Rolande Biès
Le Mystère de la Conjonction

Le mariage entre le conscient et l’inconscient produit un choc qui ébranle, certes, mais qui entre en contact avec les ténèbres de la profondeur. Nous sommes alors non face à face (guerre, angoisse), mais reliés à nous-mêmes, car l’inconscient «n’est ni bon ni mauvais, mais bon et mauvais»; il est la mère de toutes les possibilités, et nous avons besoin de lui pour «embrasser toutes les parties du monde, toute l’étendue possible de la conscience». Il nous faudra donc, sans cesse, monter vers le ciel et descendre en enfer pour rencontrer notre centre/équilibre; c’est dans cet incessant mouvement que nous trouverons notre unité. L’émotion (le feu) purifiera et fera fondre nos opposés. Les étapes de ce processus sont des prises de conscience dues aux conflits qui mènent à la mort d’une partie de nous-même devenue inutile.

(Revue Aurores. No 23. Mai 1982)

CARL GUSTAV JUNG nous dit: « ce qui est difficile, c’est d’être simple », Il nous faut constater que ce « Mystère de l’union en nous » paraît fort difficile. Pourtant, c’est bien par cet ouvrage, — que Jung écrit être son testament —, que nous sommes menés à travers son immense labyrinthe à la simplicité[1].

Jung déclare que le monde des symboles alchimiques n’appartient pas aux décombres du passé, mais que, « bien au contraire, il est relié, de la façon la plus vivante, aux expériences et aux découvertes les plus récentes de la psychologie de l’inconscient ». Nous n’hésiterons pas à mettre en garde le chercheur du danger de devenir la victime de sa subjectivité. Par là même, il lui sera demandé de toujours raison garder, tout en s’ouvrant le mieux et le plus possible aux événements extérieurs et intérieurs, autant qu’aux rencontres à lui offertes par le soi-disant hasard.

L’Alchimie est un trésor. A nous d’en utiliser les différentes possibilités pour nous aider à vivre autrement, plus consciemment.

Cette union mystérieuse, c’est celle de l’âme et du corps, du conscient et de l’inconscient, de la terre et du ciel, de l’amour et de la haine, c’est l’union des inconciliables. Les opposés se battent et donnent une énergie : ils ne peuvent se passer l’un de l’autre. Ils sont dans nos rêves et dans les dessins des Alchimistes qui exprimaient ainsi ce qui se passait au plus profond d’eux-mêmes. Mais ne tombons pas dans l’erreur de penser à leur place, à cette époque où l’Église (exotérique) régnait en maîtresse absolue. Méfions-nous aussi de l’image abstraite de réalité qui règne dans l’esprit de l’observateur: « Comme dans la physique nucléaire, l’acte de l’observation modifie l’objet de celle-ci ».

LES COUPLES D’OPPOSES FORMENT LE SOI

« Les couples d’opposés transcendent la conscience » et forment le Soi, comme le dit Jung. Il s’agit donc d’une quaternité qui correspond aux quatre éléments et aux quatre fonctions, et font un tout vivant, et donc changeant en permanence. Le processus du vase (notre corps), et la synthèse des quatre est une des préoccupations essentielles de l’Alchimie. Cette totalité rend l’être équilibré, car il est alors « relié » (dans le sens de religion) à lui-même d’abord, aux autres et au cosmos ensuite. Jung remarque que la tendance moderne de remplacer la « cohésion intérieure de l’homme » par la « communauté extérieure », prépare le terrain à la civilisation de masse.

Cette union intérieure, — qui est en fait la seule certitude sur laquelle l’être humain puisse s’appuyer —, c’est la Pierre, précieuse entre toutes, que nul ne peut nous enlever. Parce qu’elle est « orpheline » (le père est absent), il existe quelque part une « veuve »: c’est cette « matière », la matière de toutes choses, qui sera la mère de la pierre, du « fils philosophique »; un fils avec une mère, sans père … Il nous est présenté là un inceste, (classique en rêve). Cette matière première aux mille noms, c’est l’aspect féminin, la lune, l’eau qui unit tout ce qui est séparé, dont le double aspect, unificateur et destructeur, est bien connu de tous ceux qui font un « travail » dans leur profondeur.

Cette substance féminine de transformation a un correspondant masculin: les deux esprits se fondent ensemble, puis ce mariage se dissout (solve et coagula), car toute chose créée est provisoire. Nous retrouvons ici le temps, ce «Mercure» qui nous glisse entre les doigts, ce Mercure lumineux et obscur, le conscient et l’inconscient, qui ne font qu’un. Jung nous dit : «L’objet de l’alchimie est d’effacer le péché originel, et cet effet est obtenu à l’aide du «baume de vie» qui est un juste mélange de chaleur naturelle avec son humide». Le Mercure est donc féminin (terre) et masculin (ciel). De leur union jaillit une étincelle qui, de l’obscur (négatif) fera une œuvre d’art consistant à transformer ce côté dangereux en remède, en vie.

C’est dans l’humidité de l’eau de la vie que nous trouverons la possibilité de la transformation, en sachant que le «tout» de l’homme (que Jung nomme le «soi) excède le domaine de la connaissance, car il est la totalité de la psyché consciente et inconsciente. Le soleil, — le conscient —, contient suffisamment d’obscurité pour constituer des projections, car la base du moi est l’obscurité de la psyché.

RELIES A NOUS-MEMES

Le mariage entre le conscient et l’inconscient produit un choc qui ébranle, certes, mais qui entre en contact avec les ténèbres de la profondeur. Nous sommes alors non face à face (guerre, angoisse), mais reliés à nous-mêmes, car l’inconscient «n’est ni bon ni mauvais, mais bon et mauvais»; il est la mère de toutes les possibilités, et nous avons besoin de lui pour «embrasser toutes les parties du monde, toute l’étendue possible de la conscience». Il nous faudra donc, sans cesse, monter vers le ciel et descendre en enfer pour rencontrer notre centre/équilibre; c’est dans cet incessant mouvement que nous trouverons notre unité. L’émotion (le feu) purifiera et fera fondre nos opposés. Les étapes de ce processus sont des prises de conscience dues aux conflits qui mènent à la mort d’une partie de nous-même devenue inutile.

Nous pencher sur notre être intérieur en méditant les images, les archétypes qui y résident, rend vie à notre âme, et si nous y rencontrons la multitude des grains de plomb, nous y rencontrerons un jour l’unité de l’or, — à condition de nous pencher avec beaucoup d’amour sur nos rêves, images éternelles, et sur toutes nos faiblesses. L’art de la transformation est le Grand Art; il est la reine du cœur de l’artiste, de celui qui travaille (laborat) et qui prie (orat) pour aboutir à l’œuvre (opera), au «processus d’individuation».

L’UNION DU CORPS ET DE L’ESPRIT

La transformation s’opère lentement, par l’intégration de l’ombre, du sexe opposé, vus avec objectivité, — si faire se peut —, en essayant de ne point tomber dans le piège de la simplification, qui, elle, croit tout savoir. Il s’agit de devenir non parfait mais un peu plus complet. Ce mariage dont le résultat est la connaissance de soi présente différents degrés à gravir, en commençant par l’union du corps et de l’esprit, l’âme vivifiant le corps et étant vivifiée par l’esprit.

Notre existence a une signification: il ne dépend que de nous d’en trouver ou d’en retrouver le Sens. Ce sens sera la quintessence, l’unité qui ne peut se faire qu’à partir de nous-mêmes.

Toutes les traditions utilisent, sous différents noms, les mêmes symboles que l’alchimie, Nous ne pouvons qu’admirer la vue planétaire de Jung en ce domaine si touffu et si dense à la fois, Le grand Artiste qu’il fut nous laisse avec Mysterium conjunctionis son Chef d’Œuvre, lequel emplit toute sa vie, et nous offre la certitude d’avoir retrouvé nos Racines, sans lesquelles l’arbre de vie de chacun de nous ne peut pousser.

Rolande Biès


[1] Carl Gustav Jung, Mysterium conjunctionis, 2 vol. Albin Michel; 1980 – 1982.