Gaston Bardet
Le super-mécanisme concentrationnaire

Jusque-là, seul l’État avait le droit régalien de battre monnaie, c’est lui qui aurait pu et dû émettre ces billets gagés sur l’or qu’il avait emprunté. Le syndicat, abusant de son titre de Banque d’Angleterre, fit imprimer des billets reconnus valables à Londres, puis dans tout le pays, sous caution morale du roi et matérielle du prêt en or. C’était génial, le public avait confiance en des papiers que la Banque — n’ayant plus de capital — était incapable de rembourser. Ainsi est né le crédit moderne en argent-papier…

Ce texte écrit en 1950 explique l’origine de nombreux problèmes de notre époque… écrit par Gaston Bardet(1907-1989), urbaniste et mystique chrétien. En complément voir l’excellent document pédagogique: La Monnaie – Du pouvoir d’Achat au pouvoir d’Etre – Philippe Derudder


(Extrait de Demain c’est l’an 2000. Éd. Jacques Petit. 4e édition 1958)

Mais parmi tous les mécanismes concentrationnaires, il en est un plus subtil et plus puissant, dont l’ignorance était quasi totale il y a trente ans [1]. Aussi suis-je bien obligé de l’exposer en détail. C’est le mécanisme bancaire qui multiplie les méfaits de l’usure et du crédit. En effet, d’un côté, par l’addition des intérêts il double, puis quadruple toute dette en quinze puis trente ans, d’un autre côté, par le subterfuge du crédit et de la monnaie scripturale, il vampirise toutes les richesses mobilières et surtout immobilières d’une nation, puis du monde.

L’usure a toujours été interdite par le Droit canon romain, puis par le Coran. Le catéchisme du concile de Trente est formel : « Tout ce qu’on prend au-delà de ce qu’on a donné est usure… c’est pourquoi le prophète Ézéchiel (18-17) dit que Celui-là sera juste qui n’aura rien pris au-delà de ce qu’il aura prêté. Et Notre Seigneur nous ordonne, dans Saint-Luc (6-35), de prêter sans en rien espérer. Ce péché a toujours été considéré, même par les païens, comme « un crime très grave et très odieux » et le concile ajoute, « c’est ce qui fait dire à Cicéron que prêter à usure ou tuer un homme c’est la même chose. Et en effet, ceux qui prêtent à usure vendent deux fois une même chose, ou ils vendent ce qui n’est point ».

Il faudrait bien peu connaître l’histoire des civilisations pour s’imaginer qu’il ne s’agit là que d’un principe de morale et non pas d’un principe fondamental de bonne organisation de la société civile… car il n’y a qu’une seule clé pour les Deux Royaumes (celui de la Terre et celui du Ciel).

La civilisation égyptienne a duré quelques cinq mille ans ; elle ignorait la monnaie. Les diverses civilisations mésopotamiennes se sont effondrées les unes après les autres, au bout de quelques siècles, s’entre-déchirant, s’entre-détruisant. Elles connaissaient non seulement le trafic des lingots, mais l’usure, c’est-à-dire le « croît de l’argent » comme l’appelle le code d’Hammourabi. L’intérêt pouvait légalement atteindre 25 % et montait jusqu’à 100 et 140 %…

L’Encyclopaedia Britanica (article Money, édition de 1929) souligne que l’écroulement de la Grèce au VIème siècle comme l’effondrement de l’Empire romain sont également dus à l’usure. Ainsi que l’a montré G. Ferrero dans : la Grandeur et le déclin de Rome, Jules César fut brisé pour s’être montré incapable de résoudre « la gigantesque accumulation d’intérêts inaliénables qui avaient concentré toute la richesse en quelques mains, réduisant les petits propriétaires en esclavage ».

Vous commencez à soupçonner pourquoi Cicéron est plus dur dans ses jugements que les Pères de l’Église !

Précisons que le mot usure ne s’applique pas au taux pratiqué mais au caractère du prêt [2]. Le prêt de consommation est seul qualifié d’usure dans les textes canoniques, le prêt à la production n’est pas un prêt, mais un apport de capital à une entreprise dont l’activité fournit des bénéfices. Ce prêt à la production n’est-il pas licite ? Oui, dans certaines limites du taux de l’intérêt, mais non quand celui-ci atteint 50 % à 60 %, tel est cependant le taux réel des avances bancaires modernes.

Pour le comprendre, il faut étudier la constitution et le développement de la Banque d’Angleterre, type du système bancaire moderne, né en pays protestant où l’usure avait été autorisée par Élisabeth.

En 1694, Guillaume d’Orange, devenu Guillaume III d’Angleterre, n’avait plus d’argent pour payer son armée. Ce Hollandais, dont le succès avait été financé par les banquiers protestants de son pays, va — juste retour des choses — être pris dans l’engrenage des usuriers anglo-hollandais. Un syndicat d’usuriers, dirigé par William Paterson, lui proposa la combinaison suivante : a) Le syndicat privé avancera au gouvernement un prêt en or de 1200000 livres, au taux de 6 %, le capital et l’intérêt étant garantis par l’État et payés en or ; b) en récompense, le syndicat privé a le droit de s’appeler Banque d’Angleterre ; c) comme le syndicat se démunissait ainsi de tout son capital pour financer le prêt, il avait en échange (?) le droit d’émettre et de négocier des billets à ordre jusqu’à la concurrence des 1200000 livres prêtées en or, à l’État.

Jusque-là, seul l’État avait le droit régalien de battre monnaie, c’est lui qui aurait pu et dû émettre ces billets gagés sur l’or qu’il avait emprunté. Le syndicat, abusant de son titre de Banque d’Angleterre, fit imprimer des billets reconnus valables à Londres, puis dans tout le pays, sous caution morale du roi et matérielle du prêt en or. C’était génial, le public avait confiance en des papiers que la Banque — n’ayant plus de capital — était incapable de rembourser. Ainsi est né le crédit moderne en argent-papier, véritable contrefaçon du Credo.

Par cet abus de confiance envers le peuple anglais, doublé de haute trahison envers le roi, dit Thomas Robertson [3], le clan des usuriers doubla d’un trait de plume sa fortune. Elle fit même plus que doubler, puisqu’il touchait non seulement l’intérêt sur son prêt en or, mais l’intérêt sur les billets en papier qu’il se mit à prêter — le 6 % sur le capital initial devenant du 12 %, en huit ans il doublait à nouveau [4].

Ainsi la Banque avait créé une double dette, l’une du gouvernement — lequel, après tout, empochait l’or — l’autre du peuple anglais. L’endettement simultané du gouvernement et du peuple ne fera que croître sans cesse, le gouvernement faisant évidemment tout retomber sur le peuple par le système des impôts. Telle est l’origine de la Dette nationale anglaise, nulle avant Guillaume III et qui atteignait, en 1948, 24 milliards de livres. Le mécanisme comporte trois stades : usure, dette, impôts, dont 60 % servent à payer les intérêts de la dette.

Guillaume III continua à emprunter à la Banque jusqu’à concurrence de 16 millions de livres-or. Et celle-ci émit la même somme en billets. Bien plus, comme les billets avaient cours au même titre que l’or, même à l’étranger, la Banque avança désormais au gouvernement du papier… cautionné par lui, et non plus en or. Le tour était joué. Il est évident qu’à ce moment-là le gouvernement aurait pu reprendre son droit régalien et décider d’imprimer lui-même, les billets ; il n’aurait ainsi jamais eu d’intérêts à verser ni de dette nationale en boule de neige.

Au début, la banque n’émit des billets que jusqu’à concurrence de l’or prêté, et conserva une réserve-or destinée à couvrir les demandes de remboursement. Petit à petit, elle s’aperçut que les gens préféraient manier des billets plus légers que l’or, et qu’on pouvait émettre des billets en se contentant de garder une réserve de 10 % [5].

Mises en goût par une opération aussi fructueuse, les banques se multiplièrent comme des champignons. Entre 1694 et 1830, on trouve dans les îles Britanniques 684 banques privées, émettant chacune ses propres billets.

En dehors de toute considération morale le prêt à la production suffit à déséquilibrer toute économie qui n’est pas purement agricole ou pastorale, c’est-à-dire la seule économie où le « croît biologique », don de Dieu, éternellement renouvelé, peut dépasser le « croît de l’argent » lorsque le taux est faible. L’industrie, elle, ne fait que transformer, et par l’extraction, épuiser.

Tout d’abord, c’est l’inflation. Il y a dix fois plus de signes monétaire légaux en 1836 qu’en 1694. Or cette monnaie-papier n’est pas seulement prêtée mais dépensée directement par les banques, qui jouent ainsi le rôle de commerçants. Elles peuvent ainsi faire marcher leur commerce, avec seulement 10 % du capital réel, tandis que les industriels qui veulent lancer une usine ou constituer un stock empruntent aux banques, au taux de 6 %, des billets qui ne représentent quasi rien et hypothèquent leurs moyens réels de production pour du vent. Cela explique le peu de faillites des banques et la vampirisation des industries et du commerce par les « banques d’affaires ».

Toutefois, en 1836, le gouvernement britannique eut conscience du danger. Après une enquête secrète, le chancelier Robert Peel prit l’initiative du Bank Charter Act de 1844. Cette lois retira aux quelques 600 banques privées le droit d’émettre des billets en ne reconnaissant qu’à la seule Banque d’Angleterre, obligée cette fois d’avoir une couverture-or de 100 % — ce qui dura jusqu’en 1914… Aujourd’hui, la couverture n’est plus que symbolique.

Pauvre gouvernement ! Les 600 banquiers se réunirent en un nouveau syndicat, le Joint Stock Banks et remplacèrent l’émission des billets interdits par l’émission de chèques facilitant l’avance bancaire, c’est-à-dire l’ouverture de crédit en compte courant. Ce n’était qu’une émission camouflée de billets, et d’autant plus avantageuse qu’elle allait servir principalement à enfler la production des gros emprunteurs et non à faciliter la consommation des petits, comme la monnaie légale.

C’était un nouveau coup de génie. Cette fois, ce n’est plus le roi qui cautionnera l’émission, ce sont les déposants, par suite d’une confusion habilement entretenue.

Le secret de la toute-puissance bancaire dans le monde entier, précise Robertson, réside dans le fait suivant : « Lorsqu’un individu dépose aujourd’hui 1000 £ en espèces à la banque, celle-ci ne prête pas ces 1000 £ à un autre client, mais les garde en réserve, et prête en avance bancaire, ou par chèque 9000 £, c’est-à-dire neuf fois le montant du dépôt qu’elle a reçu ». C’est le premier client qui constitue la réserve de 10 %… alors que le bon public croit que toute Banque n’est qu’un intermédiaire qui avance l’argent mis chez elle en dépôt, soit 1000 £ pour 1000 £. C’est d’ailleurs ce qui est déclaré dans tous les traités orthodoxes, et qui était officiellement inscrit dans l’Encyclopaedia Britanica jusqu’en 1910 ; mais dans l’édition de 1929, vous lisez que « les banques prêtent en créant du crédit, elles créent leurs moyens de paiement ex nihilo » précise M. R. Hawtrey, secrétaire adjoint au Trésor [6].

En général, l’emprunteur a déposé des garanties. S’il ne peut rembourser son emprunt, la banque saisit les garanties et fait là un bénéfice absolu, pendant que l’emprunteur, lui, fait faillite. S’il rembourse, la banque touche 6 % sur 9000 £, soit 54 % sur les 1000 £ qui lui avait été déposées jadis, joli bénéfice pour avoir fait un simple jeu d’écriture. L’opération est annulée, la somme inscrite est rentrée dans la colonne Avoir, elle annule le montant porté en sortie dans la colonne Doit. Les 9000 £ se dissolvent dans le vent, d’où elles étaient venues !…

De là le pouvoir quasi magique des banques. Non seulement elles créent et détruisent de la monnaie, mais des affaires. Elles provoquent des booms, des crises artificielles, des périodes de suractivité ou de chômage, suivant que — comme une coquette — elles accordent ou non leurs faveurs, c’est-à-dire des crédits de compte courants. Elles sont maîtresses du « cycle du commerce ». Leur pouvoir est invincible, quel que soit le parti qui triomphe temporairement. Elles concentrent progressivement tout entre leurs mains, sur la ruine des nations.

Lorsqu’en 1919, Vincent C. Vickers — gouverneur de la Banque d’Angleterre depuis 1910 — s’apercevra de cette destruction irrémédiable, il démissionnera et commencera à dénoncer cet engrenage implacable [7]. Il en résultera l’Official Governmental Report on Finance and Industry, dit MacMillan Report [8], au Parlement anglais de 1931, puis le Canadian Government Report of the Committee on Banking and Commerce, de 1939 [9], qui confirmèrent tous ces faits et révélèrent que le mot : dépôt bancaire est une escroquerie verbale, il fait croire à un actif alors qu’il représente au contraire un passif, une dette des emprunteurs. Il faut lui substituer l’expression « crédit financier » ou mieux « argent négatif ».

Avec ce système une banque peut tout acheter, tout faire passer entre ses mains, puisqu’elle peut doubler en deux ans non seulement son capital réel mais l’argent qu’on lui dépose. Elle réalise l’idéal concentrationnaire, n’ayant besoin ni de déplacer des hommes, ni de rassembler des machines, quelques traits de plume suffisent. C’est la reine des machines-en-papier !

Pas de concentration sans destruction

Le mécanisme moderne du Crédit, portant sur la production va conduire au même effondrement que la simple usure de l’antiquité, portant sur la consommation, car il ne possède plus d’autorégulation venant des signes monétaires légaux, de l’argent accumulé ou thésaurisé, de l’épargne.

Lorsque des consommateurs investissent leur épargne, tout d’abord, le taux d’intérêt réel reste limité, inférieur à 10 % mais surtout, l’industrie qui emprunte ne peut se développer qu’en fonction de cette épargne, de ce surplus qui n’a pas été dépensé pour la consommation. À moins de fabriquer des objets superflus, cette industrie risque peu de surproduire, c’est-à-dire de produire au-delà des possibilités d’achat des consommateurs. Tandis que dans le cas du financement par les banques, qui émettent une monnaie scripturale anticipée, basée sur l’hypothèse de la vente des objets produits, les exploitations de la production s’enflent à une vitesse dépassant les pouvoirs d’achat réels qui sont désormais négligés et ignorés.

Il s’ensuit une hystérie de la production qui offre l’alternative : chômage ou guerre pour la destruction des biens qui encombrent le marché.

Il y a donc deux financements possibles de caractères totalement opposés : l’un provenant de l’épargne, de l’argent en supplément et l’autre projeté par anticipation. Dans le premier cas, l’autorégulation doit venir de l’offre des capitaux existants, dans le second, de la demande en besoins primaires les plus certains.

Ainsi le financement bancaire — mis en lumière — est tout indiqué pour la construction et l’équipement immobilier profitant à l’ensemble du pays. Là où il n’y a point à craindre de surproduction, c’est vraiment la demande qui fixe l’émission. Ce sont les besoins en logements, en routes, en ponts, en hôpitaux, en écoles, en forêts, qui cette fois, deviennent les régulateurs de la monnaie scripturale anticipée, si dangereuse dans ses anticipations. Mais dans ce cas, seuls des offices régionaux — et non une banque de crédit centralisée [10] — permettraient d’avoir la confiance du public de la région et le contrôle effectif des besoins proches. Comme là, il s’agit de prêt de consommation et non plus de production, il ne peut plus être question d’intérêt. La Région ne peut être usurière. Le mécanisme bancaire, en tant que mécanisme, est utilisé sans compromission avec l’usure, il possède son autorégulation organique : la connaissance de la communauté dans ses besoins propres. C’est le seul cas où posant le Bien au départ, nous le récoltons à l’arrivée.

Lorsque s’ajoutent les méfaits de prêt à intérêt de taux scandaleux, de la monnaie scripturale non freinée par les besoins et de l’hystérie de la production, on dévale à roue libre vers la destruction obligatoire.

La ruine vient, d’une part de la Dette nationale et de ses intérêts reportés sur le peuple par l’impôt qui n’est plus « juste », ne répondant pas à un service rendu. Aussi se pose la question : faut-il rendre à César ce qui est à Mammon ?

La ruine est augmentée par l’inflation qui déprécie les biens du travail et qui est telle qu’en juillet 1945, les banques réunies des îles Britaniques possédaient en caisse 600 millions de £ et avaient accepté environ 5400 millions de £, soit neuf fois plus, en reconnaissances de dettes, prêts, avances, investissements. Ces 5400 millions n’ayant aucune existence réelle ont été créés par les banques, à partir de rien, depuis 1844, au taux de 1 million par semaine [11].

Le système est très exactement satanique. L’homme ne peut rien créer ex-nihilo. L’argent-négatif ou dette peut, et doit, être détruit par un jeu d’écritures sur le grand Livre : la colonne Avoir équilibrant la colonne Doit. Mais subsiste l’intérêt à payer, qui ne le peut être que grâce à une nouvelle création ex-nihilo d’argent-négatif et ainsi de suite… Il se produit une boule de neige de dettes, une marée d’argent-négatif, de néant, qui augmente sans cesse et entraîne à la destruction obligatoire des biens réels.

Le chaos économique qui conduit chaque pays à l’alternative : révolution ou guerre, provient d’une méconnaissance de vérités élémentaires, tant des marxistes d’ailleurs, que des économistes libéraux. Marx, en effet, n’a nullement soupçonné le mécanisme de l’argent-négatif, et a reporté ses attaques contre le profit et la propriété. Ces derniers ayant toujours été défendus — dans de justes limites — par l’Église, mère des Pauvres, la sagesse commandait de chercher une autre explication.

La voici. Pour qu’il n’y ait pas coexistence de surproduction et de sous-consommation, il faut que le revenu national puisse acheter la production nationale donc lui soit égal [12] — la soupape des exportations étant de plus en plus réduite dans un monde qui s’unifie [13].

Or tout prix comporte deux parts : l’une de travail, l’autre de capital, l’une a) de salaires personnels (directs ou indirects mais versés à des personnes pour leur consommation), l’autre b) de rémunération des capitaux engagés, qui sont des capitaux d’argent-négatif en majeure partie — la monnaie légale servant à peine à 5 % des échanges (avoua lors de l’enquête précitée M. C. Towers, gouverneur de la Banque du Canada). Tel est le phénomène a + b découvert expérimentalement par le major Douglas il y a trente ans (donc en 1920) et au sujet duquel M. de Valera déclarait en 1942 : « Malgré mes demandes réitérées, aucun économiste n’a pu me démontrer la fausseté de ce théorème ».

Si donc les producteurs touchent un total a, ils ne peuvent, en aucune façon, acheter un total a + b ; le revenu national reste toujours inférieur à la production nationale. Il y aura toujours des surplus et les consommateurs seront toujours en état de sous-consommation. Telle l’origine du phénomène surabondance-misère qu’aucun dirigisme ne peut réduire.

Faut-il souligner que plus la structure productrice est concentrée, plus les investissements dans d’énormes machines sont gigantesques, plus b croît aux dépens de a dans l’équation, moins les salariés peuvent acheter leur production, plus la misère augmente, ce qui se vérifie depuis un siècle, quelle que soit l’augmentation continue des salaires [14].

Le remède financier — dont nous avons déjà montré dans nos autres chapitres la valeur économique — consiste d’une part dans le micro-machinisme et la décentralisation diminuant b. Et d’autre part, dans le retour à l’État de son droit régalien de battre monnaie, enfin dans l’utilisation du crédit public retrouvé, sans intérêt, pour la construction des services publics nationaux, régionaux (routes et hôpitaux, écoles et forêts) où la part de salaires personnels est maxima et qui sont en dehors du circuit Production, dans lequel doit jouer seulement la monnaie légale [15].

Faut-il faire remarquer que, quelle que soit la Distribution : structure du commerce et répartition des biens parmi les citoyens, cela ne joue qu’à l’intérieur de a. Il peut y avoir des injustices, des bénéfices scandaleux ou un gaspillage dû à une cascade d’intermédiaires, mais les Salaires totaux, plus ou moins bien répartis, doivent d’abord permettre d’acheter la Production totale.

Le système bancaire actuel, autrement dit l’usure-à-l’argent-négatif ne peut rien créer de positif, il est très exactement inverti. Il prospère en temps de guerre, s’épanouit, apporte la prospérité matérielle aux ouvriers requis en usine, aux fournisseurs de l’État et aux fabricants de munitions, pendant que la fleur de la nation est tuée ou mutilée. Il languit en temps de paix, se contracte, apporte le rétrécissement du pouvoir d’achat, les faillites, banqueroutes, le chômage et toutes les misères à la clé. Pourquoi ce paradoxe ?

Il y a toujours assez de pouvoir d’achat pour les buts de guerre PARCE QUE les biens créés sont détruits. Ainsi la sous-consommation peut être ordonnée au nom du patriotisme, tandis que la surproduction est liquidée.

Il ne s’agit point de mettre au pilori les banquiers actuellement inconscients, mais de considérer les faits. Les faits sont les suivants, ils crèvent les yeux : l’usure-à-l’argent négatif conduit à fournir toujours assez d’argent pour la guerre, la mort et la destruction et jamais assez pour la paix, la vie et la construction. Plus la guerre est terrible, dévastatrice, plus de pouvoirs d’achat sont créés, plus le flot d’argent-négatif s’enfle ainsi que les bénéfices des usuriers. Mais ce gonflement ne peut avoir lieu avec des biens qui encombreraient le marché, puisque les salaires sont toujours insuffisants pour les acheter, et ne peut avoir lieu que dans un seul cas, celui de la destruction délibérée des stocks. Le système ne fonctionne avec efficiency que si l’on détruit des biens réels [16]. Il conduit implacablement à la guerre.

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1 Ce texte fut écrit en 1950, donc c’était en 1920…

2 Il n’en est pas de même du mot : usurier. Cependant les auteurs anglais qualifient d’usure le prêt à la production de l’argent qui n’existe pas, de l’argent négatif.

3 In Human Ecology, (Maclellan ed. 240 Hope Street, Glasgow), admirablement documenté mais dont nous n’acceptons pas le remède.

4 Savoir doubler l’intérêt fait partie de la science bancaire… Ainsi en est-il de la vente à crédit mensuel à 8 %, qui est en réalité à 16 %, et qu’on tente de généraliser en Europe. (c’était en 1950)

5 Or le remplacement de la monnaie métallique par la monnaie-papier dépouille l’individu de sa suzeraineté en le liant à la souveraineté de l’État. « Mes 1000 francs-papier d’aujourd’hui — déclare Louis Salleron — en vaudront demain 900, 800 ou 50. Mon louis d’or opposait sa valeur propre aux décrets de ministres ; il protégeait ma liberté contre la fantaisie du Prince, il dressait face à face mon pouvoir contre tout pouvoir étranger et contre les Pouvoirs publics eux-mêmes ».

6 Il existe en Angleterre des « Banks » de dépôt exclusif, simples caisses d’épargne, mais en Allemagne et en France, les deux opérations, l’une de dépôt, l’autre de spéculation, sont plus ou moins mêlées. (en 1950)

7 Cf. Economic Tribulations (Badley Heat, 1941), écrit sur son lit de mort.

8 Publié par H. M. Stationary Office (Londres, 1931).

9 Publié par King’s Printer (Ottawa, 1939).

10 Dont les méfaits sont dénoncés par Robertson, op. cit., et le thomiste irlandais R. P. Denis Fahey in Money manipulation and Social Order, (Brown and Nolan. Dublin).

11 Tel est le montant de l’impôt secret perçu sur toute la communauté de l’espace financier britannique, qui le paie non avec du vent mais avec son travail et ses propres biens réels. Et ce chiffre de 5400 millions ne comporte pas toutes les acquisitions et investissements dans les affaires nationales ou internationales qui se montent au moins à 5000 autres millions.

12 Molotov, longtemps ministre des affaires étrangères de l’URSS, avoua que la seule chose qu’il craignait était que cette égalité soit réalisée en Occident…

13 La recherche des grands espaces financiers, les accords financiers entre plusieurs nations n’ont, au fond (et peut-être inconsciemment), pour but que de trouver… chez les autres, de l’argent que l’on ne peut trouver chez soi ; mais le théorème reste inexorablement valable pour l’espace considéré !

14 Le personnel de certaines usines s’appauvrit au fur et à mesure que s’accroît leur modernisation. Il pouvait acheter, en 1947, environ la moitié de la production, et deux ans après seulement le quart, car la modernisation entraîne un accroissement des charges du capital et une diminution des pouvoirs d’achat. Cf. l’article de Georges Levard, in « revue d’Action Populaire » de décembre 1950.

15 L’abîme qui sans cesse augmente entre le « progrès » matériel et le progrès moral, vient de ce que la production matérielle n’est plus organique. Elle n’est plus financée par le croît naturel, par les propres réserves des industries, mais par anticipation, par dettes d’argent-négatif. Elle s’enfle à une vitesse qui dépasse toute maturation possible des individus. Cela est fondamental pour comprendre l’hystérie de la production. Coutrot faisait remarquer, il y a quinze ans (donc en 1935), combien le Français était paysan, même dans l’industrie, cherchant à financer ses agrandissements au « moyen de ses propres réserves ». C’était en effet la marque d’un système financier organique et sain, dont la sagesse se perd.

16 Aussi les faillites des industries sont-elles acceptées avec complaisance par les banques, c’est une des soupapes de sûreté qui empêchent la chaudière d’éclater. Par contre, les bons « Serra » émis sans intérêt au Kenya, vers 1921, ou les « billets coopératifs » sans intérêt, J.A.K., au Danemark en 1931, furent stoppés par les banques nationales, car les professeurs d’économie démontrèrent (!!) « que c’était un gros désavantage pour tout le monde (!) d’emprunter sans intérêt ». Qu’en pensent les constructeurs de petites maisons familiales… qui paient deux fois leur maison ?