L.C. Beckett
Le Lankâvatara Sutra et l’Espace-Temps

Si tout — nous-mêmes inclus — n’est que le Mental, comment pouvons-nous le connaître ? Il a généralement été accepté comme le privilège de l’homme, mais ni les grecs lorsqu’ils le nommèrent « nous »; ni les chrétiens qui l’attribuait à Dieu; ni le biologiste lorsqu’il étudie le cerveau; ni le psychologue lorsqu’il parle de « Mental inconscient », n’ont été capable d’expliquer ce dont il s’agit, ni où il se trouve. Si nous acceptons l’idée de la Lankâvatara Sutra, en supposant que nous la regardions radicalement d’un autre angle, et qu’au lieu de considérer le mental comme la faculté créatrice par laquelle l’homme façonne le monde autour de lui, nous le tournions dans le sens opposé et regardions l’univers, le monde et tout ce que nous connaissons n’importe où et par n’importe quel moyen — la vie elle-même — comme quelque chose de non-né, parce qu’elle a toujours été — ou plutôt pas « été » — dans le sens où nous utilisons ce mot. Supposons que nous ne soyons ni des atomes, ni de l’énergie, ni des dispositifs de l’espace- temps, ni la vie, ni la conscience, mais le Mental-unique, qui a toujours été, est et sera, comme l’affirme le Lankâvatara Sutra ? Il déclare que ce n’est que notre ignorance qui nous fait établir une distinction entre ce que sont seulement des fantaisies.

(Revue Etre Libre. Numéros 184-186, Avril – Juin 1961)

Je crois qu’il serait intéressant de considérer où  notre connaissance actuelle de la cosmologie et de la  physique a placé nos croyances religieuses de l’ouest, et  si, dans le sens où elle a toujours été utilisée, l’idée  religieuse peut encore jouer un rôle dans notre vie.

Il est important que nous comprenions ce que nous  voulons dire lorsque nous utilisons le mot « religion ».  S’il veut dire croyance dans un Etre transcendant qui a  créé et qui gouverne nos vies, et dans tous les dogmes qui  ont été érigés autour de cette idée dans des formes variées  de dieux, dont le culte est nécessaire à notre bien-être, une  telle religion est probablement inacceptable à quiconque a  fait une étude approfondie des événements naturels dans  quelque forme que ce soit. Nous apercevons que le monde qui  nous reste encore à connaître est beaucoup plus vaste  que celui qui a été conçu par n’importe quelle foi. Peut-être qu’en nous libérant de toutes les conclusions du passé,  nous pourrons atteindre une nouvelle compréhension de  ces choses. Toutefois, en regardant la question d’un  autre angle, nous devons nous souvenir que le mot « religion » ne veut pas dire croyance dans une doctrine  quelconque, mais est dérivé du mot latin «  religare », qui veut  dire : lier ou rattacher. Pris dans ce sens, notre religion,  aujourd’hui, devrait entrer dans une phase de plus  grande réalité que jamais, et qui n’est nullement réfuté  par la science. C’est exactement ce qu’Einstein a passé sa vie  à poursuivre : le Champ Unifié. Pour ceux qui ont étudié  le Bouddhisme Mahayana, cette idée n’a rien de  nouveau, puisque le concept de « Pas-deux » lui est  fondamental, un « religare » complet.

Avec ces idées en tête, j’aimerais considérer de  quelle façon la connaissance scientifique pourrait présenter  des faits qui confirmeront l’approche métaphysique du  Bouddhisme Mahayana.

Personnellement, je crois qu’ils  pourront se rencontrer à mi-chemin, et ainsi la religion,  au lieu d’être une barrière sur notre chemin vers la  compréhension complète (prajna), pourrait devenir une aide à  l’homme de science dans sa recherche de la vérité.

Dans notre tentative pour comprendre la véritable  nature de ce que nous appelons « religion », et le rôle  qu’elle joue dans nos vies, nous devrions commencer  par obtenir d’elle une vue aussi objective que celle que nous  pouvons avoir des événements biologiques ou physiques, en  détachant nos esprits de toutes croyance; héritées,  qu’elles soient occidentales ou orientales. Après avoir  fait ceci, le prochain pas consisterait à découvrir la  signification de l’homme lui-même dans l’image de  l’univers, que la cosmologie et la physique nous  exposent aujourd’hui. Quoiqu’il soit en « réalité »,  l’homme est une partie du schéma de l’univers; mais  pour pouvoir apprécier sa nature réelle, il nous faudrait  commencer à effacer de notre mental les habitudes que  nous avons entretenues depuis les temps immémoriaux,  de regarder du côté de la religion pour nos  consolations, explications, pacifications de nos peurs,  désirs de continuité… toutes ces fantaisies sur lesquelles toute  religion a érigé ses Dieux, ou cieux, sous n’importe quelle  forme. Toutes les réponses à nos prières que nous avons  trouvées dans les sphères transcendantales, sont  purement des réponses à nos désirs, « tanha », comme  l’appellent les Bouddhistes, le désir de combler l’inconnu —  dont nous nous trouvons entourés et qui a toujours rempli  l’homme de terreur — par un personnage à qui l’on  pouvait s’adresser pour être aidé.

Je ne désire pas impliquer que mon propre mental n’est pas  conditionné de la même façon — il est très difficile de  changer des croyances séculaires — et, jusqu’à présent, qui  peut prétendre expliquer un univers qui est dans un  processus constant de création hors du rien ? Mais,  d’un autre côté, lorsqu’on se sent incliné à accepter la vieille idée d’une création à un  moment particulier du temps (beaucoup s’y accrochent  encore, et non seulement les pieux), il y a quelque chose au  fond de quelques-uns de nous qui nous dit que ceci ne  peut être conforme avec les faits. Cependant, afin de  recevoir une nouvelle conception, nous devrons essayer de  nous imaginer ce que nous ressentirions si nous étions  en dehors du temps et de l’espace, de cause et effet,  une partie de quelque chose qui n’a pas de  commencement et n’aura pas de fin, en dehors de quoi  rien ne peut parvenir, un état dans lequel distance ou  proximité n’ont pas de signification. En suggérant une  telle condition, je me rappelle une idée qui est fondamentale du  Lankâvatara Sutra : « En plus, Mahamati, selon l’enseignement  des Tathagatas du passé, du présent et du future, toutes choses  sont non-nées.

Pourquoi? Parce qu’elles n’ont aucune réalité,  étant des manifestations du Mental lui-même, et  Mahamati, puisqu’elles ne sont pas nées de l’être ou du non-être, elles sont non-nées » [1].

Si tout — nous-mêmes inclus — n’est que le  Mental, comment pouvons-nous le connaître ? Il a  généralement été accepté comme le privilège de  l’homme, mais ni les grecs lorsqu’ils le nommèrent « nous »; ni les chrétiens qui l’attribuait à Dieu; ni le biologiste  lorsqu’il étudie le cerveau; ni le psychologue lorsqu’il  parle de « Mental inconscient », n’ont été capable  d’expliquer ce dont il s’agit, ni où il se trouve. Si nous  acceptons l’idée de la Lankâvatara Sutra, en supposant  que nous la regardions radicalement d’un autre angle, et  qu’au lieu de considérer le mental comme la faculté  créatrice par laquelle l’homme façonne le monde autour de lui,  nous le tournions dans le sens opposé et regardions l’univers,  le monde et tout ce que nous connaissons n’importe où  et par n’importe quel moyen — la vie elle-même —  comme quelque chose de non-né, parce qu’elle a  toujours été — ou plutôt pas « été » — dans le sens où  nous utilisons ce mot. Supposons que nous ne soyons ni  des atomes, ni de l’énergie, ni des dispositifs de l’espace- temps, ni la vie, ni la conscience, mais le Mental-unique, qui a  toujours été, est et sera, comme l’affirme le Lankâvatara Sutra ?  Il déclare que ce n’est que notre ignorance qui nous fait établir  une distinction entre ce que sont seulement des fantaisies. En  supposant que tout ce que nous savons est une création  de nos sens, des images « comme la citée des  Gandharvas où des   enfants voient des  personnes créées magiquement, des marchands et bien  d’autres, qui entrent et qui sortent, en s’imaginant que  ce sont des personnes réelles qui entrent et sortent »,  comme nous l’assure le Lankâvatara ? Et puis il ajoute  des mots auxquels je vais me référer par la suite : «  C’est à cause de cette distinction, qui est caractérisée par une perturbation, que de telles choses se passent [2].

En essayant de comprendre quelque chose de ce  que nous pourrions être en « réalité », j’aimerais  commencer par un examen de cette « Citée des  Gandharvas » à travers les yeux de l’homme de science  moderne. Afin de pouvoir le faire, il sera nécessaire de  faire une excursion dans le plus lointain et le plus  proche, le plus grand et le plus petit connu à présent  par l’homme. Aucun aspect ne peut être omis, si nous  voulons nous éveiller de nos illusions et voir ce qui est.

En commençant par Einstein, l’un des plus grands  hommes de la science moderne, jusqu’à la fin de ses  jours, il n’a jamais cessé de chercher après un concept  qui devait unifier tout le domaine de la physique, et  son plus grand accomplissement est sans doute la  théorie du Champ-Unifié. C’était là le point culminant  de siècles de recherches dans les secrets de la nature,  dont les premiers pas étaient les découvertes de  Copernic, Galilée et Newton. Deux cents ans après la  découverte de la gravitation, vint la découverte des nonante-deux éléments fondamentaux au cours du 19e siècle (suivi plus  tard par plusieurs autres), et culminant dans notre siècle par  la découverte que l’hydrogène n’est pas une particule  simple mais double, composé de forces positives et  négatives : le proton et l’électron — qui sont la base de tous les  autres éléments. Après cela vint la théorie quantique, et  dans les quelques dernières années les trente particules  élémentaires au dedans du noyau atomique — et ceci n’est pas  nécessairement la dernière parole. Au dedans de toutes ces  forces matérielles, et les contrôlant, on a trouvé diverses  manifestations électromagnétiques, des forces et radiations  nucléaires de toutes sortes, mêlées avec ce que  j’appellerai des réalités « mathématiques » : l’espace-temps et l’énergie.

Dans cette théorie spéciale de la  gravitation, Einstein a démontré l’équivalence de la  matière et de l’énergie, qui a été depuis les grecs  l’aspect double de la nature. Et finalement sa théorie  du Champ unifié a culminé dans l’idée que l’univers  entier est un champ élémentaire, dans lequel chaque étoile,  chaque atome, chaque comète errante, galaxie tourbillonnante  ou chaque électron tournoyant ne sont que des  ondulations ou des rides dans le continuum  fondamental de l’espace-temps ! [3] Est-ce là la fin ?  Je ne le crois pas, car il y a ici encore dualité; l’unité  n’a pas encore été réalisée de cette manière. Et en fin  de compte, nous devons admettre que quoique nous  partions de « champs », ou forces, ou de galaxies, ou  neutrons, ils sont tous des constructions du mental humain,  hors du continuum espace-temps, dans lequel nous nous  trouvons. Ils ne sont pas une expression d’unité, il n’y a  non plus aucune certitude que quelqu’un sur une autre  planète verrait les choses dans la même lumière.

Il semble ne pas avoir de limites aux faits que la  science est en train de découvrir de plus en plus chaque année.  Par exemple, partant d’ondes avec 10.000 fréquences par  seconde, que nous connaissions au début de ce siècle, nous  sommes montés à travers les ondes radiophoniques,  infrarouge, les rayons X et tout le reste, jusqu’aux rayons  cosmiques comprenant des ondes électromagnétiques avec un  nombre de vibrations de 10 suivi de 24 zéros par seconde. Et  qui sera assez téméraire pour affirmer qu’il n’y a rien de  plus au delà? Naturellement, ceci n’est que la limite  atteinte par les instruments construits par l’homme, et  en nous référant au Lankâvatara, nous sommes obligés  de reconnaître que ce que nous en savons n’est dû tout  bonnement qu’à notre « discrimination caractérisée par des  perturbations dans l’air ».

Tout ce que l’homme sait est le résultat de l’impact  sur ses genres particuliers de sens (ce que le Mahayana  nomme « Skandhas ») par ce que, faute d’un meilleur  nom, nous nommerons des « rayons ». Les noms que nous  donnons sont purement pour notre propre direction; une  supernova ou un neutrino ont autant de droit d’être ce  que nous croyons qu’ils sont, que les signes du  zodiaque avaient pour les peuples anciens : ils ont  projeté des configurations sur les groupes d’étoiles et  cela les a aidé de naviguer leurs bateaux ou lire leur avenir.  Nous appelons une émission soudaine et violente de  lumière dans quelque étoile lointaine une « supernova   », mais nous ne pouvons que présumer les raisons de  ceci, par nos études de l’évolution de l’hydrogène. Et si  c’était partie d’une loi universelle pour la production  des éléments plus lourds nécessaires dans le schéma des  choses, peut-être même des molécules de vie ? Ceci nous  ne pouvons pas le savoir, et si nous examinons tous les concepts fondamentaux sur lesquels  l’homme de science base ses idées de l’univers, nous  découvrirons qu’ils sont tous fondés sur les lois de cause et  effet faits par les hommes. Le continuum d’espace-temps  d’Einstein n’est après tout que la charpente sur laquelle  le mental de l’homme a construit le monde dans lequel  il vit, mais de nouveaux aspects de la chose en question  émergent continuellement. Par exemple : Il y a quatre  ans, deux Chinois-Américains ont découverts dans les plus  faibles réactions, les pi-mésons, des signes démontrant  qu’il n’y a en eux aucune symétrie droite-gauche,  comme elle a été trouvée dans toutes les autres particules, un  fait qui renverse l’idée de la parité, une des croyances les plus  sacrées dans la science physique, et ouvre tout un vaste  domaine de possibilités. Mais derrière tout cela se trouve  peut-être caché quelque chose qui peut être regardée comme «  réel », et c’est pour cela qu’il est nécessaire que j’approfondisse  un peu plus le point de vue scientifique des choses.  (Traduit de l’anglais.)      (A suivre.)

Le Lankâvatara Sutra et l’Espace-Temps par L.-C. BECKETT.
(Revue Etre Libre. Numéros 187-189, Juillet-Septembre 1961)

Tout d’abord j’aimerais considérer la question de  temps dans l’univers. A mon point de vue, il existe  apparemment deux aspects de dimension de temps : celui qui  est compté par la vitesse à laquelle voyagent les rayons de  lumière et que nous appliquons à toutes nos mesures du  temps, qu’elles soient grandes ou petites, et qui à un ordre à  sens unique; et un temps en profondeur. Mais même ce que  j’appellerai temps normal, examiné avec soin, ne  représente rien de réel à nos esprits; ce n’est qu’un  concept. En prenant, par exemple, le temps cosmologique : la  galaxie la plus éloignée, que nous pouvons apercevoir  avec le télescope le plus grand, avait pris 3.000  millions d’années lumière pour nous atteindre. Cela  veut dire : que la lumière, voyageant à 300.000  kilomètres par seconde, avait quitté sa source il y a 3.000  millions d’années. Récemment, à l’aide du télescope de 200 pouces  du Mont Palomar, Rodolph Minkovski a photographié un  point de lumière qui parait avoir pris origine il y a  six milliards d’années lumière ! [4] Le Professeur Lyttleton, un de  nos astronomes les plus renommés, va plus loin encore, il  déclare : « il y a lieu de croire que cette distance   (3.000 millions miles) ne soit qu’un tiers de l’ultime  distance à laquelle nos observations puissent jamais  pénétrer, quelques soient les moyens qui puissent encore être  inventés » [5]. Mais ceci sont nos limitations terrestres, et nous  serons empêchés de voir plus loin à cause de la rapidité  toujours croissante des corps se trouvant à la limite de  l’espace, en raison de l’expansion de l’Univers. Nous  devons nous rappeler que nous voyons peut-être la  lumière d’étoiles éteintes depuis très longue date.

Est-ce que ces vastes chiffres disent quelque  chose pour ce que nous appelons l’homme de la rue ?

Le mathématicien les crée je suppose donc qu’ils ont un  sens pour lui, et il pourrait même être d’accord avec  Jeans, que le monde a dû être la création de l’esprit  d’un mathématicien ! Mais pour moi ce ne sont que de  vastes chiffres ayant autant de réalité que la création  du monde en sept jours du premier chapitre de la  Genèse. Je peux tout autant m’imaginer l’éternité comme  étant six milliards d’année: lumière, et c’est pour cette  raison que j’en ai parlé. Aussi, en parlant du temps que ces rayons prennent pour nous  parvenir. On dirait que la terre est leur objectif — ce qui n’est  naturellement pas le cas. Nous sommes tout simplement  un point sur le chemin des radiations de lumière en  toutes directions, pas même un obstacle. Supposons que la  lumière elle même est tout simplement et que toutes ces  mesures ne veulent absolument rien dire?

En nous tournant vers l’autre bout de l’échelle : un neutron  qui avec le proton constitue le noyau atomique, s’altère  en un milliardième de milliardième de secondes [6] et  l’hyperion (une des trente nouvelles particules fondamentales) se transforme en un proton et un pion  dans un millième de millionième de seconde [7]. De telles  durées sont aussi inconcevables que l’étaient les vastes  dimensions du temps cosmologique.

Nous avons considéré le temps; mais que se passe-t-il pour  l’espace ? Ici aussi nous sommes confrontés par  quelque chose qui dépasse nos rêves les plus insensés. Pour  observer l’infiniment grand, les astronomes mesurent  l’espace par ce qu’ils appellent des « parsecs ». Un  parsec égale 19.200 miles suivis par neuf zéros. Mais ceci  n’est pas tout; il y a des mégaparsecs qui valent un million de  parsecs. L’étoile la plus proche de nous ne mesure qu’un  parsec [8]. Le reste défie toute description.

Au côté inférieur de l’échelle : l’unité de mesure  du biologiste est le micron, généralement appelé un «  mu ». La chose vivante la plus grande dont nous avons  connaissance est 1.000 millions fois plus grande que la  plus petite et le « mu » est au bout inférieur de cette  immense étendue; il vaut un millième de millimètre. La chose la plus petite qu’un microscope  peut découvrir vaut à peu près 1 /3 d’un « mu » [9].

Le monde du physicien est plus petit que celui du  biologiste. L’unité de mesure est un angström, qui est 1 /   1 0.000o d’un « mu ». Un atome d’hydrogène est  un angström. Pour citer J.-Robert Oppenheimer, le  noyau d’hydrogène est de l’ordre de 1 / 10.0000 d’un  angström, et ceci n’est pas la plus petite parcelle connue. Il a été  possible d’étudier des structures qu’on mesure en unités d’un  cent millième d’un angström, appelées « fermi » [10].

Je crois que ces faits sont suffisants pour démontrer la  vérité de ce vieux adage chinois : « Le très petit est comme le  très grand lorsque les frontières sont oubliées; le très  grand est comme le très petit lorsqu’on ne voit pas ses  contours » [11].

Qui peut dire que, soit le méga parsec, soit le  fermi, soient les « réactions » ultimes du plus grand ou du  plus petit que nous connaîtrons jamais ? Il y a trente ans,  Eddington estimait que l’homme était en grandeur un peu  plus proche de l’atome que de l’étoile [12]. A peu près 1027 atomes (10 suivi de 27 zéros, pour le non-mathématicien) constituent son corps, à peu près 1028 corps humains constituent assez de matériel pour construire une  étoile. Mais depuis lors nous avons peuplé le proton avec trente  particules inimaginablement plus petites, donc nous sommes  peut-être à présent plus proches des étoiles ? Mais nous  ne sommes cependant rien que des atomes en ce qui concerne  notre univers galactique — à peine un angström comparé  à la totalité de l’univers.

Comme je sens qu’il est aussi difficile pour nos  esprits de comprendre un univers avec un million de  millions de galaxies, que d’avoir une conception de  l’infini, je crois qu’il serait plus facile d’imaginer ce que  sont notre véritable place et notre proportion lorsque nous  étudions quelque chose d’un peu plus proche de nous et pas  tout aussi vaste, c’est-à-dire notre univers galactique (la  voie lactée, comme nous le nommons), et plus particulièrement  notre système solaire, qui, parlant du point de vue cosmologique, ne couvre effectivement qu’une très  petite quantité de l’espace. En fait notre terre a été  décrite comme « menue ». Mais même ici, sur notre  continent cosmique, la terre est éloignée de 93 millions de miles du soleil, et Pluton, appartenant  à ce même système solaire, est éloigner de nous de quatre mille  millions de miles. Dans la voie lactée, notre voisin le  plus proche, Alpha Centauri, est éloigné de plus de  vingt milliards de miles, et sa lumière prend quatre  années et demie pour nous atteindre. Mais notre soleil  et Alpha Centauri sont des membres très médiocres de  cette vaste galaxie de configuration spirale, qui contient cent  mille millions d’étoiles; séparées pour la plupart par des  distances aussi énormes que celles qui nous séparent de notre  voisin. Néanmoins le système entier de notre galaxie  avec ses milliers de millions d’étoiles, séparés d’une  distance de milliers d’années lumière, est tenu ensemble  par son propre champ de gravitation et se déplace à travers  l’espace interstellaire avec une vitesse de 45.000 miles par heure,  tout en tournant sur lui-même (mais cette dernière question  est un problème qui déconcerte encore les  radioastronomes).

Je crois que ces faits, qui sont de notre propre  domaine, rendent plus clair que n’importe quelle autre  chose, que le temps et l’espace, en tant que mesurés par  nous, ne veulent en réalité rien dire; nous les avons  simplement décrits par des définitions que le Lankâvatara  condamne. S’il m’a été possible de transmettre quelque chose  qui en réalité ne peut tomber que sous la conception de  TATHATA (Suchness = ainsité) telle était mon  intention. Hoyle le résume merveilleusement lorsqu’il  dit : « Pour l’instant l’investigation par l’homme de  l’ultra-petit se termine en un mystère, l’infiniment  grand se différenciant de l’infiniment petit par un  nombre énorme que nous ne pouvons guère concevoir : 1 suivi de 40 zéros ! » [13]. Il exprime « l’espoir que les  deux bouts de cette énorme étendue deviendront  étroitement reliés ». Peut-être que les paroles de la  Katha Upanishad se révéleront littéralement vraies, et le plus  grand que le grand et le plus petit que le petit seront  découverts dans le cœur de l’homme ?

Et ceci m’amène à la question de ce que nous sommes  entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Au début  de ce siècle, la vie était considérée comme la propriété  particulière de cette terre. Lorsque j’étais jeune, la terre  était envisagée comme la création spéciale du Créateur. A présent, l’on nous dit  que les biologistes et biochimistes considèrent la question  des origines de la vie sans importance. Ils considèrent la  matière vivante et non-vivante comme formant un  continuum. Le Professeur Bernard Lovell [14] dit que: « The basic problem in the origin of life concerns the formation and duplication of complex molecules and that the current evidence is overwhelming that the earth and planets were not formed in a molten state but by an accretion of solid bodies. In the final stages of accretion, the outer layers remained cool and if any complex molecules or organisms already existed in the dust cloud they retained their identity ».

Etant donné que toute espèce d’atome peut être  trouvée n’importe où dans l’univers (Hoyle dit que les  atomes de fer dans nos couteaux sont les mêmes que ceux  existant dans une supernova), il est fort probable que ces  organismes complexes à partir desquels la vie est formée  pourraient aussi exister n’importe où. Le Professeur  Lovell dit : « La cosmogonie moderne peut accepter  une situation dans laquelle la plupart des étoiles de la voie  lactée ont des systèmes planétaires similaires à la notre.  Si nous faisions valoir des inégalités immenses d’un  rapport de un à un million contre une évolution  planétaire subséquente, le nombre reste important. Nous  aurions encore toujours 100 mille systèmes similaires dans la  voie lactée, et plus qu’un billion dans les régions de l’univers  que nous pouvons à présent atteindre avec nos télescopes ». Il  ne peut plus y avoir de doute que la vie, loin d’être un  privilège de notre planète, est une réalité d’ordre général dans  l’univers. Seulement, bien entendu, nous ne devons pas nous  imaginer que la vie est partout la même; par exemple  l’oxygène dans notre atmosphère est essentiel à la vie  terrestre — mais sur d’autres planètes l’anhydride carbonique, qui pour nous est la mort — pourrait être  favorable à la vie. Certaines formes de vie pourraient se  dispenser d’eau, tandis que d’autres pourraient éventuellement  vivre dans des températures au-dessus de 250 degrés. Croire  que la vie est pareille partout est aussi absurde que de  croire que des habitants d’autres planètes parlent notre  langage ! Par exemple : Quoique l’hydrogène est  probablement la base de toute matière, nous devons à  présent tenir compte des trente mystérieuses particules et antiparticules existant dans le noyau  atomique. S’il y a des antiparticules, pourquoi n’y  aurait-il pas quelques galaxies, parmi les millions, composées d’antimatière. Les pythagoriciens déjà  croyaient qu’il devait exister quelque part une  mystérieuse et invisible « contre-terre » en antimatière.  Et comme nous le voyons à présent, cette antimatière existe  effectivement dans les réactions les plus faibles de  l’infiniment petit. Pourquoi n’existeraient-elles pas aussi  dans l’infiniment grand ? Toute possibilité concevable  doit être prise en considération si nous désirons obtenir  une image approximativement réelle de l’univers. Rien  ne peut être laissé en dehors de la totalité de l’Univers   — il y aurait alors non seulement dualité mais  multiplicité — que tout étudiant du bouddhisme Zen considère  comme impossible.

Ici même, sur notre planète, il semble exister un  accroissement continuel dans le développement des  formes vivantes. On pourrait se demander : pourquoi un tel  développement devrait-il s’arrêter avec nous ? Ne pourrait- il pas y avoir d’autres formes de « vie » qui sont autant  en dehors de notre compréhension comme nous sommes en  dehors de la compréhension de la fourmi que nous  détournons de son chemin avec un bâton.

En outre si, comme le dit le Professeur Lovell, les  formes vivantes dépendent de la formation de  molécules complexes, ne pourrions-nous pas être nous-mêmes quelque forme de molécule ? Wöhler, en 1828, a  premièrement synthétisé des composés organiques dans des  organismes vivants à partir de molécules inorganiques, et plus  tard l’on a découvert que les organismes vivants sont  composés des mêmes éléments que ceux du monde  inorganique [15]. Un de nos biochimistes a dit qu’il  serait arbitraire d’établir une démarcation entre la matière  vivante et non-vivante, puisqu’elles forment un continuum [16]. Il décrit la vie comme une association chimique  complexe d’enzymes cellulaires, membranes et cycles  métaboliques, et ajoute que personne ne peut dire où la  vie commence. De fait la théorie quantique a révélé  l’étincelle de vie même dans les atomes et molécules.  Le Professeur Frisch dit que « les caractéristiques de ce  que nous appelons « composition inutile » (dead  matter) est qu’elle est composée d’une quantité d’atomes — un organisme vivant en est  aussi composé — de produits chimiques ». Si nous  prenons la question des nucléoprotéines qui,  aujourd’hui, sont considérées comme le principe du  corps vivant, elles contiennent des atomes de cinq  éléments vitaux : oxygène, hydrogène, carbone, azote  et phosphore, unis en une ossature élastique, que  quelques-uns considèrent comme fournissant la « clef »  d’un des plus profonds secrets de la vie [17].

Il y a en outre la question de l’eau dont nous savons  que toute forme vivante, inclus le corps humain, est  largement composé. Les solides étaient reconnus  comme des structures moléculaires, mais l’eau était  demeurée un mystère, et en effet il semblait impossible  d’appliquer le mot « structure » à un liquide. Mais  l’année passée (1960) le Professeur Bernal décrivait son  œuvre concernant l’eau. Il a démontré qu’un liquide n’a  pas une structure mais un grand nombre de structures  qui sont dans un flux continuel, échangeant des  molécules l’une avec l’autre [18]. Ceci est donc le  dernier chaînon concernant les explications des forces  qui sont à la base de la vie. Partout nous découvrons  que l’homme ou la montagne, la galaxie ou l’atome, font  tous également partie de quelque vaste système dont les  parties constituantes sont toutes identiques.   (A suivre.)

Le Lankâvatara Sutra et l’Espace-Temps par L.-C. BECKETT.
(Revue Etre Libre. Numéros 193-194-195, Jan.-Fév.-Mars – Juin 1962)

Pour un étudiant du bouddhisme Mahayana, il est  intéressant de remarquer que les hommes de science  aboutissent aussi à la découverte du «  Vide ». Einstein  a découvert que « tout fragment de matière possède  une sphère d’influence que l’on appelle son champ; on  peut penser au champ de gravitation de la terre ou bien  au champ électrique d’un proton. Dans la mesure où un  champ équivaut à une région d’influence, il n’y a rien là  qui contredit l’idée « d’espace vide » [19]. L’atome est  tout aussi vide que le système solaire » [20]. Entre le  proton et l’électron dans chaque atome, comme entre les  bras de la galaxie et son disque central, et tout autant dans  l’espace entre les particules de poussière et entre les  galaxies, il y a des champs de vide. Je crois par  conséquent qu’il est permis d’adopter les citations du «  Sutra du Cœur » : « Le vide est espace-temps, l’espace-temps est le vide ». Sans le vide, nous ne serions que  de minuscules blocs solides. Dans leur effort de  compréhension du « Vide », les hommes de science et les  bouddhistes mahayana pourraient s’aider mutuellement. Dans  cet esprit j’ai recherché ce que le Lankâvatara Sutra dit à ce  sujet, et j’ai découvert des expressions extrêmement  révélatrices. « En analysant la matière jusqu’à l’atome,  il n’y a en réalité aucune forme à discriminer comme  telle. »… « J’enseigne le vide qui est au delà de la  permanence et du nihilisme… les sages se tiennent au  delà de l’être et du non-être » [21]. Nous ne pouvons donc pas appliquer le terme « être », tel qu’il  est généralement compris, ni à nous-mêmes ni au monde  atomique. Citons encore le Lankâvatara : « Attachés à des  pensées erronées, ils se contredisent eux-mêmes et  d’autres en ne voyant pas toutes choses comme elles  sont réellement et en vérité. Mahamati, voir les choses  comme elles sont réellement et en vérité, veut dire  réaliser qu’il n’y a rien à voir que l’esprit même » [22].

En résumant tous ces énoncés et réalisant que nous ne  sommes nous-mêmes que des parties de ces « sphères  d’influence », sans « être ou non-être », la conclusion  qu’il ne peut y avoir ni commencement ni fin, naissance  ou mort, est évidente. Dans ce monde à la fois mental  et atomique, les choses se forment et transforment  seulement. Partout dans l’univers il y a flux continuel.  Il n’y a pas d’immobilité, comme le dit Takuan. L’arrêt,  c’est-à-dire la mort, serait une stagnation finale à  l’encontre de toutes les lois de l’univers.

J’ai dit au début que le temps comporte deux  aspects : celui selon lequel j’étais en train de mesurer  l’univers, et un autre. J’appellerai le premier « temps  horizontal », c’est-à-dire -mesuré dans des dimensions  de l’espace-temps. Je considère le second comme temps « perpendiculaire » ne s’étendant pas dans l’espace. Dans  l’éternité intemporelle il ne peut y avoir que la totalité-Une Il n’y a ni « avant » ni « après », parce qu’il n’y a  pas de changement. Ceci a été merveilleusement  exprimé par Maître Eckhart : « Le maintenant dans  lequel Dieu créa le monde est aussi proche de nous que  l’est ce maintenant dans lequel je parle et le dernier  jour est aussi proche de ce maintenant que l’était le jour qui  était hier » [23]. R. Linssen l’appelle : « L’éternité secrète  de l’instant ». Jusqu’à présent ceci a été considéré  comme un privilège spécial des poètes. Cette éternité  de l’instant est cependant la seule vraie. C.-G. Jung a fait  une étude profonde de ce qu’il appelle « synchronicité »,  l’ajoutant à la causalité et détermination comme un  troisième ordre possible d’événements [24]. Einstein  l’appelle « la relativité de la simultanéité » qui est  considérée comme l’un de ses « concepts les plus  difficiles ».

Personnellement je suis convaincue que  n’importe qui pourrait faire l’expérience du présent  universel. En y réfléchissant, beaucoup de personnes  pourraient se  rappeler de certaines expériences où des choses en apparence  totalement sans rapport entre elles, ont eu lieu au même  moment à des endroits fort éloignés les uns des autres   — néanmoins, plus tard il semblait y avoir eu une sorte  de lien sous-jacent entre elles.

Tout ceci n’est-il qu’une construction de l’esprit  humain en vue d’expliquer le monde autour de lui,  depuis qu’il ne croit plus en des Dieux. Et même les  Dieux — n’étaient-ils pas le premier essai d’explication   « scientifique » pour ce que l’esprit ne pouvait pas  comprendre ? Cependant le fait que nos esprits minuscules se  rendent compte qu’ils ne connaissent pas réellement,  démontre l’existence d’une conscience cachée de  quelque chose d’inconnu. Le Lankâvatara Sutra dit : «  Il y a un état qui est loin de toutes les conceptions  philosophiques, libre de l’imaginé et de l’imagination,  libre de toute acquisition et de toute naissance — ceci  je l’appelle nature de l’esprit » [25].

Nous nous sommes toujours imaginés jusqu’à  présent que l’esprit est un privilège humain. Cette idée  est aussi présomptueuse que celle de croire que la vie sur la  terre est un phénomène unique dans l’univers. Comment  pouvons-nous dire quelles pourraient être les autres  manifestations de « l’esprit-même » (Mind-only : Lankâvatara). Dans ceci comme dans le cas de la  matière organique, il y a probablement une hiérarchie,  au terme duquel il y aurait vraisemblablement l’esprit  éclairé que le Mahayana appelle un « Bodhisattva ».  Quelqu’un observait l’autre jour : « les Bodhisattva sont  supposés ne pas entrer au Nirvana jusqu’au moment où  ils pourront emmener le dernier brin d’herbe avec eux;  dans ce cas ils devraient être ici, mais où sont-ils ? »  Peut-être sont-ce des personnes tout à fait ordinaires  parmi nous, accomplissant leur tâche inaperçue,  exerçant simplement une influence.

Si l’on est  perceptif, il est parfois possible de découvrir leurs traces  çà et là. Un de mes amis en a rencontré il y a quelque temps  dans le métro.

A l’autre bout de l’échelle se trouve peut-être le  quantum d’Action qui semble régler toute manifestation  dans l’espace-temps. Si c’est ce que je pense, nous entrons ici  dans le domaine important du mouvement. Un conseil du  Sutra du Diamant nous dit : « d’éveiller l’esprit sans le  fixer nulle part ». J’ai poursuivi cette non-fixation à travers  toutes les formes qui nous sont connues dans cette « Ainsité » (tathata), appelée l’univers, et je n’ai  jamais découvert ce que Takuan appelle « s’arrêter ».  Depuis les mouvements par lesquels les particules  fondamentales sont reconnaissables dans les plus faibles  réactions, jusqu’aux gaz tourbillonnant dans l’espace; depuis la  circulation de notre sang jusqu’au disque mouvant de notre  voie lactée, il n’y a rien d’immobile. Parlant du  minuscule monde du « mu », le Professeur Abercrombie  dit : « Il ne sera pas long avant que nous nous rendions  compte qu’il manifeste un phénomène que notre monde  normal ne possède pas : des petites particules de moins  de quelques « mu » en diamètre, flottant librement dans un  liquide, ne sont jamais immobiles. Elles tremblotent et se  tortillent et les plus petites dansent constamment. »

Peut-être trouve-t-on ici la signification du symbole de la  danse créatrice de Shiva aux sources mêmes de la Vie ?

Dans une étude sur la régression des nébuleuses,  lue à la Société Royale d’Astronomie en 1956, le Dr.  Holmberg a suggéré que la vitesse dans l’univers est une  dimension propre. Elle serait indépendante de l’espace-temps. Je dirais de préférence : elle embrasse l’espace-temps, car ils dépendent d’elle et sans elle il n’y aurait  rien à voir. M. Linssen a dit : « Le mouvement pur n’est  pas un mouvement de quelque chose. Car dans le mouvement  pur toutes les distinctions et dualités sont dissoutes »,   — notre égo de même,

Dans cette découverte du mouvement universel (qui n’est pas une chose qui puisse appartenir au monde  créé par notre imagination), nous pourrions peut-être  trouver le chaînon universel que nous recherchons. Le  Lankâvatara n’a-t-il pas dit : « C’est grâce à cette  discrimination caractérisée par la perturbation que  ceci (la création magique) a lieu ». Perturbation voulant  dire le mouvement qui rend possible la discrimination  et par conséquent la création. Le mouvement pourrait être ce  qui est l’activité du « Mind-only » (Esprit-seul) ou «  Vide » [26]. Il participerait forcément de la nature de Ce  qui nous fait n voir » ou « imaginer » la « Cité des  Gandharvas », mais serait aussi l’essence de notre  propre esprit continuellement en mouvement.

Il existe une interprétation indienne de ce  problème, que le Lama Govinda a défini clairement.  Ceci a un rapport indiscutable avec le problème de  l’espace-temps, tel que je le conçois : Il s’agit de «  âkâsa » et « prâna ». Comme ceci constitue, à mon avis,  un élément très important, je ferai quelques citations. Le  lama Govinda dit : « Selon d’anciennes traditions  indiennes l’univers possède deux propriétés  fondamentales : le mouvement et la réalité dans  laquelle le mouvement a lieu. L’espace est appelé âkâsa.  Il est la chose par laquelle les objets prennent une apparence  visible ». En outre il correspond apparemment à  l’espace poly-dimensionnel, mais il ne s’épuise pas dans  les trois dimensions. Il comprend toutes les possibilités  du mouvement, non seulement physique mais aussi  spirituel: il renferme des dimensions infinies… La  cause première du mouvement est toutefois « prâna »,  le souffle vital, le rythme tout-puissant de l’univers,  dans lequel les créations et destructions du monde se  suivent comme l’inspire et l’expire ». Si nous appliquons  nos idées sur l’espace-temps à ces conceptions indiennes, nous  découvrirons que tous parlent des mêmes choses en différents  termes, et expriment une même Réalité. Si, comme le Dr.  Holmberg le suggère, la vélocité possède une dimension  propre, son universalité n’est pas seulement la découverte  exclusive de l’homme moderne. Elle a été connue par les  sages de l’Inde antique, comme le dit le Lama Govinda : «  Toutes les forces de l’Univers, comme celles de l’esprit  humain, depuis la conscience la plus élevée jusqu’aux  profondeurs du subconscient, sont des modifications de   « prâna »… La respiration physique… est une des nombreuses  fonctions dans lesquelles cette force universelle et  primordiale se manifeste… Tout ce qui est formé et qui  a revêtu une apparence spatiale, révèle la nature de  l’âkasha… Toutes les qualités dynamiques, tout ce qui  cause le mouvement, le changement ou la  transformation, révèle la nature de prâna. » [27].

Le Lankâvatara Sutra et espace-temps par L. BECKETT (Suite et fin.)
(Revue Etre Libre. Numéros 196-197-198, Avril-Mai-Juin 1962)

Je dois à présent terminer là où j’ai commencé : Dr. Einstein « Il ne faudrait pas croire que la théorie de la gravitation d’Einstein n’est qu’un schéma mathématique formel. Car elle se base sur des hypothèses de profonde signification cosmique. Et la plus remarquable de ces hypothèses est que l’univers n’est pas un édifice rigide et immuable où de la matière indépendante est emmagasinée dans l’espace et le temps indépendants; il est au contraire un continuum amorphe, sans aucune architecture fixe, plastique et variable, constamment sujet au changement et à la destruction… Il n’y a rien de tel qu’un intervalle d’espace indépendant de l’état de mouvement du système de référence. » [28].

Nous avons commencé notre exposé en citant l’idée fondamentale du Lankâvatara. En vertu du Lankâvatara aucune chose n’a la réalité que nous lui connaissons. Cette apparence n’est qu’une manifestation de l’esprit même, et nos perceptions ne sont que des cités imaginaires causées par la perturbation, qui est mouvement, comment donc pouvons-nous procéder pour découvrir cet esprit même au-dessous des illusions ? Comme réponse, les sages ne peuvent seulement qu’indiquer la voie à suivre. Où aboutira-t-elle ? Personne ne le sait. Mais cette voie est sans arrêt.

Nul ne pourrait mieux exprimer cette vérité que Takuan dans sa célèbre lettre à Yagyu Tajima no Kami Munenori « L’essentiel est de ne jamais laisser l’esprit « s’arrêter » à quoi que ce soit; à aucune chose… L’esprit originel est un esprit inconscient de lui-même… Un esprit inconscient de lui-même est un esprit qui n’est aucunement dérangé par n’importe quel phénomène affectif de n’importe quelle nature… Il est toujours fluide, il ne s’arrête jamais, ni se transforme-t-il en un solide… lorsque « mu-nien » (« sans-pensée » – « no-thought ») est atteint, l’esprit se meut d’un objet à un autre, coulant comme un cours d’eau, remplissant toute crevasse possible  » [29].

Il devient Un avec le mouvement universel, et cesse de discriminer des cités — ou n’importe quoi d’autre — il devient lui-même le sentier toujours mouvant.

[1] Lankâvatara Sutra, ch. XIX.
[2] Lankâvatara Sutra, ch. LXXVII.
[3] Lincoln Barnett: The Universe and Dr. Einstein, p.   98.
[4] Voir « The Scientific American », août 1960.
[5] R.-A. Lyttleton: « Illustrated London News », avril 1959.
[6] Professeur Abdus Salam: « Space, time and fundamental particles ».
[7] O.-R. Frisch : Exploring the Atomic World
[8] R. v. de R. Woolley.
[9] Professeur Michael Abercrombie.
[10] Professeur O.-R. Frisch (1 et 2 relaté clans « The  Listener », 18 novembre 1959).
[11] Seng-ts’an: « On trust in the Heart », traduction de A. Waley.
[12] « Stars and Atoms »
[13] « Frontiers of Astronomy », page 352.
[14] Directeur de la Joddrell Bank Observatory de la  Radio-Astronomie. Toutes les citations sont de son livre : « The  Individual and the Universe ».
[15] Norman H. Horowitz: « The Gene »; voir « Scientific American », October 1956.
[16] Professeur O.-R. Frisch: « Causality in modern Physics ».
[17] Professeur O.-R. Frisch: « Causality in modern Physics ».
[18] Professeur C.-D. Darlington : « Listener   », juillet 1949.
[19] « Einstein and the nature of space », W.-B. Bonner; «  Listener », mars 1959.
[20] « Messengers of Force », D.-H. Wilkinson; « Listener   », mai 1958.
[21] Chapitres : XIII, XXVII, XLV.
[22] Id.
[23] Sermon : Quasi stella mattutina.
[24] « Interpretation of Nature et the Psyche ».
[25] Chapitre LXIV.
[26] Dans le Tao-teh-King, c’est le « Teh ».
[27] Lama Anagarika Govinda: « Foundations of Tibetan Mysticism », pp. l37 ff.
[28] Lincoln Barnett : Einstein, pp. 74 et 46.
[29] Daisetz T. Suzuki: Zen and Japanese Culture, p. 111.