Wei Wu Wei
Le mental indivis

Dans la pratique, cela veut dire que n’importe quelle conception que A a de B, C de B, B de B (son « soi ») est tout ce que B est ou pourrait être à ce moment du temps. A aucun moment du temps il ne peut y avoir d’entité pouvant être autre que conceptuelle, parce qu’il n’y a que connaissant, et ni connaissant ni connaissance ne peuvent avoir une existence autonome.

(Revue Être. No 3. 15e année. 1987)

Extrait de « Posthumous Pieces », 92, pp. 183-187, traduit par Wei Wu Wei…

1. Le mental qui rêve

Comme le futur, le passé est en fait une structure de rêve : endormis ou éveillés, nuit ou jour, nous les rêvons tous les deux. Cela n’est-il pas évident ? Donc, quand ne rêvons-nous pas ? Dans le présent ? Quand cela pourrait-il être ? Tout ce que cela pourrait être est passé depuis longtemps avant que les procédés de la perception et de la conception puissent être complétés. Donc cela est entièrement imaginé, et de ce fait les trois états temporels sont conceptuels.

Nous sommes, quoi que nous soyons, ici et maintenant, et pour toujours. Le temps et l’espace sont nos objectivations. Nous imaginons toutes ces absurdités les « rêvons » comme nous le disons, et les croyons comme étant arrivées ou ce que nous appelons « réelles » !

Quoi que nous soyons ? Oui, bien sûr. Mais non pas ce que, par erreur, nous avons été induits à croire que nous sommes. C’était une composition des concepts actualisés mentalement ; c’était notre rêve vécu, et s’apercevoir de cela serait sûrement percevoir ce que nous étions quand nous rêvions et jouions tous les rôles dans notre rêve de « vie et mort » dans un contexte temporel.

Nous n’avons jamais été que le « rêvant » notre « vie » ! Que pourrions-nous être d’autre ? C’est aussi la raison pour laquelle ce que nous sommes ne peut être aucune chose objective qui soit.

Cela est notre nature dont parlent si souvent les maîtres chinois et sur laquelle ils travaillent inlassablement pour nous permettre de l’envisager, dans le T’Chan, cela serait appelé Prajnâ l’aspect fonctionnel de Dhyâna comme tels nous ne sommes que potentiels. Cette différenciation essentielle entre immanence et transcendance, nouménalement inséparables mais conceptuellement à part, ne semble pas être apparente dans le Védânta.

2. TAO ou La Voie Comme Telle

Je comme moi suis tout ce qui est perçu et conçu comme vous : vous et lui ne sont que ce qui est perçu et conçu.

Il n’y a aucun je, aucun vous, aucun lui. Nous sommes le percevant et le concevant qui, comme perceptions conçues, sont dorénavant étiquetés ainsi comme objets.

Des nous comme tels comme quelque chose, comme n’importe quel objet empirique n’existent absolument pas. Il ne peut donc y avoir aucune chose telle qu’un je percevant et qui conçoit. Étant donné qu’il n’y a aucune entité connaissable, il ne peut y avoir aucune entité pour connaître. C’est pour cela que connaissant ne peut pas être connu, et c’est la raison pour laquelle connaissant le Mental dans le bouddhisme, la Conscience dans le Védânta, Tao en Chine, le Saint-Esprit dans la Bible, chacun des noms d’Allah dans le soufisme n’est qu’un symbole par lequel la manifestation phénoménale de connaissant peut être indiquée dans un contexte spatio-temporel.

Si, dans notre contexte spatio-temporel, nous parlions entre nos « soi » apparents mutuels, au niveau nouménal de cette compréhension, chacun de nous parlerait de la connaissance que chaque autre n’a comme existence que son apparence dans le mental de chacun, laquelle existence comme je n’est ni plurielle ni singulière, mais dont le concevant dans le mental divisé est nécessairement multiple.

Dans la pratique, cela veut dire que n’importe quelle conception que A a de B, C de B, B de B (son « soi ») est tout ce que B est ou pourrait être à ce moment du temps. A aucun moment du temps il ne peut y avoir d’entité pouvant être autre que conceptuelle, parce qu’il n’y a que connaissant, et ni connaissant ni connaissance ne peuvent avoir une existence autonome.

Une objectification conceptuelle dans le mental n’est que cela et n’est aucune sorte de chose empirique ; rien n’a jamais existé autrement que comme une apparence dans un contexte spatio-temporel dans ce qui est appelé le mental ou la conscience, ce sont des symboles pour le processus de la connaissance qui, elle-même, est une manifestation conceptuelle dans un espace-temps imaginé.

Les symboles eux-mêmes n’ont pas d’existence et il est vain de chercher quelque chose de conceptuel qui pourrait exprimer ce qui est connaissant, étant donné que connaissant n’est aucune chose.

Pourquoi en est-il ainsi ? Il en est ainsi parce que connaissant semble avoir lieu dans ce qui est conceptualisé comme l’espace-temps, ce qui veut dire qu’il (se) manifeste dans l’extension spatio-temporelle impliquant que ces objets peuvent être rendus visibles dans l’espace et qu’ils ont la durée dans le temps, dont la totalité des procédés conceptuels sont ce que nous sommes obligés de décrire comme fonctionnant subjectif le fonctionnant subjectif de connaissant lui-même.

Connaissant, comme les cinq autres facultés de la sensibilité (skandhâs) est en fait une expression dualiste d’étant conscient, ce qui est l’aspect prajnâ-ique de dhyâna. Comme étant conscient il est phénoménal, comme dhyâna il est nouménal. Comme le dernier, considéré phénoménalement, il est inconscient.

De ce fait, ce que nous sommes nouménalement n’apparaît pas (n’est pas phénoménal) et on en parle négativement comme étant inconnaissance, non-mental (Bouddhisme), ou sommeil profond (Védânta).

Rien de plus ne peut être dit, parce que tout disant est la connaissance exprimée, c’est-à-dire est dualisé comme sujet-objet conceptualisant par la relativité des contreparties interdépendantes et opposées.

A part cela, tout ce qui a toujours été est toujours, sera toujours, est la nouménalité pure, indivise, apercevant, spontanée entièrement, phénoménalement transcendante et indescriptible dans la terminologie dualiste.

Certainement disponible, cet apercevant ne peut pas être produit ni acquis par aucun moyen qui soit assujetti aux limitations de l’espace-temps et la raison fondamentale de cela nous pouvons la deviner parce que cette « nouménalité indivise » est ce que nous sommes, tout ce que nous sommes et l’étant il nous est impossible de la connaître du fait que nous sommes assujettis aux limitations du procédé dualisé de l’objectification.

3. Notice Nécrologique

La prétendue Vérité est au-delà de tout le non-sens positif que nous disons et écrivons. Jamais nous ne plongeons assez profondément dans l’abîme de la négation, parce que telle Vérité est au-delà de toutes les formes de l’activité mentale.

Négation est positivité négative.

Avant que la négation ne soit niée la pensée est encore présente.

L’absence de la Conscience indique toujours la présence de l’inconscience. Seulement dans l’absence de la conscience positive autant que de la conscience négative, est l’absence de l’Absolu absolument absent.

La Vérité est l’absence absolue de toute espèce de vérité.

Présence et absence sont les aspects doubles de l’apparence.

Un absolu est positif et présent.

Il n’y a pas de présence, il n’y a pas d’absence, toutes les deux sont des concepts positifs phénoménaux.

Existe et n’existe pas sont existence positive et négative, mais aucune espèce d’existence n’existe [« Exister » — ex-sistere — veut dire se tenir (ou se placer) dehors !].

Tout disant est pensant, tout pensant est activité mentale. Seule, l’absence absolue est au-delà de la phénoménalité.

4. Dorénavant

Un voyage long et ardu ? Nullement ! Il est plutôt l’absence totale de déplacement.

Pourquoi ? Parce qu’il n’y a ni place, ni placé à déplacer ! Absolument impossible ? Nullement : toute phénoménalité, toute positivité, toute négation, dépendent conceptuellement de l’extension dans l’espace et dans la durée.

Et puis ? Le continuum de l’espace-temps est une bulle qui éclate dans le vacuum de la négation totale.

Sans ici ou là, était ou sera.

Quand ou pourquoi, qui ou quoi.

Tel est l’Absolu.

Au-delà, il n’y a aucune chose pour être une chose derrière.

La négation absolue de l’apparence, l’absence phénoménale totale, est la vérité de Tao, et il n’y a nulle part ailleurs pour qu’elle soit, sauf partout où je suis.

5. Ce que veulent dire Noumenon et Phénomènes

Le phénoménal est tout ce qui apparaît, tout ce qui est présent, tout ce qui n’est pas absent. Phénoménalement donc la nouménalité, qui n’est pas apparente comme telle, est absente.

Nouménalement toutefois, la phénoménalité n’est pas présente, de même elle n’est pas absente ; elle pourrait être appelée potentielle. Elle n’est pas comme telle, donc elle n’est ni présente ni absente ; le seul étant de la phénoménalité est nouménal.

Et noumenon, principe de la potentialité qui est l’apparition, ne peut avoir aucune existence conceptuelle ou objective, étant un symbole pour l’origine de concevoir comme tel.