Taisen Deshimaru
Le grand cercle

L’un des textes sacrés préférés de Maître Deshimaru était le Shodoka ou Chant de l’Immédiat Satori. Composé de 78 poèmes, il a été écrit par Maître Yoka en Chine au VIIe siècle de notre ère. Pur joyau poétique et spirituel, considéré comme l’un des textes fondamentaux suscités par l’expérience de la pure liberté originelle vécue par l’esprit et la pratique du Zen, le Chant de l’Immédiat Satori a été traduit et commenté par Maître Deshimaru. En voici le dernier poème et les réflexions le concernant.

(Revue Question De. No 48. Juillet-Août 1982)

L’un des textes sacrés préférés de Maître Deshimaru était le Shodoka ou Chant de l’Immédiat Satori. Composé de 78 poèmes, il a été écrit par Maître Yoka en Chine au VIIe siècle de notre ère. Pur joyau poétique et spirituel, considéré comme l’un des textes fondamentaux suscités par l’expérience de la pure liberté originelle vécue par l’esprit et la pratique du Zen, le Chant de l’Immédiat Satori a été traduit et commenté par Maître Deshimaru aux éditions Retz. En voici le dernier poème et les réflexions le concernant.

Même si un grand cercle de métal
se met à tourner au-dessus de ma tête,
la clarté parfaite de jo-e demeure toujours.
Même si le soleil devient froid
ou si la lune se réchauffe,
malgré les nombreux démons,
la vraie doctrine reste indestructible.
Le char de l’éléphant
avance lentement sur le chemin,
comment la mante religieuse pourrait-elle
refuser le passage à ses roues?
Le grand éléphant ne joue pas
sur le sentier des petits lapins,
un grand satori
est au-delà des petits honneurs.
Ne juge pas de l’immensité du ciel bleu
en le regardant à travers une paille.
Si tu n’as pas encore la compréhension
je te confirmerai maintenant
plus profondément.

On court toujours après quelque chose, on aime une chose, on en déteste une autre, on souffre, on est content, on est pauvre, on est riche, on veut obtenir quelque chose, on est déçu…, toute notre vie quotidienne est faite de poursuites et de fuites. Mais même si la terre change, même si tout le cosmos se transforme complètement, nous devons toujours réaliser que c’est comme une bulle dans l’océan : garder une grande confiance embrassant toutes choses ; notre conscience et notre esprit ne doivent être influencés par aucun changement extérieur, aucun objet extérieur. Alors, même si un grand cercle de métal se mettait à tournoyer au-dessus de notre tête, nous ne serions pas surpris. Ce cercle de métal peut symboliser les complications de notre cerveau ou un pouvoir très fort sur notre conscience. Nous ne devons pas nous laisser surprendre ou influencer par ce choc. Pour tout le monde, cela est très difficile à mettre en pratique. Si on vous menace d’un pistolet sous le nez, vous lèverez automatiquement les bras…

Une nuit, un voleur pénétra dans une maison ; le fils de la maison s’éveilla et, furieux, se jeta sur le voleur qui s’échappa ; mais il le rattrapa et ils se mirent à se battre. Le voleur avait le dessus et menaçait le garçon avec son couteau. À ce moment, le père survint, armé d’un gros gourdin ; il frappa le voleur qui était au-dessus de son fils, mais il le frappa si fort qu’il tua son fils en même temps. Les gens formèrent un attroupement autour d’eux, la police vint et constata que rien n’avait été volé. Tragi-comédie jouée par trois fous, pensèrent-ils.

Inutile de se passionner et de s’emporter pour de petites choses. Nous ne devons pas pleurer ou souffrir à cause d’événements de peu d’importance.

Le Maître Zen Ryokan vivait dans un petit ermitage de montagne. Une nuit, un voleur entra, mais il ne trouva rien à voler. Néanmoins, avant de partir, il s’empara de la couverture de Ryokan qui avait l’air profondément endormi, et s’enfuit. Ryokan l’avait vu, mais était resté immobile comme un mort. Après un moment, ayant froid, il se leva et écrivit un court poème, un haïku :

« Laissée par le voleur
la lune
par la fenêtre »

Le voleur et le moine

À l’ère Meiji, vivait un très fameux moine amidiste, Maître Kôjun Shichiri. Un voleur s’introduisit dans son temple et vint le menacer :

« L’argent ! »

« L’argent ? j’en ai beaucoup. » Il lui apporta une pleine cassette et dit : « Je vous remercie beaucoup car j’ai trop d’argent : aujourd’hui on m’en a justement donné, emportez-le, je vous en prie. »

Le voleur reçut un très grand choc :

Je peux tout emporter ? Vraiment ?

« Bien sûr, vous devez tout emporter. » Le voleur, très impressionné, s’apprêtait à repartir, mais Kôjun lui dit :

« Attendez, attendez, votre vêtement n’est pas très épais et la nuit très froide. J’ai justement reçu hier d’une personne décédée un très bon vêtement très chaud, je vous en fait don. »

Le voleur le prit et le mit dans son sac avec l’argent.

Attendez un moment encore. »

« Quoi ? Que voulez-vous encore me donner ?

Je n’ai plus rien à vous donner, mais vous avez reçu quelque chose et vous devez me remercier. »

Après quelque temps, ayant commis de nombreux autres larcins, le voleur fut arrêté par la police et avoua ses vols. Kôjun fut convoqué au bureau de police et confronté au voleur. Quand les policiers eurent entendu le récit du vol, ils dirent à Kôjun : « Vous ne devez pas aider les voleurs! » Mais il leur répondit : « Je ne connais pas de voleur qui soit entré dans mon temple. »

« Vous ne connaissez pas cet homme ? »

« Mais si, un jour cet homme est venu dans mon temple, je lui ai fait un présent, et il m’a remercié avant de partir. »

À ce moment, le voleur fut encore plus impressionné, et remercia spontanément Kôjun. Il pleura, fut très profondément choqué et troublé, connut une grande révolution intérieure.

Ne pas être influencé

Le satori n’est pas un acte intellectuel. Il fut dans ce cas provoqué par le choc de sa rencontre avec un homme comme il n’en avait encore jamais vu. Son esprit changea complètement. En prison, il prit la décision de ne plus jamais voler jusqu’à sa mort ; il devint un prisonnier modèle, travailla durement et ne cessait de penser à ce Maître.

Tous les jours, il le remerciait pour ce qu’il avait fait : sa vie était devenue lumineuse. Après avoir purgé trois des cinq années auxquelles il avait été condamné, il fut libéré ; il se rendit aussitôt au temple de Kôjun et lui demanda de devenir son disciple. Kôjun accepta et en fit même son intendant, son trésorier.

De toute sa vie, il ne vola plus, pas même un yen et fut son disciple fidèle jusqu’à sa mort.

Jo-e. Jo, dhyana, signifie pratique, stabilité par le zazen, devenir fort par le zazen, sans mouvement, sans être influencé.

E = sagesse.

Quand les deux sont unis et complets, jamais ils ne peuvent disparaître. Cela signifie qu’un mot, une phrase sont au-delà de milliers de mots et de phrases.

La vérité ne peut être détruite par rien, pas même par toutes les forces du mal réunies. Exactement comme lorsqu’un éléphant marche doucement et tranquillement sur le chemin et qu’une toute petite mante religieuse veut empêcher sa progression, ou qu’avec sa minuscule force, elle veut stopper la roue d’un char.

Un homme qui connaît la vraie liberté ne peut être attaqué par personne, perturbé ou influencé par rien, car il suit la force cosmique. Il est comme un grand éléphant et ne veut pas jouer sur le sentier des lièvres. Ses pensées sont au-delà de celles des hommes du commun ; les hommes du commun ne peuvent déranger l’ordre cosmique, ils essaient de le faire, en vain, et y perdent leurs forces. Car le pouvoir cosmique protège l’homme du satori. L’homme du satori ne s’intéresse pas aux honneurs ou à la morale du moraliste. Aussi ne devons-nous pas critiquer ou juger la vie cosmique avec des opinions et des catégories étroites comme lorsqu’on regarde le ciel à travers une paille.

Nous devons être au-delà de notre civilisation et de l’histoire de toute l’humanité. Si vous n’avez pas compris ce que je vous ai exposé, je dois vous donner le kyosaku, c’est ce que signifient les derniers vers de Yoka Daïshi. Vous devez entrer dans vos intestins et je déciderai votre éveil, ici et maintenant. Ce dernier vers est comme la résonance d’un coup de gong.

Si vous n’avez pu trouver l’éveil par mon poème, si vous n’avez pu confirmer votre Voie, je ferai la décision dans votre intestin.

Dernière note qui résonne à la fin du Shodoka.

Inutile de limiter ce poème par le langage, les mots et les phrases. Nous devons trouver la vérité au-delà du sens des mots.

On ne peut tout expliquer de la vie cosmique et de l’essence du Zen par le langage.

Il reste la résonance…

Mes commentaires non plus ne sont pas complets mais, homme sage, s’il te plaît, éveille-toi à la vérité de la Voie globale, cosmique et universelle !

NE REGARDEZ PAS EN ARRIÈRE

La phrase suivante est très importante, elle m’a permis de comprendre le zazen : « Avec tout votre corps et votre esprit, vous précipitant dans Komyozo zanmai (l’ordre cosmique, Dieu, Bouddha, le monde invisible) ne repoussez pas Mayoi, l’illusion. Ne haïssez pas les pensées qui surgissent ». Nen est une pensée instantanée. (Munen Muso est la non-pensée. So est le fait de considérer. Nen est une pensée courte). Mais ne les aimez pas non plus et ne les entretenez pas. (Je dis toujours qu’il ne faut ni fuir ni poursuivre). De toute façon, vous devez pratiquer la grande assise ici et maintenant. Si vous n’entretenez pas la pensée, celle-ci n’apparaîtra pas d’elle-même. Il ne restera plus qu’un zafu sous le ciel vide ou le poids d’une flamme — qui ne pense pas : « Je suis une flamme, je dois continuer à flamber » — si vous vivez en accord avec votre expiration et votre inspiration.