un lien vivant entre la Réalité Suprême de l’Univers et nous-mêmes, le Zen peut être une religion.

Mais encore faut-il dire que cette Réalité Suprême est dépouillée de tout anthropomorphisme, qu’elle est notre être vrai et lêtre vrai de toutes choses. Peut-on dès lors parler d’un lien ? L’idée de « lien » pose a priori l’existence d’une séparation entre deux éléments distincts tandis que le Zen insiste sur le caractère rigoureusement moniste de lintégration. « Nous sommes la Réalité» nous enseigne le Zen et pour cette raison nous ne pouvons la découvrir qu’en nous-mêmes et par nous-mêmes, sans intermédiaire, sans dogme, sans rite, sans autorité spirituelle.

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Le Zen est la religion de l’Eveil. Il est l’ultime aboutissement des admirables paroles du Bouddha : « La vigilance et la lucidité sont les voies de l’immortalité. La négligence est la voie de la mort. Les négligents sont déjà comme s’ils étaient morts. ».

Le Zen nous suggère donc de nous affranchir de l’état de négligence généralisée dans lequel nous nous trouvons. Cette négligence résulte de l’abus d’une faculté déifiée par l’occidental : l’intellect.

LEveil du Zen est un état de conscience permettant un comportement parfaitement adéquat.

Ladéquacité parfaite ou « Action Juste» résulte de la pratique de la « Vue Juste ». Cette dernière est un des éléments fondamentaux du Bouddhisme en général et du Zen en particulier.

La « Vue Juste » consiste à voir directement — sans interférence mentale — la Réalité profonde de l’Univers (et de nous-mêmes) au delà des apparences superficielles.

Cette vision de l’Unité des profondeurs, située à la fois au-delà et au « dedans » des apparences multiples, implique une connaissance parfaite de nous-mêmes. Cette « Vue Pénétrante » est le « Satori » du Zen ou « vision de la soi-nature ».

Quels sont les éléments fondamentaux de la doctrine de la « Vue Juste»?

Ils nous enseignent « l’impermanence des agrégats d’éléments ». Tout se meut. Tout se transforme. Rien n’est immobile.

L’apparente fixité de la matière résulte d’une superposition complexe de mouvements extraordinairement rapides : mouvements moléculaires, mouvements des révolutions électroniques autour du noyau atomique, mouvements plus prodigieux encore au sein du noyau atomique lui-même.

L’immobilité apparente de la matière résulte « d’un manque de pénétration nous dit le Fo Sho Hing Tsang King ». « Le disciple entrainé dans l’art de la « Vue Juste» discerne la discontinuité des profondeurs au delà de l’apparente continuité de surface.

La doctrine de la « Vue Juste » enseigne quun même processus est responsable de l’apparente continuité de la matière et de celle de la conscience.

L’impression de continuité de la conscience personnelle résulte d’une succession extraordinairement rapide de pensées. Le sentiment familier de glissement uniforme et continu de la conscience dans la durée résulte d’une absence de « Vue Pénétrante ». La conscience personnelle est au contraire discontinue. Il existe entre les pensées; apparemment continues, des vides interstitiels dits « Vides de Turya ».

La doctrine de la Vue Juste contient depuis de nombreux siècles des éléments d’une richesse de contenu extraordinaire auxquels la physique et la psychologie moderne de lOccident viennent d’accéder tout récemment, éléments bien entendu généraux et de « fond » et non éléments de détail.

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A la question de savoir si le Bouddhisme est une religion ou une philosophie nous répondrons donc qu’il semble être une science du Réel en insistant sur le fait que ce Réel est autant esprit que matière, qu’il est Acte Pur s’intégrant à la vie pratique.

Ni l’analyse intellectuelle, ni l’induction, ni la déduction ne permettront la découverte de cette Réalité. L’Eveil n’est atteint que par le silence de nos opérations mentales, de nos «a priori intellectuels de nos éléments de comparaison, de nos mémoires ».

Le Zen est essentiellement pratique. Il est un pragmatisme dialectique.

Son approche «Non-mentale» des faits quotidiens n’a rien de commun avec un état «infra-intellectuel» contrairement à ce qu’affirme Robert Kemp. L’apparente négativité du Bouddhisme a pour rançon la forme la plus pure de l’intelligence. Force nous est ici de dénoncer l’inexactitude des affirmations de certains auteurs prétendant à linexistence dune psychologie dans le Bouddhisme.

Le Zen est un art de vivre. Il est aussi une science de la vie. Mais cet art et cette science sont le fruit d’une profonde maturité psychologique et spirituelle.

Le Zen est la science naturelle suprême ayant pour objet non seulement l’étude mais surtout l’expérience de la nature profonde de l’homme et de l’Univers. Cette nature totale englobe les éléments spirituels, psychologiques et matériels. Elle est une totalité homogène dont l’esprit et la matière sont les faces opposées et complémentaires. Mais Elle est, en Elle-même totalement différente de ce que nous concevons comme esprit ou matière.

Cette Totalité-Une est désignée dans les textes par les expressions suivantes suivant les auteurs et les Ecoles : «Corps de Bouddha» (bouddhisme ancien), «Dharmakaya» (idem), l’« Etre Originel » (Hui-Neng), «Mental Cosmique» (Hui-Neng), «Base du Monde» (Grimm), le « Vide» (toutes les Ecoles), «L’Inconscient Zen » (D.T. Suzuki), etc.

Elle est éternellement présente. La nécessité de sa découverte en nous-mêmes et en toutes choses, au cœur de chaque instant présent nous a conduit à considérer le Bouddhisme Zen comme la «Doctrine de la parfaite momentanéité ».

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Le rôle de la pensée dans le Zen

C’est à tort que la plupart des Occidentaux ont attribué au Zen un rejet systématique de l’activité mentale. Il assigne à celle-ci la juste place qu’elle doit occuper dans l’ensemble de nos fonctions psychiques. Ceci se trouve amplement exposé dans l’ensemble des œuvres de Hui-Neng (5).

Le Zen sest inspiré de lattitude du Taoïsme exprimée par Chuang-Tzu, le célèbre continuateur de Lao-Tzu : «l’homme parfait utilise son mental comme un miroir. Il ne s’approprie rien; il ne refuse rien. Il reçoit tout mais il ne garde rien. ».

La pensée est une fonction naturelle mais nous avons abusé de son rôle.

Elle consiste à tout voir mais à ne rien prendre.

Ainsi que l’expriment les maitres Taoïstes et Zennistes « l’œil regarde mais il ne se voit pas lui-même» et de même, la pensée aurait-elle pour mission de penser simplement mais non de se penser elle-même. S’étant regardée elle-même et accumulant ce qui se présente à elle, la pensée s’est prise pour un être indépendant. L’instrument s’est arrogé illégitimement les droits du propriétaire. Cette identification de la pensée avec elle-même est une usurpation. Telle est l’origine du « moi ». Ce dernier est le résultat d’une sorte de « courant secondaire ou parasite » (second thoughts disent les auteurs anglais), et sa position de déséquilibre fondamental est sans issue.

Le rôle ultime de la logique est de se démontrer à elle-même, par le processus de la raison, son caractère limitatif et les conditionnements impliqués dans toute analyse.

La mission suprême de la pensée consiste à se démontrer à elle-même les limitations de ses processus, les impasses dans lesquelles l’entraine l’identification et le bien fondé de son dépassement par une réalité qui l’englobe et la domine.

Les progrès récents de la cybernétique démontrent de façon péremptoire les caractères essentiellement mécaniques de nos opérations mentales et la nécessité d’une pause dans l’activité intellectuelle mécanique pour permettre à la Liberté du Réel de s’exprimer spontanément en nous et par nous.

Ainsi que l’exprimait le penseur indien Shri Aurobindo : «La raison fut une aide; la raison est l’entrave. » La pensée fut une aide; la pensée est l’entrave. »

Mais… comme nous l’écrivait récemment un maître Zen : « il faut parfois beaucoup parler avant d’être silencieux ». De même est-il malheureusement souvent nécessaire de beaucoup penser avant de comprendre la nécessité du silence mental et les richesses qu’il peut révéler.

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La différence entre l’homme ayant réalisé le Zen (ou Satori) et l’homme ordinaire est la suivante : le premier peut avoir des pensées mais il est libre d’elles. Chaque mouvement du mental n’est plus chez lui une occasion que saisit son «moi» pour se reconstruire et se continuer par lui. Sa pensée apparaît adéquatement aux circonstances. Elle est libre de l’identification et de l’attachement. Elle se recrée et s’épuise à chaque instant en se laissant «diriger» dans la parfaite momentanéité du présent.

L’homme ordinaire est, au contraire, entièrement prisonnier de son activité mentale. Loin de posséder ses pensées, il est possédé par elles.

Il est inconscient des mobiles profonds qui font apparaître les images, les symboles, les mots, les émotions formant sa vie intellectuelle et sentimentale. Il ne peut répondre à la quadruple question fondamentale à laquelle le Zen et la pensée krishnamurtienne peuvent donner une réponse claire et précise : Comment pensons-nous ? Que pensons-nous ? Pourquoi pensons-nous ? Qui pense ? Le Zen considère que dans cet état de négligence l’homme ignore tout des énergies profondes qui sont à l’origine de ses actes. Chacune de ses pensées est une occasion que saisit son «Moi » pour se continuer par elle. L’homme est en fait beaucoup plus « pensé » par ses propres tendances inconscientes qu’il ne pense intégralement lui-même, librement (6).

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La notion de « l’Inconscient Zen »

« L’Inconscient Zen » n’a rien de commun avec l’inconscient des psychologues. Le terme « inconscient » a été employé intentionnellement afin d’attirer l’attention des lecteurs occidentaux sur le fait que l’état d’Eveil du Zen diffère totalement des conditions de la conscience ordinaire.

Ainsi que l’exprime D.T. Suzuki «L’inconscient Zen est une conscience infinie inconsciente d’elle-même ».

Il est évident qu’une conscience infinie est complète en elle-même et se trouve affranchie de toute nécessité d’objectivation. Elle se suffit à elle-même et ne recherche ni à s’affirmer, ni à s’éprouver, ni à « devenir quelque chose », contrairement à la conscience voilée du «moi».

Notre conscience personnelle, objectivée, consciente d’elle-même possède un caractère de fragilité, de limitation, de lourdeur et de léthargie par rapport à « l’Eveil de l’Inconscient Zen », mais nous voyons ici, à quel point dans ce domaine chaque mot est un piège.

Pour l’Occidental, la conscience est toujours la conscience de quelque chose par quelqu’un. La conscience est comparative, déductive et inductive.

La lucidité pure du Zen ne résulte au contraire d’aucune comparaison.

La plénitude de l’Eveil n’est réalisée qu’à partir de l’instant où cessent les automatismes mentaux conditionnés par toutes les valeurs antérieures : comparaisons, conclusions, mémoires, définitions, mots quels qu’ils soient. La nécessité de cette mise à nu de la conscience, déroutante pour les Occidentaux est abondamment expliquée dans le Lankavatara Sûtra.

La lucidité du Zen est une lucidité sans idée. L’idée n’en est aucunement la condition.

Nous serons conformes à l’esprit le plus pur du Lankavatra Sûtra en formulant le principe suivant : le degré de lucidité pure ou d’Eveil de l’esprit à un instant donné est directement proportionnel à son absence de symboles, de formules, de toute emprise du passé, telles que mémoires, comparaisons, mots.

Lorsque l’état d’Eveil s’est installé de façon définitive, l’homme peut penser, il peut utiliser ses mémoires mais il est libre d’elles.

Le problème ne consiste pas à lutter artificiellement contre le processus des engrammes cérébraux et des mémoires qu’ils déterminent. Il s’agit d’un processus naturel. Mais un seul fait importe : tout en laissant œuvrer le processus naturel des enregistrements mémoriels il est indispensable d’être libre de l’emprise qu’ils exercent.

Cette liberté et l’intensité de conscience impersonnelle qui en résulte sont les signes distinctifs de la Bouddhéité.

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Qui est Bouddha ?

Peu d’auteurs occidentaux ont insisté sur la signification véritable du mot «Bouddha». Ce terme ne désigne pas une personne mais un état.

Bouddha signifie « Eveillé », à savoir délivré du rêve de l’ignorance et de l’identification. Cet « Eveil » est à la portée de tous les êtres humains.

Dans l’état de Bouddha ou de «Bouddhéité » l’homme a découvert «l’Unité profonde des dix mille choses ». Il a démasqué le rôle illusoire de ses créations mentales. Il sait qu’elles sont l’expression de «Tanha », la soif de continuité, l’avidité de «devenir ».

L’état de Bouddha est celui d’un homme dont l’esprit s’est totalement affranchi de l’attachement, de l’identification avec les valeurs suggérées à l’esprit par les contacts du monde sensoriel : valeurs de temps, d’espace, de devenir, oppositions dualistes du bien, du mal.

Il discerne la juste place qu’occupe ces différentes notions dans une unité plus vaste qui les englobe et les domine. .

Le prince Gautama Siddhârta, de la Dynastie des Cakyas a réalisé cet état d’Eveil intérieur, au même titre que tous les Patriarches, qu’ils sappellent Nagarjuna, Bodhidharma, Hui-Neng. D’autres, connus ou inconnus, célèbres ou anonymes, passés ou à venir, ont réalisé ou réaliseront la Bouddhéité.

Les maîtres Zen définissent comme suit les signes distinctifs des Bouddhas authentiques : affranchissement des conditionnements psychologiques imposés par le milieu, l’hérédité, l’éducation, les habitudes mentales du passé, les textes sacrés, les mémoires tant individuelles que collectives.

Mais ainsi que l’exprime Alan W. Watts «Un Bouddha conscient d’être un Bouddha n’est pas un Bouddha ».

Loin d’être un anéantissement, l’état de Bouddhéité (c’est-à-dire de Nirvâna ou de Satori) est celui d’une plénitude. Tout être humain délivré des limitations de l’égoïsme réalise les plus hauts sommets de l’intelligence et de l’amour.

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Apparente négativité du Bouddhisme et du Zen

L’apparente négativité du Bouddhisme en général et du Zen en particulier résulte du fait que l’approche de la Réalité fondamentale de l’Univers et de l’homme ne peut être que négative. On ne peut dire d’Elle que ce qui n’est pas Elle. Les maîtres du Bouddhisme dénonceront donc les obstacles masquant à nos yeux le trésor caché résidant aux ultimes profondeurs de la conscience. Mais du trésor caché lui-même, rien ne peut être dit.

Le Bouddhisme véritable, tel qu’il fut enseigné par le Bouddha, Bodhidharma et Hui-Neng doit être considéré comme un énoncé magistral des conditionnements de l’esprit humain. Un énoncé de conditionnements a toujours une apparence négative.

La plupart des Occidentaux perdent de vue qu’au terme des négations successives dénonçant nos valeurs illusoires, nos limitations, nos attachements, la Réalité Elle-même s’affirme avec éclat. Elle est l’élément suprêmement positif.

Mais les véritables Eveillés savent fort bien que rien ne peut en être dit, car tous les mots, toutes les images, toutes les descriptions viendraient ternir la transparence intérieure indispensable à la contemplation de l’indicible.

Un maître Zen nous a donné à ce sujet un avertissement : « Un dixième de pouce de différence» dit-il «et la terre et le ciel sont séparés».

Ce dixième de pouce de différence désigne le rôle négatif de nos créations mentales. Une seule pensée fausse suffit à nous plonger dans l’enfer du monde des dualités et nous séparer de la vision de la «soi-nature».

L’impression de négativité éprouvée par certains résulte également d’une incompréhension de la doctrine bouddhiste du «Vide» (Sunyata) que nous examinerons ultérieurement. Disons immédiatement qu’il s’agit simplement du «Vide» de nos valeurs illusoires familières et non d’un néant.

* * *

Il est important de noter que le Zen ne nous convie pas à lutter en vue d’une acquisition de nouveaux biens. Tout est là ! nous déclare-t-il.

Rien ne nous manque, Il suffit de mettre de l’ordre dans notre désordre. Il n’est nullement question de conquérir des vertus puisque le «moi» leur servant de support est déclaré inexistant. Il n’y a rien « à faire » au sens accumulatif et possessif que l’Occidental donne en général au terme «faire». II y a plutôt «à défaire» : défaire les nœuds innombrables formés par notre ignorance, notre avidité, nos peurs. Ici aussi, nous perdons de vue que cette «passivité» du moi, apparemment négative, possède un aspect complémentaire éminemment positif : la découverte du Réel.

Dans cette Réalité créatrice réside l’essence même de toute action.

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La notion de Dieu dans le Bouddhisme Zen

On a beaucoup parlé du nihilisme et de l’athéisme de la doctrine du Bouddha. Le Bouddhisme se situe en dehors des valeurs que nous accordons aux termes de théisme et d’athéisme. Nous avons vu qu’il n’est pas nihiliste.

Il n’y a aucune place dans le Bouddhisme pour un Dieu personnel teinté ou non d’anthropomorphisme. Conclure hâtivement à l’athéisme du Bouddha pour cette seule raison serait une erreur. La notion de base du Bouddhisme est celle d’un « Eveil ». Eveil de qui ? demandent certains. Cet « Eveil » n’est en tous cas pas celui d’une personne ou d’une entité. Il n’y a pas Eveil de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Toute dualité d’un sujet et d’un objet se trouve absente. Ceci implique que la Réalité suprême (ou Dharmakaya-Corps de Vérité-Corps de Bouddha) est elle-même plénitude de conscience en donnant au terme conscience un sens très différent de celui qui nous est familier. A ce point de vue, divers maîtres Zen que nous avons approchés adoptent une façon de voir qui est assez voisine de la notion indienne de « Sat-Chit-Ananda ». La Réalité Suprême est à la fois « Sat» (L’Etre englobant l’esprit et la matière), «Chit », conscience pure impersonnelle et «Ananda» (félicité).

Nous sommes cette Réalité mais nous ne le savons point. Ainsi que l’exprime D.T. Suzuki « Nous sommes déjà des Bouddhas… Parler d’atteindre quoique ce soit est une profanation, et, logiquement, une tautologie» (7).

Nous sommes donc victime d’un vice de fonctionnement mental nous empêchant la découverte de notre nature véritable.

Dès l’instant où l’Etat d’Eveil nous délivre des mirages engendrés par l’identification nous vivons l’intégration. L’étude de l’intégration projette quelques lumières sur le problème de Dieu dans le Bouddhisme.

Qu’est-ce que l’intégration ? Nous pourrons la définir par comparaison avec des notions plus familières : la notion de communion par exemple.

Une différence essentielle existe entre l’intégration bouddhiste et la communion chrétienne. Le Zen est un monisme intégral. L’illumination abolit toutes les dualités du sujet et de l’objet, du spectateur et du spectacle, de l’expérimentateur et de l’expérience (8). Seule, demeure la plénitude éternelle créatrice du Présent impersonnel. Ainsi que l’exprime Alan W. Watts (9) « Dans l’Eternel Présent, il n’y a plus ’ nous ‘ et le présent, il y a le ‘ présent ‘ tout simplement ».

Dans la communion, au contraire, la dualité de l’objet et du sujet, de l’expérimentateur et de l’expérience subsiste. L’adorateur reste éternellement distinct de l’objet de son culte. Il y a coexistence éternelle du créateur et de la créature.

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Les maîtres Zen désignent la Réalité suprême du Bouddhisme comme « Acte Pur ». Pour D.T. Suzuki elle est à la fois «Le Corps et l’Usage» (10). Cet « Acte Pur» est autant esprit que matière. Il est totalement étranger aux notions d’absolu familières aux théologies occidentales. Nous reproduisons ici le fameux dialogue reproduit dans les « Annales de la transmission de la Lampe» (11).

King : « Qu’est-ce que la Bouddhéité ?

Paloti « Voir la Nature réelle des choses est la bouddhéité. »

King : «Voyez-VOUS cette nature véritable?»

Paloti: « Je la vois ».

King : « Quelle est cette nature véritable ?»

Paloti: « La nature véritable est « Acte Pur.»

King : «De qui ou de quoi est cet Acte? Je ne comprends pas. »

Paloti: «Lacte est ici. Vous ne le voyez pas simplement.»

King : «L’ai-je eu moi ? »

Paloti : «Vous êtes l’acteur maintenant. .,

Ainsi que l’exprime D.T. Suzuki, voir sa véritable nature est agir, et toute acte pur équivaut à voir dans le Réel. Cette vision n’est pas « vision de quelque chose ». Elle est vision tout simplement, sans dissociation aucune de l’Acte Pur.

Le sens du divin dans le bouddhisme peut également s’éclairer par l’étude de la notion fondamentale du « Vide ».

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La notion du « Vide » dans le Zen

Les erreurs d’interprétation de la notion du « Vide » dans le Bouddhisme en général et dans le Zen en particulier sont à l’origine de nombreux malentendus.

« N’imagine pas le Vide comme étant le néant » nous dit un des principaux ouvrages du Bouddhisme Thibétain (Tchag Tchen Gyi Zindi).

Un autre texte important du Bouddhisme emprunté au Lankavatâra Sûtra nous éclaire plus encore quant à la signification véritable du Vide :

« Ce qui est entendu par „ Vide” dans le plus haut sens de Réalité finale, c’est que dans la Sagesse issue de la Vue Juste, il n’y a plus aucune trace de la force d’habitude mentale engendrée par des conceptions erronées » (12).

L’exposé complet de la doctrine des « forces d’habitude » demanderait des volumes. Nous en avons envisagé certains aspects ailleurs (13).

Les textes ci-dessus suffisent amplement pour réduire à néant les affirmations relatives au prétendu nihilisme du Bouddhisme.

Un exemple emprunté à la physique moderne pourrait clarifier le problème.

Nous savons que l’ensemble multiforme de l’Univers matériel provient d’une seule et même énergie. Dans la mesure où nous allons vers le cœur des choses, en physique, nous remarquons l’inadéquacité progressive de nos valeurs familières. Louis de Broglie définit le corpuscule atomique comme « une zone d’influence, un paquet d’ondes, une singularisation d’ondes de probabilité ». On ne peut plus parler de la forme, ni de la permanence, ni de l’individualité d’un neutron ou d’un électron. Formes et surfaces impliquent des complexités de struc­ture. Or les corpuscules atomiques sont simples. Quant à l’énergie dont ils sont l’expression, nul ne peut exactement la définir. Le physicien Max Planck disait d’elle « qu’elle se matérialise en grains résultant du mouvement de sa propre puissance et qu’elle acquiert, par l’ingénieux artifice des dispositions électroniques, des propriétés et des formes particulières ». Mais de l’énergie elle-même rien ne peut être dit. Carlo Suarès nous a démontré le caractère strictement impensable de l’univers, de la matière (14). Tirant les conclusions qui simposent à la suite des travaux d’Einstein et d’Eddington il arrive à la constatation d’un « quelque chose » d’indéfinissable, auquel aucune de nos catégories de valeur ne s’applique.

La Réalité du « quelque chose » n’est ni rouge, ni verte, ni ronde, ni carrée, ni chaude, ni froide. Nous dirons qu’elle est «Vide» à savoir absente de toutes les qualités qui nous sont familières. C’est pour une raison de cet ordre que les textes bouddhiques contiennent de nombreuses négations dès l’instant où ils évoquent la Réalité finale.

Le « Vide» bouddhique n’implique donc pas un néant mais une absence de qualités particulières semblables à celles que nous suggèrent nos contacts familiers avec le monde matériel.

Signalons ici, qu’un éminent physicien français, Georges Cahen vient d’exprimer tout récemment un langage semblable (15).

«Le dépouillement des phénomènes vis-à-vis du contenu immédiat de nos perceptions présente deux caractères que nous mettrons en évidence : d’une part, ce processus révèle une identité d’essence entre l’intellect et l’univers. Dautre part, ce contenu se vide progressivement de sa substance apparente : la matière elle-même tend à n’être qu’une forme vide, un champ d’action des propriétés structurelles de notre esprit, c’est-à-dire quelque chose dimmatériel.

» Nous exprimerons ici et de la façon la plus extrême la tendance ultime de la science : réduction de la réalité au vide. Ce vide n’est pas le non-être, le néant. Cest au contraire l’être le plus complet qui soit puisqu’il contient l’Univers en puissance.»

Le maître Zen, Hui Haï nous disait que «lorsque cessent les perceptions particulières nous réalisons la perception totale ne se situant dans aucun lieu privilégié quel qu’il soit » (16). Celle-ci n’est pas un vide mais une plénitude.

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Qu’est-ce que le Nirvâna ou Satori ?

Le terme « Nirvâna » signifie littéralement extinction. Mais encore faut-il voir de quoi ! Nirvâna est l’état de félicité résultant de l’extinction de l’ignorance, de la peur et des désirs. L’homme délivré de l’ignorance n’a jamais été anéanti ! Il s’ouvre à la plénitude de la joie.

Ainsi que l’exprimait le Bouddha «En parfaite joie nous vivons, nous à qui rien n’appartient. En parfaite joie nous vivons, sans inimitié dans le monde de l’inimitié. La joie est notre nourriture de chaque jour, comme aux dieux rayonnants. ».

L’action d’extinction du souffle sur une flamme, sous-entendue dans le terme « Nirvâna » est en relation avec le Sermon de Bénarès au cours duquel le Bouddha comparait le processus du «Moi » à une flamme.

Les aliments de la flamme du «moi» sont les cinq « skandas » : le corps, les sentiments, les perceptions, les impulsions et les actes de conscience.

Nous avons exposé au paragraphe du « rôle de la pensée dans le Zen», la façon dont le «moi » se continue par l’activité mentale.

L’extinction de la flamme du «moi» n’est pas une défaite. C’est la plus haute victoire de la nature profonde de l’homme.

«Nirvâna» est l’état de lucidité suprême triomphant des limites imposées par la naissance et la mort, par l’apparent isolement de l’existence extérieure.

Portant l’Univers entier dans son cœur, l’Eveillé réalise la forme la plus pure de l’amour. Parce qu’il est mort à lui-même, en tant qu’entité il permet à l’intelligence de la Vie de s’exprimer en lui et par lui.

Il est le monde. Il est le criminel, le saint. Il se sait solidaire de la société mais il est libre d’elle. Parce qu’il est affranchi de l’identification il peut jouer librement le jeu du monde sans être prisonnier des circonstances qui lui servent d’expression. Son efficience en est centuplée. Le Zen et le Tao ont un principe commun : celui de la spontanéité. La spontanéité et le don de soi sont les signes distinctifs des plus hautes formes de l’amour se traduisant par un respect universel de la vie sous toutes ses formes.

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Le terme « Satori » signifie « voir en sa propre nature », ou « Eveil soudain ». Les maîtres Zen en résument généralement comme suit les principaux caractères : (17)

a) il est supra-intellectuel et irrationnel.

b) la vision du Satori est intuitive et non dualiste. Elle est cependant plus précise et plus impérieuse que les états mentaux familiers.

c) autorité catégorique: D.T. Suzuki précise à ce sujet : «le Satori est une espèce de perception qui a lieu dans la partie la plus intime de la conscience. D’où son caractère d’autorité indiscutable, de fait ultime, définitif. »

Il y a lieu ici d’insister sur le fait que le Satori n’est réalisé que par un affranchissement de toutes les confections mentales, de tout symbole, formule, de toute idée ou mémoire. L’expérience exclut donc tout danger d’autohypnose ou de suggestion.

d) sens positif : D.T. Suzuki déclare que « l’illumination est affirmative au sens le plus vrai du mot ».

e) le sens de retourner chez soi : « Vous vous êtes trouvé maintenant; depuis le tout premier commencement rien ne vous avait été dissimulé; c’était vous-même qui fermiez les yeux à la Réalité» (18).

f) impersonnalité : L’expérience du Satori est dépouillée de tout caractère personnel. Elle se réalise dans l’impersonnalité d’une observation intense et silencieuse dans laquelle n’interviennent ni nos préférences ni nos répulsions. En un mot : réalisation d’une parfaite objectivité par la fusion de l’objet et du sujet dans une essence commune qui les englobe et les domine.

g) exaltation : l’exaltation n’est pas en contradiction avec l’impersonnalité du Satori. Elle est directement liée à l’état de « félicité existentielle du Réel ».

h) instantanéité et présence éternelle : D.T. Suzuki déclare que « le Satori se présente de façon abrupte; cest une expérience instantanée. »

D’instant en instant le «moi» doit se soustraire à la magie toute puissante de ses automatismes mentaux. Ceux-ci n’ont d’utilité que pour résoudre des problèmes d’ordre concret, scientifique ou technique. Mais ils sont une entrave pour l’expérience de l’Eveil suprême ou Satori.

L’homme doit être neuf et disponible à chaque instant nouveau.

Dans cette réceptivité et cette souplesse intérieure il peut percevoir le caractère unique de chaque instant. Il peut en vivre l’éternité présente au delà des voiles du temps. Cette approche lui permet de participer à la plénitude de création contenue dans l’unicité extraordinaire de chaque moment.

i) affrontement des circonstances : fuir n’est pas résoudre. Le Satori ne sobtient pas dans la fuite du monde mais dans son affrontement. La vie est relation, tant biologiquement que psychologiquement. «Toute perception est une occasion de Satori » déclarent les maîtres Zen.

C’est au cours de nos relations avec les êtres, les choses et nos propres réactions mentales et émotionnelles que se parachève la pleine connaissance de nous-mêmes, cette condition indispensable à la réalisation du Satori. Les objets de la perception sont moins importants que notre attitude intérieure d’approche. C’est le caractère instantané, Non-Mental et parfaitement adéquat de notre approche qui détermine l’authenticité de l’Eveil.

Ainsi que l’exprime le maitre Zen Yoka Daishi « Si vous vivez le Zen, vous pouvez laisser l’enfer parmi vos rêves passés mais vous pouvez réaliser un paradis où que vous soyez… » (19)

«Les étudiants Zen ne s’évadent pas…» nous dit le vénérable Senzaki, « l’Amérique en a eu, elle en a, et elle en comptera peut-être encore beaucoup… Ils affrontent aisément les ‘mondanités’… Ils jouent avec les enfants, respectent les mendiants et les rois… mais ils traitent lor et largent comme de simples pierres.» (20)

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Zen et vie pratique

«Les mystiques sont des hommes parfaitement pratiques» (21) nous dit D.T. Suzuki : « Si le mysticisme est vrai, sa vérité doit être pratique et doit pouvoir se vérifier dans chacun de nos actes. ».

« Le Zen est notre état ordinaire d’esprit… il n’y a dans le Zen, rien de surnaturel, d’inusité ou de hautement spéculatif qui dépasserait notre vie quotidienne. »

L’adéquacité parfaite du Zen en fait la faculté qui permet à l’homme de répondre pleinement à toutes les données des circonstances qui se présentent à lui. L’imagination et la distraction sont les principaux obstacles à cette adéquacité. Cette dernière requiert, en toutes circonstances, l’exercice dune observation silencieuse et concentrée.

Cette observation possède néanmoins un caractère distinctif : elle est «Non-Mentale», c’est-à-dire affranchie de lidentification aux mémoires.

L’attitude «Non-Mentale» est la condition indispensable à la rapidité des réflexes. Elle se traduit par une détente intérieure nous permettant d’être disponible à la Réalité, présent au Présent, absent à notre égoïsme.

La révélation de la plénitude de ce que nous sommes, tant en surface quen profondeur, ne se réalise quau cours des relations de la vie quotidienne. Le livre de la vie est plein d’enseignements mais nous ne parvenons pas à déchiffrer les caractères dans lesquels il est écrit. Ces caractères sont essentiellement vivants : ce sont les réactions mentales et émotionnelles apparaissant en nous au cours de nos relations avec les êtres, et les choses. Aux yeux d’une observation silencieuse, non déformée par des jugements de valeurs favorables ou défavorables, les agrégats d’éléments psychiques formant le «moi» se révèlent pleinement et se dissolvent comme les brumes se dissipent au soleil. C’est le «lâcher prise» du Zen.

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L’attitude « Non-Mentale » et le « Lâcher prise » constituent les deux conséquences pratiques de l’enseignement Zen.

Toute la science du Judo est basée sur le Non-Mental. Les mouvements du Judoka ne doivent pas être pensés. Si le pratiquant du Judo pense, il est immédiatement «envoyé sur le tapis ».

Le Zen enseigne que le corps humain possède une sagesse instinctive dont les possibilités sont immenses. Nos races hyperintellectualisées ont perdu la trace de cette sagesse naturelle. Cette sagesse émane directement de la « nature profonde des choses». Elle serait en liaison intime et permanente avec notre vie végétative, physiologique.

Le docteur Hubert Benoit a insisté à juste titre sur la nécessité d’une dévalorisation de notre excès d’intellectualité. Il est nécessaire de « revaloriser » la vie végétative (22). Nous sommes des cérébraux impénitents. L’abus de la fonction intellectuelle nous prive de l’harmonie naturelle que la Réalité profonde des choses nous destine. Nous devons retrouver à l’échelle humaine, une octave supérieure de l’instinct animal, intégrée à une forme élevée de conscience supramentale.

Parmi les avantages pratiques du Zen nous citerons les suivants :

a) activité constructive : loin de renoncer à l’action, l’homme du Zen est le plus pratique qui soit. Il sait quels sont les mobiles profonds qui font apparaître ses pensées, ses émotions et ses actes. Un tel homme s’intègre au principe cosmique de tout travail dans la nature, tant physique que psychique ou spirituelle.

b) l’adéquacité parfaite : «Le Satori nest pas une annihilation» disait Bodhidharma, «c’est une connaissance de l’espèce la plus adéquate (23). Le Zen nous permet ‘d’être au monde’ (24) tout en étant libre de lui. L’activité mentale nous empêche d’être adéquats. Si nous sommes au volant de notre voiture, l’esprit encombré de soucis, nous n’aurons pas la rapidité des réflexes nécessaire à l’évitement de l’obstacle imprévu se présentant sur la route. Le Zen nous demande d’être pleinement à ce que nous faisons ».

c) la détente intérieure dans l’activité.

d) amour, détachement, non-violence :

Par son dépassement de l’égoïsme et la vision perpétuellement présente de l’Unité, l’homme du Zen réalise les conditions de l’amour véritable, de la compassion et de la charité.

Il est détaché, car le Satori lui révèle qu’il est au cœur des êtres et des choses ce qu’ils ont de plus précieux, de plus irremplaçable.

Le détachement entraîne la simplification des besoins. Mais il n’a rien de commun avec l’indifférence.

Par son dépassement de l’illusion du « moi », l’homme du Zen se libère des avidités égoïstes qui sont à l’origine de toutes les violences et de tous les conflits.

II est donc simple, aimant, paisible, en un mot, éminemment social.

e) minutie, précision : « L’Infini est dans le fini de chaque instant » nous dit D.T. Suzuki. « Soyez des exemples de précision » nous demande le philosophe Sakurazawa.

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Bouddhisme Zen et Christianisme

La plupart des maîtres Zen ont l’intime conviction de l’identité du contenu expérimental d’un Bouddha, d’un Jésus ou d’un Hui-Neng.

Néanmoins, des divergences notables existent entre les éléments qui nous restent des doctrines codifiées par les successeurs des grands Sages.

Faute de place nous les résumerons comme suit :

a) Le Christianisme est une religion de révélation divine.

b) Le Bouddhisme est une religion naturelle, en insistant toutefois sur le fait que la nature des choses est à la fois matérielle, psychique et spirituelle.

a) Le Christianisme est une religion de création. L’Univers est la matérialisation d’un plan.

b) Dans le Bouddhisme l’Univers n’a ni commencement ni fin. Seul existe un processus de création éternellement présent dont la loi est la spontanéité. Il n’y a aucun plan.

a) Le Christianisme enseigne la réalité et l’éternité de l’âme individuelle.

b) Le Bouddhisme et le Zen enseignent l’inexistence du moi. Celui-ci ne revêt qu’une apparente continuité durant le cycle des vies successives mais il n’échappe pas à la loi universelle de l’impermanence.

a) Le Christianisme enseigne la nécessité des intermédiaires entre Dieu et l’homme.

b) Le moine bouddhiste n’est pas considéré comme un intermédiaire. II n’administre aucun sacrement et n’est pas considéré comme ministre de Dieu.

a) Le Christianisme enseigne la nécessité du «salut» et la rémission des péchés.

b) Dans le Bouddhisme en général et dans le Zen en particulier, personne, y compris le Bouddha lui-même, ne possède le pouvoir de s’interposer entre les causes des actes d’autrui et leurs effets. L’homme doit porter seul la responsabilité de ses pensées et de ses actes. Le Zen enseigne qu’il n’y a pas de maturation spirituelle possible pour l’homme s’il ne peut éprouver par lui-même les conséquences heureuses ou malheureuses de ses actes bons ou mauvais.

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Parmi les similitudes entre le Bouddhisme Zen et le Christianisme nous rappellerons les paroles de Jésus : «Le Royaume des Cieux est au-dedans de vous-mêmes ».

L’état de transparence mentale du Zen se trouverait également évoqué dans divers fragments des Ecritures chrétiennes :

«Heureux les pauvres (ou les mendiants) en esprit, car le Royaume des Cieux leur appartient » (Ev. St Matthieu – ch. V. v.3).

«En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas ».

La place nous manquant dans cette étude sommaire, nous terminerons par cette citation de Saint-Jean de la Croix (Montée I, II – ch. XIII) :

« Enlevez ces formes, détachez entièrement ces voiles, faites en somme que l’âme soit établie dans la pure nudité et la pauvreté d’esprit. Aussitôt celle-ci devenue pure et simple se transforme dans la pure et simple Sagesse divine… »

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Zen et Occident

Les lecteurs d’Europe continentale ne manqueront pas d’être surpris en apprenant le rayonnement considérable de la pensée Zen dans les pays dexpression anglaise. Le dernier ouvrage en anglais de Christmas Humphreys sur le Bouddhisme atteint le tirage actuel de deux cent cinquante mille exemplaires.

Ainsi que lexprime lécrivain anglais Alan W. Watts, Président de l’Académie Américaine des Etudes Asiatiques : « L’intérêt du Bouddhisme Zen a connu durant les 20 dernières années un essor considérable. Depuis la dernière guerre mondiale la diffusion de la pensée Zen dans le monde occidental s’est développée à tel point qu’elle est devenue un facteur important dans la vie intellectuelle et artistique du monde occidental ».

Le Zen a eu le plus de succès, là où il était le plus attendu : le développement extraordinaire de la technique a donné aux civilisations économiquement puissantes un rythme de vie fébrile, antinaturel empreint d’une agitation et d’une inquiétude de plus en plus grandes.

Le Zen apporte à ceux qui le pratiquent la capacité éminemment précieuse dêtre intérieurement et extérieurement détendus au cœur de l’activité la plus intense. La détente intérieure dans l’activité extérieure, tel est lun des secrets du succès du Zen parmi les personnes déployant une grande activité. L’autre raison réside dans le fait que beaucoup de chercheurs isolés doutent du bien fondé des valeurs qui ont présidé à l’édification de la civilisation occidentale et sont à la recherche d’une inspiration totalement différente.

La pensée Zen est moins connue en Europe continentale en raison du nombre limité d’ouvrages traitant de la question. La plupart des auteurs nous présentent un Bouddhisme axé sur les « Quatre Vérités fondamentales » de la souffrance, de la découverte de ses causes et de la façon de sen libérer. Nous ne contestons pas le fait historiquement reconnu de l’importance de la souffrance au point de départ de la recherche intérieure du Bouddha. Les maîtres Zen considèrent «l’incident clos » et tournent leur attention sur lEveil qui survient ultérieurement.

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Bouddhisme Zen et problème social

La société est ce que sont les individus qui la composent.

Nous avons mis en évidence les conséquences spirituelles et concrètes du Zen. La notion fondamentale du caractère illusoire du « moi », la vision constante de l’Unité, l’Eveil intérieur et les données pratiques de l’adéquacité parfaite sont autant d’éléments de nature à former des individualités riches, créatrices et harmonieuses, empreintes d’un esprit de coopération, d’altruisme et de compréhension.

Une civilisation basée sur la réalité du « moi» n’aboutit, par contre, qu’aux désastres, aux guerres, aux conflits dont nous sommes de plus en plus les témoins et les victimes.

L’étude de la psychologie du « moi» nous démontre qu’il est à l’origine de toutes les violences. L’égoïsme est l’ennemi de l’homme et du monde.

La réalisation d’une civilisation qui ne soit plus basée sur la réalité du « moi » s’impose de toute urgence. Ceci n’est pas une utopie. Une telle civilisation a été vécue durant le règne du grand empereur bouddhiste Açoka entre le troisième et le deuxième siècle avant notre ère. Cette société était non-violente et pacifique car les individus qui la composaient étaient imprégnés de notions telles que l’illusion du «moi », la vanité des biens matériels, l’impermanence de toutes choses.

Les événements de plus en plus troublés du XXe siècle appellent une nouvelle culture qui soit réellement à la mesure le l’homme « pleinement Eveillé ».

Cette dignité nouvelle de l’humain n’atteindra la plénitude le son expression que dans une société libérée de l’égoïsme et de l’illusion de la conscience de soi. Tels sont les fondements lu Zen.

(1) Voir “Le Bouddhisme” par A. David-Neel.

(2) The Way of Zen, by Alan W. Watts, p. 15 (flames & Hudson. ed. London).

(3) The sayings of Lao Tseu, trad. Giles.

(4) La version présentée ici est empruntée à louvrage d’Alan W. Watts

(5) Voir à ce sujet le « Mental Cosmique » par Hsi-Yun, éd. Adyar – Paris

(6) Bergson disait à ce propos que (nous sommes beaucoup plus souvent agis que nous nagissons intégralement nous-mêmes).

(7) D.T. Suzuki le Non-Mental, p. 103.

(8) Voir ici également Krishnamurti. Première et dernière liberté. Ed. Stock – Paris.

(9) Alan W. Watts The Wisdom of Insecurity »,

(10) D.T. Suzuki : Non Mental.

(11) Doctrine Suprême, H. Benoît.

(12) Le Bouddhisme, par A. David-Neel.

(13) Essais sur le Bouddhisme en général et sur le Zen en particulier, par R. Linssen.

(14) Critique de la Raison impure, par C. Suarès. éd. Stock.

(15) Georges Cahen : Les Conquêtes de la Pensée scientifique.

(16) The Path to sadden Attainment, by Hui-Hai.

(17) Voir à ce sujet « Essais sur le Zen », par D.T. Suzuki.

(18) Doctrine Suprême, pair H. Benoit. p. 88.

(19) Buddhism and Zen, by Nyogen Senzaki, p. 38, Philosophical Library – New-York,

(20) idem, p. 37

(21) Essais sur le Zen, par D.T. Suzuki, vol. il p. 119, éd. Trois Lotus.

(22) Doctrine Suprême, pair H. Benoit.

(23) Essais sur le Zen, D.T. Suzuki, vol. III, p. 30.

(24) Expression de Rimbaud.

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Une grande partie de cette bibliographie est empruntée à celle de l’ouvrage fondamental sur le Zen d’Alan W. Watts « The Way of Zen ». (traduction française : éd. Payot)

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