Jean Klein
Un conflit ne peut éliminer un autre

L’instructeur, établi dans le silence, peut répondre de deux manières : soit par le silence, soit par une réponse qui — bien que verbale — prend la forme d’une autre question, plus adéquate pour le disciple et qui doit le conduire au silence, à la plénitude. La réponse qui nous laisse sur un plan mental n’est pas une réponse, elle nous fige et fausse la question posée, tandis que la réponse sous forme de question donne au questionneur la liberté d’aboutir par lui-même à la suprême et vraie réponse qui est silence.

(Revue Être. No 3. 1ère année. 1973)

Le titre est de 3e Millénaire

Depuis les temps les plus reculés, les enseignements initiatiques dans la voie de la connaissance se déroulent sous forme de questions et de réponses. Une question surgit toujours au niveau du moi, entité indépendante. Du point de vue du « silence-plénitude » il n’y a pas de question. Au niveau du moi, nous ne pouvons jamais trouver de réponse, le point de vue du moi est en lui-même un conflit, un conflit ne peut jamais en éliminer un autre. La question posée ne peut amener de réponse que dans un silence vécu, autrement, elle demeure un concept, c’est-à-dire, encore une question, un conflit ; une question juste contient sa réponse si nous la laissons s’épanouir, elle se consu­me et la réponse est obtenue dans une lucidité silencieuse.

L’instructeur, établi dans le silence, peut répondre de deux manières : soit par le silence, soit par une réponse qui — bien que verbale — prend la forme d’une autre question, plus adéquate pour le disciple et qui doit le conduire au silence, à la plénitude. La réponse qui nous laisse sur un plan mental n’est pas une réponse, elle nous fige et fausse la question posée, tandis que la réponse sous forme de question donne au questionneur la liberté d’aboutir par lui-même à la suprême et vraie réponse qui est silence.

Une question surgit toujours d’un sentiment de peur, d’anxiété, d’in­sécurité, et nous ne pouvons jamais résoudre un tel problème au niveau du conflit. Nous sommes conscients d’un doute, nous transcendons donc le doute, la peur, sinon il serait impossible de parler de doute ou de peur. L’Ultime Connaisseur transcende le doute, il ne peut le « constater » : la conscience, l’ultime sujet est au-delà du doute, il est sans peur. Quand cela est profondément reconnu, les énergies qui ont engendré la peur, l’insécurité se résorbent par une démarche à rebours dans l’ultime connaisseur, le silence, et c’est uniquement là que la sécurité, la paix sont vécues. Le silence est être, silence non objecti­fié, non duel.

C’est le guru qui vous apporte toute une gamme d’approches par des questions qui vous sont appropriées, en vue de la découverte de la vérité, ce qui vous donne le sens du discernement. Ce n’est pas un raisonnement comme nous l’entendons généralement quand il s’agit de connaître la structure d’un objet. Ce sont ces approches qui vous permettront de vous dégager de vos moules, de vos prises habi­tuelles, en un mot, le discernement consume vos fonctions mentales, vouées à l’apparition et à la disparition, et vous laisse à un moment donné dans la solitude. Votre vraie nature est solitude et vous ne pouvez la partager avec d’autres, puisqu’il n’y a pas d’autres. La multiplicité est une apparition purement accidentelle; la peur, l’ennui, le manque de saveur existent quand il y a dualité, un moi projeté. C’est le moi qui suscite les activités afin de se trouver satis­fait, en sécurité. Vous allez d’une compensation à une autre. Quand l’image illusoire du moi projeté est reconnue, vous ne recommencez plus à vous projeter et le soi se révèle absolument non duel.

Toute préhension est un geste contracté, toute recherche est toujours entreprise en vue de combler une carence. Cette carence profondément éprouvée fait jaillir en nous le sentiment du droit à la plénitude, au savoir; comme un enfant qui a droit à l’amour de sa mère, à la présence protectrice de son père ou, à défaut, de son envi­ronnement. À travers tous nos problèmes, la question centrale qui se pose est de connaître dans quelle perspective nous pouvons espérer avoir accès à la plénitude, au savoir. Si, après un certain nombre de tentatives, nous n’avons pas obtenu cette plénitude permanente, apparaissent en nous une agressivité, des réactions de défense, et toutes les anomalies qui les accompagnent. Cette lutte, cette agressivité sont considérées par la majorité des gens, par la société, comme étant nor­males. L’homme conséquent avec lui-même, qui n’accepte pas docile­ment cet état de choses, se livre à la recherche, et après un certain nombre d’investigations le chercheur se rend spontanément compte que ce qu’il cherche, ce qu’il considère comme un droit, n’est ni à chercher ni à trouver. Il est lui-même le cherché. C’est l’éveil dans la perspective. Il y a par la suite une invitation fréquente dans le cou­rant de la vie à cette prise de conscience et lorsque nous entrons dans les anciens mécanismes en voulant appréhender le cherché, quand nous prenons conscience de ce mécanisme, celui-ci s’arrête et, de ce fait, nous ne donnons plus d’aliment à la préhension, à la recherche. Les énergies de la recherche dynamique se résorbent dans la lucidité de l’observateur non engagé et le trouvé devient à un moment donné l’expérience vécue ; le chercheur a perdu son dynamisme et il se dé­couvre comme étant le cherché, le trouvé, il est le Soi.

Vous dites qu’il n’y a rien à faire.

Il n’y a effectivement rien à faire, il ne faut pas suivre les anciens schémas qui consistaient à « vouloir faire ».

Comment faut-il procéder pour éliminer les anciens schémas ?

Dès que vous devenez conscient d’un ancien schéma, vous vous situez spontanément en dehors de lui : il se produit un arrêt. Au début, vous vous en rendrez souvent compte après coup, puis la prise de conscience va se déplacer, vous vous en rendrez compte au moment même, c’est-à-dire au moment de la résurgence de l’habitude, jusqu’à élimination complète.

Nous vivons dans un monde d’objets, aucun objet n’est possible sans un sujet. Vous parlez d’un sujet relatif (fonctionnel) auquel vous surimposez un caractère d’entité indépendante. Lorsque vous person­nifiez de la sorte votre véritable nature, vous êtes dans l’erreur, enchaîné. Or, cette nature est « être », absolument non duelle, impen­sable, non conceptible, non objectifiable. Lorsque vous la concevez dans un cadre mental, vous vous en éloignez et la perdez. Quand cette conviction vous envahit, la pensée tombe, les énergies qui l’ont engen­drée se résorbent dans le non-état que l’on peut appeler Sujet Ultime.

La concentration mentale sur une pensée précise, excluant toute autre pensée, est en général désignée sous le nom de méditation. Admettons l’emploi de ce terme. Le but visé est la disparition à son tour de cette pensée unique afin que seule demeure la conscience sans pensée. Il est difficile de donner son adhésion à ce type de démar­che : en effet, une discipline vise toujours un but, un résultat. Nous l’avons déjà dit très souvent, cela revient à projeter un connu actuel pour pouvoir connaître un inconnu. En s’y prenant ainsi, l’inconnu ne deviendra jamais le connu.

La discipline, la concentration sont toujours une fixation sur une chose à l’exclusion de toute autre et cette fixation empêche qu’en dernier lieu cette pensée unique cède et se résorbe dans la conscience. La projection de n’importe quel but prend naissance dans un foyer égotique intéressé et l’obtention d’un pareil but nous laisse toujours dans un cadre conceptuel, de conflit. La conscience, le soi, ne peut être atteint par ce moyen.

La conscience est notre véritable nature, nous pouvons être dépourvus de sensations, de pensées, mais jamais de conscience On ne peut l’atteindre comme un objet. Elle est présence vécue dans l’ab­sence de tout objet, elle paraît s’évanouir avec l’apparition des objets, mais il arrive un moment où elle est présence constante même avec cette apparition.

Pédagogiquement, toute sensation, pensée, sentiment doivent être vus comme objet, soumis à un continuel changement : apparition / disparition. La conscience qui perçoit leurs variations se situe en dehors de ces fluctuations et les objets qui sont de même nature, émanent d’elle, autrement il serait impossible de dire : j’ai été dépri­mé, j’ai eu peur. C’est seulement par l’absence d’une vision claire que la conscience semble également fluctuer ; cela est dû à son intime relation avec les objets. La conscience, toujours ultime connaisseur, ne peut jamais devenir objet d’un autre connaisseur, elle est tout simplement connaissance. Elle seule est Être, connaissance vécue.

Lorsqu’on vous demande : Êtes-vous un être conscient ? Vous répondez sans hésiter oui, sans vous référer à quelque chose d’objectif en vous. L’homme qui se considère comme penseur, acteur, celui qui souffre, comme une entité indépendante, comme un moi personna­lisé, est enchaîné aux objets et imbriqué dans les changements. Il cherche désespérément à en sortir par de multiples moyens, sans s’apercevoir qu’il est conscience sans changement. Si cette compréhension est profonde en vous, vous allez vous situer spontanément. L’accent mis sur les objets se déplacera, les objets ne sont rien d’autre que les révélations de cette conscience.

Quelle est la place de Dieu dans la perspective de l’Advaita-Védanta ?

L’absence d’un moi en vous est présence de Dieu. L’absence d’un moi projeté entraîne une relation non objective sans séparation aucune entre tous les êtres.

L’enchaînement est purement conceptuel, une idée. Notre véri­table nature ne peut jamais être enchaînée. L’objectivation de ce que nous sommes — absolument non objectifiables — obscurcit ce que nous sommes réellement, notre Soi. Nous devons vivre non partielle­ment, mais totalement, sans nous projeter comme un moi, une entité indépendante, autrement il y a toujours conflit entre l’acte spontané et l’entité moi, ce qui produit la sensation d’enchaînement. Vivre spontanément, c’est vivre mû par la conscience-silence, notre person­nalité est alors complètement intégrée en elle, c’est elle qui nous prend en charge. Une pensée spontanée, un acte spontané sont tou­jours une absence de moi.

Le moi-même, le moi est une image projetée, meublée par de nombreuses caractéristiques, ce que nous aimerions être, ce que nous considérons dans cette projection comme étant nous-même. Ceci est comparable à quelqu’un qui se regarde dans une glace et, apercevant ses yeux perçants, ses pommettes saillantes et ses rides, s’identifie avec l’image reflétée par la glace.

L’investigation qui se poursuit sur le vif, absolument non inten­tionnelle, non anticipée, non conduite avec un instrument, une écoute non préhensive, désintéressée, sans projection d’un résultat, prépare le terrain, permettant une perception instantanée de la vérité.

Le doute est toujours une caractéristique de l’expérience indivi­duelle. C’est l’expérience vécue du Je Suis qui permet de voir claire­ment que l’ego n’est qu’une image fantasmagorique. Quand vous doutez de votre propre existence, posez-vous la question : qui est-ce qui doute ? La réponse est toujours : moi, qui suis conscient d’un doute. Notre nature axiale est appréhendée directement, elle n’est pas connaissable objectivement comme : je sens, je suis triste, etc. « Je suis » traduit toujours l’état inconditionné, ce qui transcende l’in­dividualité.

La pensée non sélective nous cause un malaise pénible, nous avons le sentiment qu’il s’agit d’une régression, d’un état infantile.

Vous avez pris l’habitude de localiser le Je Suis, cette objectiva­tion donne un certain poids, un certain dynamisme qui procure une apparente sécurité, une sensation d’assise. La pensée sélective est un dynamisme qui tend toujours vers quelque chose, un résultat, un but. Dans la non-localisation de vous-même, vous éprouvez un vide, comme si l’on vous avait enlevé un soutien, comme quelqu’un qui aurait sauté plusieurs repas et ne ressentirait plus la sensation accoutumée de volume. Il déplore une absence. Il n’a pas encore pris conscience des délices d’un estomac vide. Un mental non meublé n’est plus un mental, il est le soi, paix et joie, ce que vous êtes foncièrement, vous ne pouvez le trouver que dans l’éclosion de la lucidité silencieuse, absolument non duelle. Dès qu’il y a projection d’un moi-même, vous êtes dans le monde des démons. La réalité est obstruée par la présence du monde dans l’état de veille et de rêve, et par son absence dans l’état de sommeil profond. La présence et l’absence doivent se résor­ber pour que la toile de fond devienne expérience vécue.

L’attention silencieuse est une contemplation des choses sans réflexion, sans limitation par une attention rétrécie, sans une fin par­ticulière. Dans cette attention non-préhensive, la dualité sujet-objet s’efface et il ne reste que la lucidité ; ce qui nous permet de nous laisser complètement imprégner par la perception. L’accumulation des idées nous donne le sentiment du moi, nous ne nous sentons jamais sans perception. Vous, en tant que peintre, comprendrez faci­lement un exemple permettant de voir cela clairement ; si vous com­mencez par projeter votre dessin avec les éléments linéaires, les con­tours, il est inerte, c’est un corps sans vie propre, comme la mémoire. Par contre, si vous partez de l’élément masse, couleur, ce sont vos masses qui poussent, précisent lentement leurs limites et leurs con­tours, votre dessin est vivant, il est créatif. Cela illustre la différence entre la pensée discursive, sélective, et la pensée spontanée, non éla­borée par un moi.

La pensée non conceptuelle est une pensée spontanée, comme tout acte qui en découle. Elle est créative, libre, non enchaînée et ne laisse pas de résidus en nous. Créative parce qu’elle est sans schéma, sans moule, et sans résidus, parce qu’elle est non intentionnelle.

Dans un de vos entretiens, vous avez mentionné que la pensée ins­tantanée est intemporelle, qu’elle se produit au moment où l’esprit est vide de toute notion ou opposition. Où se situe-t-elle par rap­port à l’illumination ?

Le terme pensée intemporelle peut donner lieu à un contre­sens, car toute pensée est un mécanisme de défense qui se déroule dans le temps. Nous employons ce mot faute de mieux. Peut-être perception interne serait-il plus juste. La pensée spontanée, instan­tanée, occupe dans une parfaite simultanéité toutes les directions dans l’espace, comme un éclair, et la question qui l’a précédée, éclairée par l’instructeur, perd son squelette, sa substance, elle s’intègre et nous laisse entrevoir clairement la perspective de la vérité … La pensée conditionnée laisse toujours des résidus en nous, la pensée spontanée, non élaborée par un ego, harmonise, structure notre terrain et nous ne le retrouvons plus tel qu’il était avant ce surgissement. Nous pouvons dire que la vision de la perspective précède l’illumination.

Comment pourrais-je favoriser la pensée spontanée, non conditionnée ?

Laissez vivre souvent en vous les modes d’approche qui vous ont été enseignés par votre guru sans vouloir poursuivre un but ou leur arracher une conclusion. Inévitablement, tôt ou tard, les surgis­sements seront plus fréquents. Le discernement, les modes d’approche sont le feu qui consume l’erreur.

Mais le langage a quand même des limitations ?

Bien sûr, le langage a ses limitations, mais la présence de l’ensei­gnant établi dans le soi compense ces limitations du langage et a le pouvoir au bon moment de renvoyer le disciple à lui-même, à ce qu’il est.

Le sujet relatif fait partie de la triade connaissant, connaissance, connu, et n’est pas indépendant. Le sujet connaisseur dépend de l’ultime réalité, le soi qui est sa source, la présence d’un manque ou son absence est mentale, le soi est au-delà, la seule plénitude vécue. Le vide est encore un objet et dépend du connaisseur; on se trouve alors dans une relation sujet-objet. L’absence d’objet, le vide, relève du mental, empêche la plénitude vécue. Le mental est une fonction, engendrée, alimentée par un dynamisme du désir d’être soi. Quand l’intellect utilisé pour la recherche du soi est épuisé, quand il est reconnu comme n’ayant pas de pouvoir, toute activité dynamique est suspendue, résorbée dans l’Être, silence d’objet, plénitude vécue.

Pour rencontrer l’autre, il faut d’abord se rencontrer soi-même, être soi, sa vraie nature, silence éveillé qui a éliminé toutes les agres­sivités et défenses dans une parfaite acceptation. Dans le silence vécu, il n’y a plus de séparativité, il n’y a pas l’autre, on se rencontre dans l’autre. L’autre implique forcément un moi-même. Tant qu’il y a un moi-même, il y a l’autre. Seule leur absence révèle notre véritable nature.

S’exercer à discipliner l’impermanent en vue de l’éveil est un manque de claire vision, l’impermanent fait partie de l’apparition, disparition, mais notre nature foncière est permanente et ne peut être atteinte par des exercices qui s’appliquent à l’impermanent. Les exercices peuvent être pris en considération tant que vous n’avez pas encore pris connaissance de la vraie perspective spirituelle. Quand vous avez saisi la direction, tout exercice, purification, etc., sont une dispersion d’énergie et font barrage à l’éveil. Notre vraie nature est Être, au-delà des changements auxquels ces exercices peuvent unique­ment se rapporter. Alors pourquoi y avoir recours ? Dès que vous êtes orienté vers votre nature axiale, l’harmonisation se poursuit naturellement, le corps retrouve sa propre loi, sinon ce serait tout simple­ment le remplacement d’un conditionnement par un autre.

Nous sommes ce qui précède la pensée et la suit, ce qui lui donne son support, nous sommes la page blanche sur laquelle les impressions s’inscrivent. Déclencher nos pensées et compter sur elles pour la découverte de la vérité est à l’opposé de ce que nous devons faire, s’il y a encore quelque chose à faire.

La joie, la sécurité, le sens de la liberté découlent de ce que nous sommes foncièrement, du « je suis pure conscience ». Cette nature n’est pas soumise aux changements, le changement peut seulement être attribué à des catégories d’objet : corps, pensée, sentiment. La conscience étant liée aux changements, une vision erronée lui attri­bue également ces changements. La connaissance n’est pas une fonc­tion, c’est seulement après la cessation de toute fonction que nous pouvons dire : je connais, je suis. La connaissance existe quand la fonction est complètement résorbée dans être connaissance, Je suis. Celui qui est établi dans le Je Suis non conceptuel ne fait aucune tentative pour l’expérimenter ou pour le connaître objectivement, autrement que dans un état d’être ; le Je Suis est ce que l’on sait le mieux et, à proprement parler, la seule chose que l’on puisse con­naître.

L’ego est une fraction, un objet comme un autre, il est le nœud de la dualité et son expérience est toujours une combinaison apparente de lui-même et de l’autre.

L’identification avec les sens et le mental nous lie aux objets grossiers, aux idées, aux concepts. L’accent doit être mis sur le perci­pient, l’ultime sujet, la conscience.

La non-distinction est notre véritable nature, non localisable mais, pédagogiquement parlant, dans une première approche de la vérité, la distinction doit être pleinement visée. C’est seulement quand la nature des éléments distincts est complètement reconnue, péné­trée, que la distinction se fond dans la non-distinction, la plénitude d’une expérience vécue, seule existante.

La perspective spirituelle reconnue et enseignée par le guru amène harmonieusement le transfert du dynamisme de la pensée, de la volition, vers son centre axial. Nous sommes sans cesse détournés de la perspective spirituelle par le dynamisme de la pensée. Celle-ci répugne à la démarche à rebours où le cherché s’avère identique au trouvé, où il se résorbe en lui. La pensée nous quitte comme une feuille morte quitte la branche et l’attention non orientée est envahie par la grâce, devient éveil vécu. Nous connaissons tous des moments où, d’une manière inattendue, nous sommes envahis par le bonheur sans qu’il y ait une cause apparente. Le passage du sommeil profond à l’état de veille peut être un de ces moments privilégiés.

La mémoire est une faculté mentale, un reflet du soi, mais notre véritable nature, l’expérience vécue est toujours instantanée, elle ne peut se mémoriser. Nous pouvons seulement nous rappeler les antécé­dents qui nous ont amenés à faire l’expérience du soi, mais la pléni­tude, la joie propre au soi est toujours actuelle et il n’y a rien à con­naître.

Vivre profondément avec l’apparition du désir soudain et le laisser glisser, couler dans la racine de tout désir.