Robert Linssen
Le rôle du supramental dans les recherches scientifiques

Il n’entre pas dans notre intention de mettre en lumière les processus de la pensée, envisagés comme unique manifestation de l’instinct de conservation du « moi » voulant « durer » sur le plan psychique. Le sujet est trop vaste et fera ultérieurement l’objet d’une étude approfondie. Nous nous bornerons à noter que dans les faits qui vont être étudiés, le rôle de la pensée intervient nettement à titre secondaire et dérivé devant celui d’une faculté plus profonde et surtout infiniment plus lucide.

Publié sous le nom de Ram LINSSEN
(Revue Spiritualité Numéros 52-53, Mars-Avril 1949)

L’étude du fonctionnement de la pensée est un des sujets les plus complexes.

En effet, la vie intérieure de l’homme se manifeste sur des secteurs bien plus étendus que ceux de la seule pensée.

Il existe une gamme de nuances de très grande richesse entre la pensée concrète normale et les couches les plus profondes du psychisme.

Au delà de la pensée concrète, instrument idéal d’appréciations quantitatives, il existe un niveau de pensée abstraite d’appréciations plutôt qualitatives.

Les pensées concrètes et abstraites ne sont elles-mêmes qu’une infime partie du psychisme humain.

Elles sont « agies », consciemment ou inconsciemment par des forces psychiques plus profondes, dont elles ne sont que l’expression la plus superficielle, le rouage le plus apparent, le plus périphérique.

Il n’entre pas dans notre intention de mettre en lumière les processus de la pensée, envisagés comme unique manifestation de l’instinct de conservation du « moi » voulant « durer » sur le plan psychique. Le sujet est trop vaste et fera ultérieurement l’objet d’une étude approfondie.

Nous nous bornerons à noter que dans les faits qui vont être étudiés, le rôle de la pensée intervient nettement à titre secondaire et dérivé devant celui d’une faculté plus profonde et surtout infiniment plus lucide.

Nous la nommerons à titre provisoire la faculté « supramentale » pour reprendre le terme d’un grand penseur indou, Shri Aurobindo. Nous ne la nommons pas l’intuition, car ce terme prête à trop d’équivoques.

Le rôle du supramental serait de coordonner les résultats de l’analyse intellectuelle. La pensée serait son instrument de travail le plus rudimentaire. Elle pourrait être considérée comme opérant les premiers travaux de déblaiement pour « préparer le terrain » à l’exercice d’un pouvoir et d’une faculté qui la dépasse infiniment.

Il est également indispensable de comprendre que dans tout être vivant, l’ensemble des éléments participant à sa constitution fonctionne en parallélisme dans une interdépendance totale. Cette interaction s’applique aussi bien au secteur des activités physiques que des activités psychiques.

Ceci permet d’envisager les pseudo problèmes que se posent une foule de chercheurs en se demandant si l’intuition est un résultat de l’analyse, ou si les illuminations subites des grands savants résultent d’un pur jaillissement surgissant des profondeurs les plus secrètes de la vie psychique.
Il serait absurde de dire que dans les découvertes scientifiques, illustrant cet article, il n’y ait que du travail rationnel ou qu’il n’y ait que du « supramental ».

L’un et l’autre sont continuellement agissants, de façon inégale peut-être, mais toujours corrélative.

C’est ce qu’exprime en d’autres termes le savant français Jacques Hadamard, membre de l’Académie des Sciences et mathématicien illustre, au cours d’un très intéressant article paru dans la revue « Atomes » (mai 1948).

« La vie de travail du chercheur », dit-il, « est faite d’alternatives d’activités conscientes et d’inspirations spontanées. »
«  Quant à moi, j’ai trouvé une solution longuement cherchée au moment précis d’un brusque réveil provoqué par le roulement d’une voiture et, précisément, cette solution m’apparaissait dans une direction toute différente de celles où j’avais cherché jusque-là… »

Ceci confirme en tous points notre façon de voir :
La pensée, les échafaudages de la raison constituent les premiers déblaiements. Nous pourrions comparer le travail de la recherche rationnelle au labour du mental.

Dans les expériences relatées par Jacques Hadamard, la solution apparaissait dans une direction toute différente de celles normalement préparées par le travail mental antérieur.

Qui a donné la solution ? Est-ce la seule pensée ?

Evidemment non. C’est qu’au delà d’elle, ou mieux, à l’intérieur d’elle, en profondeur, réside une faculté qui la dépasse infiniment et possède la capacité de voir la Vérité, de trouver les solutions.

Poincaré rapporte qu’il lui arriva, à maintes reprises, d’abandonner de longues recherches après des efforts restés vains et, plus tard, de trouver la solution brusquement en un éclair, avec une entière certitude, en un moment de repos au cours d’un voyage ou d’une promenade.

L’éminent mathématicien recherchait depuis longtemps une classe nouvelle de fonctions mathématiques transcendantes. Ses efforts demeurant vains, il avait tourné son activité vers d’autres travaux. Et ce fut longtemps après, qu’une nuit la solution tant désirée lui apparut pendant le sommeil.

Elle était lumineuse. L’idée qui germait en Poincaré était d’une puissance telle, qu’elle le réveilla. Il courut à sa table et écrivit jusqu’à l’aube : il venait de découvrir les fonctions fuchsiennes.

Le processus de la découverte du vrai, de la solution recherchée, ne parait donc pas résulter des seuls efforts intellectuels. Une fois de plus, l’expérience de Poincaré indique clairement qu’une trop forte tension intellectuelle « asphyxierait » la clarté de l’esprit, et qu’au contraire la manifestation de la faculté supramentale ne s’effectue que dans la détente du mental.

Toutes ces choses nous sont depuis longtemps familières, mais il est du plus haut intérêt d’analyser dans cet esprit les expériences de ceux que l’on considère comme les plus puissants athlètes de la recherche intellectuelle, mathématique et scientifique. Et dans la mesure où leurs opinions philosophiques semblent s’écarter des nôtres, leur témoignage revêt à nos yeux un intérêt de toute exceptionnelle valeur.

Jacques Hadamard relate une conversation, au cours de laquelle Joliot-Curie lui confiait : « J’ai eu de brusques illuminations, me fournissant la meilleure manière de produire et d’observer un phénomène, avec la sensation immédiate que la méthode ainsi suggérée était unique et que toute autre serait moins simple. »

Le célèbre bactériologiste Charles Nicolle a, d’autre part, écrit :
»  Un éclair… le problème, obscur jusque-là, et que nulle lampe de lueur timide n’aurait révélé, se trouve d’un coup inondé de lumière. On dirait une création. Au rebours des acquisitions progressives, un tel acte ne doit rien à la logique, à la raison. »

Toutes ces expériences démontrent de façon péremptoire que le rôle de la pensée intervient à titre second devant la faculté supramentale.

Et lorsque nous parlons du supramental, nous ne parlons pas seulement du subconscient et de l’inconscient, mais de niveaux de conscience infiniment plus profonds que ces derniers.

Le subconscient a, pour la majorité des psychologues actuels, la réputation d’intervenir de façon sélective, d’opérer une sélection entre les différentes combinaisons de la vie mentale.

Certes, le subconscient et l’inconscient forment ces zones imprécises, obscures et vagues que certains psychologues désignent également sous l’étiquette de conscience périphérique. Mais nous nous refusons d’admettre que de telles couches d’inconscience relative puissent opérer une sélection quelconque à elles seules, et moins encore qu’elles puissent directement ou indirectement provoquer les illuminations qu’ont expérimentées tant de chercheurs.

C’est pour bien nous convaincre que réellement il existe, au delà de la gamme très nuancée des couches de l’inconscient, une faculté transcendantale occupant un rôle d’indiscutable priorité.

Comment peut-on accéder à l’exercice de cette faculté ?

Contrairement aux conseils répétés de nombreux « yogas » traditionnels, ce n’est certes pas au moyen d’une intense concentration, ni d’une forte tension de l’intelligence, fixant un point à l’exclusion de tout autre.

Si l’on s’en réfère aux déclarations du mathématicien Jacques Hadamard, l’orientation à prendre pour résoudre le problème est claire :
« dans le plus… grand nombre de cas, nous dit-il, mes échecs ont dérivé presque tous d’une direction « trop tendue », d’une impulsion trop logique donnée au subconscient… »

*

Plus nous tendons vers le cœur des choses et des êtres, plus nous approchons d’un domaine extraordinairement souple, extraordinairement vivant, fluide, dynamique.

Et nous avons de sérieuses raisons de penser que les couches profondes du supramental, qui préside à la coordination, à la sélection de nos activités mentales, sont « tangentes » à l’essence ultime des choses.

Toute tension intellectuelle excessive « durcit » et « cristallise » notre « musculature » mentale. Ce durcissement excessif s’oppose à la manifestation du supramental, dont la fluidité exige une grande souplesse des instruments destinés à l’exprimer. La grande tension intellectuelle crée réellement une résistance psychologique. Seule la détente, la non-préfiguration, la cessation du processus rationnel, d’enchaînement de causes à effets, permet au supramental de se manifester tel un jaillissement spontané, pour autant bien entendu que le terrain ait été préalablement préparé par le mental.

Nous touchons là un des points essentiels du problème, celui où se manifeste en nous, de façon expérimentale, l’une des trois antinomies définies sommairement dans « Le Destin du XXe Siècle ».

D’une part, un mental analytique strictement enfermé dans un processus de causes à effets, vivant sous l’empire du temps, de l’espace, de la causalité.

D’autre part, la manifestation évidente d’une réalité plus profonde, s’exprimant par un processus non seulement différent mais parfois opposé. Pourrait-on mieux définir ce processus qu’en le comparant à un jaillissement spontané, dont les rythmes échapperaient à la stricte causalité traditionnelle.

Pour définir en d’autres termes les caractéristiques de l’antinomie qui nous préoccupe, disons avec Bergson que notre logique, née dans les solides, est avant tout une logique des solides, et, partant, strictement limitée aux propriétés fort limitées des solides. Elle semble en porter de façon incurable les déformations spécifiques.

Mais en opposition à cette « solidité » symbolique de la logique, le supramental est fluide.

Notre intention n’est pas ici de minimiser le rôle de l’intelligence concrète, de la raison, des démarches de la pensée. Nous voudrions surtout insister sur le caractère préliminaire de celle-ci, sur son rôle préparatoire au travail d’une faculté transcendantale, depuis longtemps étudiée par les grands penseurs de l’Orient, mais systématiquement mise à l’ombre par la grande majorité des penseurs occidentaux.

Dans l’immense confusion du monde, il est plus que jamais nécessaire que s’opèrent des synthèses. Elles ne pourront être réalisées que si une attitude d’esprit différente préside aux recherches des hommes.

Rappelons la pensée du Dr. Carrel: l’intellect analyse, l’intuition synthétise. L’intellect morcèle. L’intuition coordonne et unifie.

*

L’étude des calculateurs prodiges montre également à quel point les fonctions intellectuelles sont complexes pour le seul exercice du calcul.

« J’entends ma voix qui calcule », a souvent expliqué Inaudi.

Et cette voix n’empêche pas le calculateur prodige de poursuivre une conversation, d’exécuter des calculs plus faciles ou même de jouer de la flûte, tandis que fonctionne un mécanisme mystérieux et plus profond, qui lui fournira en un temps record le résultat d’un calcul extraordinairement compliqué.

Le Calaisien Maurice Dagbert, émule d’Inaudi, effectua diverses opérations en présence des savants de l’Académie des Sciences. Il lui a fallu 14 secondes pour extraire une racine cinquième (résultat 243); 15 secondes pour extraire une racine septième (résultat 125); 55 secondes pour calculer le cube de 827.

Et pendant que s’effectue sur le plan mental profond l’intense et prodigieux travail, Maurice Dagbert agrémente son numéro de calcul d’un solo de violon.

Les lecteurs occidentaux des traités de yoga indous, des œuvres de Shri Aurobindo et de J. Krishnamurti, ont dans les faits précédemment évoqués, d’amples matériaux pour méditer sur la complexité des niveaux de conscience intérieure. Qu’ils ne s’étonnent plus, comme le font certains, de la multiplicité des couches profondes, des niveaux inclus dans le seul secteur de l’activité mentale, et qu’ils soient plus que jamais convaincus de l’existence d’une hiérarchie dans ces niveaux et d’une ordonnance parfaite.

*

Toutes les misères humaines, tous les déséquilibres proviennent du fait que nous avons développé de façon unilatérale certaines fonctions de notre vie psychique.

L’homme est un tout indivisible. Et l’exercice isolé ou exagéré de telle ou telle partie aboutit au déséquilibre.

Nous venons de le voir dans le secteur de la recherche scientifique : une trop forte tension intellectuelle semble vouer les plus grands chercheurs à l’échec. L’illumination subite s’effectue dans la détente.

Mais pourquoi s’effectue-t-elle dans la détente ? Est-ce seulement parce que la détente donne à la vie psychique un aspect plus fluide ? Est-ce seulement parce que le repos mental offre moins de résistance à la manifestation de la fluidité supramentale ?

Avec les grands penseurs de l’Inde et du Thibet, nous pensons qu’aux ultimes profondeurs de la vie psychique, au delà du mental concret, au delà du mental abstrait, au delà du supramental même, la raison et l’amour ne font qu’un. Tout divisés et opposés qu’ils apparaissent à notre échelle, ils ne sont que les aspects complémentaires d’une même réalité psychique, à laquelle nous empruntons toutes nos facultés d’aimer, de penser.

Lorsque Poincaré abandonnait ses recherches, lorsque le Prince Louis de Broglie se promenait paisiblement en abandonnant momentanément sa tension mentale, un équilibre psychique s’établissait en eux. A leur insu, une richesse nouvelle s’infiltrait insidieusement en leur propre vie intérieure. Elle émanait plus du cœur que de l’esprit analytique. Elle était semblable à l’une de ces réactions d’équilibre ou d’auto défense, dont la Vie dans la Nature nous offre de nombreux exemples.

Mais elle se manifestait cette fois dans le secteur psychique plutôt que dans le secteur physique.

Ce que l’on nomme généralement intuition, ou plus particulièrement supramental, parvient à se manifester dans la mesure où l’esprit analytique et le sentiment se développent en parfaite harmonie.

L’activité exagérée de l’un ou de l’autre aboutit à des désastres. Le sentiment livré à lui seul conduirait à l’incohérence. La pensée seule conduit à la sécheresse et finalement aux impasses précédemment évoquées.

Krishnamurti nous dit que le rayonnement du cœur constitue le lubrifiant de l’intelligence. L’étude du développement de la vie intérieure chez de nombreux mystiques, nous en fournit des exemples multiples.

Les mathématiques, qui constituent certes la branche la plus implacablement logique de toutes nos sciences, se sont enrichies seulement dans la mesure où les mathématiciens de génie ont vibré à la beauté mathématique, à une forme subtile d’esthétique ne pouvant être perçue que par une sensibilité profonde.

Se posant la question du « pourquoi » et du « comment » dans la sélection de combinaisons mentales qui s’opère indiscutablement dans les grandes découvertes, Jacques Hadamard déclare souscrire à ce que dit à ce sujet Poincaré.

« … Qu’elle est la cause qui fait que, parmi les mille produits de notre activité inconsciente, il y en a qui sont appelés à franchir le seuil, tandis que d’autres restent en deçà ? Est-ce un simple hasard ? Evidemment non. Les phénomènes inconscients privilégiés, ceux qui sont susceptibles de devenir     conscients, ce sont ceux qui directement ou indirectement affectent plus profondément notre sensibilité. On peut s’étonner de voir invoquer la sensibilité â propos de démonstrations   mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l’intelligence. Ce serait oublier le sentiment de la beauté mathématique, de l’harmonie des nombres et des formes, de l’élégance géométrique. C’est un vrai sentiment esthétique que tous les vrais mathématiciens connaissent. En un mot, les combinaisons utiles sont précisément les plus belles. »

Une fois de plus, le vrai est l’expression du beau. Et réciproquement, la beauté n’est-elle pas toujours l’expression d’une vérité ?

Dans la mesure où l’on tend vers les cimes de la pensée, il s’avère évident que la sauvegarde de la justesse de la pensée ne dépend plus de la pensée elle-même, mais d’une réalité qui la dépasse.

Cette réalité s’expérimente plus sous la forme d’une sensibilité transcendantale au Beau et au Vrai, que sous les formes rationnelles.

Quelle est la signification du Vrai dans la mesure où l’on tend vers l’essence des choses ? C’est l’Unité.

Unité de profondeur sous jacente aux apparences de surface.

Unité de l’esprit et de la matière. Unité de l’intelligence et du cœur, qui se fécondent mutuellement.

Unité de tous les opposés qui les englobe, mais les domine et permet leurs actions réciproques. Unité de l’énergie où s’alimentent toutes nos pensées, toutes nos affections, toute notre vie matérielle.

Ce principe d’Unité qui est Harmonie, Beauté et Vérité, est à l’origine de toutes les inspirations, de toutes les illuminations soudaines éprouvées par la plupart des savants illustres.

L’illumination mathématique s’opère pour autant que le mathématicien consente à enrichir son activité purement intellectuelle d’une sensibilité esthétique transcendantale.

Cette dernière constitue non seulement le catalyseur de la révélation mais est, en plus du rôle passif des catalyseurs, une source active de révélation, un apport de certitudes plus profondes et nettement supra-rationnelles.

Par quels moyens se réalise cette symbiose psychologique de l’intelligence et des formes supérieures de la sensibilité ?

Toujours dérivant de la loi d’Unité.

Nous pensons que le Réel profond, base des mondes physiques et psychiques, est constitué par une énergie une et homogène, contenant à l’état latent une forme apothéotique et synthétique de ce que les hommes appellent à leur échelle d’observation l’intelligence et le processus opérationnel des illuminations soudaines en matière de recherches scientifiques, pourrait être mis en lumière par l’hypothèse précédente.

Toutes les fois qu’un homme parachève une grande tension d’intelligence supérieure par l’apport conscient ou inconscient d’une sensibilité transcendantale, cet homme réalise à son insu les conditions psychologiques favorables à l’éclosion du Vrai, parce qu’il réalise une condition d’Unité.

Que cette notion d’unité soit celle de l’essence des choses elles-mêmes, ou qu’elle offre un simple parallélisme avec une unité plus profonde, ceci est d’importance secondaire.

L’important est de réaliser un équilibre à la mesure du niveau où l’on opère.

*

Plus troublantes encore sont les expériences de mystiques débutant avec une intelligence primaire, pour devenir de véritables athlètes de l’esprit en s’ouvrant plus cependant aux richesses du cœur qu’à celles de l’esprit. C’est le cas d’un swami Ramdas, d’un Maharishi aux Indes. Je terminerai ces considérations par une expérience personnelle, dans le seul but de parler d’expériences et non dans le désir de procéder à des comparaisons déplacées par rapport à des Sages, devant lesquels je ne suis rien.

Jusqu’à l’âge de 17 ans, j’apprenais très difficilement, j’étais mauvais élève, sans mémoire, distrait, incapable de soutenir un raisonnement, très lent d’esprit. Quand au contact d’une lecture très simple, mais inspirée d’une grande ferveur mystique, il me fut donné d’éprouver intensément l’émotion de l’unité. Cette extase spirituelle fut le départ d’une véritable renaissance, se transposant jusqu’au plan purement intellectuel. Je ne puis trouver de comparaison plus adéquate à mon expérience, que celle de sentir mon âme (mes facultés intellectuelles et affectives) semblable à une plante précédemment desséchée, qui soudainement se sent envahie d’une sève nouvelle, impétueuse, émettant en tous sens de nouvelles ramifications. A tel point, qu’en toute conscience, je sais que dans toute transformation favorable, postérieure à cette expérience, je ne suis pour rien en tant qu’égo limité, le devant essentiellement à la place que j’ai faite à l’énergie mystérieuse qui œuvrait en moi, et que tout ce que j’ai fait de mal (1), résulte uniquement des résistances opposées par mon égo à CE que je savais foncièrement être le vrai.

Tout le secret du bonheur réside dans cette attitude éminemment simple : ne pas résister aux lois éternelles de la Vie. Et qu’est-ce qui résiste aux lois de la Vie ? Quoi ? Sinon l’égoïsme. L’égoïsme résultant du grand œuvre de la vie n’est pas un résultat définitif, une fin en soi. Il doit être dépassé.

Ce qui fut une aide, devient une entrave.

L’égoïsme doit être dépassé sur le plan spirituel, comme la seule intelligence doit être dépassée sur le plan de la recherche scientifique.

Et de même que l’intelligence est illuminée, enrichie par l’apport d’une sensibilité transcendantale dans le domaine de la recherche scientifique, l’homme délivré des limites égoïstes de son « moi », accède sans le vouloir aux plus irremplaçables trésors de l’existence.

(1) Vis-à-vis du Réel, il n’y a ni bien ni mal, ceci est une commodité de langage.