Robert Linssen
Le problème de la réincarnation

L’hypothèse de la réincarnation ou « palingénésie » est accueillie avec scepticisme en Occident. Elle implique l’existence d’un psychisme indépendant du corps physique. Ce psychisme ou âme s’incarnerait successivement dans des corps différents. Les premiers chrétiens ont admis l’idée de la réincarnation jusqu’au troisième siècle. Ce n’est qu’à partir d’Origène qu’elle fut condamnée comme hérésie.

(Revue Être Libre, Numéro 229, Octobre-Décembre 1966)

L’hypothèse de la réincarnation ou « palingénésie » est accueillie avec scepticisme en Occident. Elle implique l’existence d’un psychisme indépendant du corps physique. Ce psychisme ou âme s’incarnerait successivement dans des corps différents. Les premiers chrétiens ont admis l’idée de la réincarnation jusqu’au troisième siècle. Ce n’est qu’à partir d’Origène qu’elle fut condamnée comme hérésie.

Parlant d’une expérience psychique de dédoublement, l’apôtre Paul déclarait : « Je connais un homme en Christ, qui fut il y a 14 ans, ravi jusqu’au troisième ciel, fut-ce en son corps, fut-ce hors de son corps? Je ne sais : Dieu le sait !… mais je sais que cet homme en son corps ou hors de son corps, je ne sais : Dieu le sait !.. fut ravi jusque dans le paradis et y entendit des paroles ineffables qu’un homme ne doit pas redire (2 Cor. 12, 2-4).

Une vague de matérialisme et de scepticisme a déferlé dans tout l’Occident. Elle entraîne une attitude de refus systématique ou de moquerie à l’égard des problèmes spirituels ou psychiques.

Mais il existe d’autres tendances. Le monde occidental a compris confusément l’impasse dans laquelle le scepticisme l’a conduit. Nombreux sont ceux qui, déçus tant par le matérialisme occidental que par les religions traditionnelles de l’Occident se tournent vers l’Orient. Parallèlement à cette tendance, nous observons une évolution prodigieuse de la pensée scientifique.

Cette dernière nous démontre l’existence de dimensions supplémentaires, la matière se révèle pure énergie et lumière, au-delà des quanta on est forcé d’admettre l’existence de quantités d’énergies beaucoup plus petites et subtiles. Des équipes de savants s’attaquent aux problèmes de la télépathie, tant en Union Soviétique qu’aux U.S.A. Aujourd’hui, les phénomènes psychiques ne sont plus étudiés par des spirites face aux tables tournantes. Les progrès de la parapsychologie sont rapides.

S’il existe un psychisme, des énergies psychiques, quelles sont leurs lois, qu’advient-il de ces énergies après la mort ?

Depuis la plus lointaine antiquité, la réincarnation était admise. Dans ses études sur l’Atlantide, Paul Lecour déclarait que « la doctrine primitive des Atlantes enseignait l’existence de  l’âme et le développement indéfini de la personnalité à travers une longue série d’existences ».

En Egypte, la résurrection était symbolisée par le crapaud, qui devenait alors la déesse Hiquet. On a choisi cet animal parce qu’il vit dans l’air et dans l’eau, parce qu’il peut rester enfermé un très grand nombre d’années, sans air, ni nourriture, dans le creux d’un rocher ou sous un mur éboulé et revenir ensuite à la vie.

G. Maspero (guide du visiteur au Musée de Boulaq) déclare que les premiers chrétiens d’Egypte avaient adopté ce symbole et que les lampes de leurs églises avaient la forme d’un crapaud portant en grec l’inscription « Je suis la résurrection ».

« Le scarabée symbolisait la métempsychose », nous dit le savant suisse Dr. Bertholet. Son nom « Khopiroo », vient de la racine Koproo, signifiant renaître, devenir… On en plaçait un certain nombre avec les momies.

Le plus élevé des symboles de la réincarnation égyptiens est celui qui représente la réincarnation de l’Ego supérieur : « le décédé est représenté comme resplendissant dans l’œuf de la terre des mystères (Rituel Z. XII, I). Dans l’Œdipus Egyptiacus de Kircher (vol. III, p. 120) l’on voit un œuf flottant sur la momie; c’est le symbole de l’espérance, la promesse d’une seconde naissance pour le mort Osirifié, son âme après s’être purifiée dans l’Amenti (au-delà) opèrera de nouveau sa gestation dans cet œuf d’immortalité et renaîtra sur la terre. Le « globe ailé » n’est qu’une autre forme de l’œuf et possède la même signification. Les œufs de Pâques ne sont qu’un commémoratif dégénéré de ce symbole de la vie éternelle dans ses phases de chute, d’ascension et de réincarnation. »

Les Grecs étaient également favorables à l’idée de la réincarnation : Platon, Pythagore, Plotin, Empédocle, Héraclite.

Empédocle déclarait : « Il faut que trois fois dix mille ans, l’homme erre loin des bienheureux, qu’il anime successivement toutes sortes d’êtres mortels et parcours les routes changeantes d’une pénible existence… » Il ajoute : « Moi aussi, je suis maintenant un de ces exilés qui errent loin de Dieu pour avoir écouté la discorde furieuse… »

Le Bouddhisme, le Brahmanisme, le Védanta sont également des religions réincarnationistes.

Il est dit dans la Bhagavad Gîta (chap. 22): « comme l’on quitte des vêtements usés pour en prendre de nouveaux, ainsi l’âme quitte les corps usés pour revêtir de nouveaux corps ». Chap. 51 : « Les sages qui ont réalisé le détachement intérieur, renoncent au fruit des actes et, libres de la chaîne des naissances, ils vont au séjour du salut ».

Au chapitre IV de « Yoga de la science », le Sage Krishna déclare :
« J’ai eu bien des naissances, et toi-même aussi, ô Arjûna : je les sais toutes, mais toi, héros, tu ne les connais pas ».

Près de nous, Lamartine (1790-1869) a partagé la croyance aux vies successives. Son ouvrage « Les visions », publié en 1853, constitue le fragment d’un poème dont le sujet devait être l’histoire de l’âme humaine et de ses transmigrations à travers des existences successives, depuis le néant jusqu’à la réunion au centre universel : Dieu.

Victor Hugo (1802-1885) n’a pas craint d’affirmer hautement sa foi en la réincarnation. Il déclare : « La tombe n’est pas une impasse, c’est une avenue; elle se ferme sur le crépuscule, elle se rouvre sur l’aurore. »

Plus près de nous, un penseur indien très méfiant à l’égard de tout ce qui touche au mysticisme ou à l’occultisme, Krishnamurti déclarait, il y a quarante ans, que pour lui la réincarnation n’était pas une théorie mais un fait.

Depuis lors, Krishnamurti a toujours évité de répondre directement aux questions qui lui étaient posées sur la réincarnation, pour une raison très simple : il sentait que cette croyance n’était, chez la plupart de ses auditeurs qu’une évasion. C’était une excuse facile afin de remettre à demain ce qui pouvait être réalisé aujourd’hui.

Cependant, au cours de l’été 1966, Krishnamurti s’exprimait en ces termes : « Si la réincarnation est authentique, alors il est suprêmement important de vivre parfaitement d’instant en instant, car chaque moment présent, chaque action actuelle prépare le lendemain… »

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Que pensent les « Eveillés » du Tibet et de la Chine à ce propos?

Leurs réponses à ces problèmes nous semblent les plus adéquates.

Pour eux, il existe un psychisme individuel, formé des pensées, des émotions. Une existence humaine peut se résumer par un ensemble de joies, de souffrances, d’expériences diverses mettant en mouvement des énergies psychiques affectives et mentales.

Au terme d’une existence, il reste une sorte de bilan psychique se traduisant par un épanouissement de conscience plus ou moins net suivant la maturité psychologique de l’individu. Ce bilan se traduit par des faisceaux de tendances psychiques, ou des lignes de forces.

Lorsque la mort physique intervient, ce faisceau de tendances psychiques n’est pas détruit. Il s’incarne dans le corps d’un nouveau né suivant des lois complexes d’affinité et de « karma ». Mais il arrive rarement que le corps mis à la disposition du psychisme réponde totalement aux possibilités de celui-ci. A chaque existence doit correspondre normalement une maturité psychique plus grande, un épanouissement de conscience plus vaste. Finalement le psychisme individuel se sublimise et s’efface au profit d’une conscience universelle. L’être humain est alors libéré des chaînes de l’ignorance, de l’attachement et de la douleur.

Beaucoup de personnes se posent une question : pour quelles raisons ne se souvient-on jamais de ses existences précédentes?

D’abord, il est inexact que personne ne se souvienne de ses vies antérieures. Les cas sont plus fréquents qu’on le suppose généralement.

Lamartine évoque des réminiscences très précises et des enquêtes dans ce domaine se sont révélées très fécondes.

Il existe néanmoins une raison à l’absence de souvenirs des vies antérieures. Le « bilan psychique » d’une existence où ce faisceau de tendances ne se situe au-delà du niveau de la conscience ordinaire.

Il se situe au-delà du niveau des émotions et des pensées. Pour accéder à un souvenir authentique de vies antérieures (qui ne soit pas une projection ni une création de tendances imaginatives) la conscience du sujet doit être éveillée à un niveau supérieur, dépassant l’agitation des pensées et des émotions. Il faut se méfier d’expériences au cours desquelles les vies antérieures se présentent sous la forme de personnages importants ou célèbres. De nombreuses révélations de ce genre ont fait un tort immense au crédit que l’on serait en droit d’accorder à l’idée de la réincarnation. Nous pensons ici à la modestie de Krishnamurti lorsqu’il évoque ses vies antérieures. Il n’hésite pas à croire qu’après avoir vécu une existence d’ermite contemplatif, il fut une fille de joie à Babylone.

Nous conclurons comme Krishnamurti en insistant sur le fait de l’importance du présent, sur la nécessité de réaliser aujourd’hui ce qui peut être fait dans l’immédiat, sans aucune remise au lendemain.