Catherine Anne
Le symbolisme du tarot 2 : Le bateleur

LE BATELEUR, c’est la lame un, le principe Universel. Nous allons décrire la lame de bas en haut. Pourquoi ? Pour aller de l’involution à l’évolution. C’est-à-dire que tout est contenu en devenir dans cette lame. En même temps, je parlerai du symbolisme des couleurs. Chaque fois que je rencontrerai une couleur je vous l’expliquerai sur le plan symbolique, et comme cela se répétera à chaque lame, vous saurez très vite que le vert c’est l’occulte, le bleu la sagesse, le rouge l’élan vital…

(Revue Panharmonie. No 198. Avril 1984)

La dernière fois je vous ai présenté le Tarot en tant qu’objet. Cette fois-ci on va par l’étude des lames rentrer plus en profondeur dans tout le symbolisme en commençant par la lame du Bateleur.

Avant de parler du Bateleur, une petite mise au point. Les personnes auxquelles j’ai prêté des lames ont constaté qu’il y a deux « Marseille » qui sont différents et que le « Wirth » est très différent du « Marseille »… En voilà la raison : Les symboles sont d’origine égyptienne, ils ont été reconstitués de façon gnostique et transmis par les gens du voyage sur des lamelles de bois et, pour échapper à l’inquisition et aux déprédations, ils ont été transmis sous forme d’un jeu. Puis il y a eu des copies, mais qui dit copie dit forcément déformation. Or l’inquisition ne plaisantait pas avec le symbolisme et c’est pourquoi on a fait exprès de christianiser certaines lames pour les faire admettre.

Le premier jeu connu qui est à la Bibliothèque Nationale n’est pas facile d’accès ; il est protégé à cause des couleurs qui commencent à s’atténuer. C’est le fameux « Conver ». Conver était un maître cartier à Marseille, d’où le nom de Tarot de Marseille. Sur chaque lame il y a l’estampille de la Bibliothèque Nationale. On pense que sur le Conver ce sont les couleurs originales datant de la Renaissance.

Puis Paul Marteau vers 1920-25 a redessiné le Marseille parce que le Conver n’était pas réédité. Le Tarot tombait en désuétude et Marteau au début du XXe siècle l’a redessiné, à sa façon, en intervertissant des couleurs, d’abord parce qu’on n’est pas très sûr des couleurs de l’original et ensuite parce que entre Conver au XVIe siècle et Marteau au XXe siècle il y a eu d’énormes changements. Il y a eu surtout une libéralisation de la transmission. Que le Conver soit plus exact que le « Marseille », ce n’est pas évident.

Je vais surtout vous parler d’un jeu qui a été entièrement reconstitué par Stanislas de Ghaita d’après les indications de Eliphas Lévi grand occultiste du siècle dernier et par Oswaldo Wirth lui-même qui a publié ensuite un livre là-dessus. On a à ce moment repris les symboles orientaux qui étaient à l’origine dans le Tarot, mais qui avaient été supprimés ou christianisés par la suite pour éviter des ennuis avec les gouvernements respectifs et l’inquisition.

Je m’occupe plus particulièrement du Wirth comme étant celui de la tradition authentique, mais il est évident que chaque Tarot, ayant vingt-deux lames numérotées un à vingt et un plus le zéro, s’inscrit aussi dans le cadre de la tradition. Je me base plus volontiers du point de vue symbolisme sur le Wirth c’est-à-dire celui qui existait déjà sous le nom de « Tarot des imagiers du moyen âge » et qui a pris le nom de Wirth quand celui-ci l’a redessiné.

LE BATELEUR, c’est la lame un, le principe Universel. Nous allons décrire la lame de bas en haut. Pourquoi ? Pour aller de l’involution à l’évolution. C’est-à-dire que tout est contenu en devenir dans cette lame.

En même temps, je parlerai du symbolisme des couleurs. Chaque fois que je rencontrerai une couleur je vous l’expliquerai sur le plan symbolique, et comme cela se répétera à chaque lame, vous saurez très vite que le vert c’est l’occulte, le bleu la sagesse, le rouge l’élan vital…

Quand je parle de symbolisme des couleurs, je parle évidemment de symbolisme traditionnel : occulte et alchimique et non du symbolisme courant : le vert l’espérance, le bleu la constance, etc. Ceci vous le trouverez partout et ce n’est pas mon propos ici. Vous constatez que le Bateleur c’est quelqu’un qui est bien dans la matière, il a les deux pieds posés solidement par terre. Dans le Wirth, il est chaussé de noir ce qui n’est pas le cas dans le Conver et le Marseille, mais toutes les couleurs se retrouvent dans un même symbolisme, disposées différemment, mais c’est le même.

Donc le Bateleur est chaussé de noir. En Alchimie le noir et le blanc ne sont pas des couleurs, ce sont des valeurs. Le noir représente l’incréé, c’est la materia prima, c’est le magma originel : le corbeau d’où va sortir la quintessence par la transformation alchimique. Je rappelle que c’est une opération qui se fait de l’intérieur et non pas dans un laboratoire avec un alambique et des cornues. Le noir c’est l’incréé et le Bateleur, il est comme nous, quoique plus loin que nous dans l’évolution bien sûr, mais il est comme nous, partie de l’incréé, de la matière. Nous avons d’abord été pierre, minéral, ensuite végétal, puis animal et nous sommes au stade humain, mais c’est toujours la loi d’évolution. Il est chaussé de noir parce qu’il s’appuie sur cette matière, il est dedans. La spiritualité part automatiquement de la matière. Il a un corps, il faut qu’il en tienne compte.

Et tout au haut de la lame, par opposition au noir qui est à ses pieds et desquels va jaillir la spiritualité, tout en haut est cette coiffure qui est en forme d’infini et qui représente Dieu. L’infini c’est-à-dire le huit allongé (il y a 2 lames dans le Tarot qui sont coiffées de l’infini: le Bateleur et la Force) est sur la tête du Bateleur car il est — comme nous tous d’ailleurs — un Dieu en puissance. Et tout est contenu dans cette lame : la matière en bas et Dieu en haut et puis entre les deux il y a le monde intermédiaire et tout ce qui nous est donné pour faire notre chemin.

Ce chapeau a une calotte rouge, un fond vert, un dessous bleu et un bord jaune.

Le rouge qu’il a sur le dessus de la tête, la calotte, c’est évidemment l’élan vital, la pulsion. C’est la valeur du sang des passions. Sans passion, il n’y a pas de vie.

Le bleu qui est en dessous, c’est la sagesse, on dit aussi la spiritualité, l’élan vers la spiritualité. J’emploierai plutôt le terme de sagesse car la spiritualité a une couleur bien à elle qui n’existe pas dans cette lame et qui est le violet. Le violet c’est la spiritualité sacrée. Le bleu est donc la sagesse, l’élan vers le spirituel.

Le vert, c’est très particulier ; c’est la couleur de la nature, c’est évident, mais c’est aussi la couleur de l’occulte. Vous constaterez que le Bateleur a du vert largement sur lui, il a les jambes bleues mais il a du vert sur ses manches. Ces manches sont à trois dimensions qui représentent les trois corps ou les trois mondes. Nous y reviendrons.

Il y a du vert dans tout l’intérieur de son chapeau et ce vert qui a la couleur de la nature, donc de l’occulte, parce que c’est par la nature que se fait une opération magique quelconque. Je vais faire un peu d’occultisme élémentaire. Le vert est la couleur de l’occulte, c’est-à-dire des esprits, des entités par lesquelles on arrive à ce qu’on veut quand on sait demander. Ce sont les élémentaux. En Inde, on les appelle les Devas. Il y a quatre élémentaux qui correspondent à chacun des quatre éléments :

L’Air : ce sont les sylphes. Il y en a particulièrement dans les régions boisées, les forêts, les prairies. Je rappelle chaque être vivant a une sorte d’âme groupe qui rejoint l’âme universelle et chaque plante a son entité personnelle ou sa part d’entité qui va rejoindre la pensée universelle. Les sylphes sont donc les esprits de l’air, des arbres, de tout ce qui est plantation.

L’Eau : ce sont les ondins, ou les ondines. Pensez à tous les folklores que vous avez pu entendre ou lire. Ils se trouvent surtout là où il y a de l’eau, aussi bien dans la Seine toute polluée quelle est, au bord de la mer, dans les cascades.

La Terre : ce sont les gnomes qui, dans chaque pays, ont leur nom : les Trolls en Scandinavie, les Farfadets, les Korrigans en Bretagne. Ils sont dans la terre. Au-dessus, ils commandent à la terre.

Le Feu : les élémentaux du feu sont les salamandres. Ce sont les seuls animaux qui passent dans les flammes sans se brûler. C’est l’emblème de François 1er. C’est de cette époque que datent les salamandres dans tous les châteaux de la Loire qu’il a construits. C’est aussi l’époque où tout l’ésotérisme a éclaté à la suite des persécutions du Moyen Age. Je me demande si c’est un hasard.

Cela pour vous dire qu’il y a une notion très importante de respect. On ne les voit peut-être pas, mais ils sont là quand on prend un bain dans une rivière, un torrent, la mer ; on est dans le territoire des ondins. Quand vous vous reposez en forêt, vous êtes dans le territoire des sylphes. Je veux dire qu’il y a une notion de respect vis-à-vis des entités qui font vivre les éléments et dont nous avons besoin. Il ne faudrait jamais rentrer dans une forêt en la polluant — non pas matériellement — mais avec de mauvaises pensées. Il faut y rentrer pour « se mettre au vert ». C’est la couleur de l’occulte. C’est se recharger par la nature. Il y a une façon de se recharger qui est facile et évidente. C’est d’entourer un arbre de ses bras, se mettre contre lui, puis ensuite dos à lui. On reprend ainsi de la vigueur. On reprend un peu de la force de l’arbre qui la communique. Ça c’est de l’occultisme, pratique que l’on doit respecter. Utiliser les élémentaux à d’autres fins, ça se fait aussi, mais ce n’est pas notre propos ici.

Le vert étant la couleur de l’occulte, c’est par la connaissance et le pouvoir des esprits de la nature qu’il va arriver à sa transmutation alchimique.

Le jaune : c’est la couleur occulte de la mort. Pourquoi le jaune ? C’est la couleur de Saturne mais aussi parce que la mort n’existant pas, c’est la couleur de la renaissance. La mort étant l’entrée dans la lumière. Ainsi, par ces quatre couleurs, tout ce que le Bateleur va avoir besoin est contenu dans son chapeau :

— élan vital ;

— sagesse par la connaissance de l’occulte ;

— la mort par laquelle il doit passer pour arriver à la transmutation finale.

Son habit : c’est la même chose, il a trois couleurs. Il a autour de son cou de petites bandes blanches, une collerette bleue, une bande devant lui bleue et les jambes bleues. C’est la sagesse, c’est l’aspiration vers la spiritualité. Il y a des petites bandes blanches.

Le blanc est en alchimie comme le noir, non pas une couleur mais une valeur. Le blanc c’est la pureté et l’invulnérabilité. C’est-à-dire que, s’il n’a pas peur, il a une défense. Il a ces deux collerettes blanches autour du cou. L’une à la hauteur d’un chakra important et l’autre légèrement plus bas. Il a aussi du blanc à sa ceinture, du rouge et du blanc. Partout où il y a des liserés blancs, ce n’est pas un hasard. Il sera entouré de pureté, d’invulnérabilité, à condition d’être positif. Devant, sur la bande bleue, il y a cinq boutons qui symbolisent les cinq sens dont il va devoir se servir pour arriver à évoluer.

Les manches : le haut est jaune, c’est-à-dire que par la mort, par les incarnations successives, il entre dans le vert en dessous (au fur et à mesure des incarnations, il va parfaire sa connaissance de l’occulte et des lois de la nature) et il va arriver enfin à cette ascèse spirituelle qui va l’amener au violet (il y a du bleu au-dessous du vert).

Voilà pour les couleurs du Bateleur. Passons à sa position et à ce qu’il a devant lui, à ce qu’il fait.

Le Bateleur a les deux pieds par terre. Il est devant une table, il tient à la main un bâton et touche de l’autre le denier. Il y a en plus deux autres objets posés sur la table : la coupe et l’épée. Dans le « Marseille » il y a une kyrielle de petits objets en plus, des gobelets à la place de la coupe, un petit poignard à la place de l’épée, quatre deniers (avant la Renaissance, c’était plutôt le style Wirth qui dominait) et il tient le denier le plus important entre le pouce et l’index, mais c’est sensiblement la même chose. Les objets ont été rajoutés par Conver pour éviter d’avoir des ennuis avec les autorités religieuses.

La table est un rappel de la table d’émeraude, elle n’est pas verte mais dans le Wirth les pieds sont verts (pas dans le Marseille). Il y a trois pieds qui représentent les trois mondes et le quatrième est systématiquement caché, dans tous les jeux il est hors de la lame. C’est la face cachée des choses. La table qui représente la table d’émeraude est un symbole de l’hermétisme venu jusqu’à nous.

Deux choses sont importantes en symbolisme, ce sont la loi d’inversion et la loi d’analogie. La table d’émeraude est un rappel de cette loi d’inversion. C’est une plaque d’émeraude (symbole d’immortalité dans l’antiquité) qui était devant l’autel d’Hermès, dieu grec. Au Moyen Age aussi, on soignait les gens avec des émeraudes pilées. Sur cette table était gravée, en grec, la phrase suivante : « tout ce qui est en haut égale ce qui est en bas pour faire le miracle d’une seule chose ». Cela veut dire grosso modo que tout est dans tout. Les mondes sont imbriqués les uns dans les autres. Il n’y a pas de haut, pas de bas, pas de bien, pas de mal. Il y a un chemin  à suivre entre les deux, et parfois même il faut choisir ce qu’on appelle le mal. C’est lui qui révèle le bien. La table d’émeraude est en fait la négation de la dualité.

Partout où il y a une table quelque part, c’est un rappel de la table d’émeraude. Le Tarot n’échappe pas à cette règle. De plus, la table est à la hauteur des hanches, mais aussi des organes génitaux, car elle est censée être une protection à la fois contre les instincts et contre ce qui pourrait l’atteindre comme radiation et vibrations nocives. C’est le symbole du tablier des maçons qui est censé les protéger.

Il a les pieds solidement ancrés par terre en équerre ; ils font un angle de 90°. L’équerre est un symbole typiquement maçonnique qui a été récupéré, puisqu’il remonte au temple de Salomon : c’est la rectitude du jugement. L’équerre n’est pas seulement aux pieds, elle se retrouve partout. Tous les angles droits symbolisent l’équerre. On en retrouve tout au long du Tarot. Les pieds en équerre signifient qu’il est ouvert, qu’il a la rectitude du jugement et il va se servir des quatre objets qui lui sont donnés pour avancer et faire son choix. Il y en a deux qui sont posés sur la table et il y en a deux avec lesquels il est en contact : le bâton qu’il lève de la main gauche ; c’est important que ce soit de la main gauche. S’il avait le bâton de la main droite ce serait un charlatan. La main gauche, c’est la main des passions, de l’affectivité, de l’émotivité et le bâton étant un principe de jeu (c’est-à-dire action, pouvoir) rien ne se construit sans affectivité. Tandis que la main droite c’est la raison, c’est ce qui est rationnel. A ce moment-là ce n’est pas valable. Il faut que ce soit le côté gauche, côté de l’intuition, qui domine l’action, il faut que ce soit de ce côté-là que parte l’action.

Le bâton est tenu de telle façon que pas un doigt ne soit dans le vide. Tous, ils touchent le bâton. Cela veut dire, comme en Yoga, un mudra (geste) que l’index pointé vers le haut prend les énergies du ciel et les retourne à la terre par le dernier, le bâton étant un élément de feu. Rappelons que le bâton, coupe, épée et denier ont donné dans les cartes à jouer quatre couleurs, c’est-à-dire le bâton les affaires : le carreau ; la coupe le réceptacle d’amour : le cœur ; l’épée qui est l’éclair de l’esprit, la spiritualité : le pique et enfin le denier, c’est évident : le trèfle (avoir du trèfle, en argot).

Le bâton c’est la puissance d’action sur les événements, c’est partout le symbole de puissance : le sceptre des rois et des empereurs, la croix papale, le bâton quand ce n’est pas chrétien, la crosse des évêques, la baguette magique des fées, la baguette des chefs d’orchestre, le stick des officiers… Le bâton, c’est symbole de pouvoir et d’action sur les événements. En même temps, il prend les énergies du ciel lorsqu’il lève le bâton. Celui-ci a les pôles de la dualité (c’est le Yin et le Yang, le jour et la nuit, le bien et le mal, un et deux). C’est par le pôle rouge, les pulsions vitales, qu’il va chercher l’énergie cosmique et le pôle bleu est en bas car l’énergie cosmique doit se changer en spiritualité.

Il tient ce bâton et ce qu’il prend comme énergie du ciel il le restitue au denier en touchant de l’index le centre de la croix qui est sur le denier posé sur la table. Dans le « Marseille » il a ce denier dans la main. De toutes façons index est en contact avec le denier. Il le touche de la main droite qui est la main de la raison. Mais le denier est en or, c’est-à-dire imputrescible. L’or est le symbole cosmique de la perfection comme l’argent le symbole terrestre de la perfection. L’or est absolument imputrescible. Le denier est en or, il est rond: il symbolise le monde, le cosmos, l’univers, et dessus il y a une croix. Je rappelle que ce n’est absolument pas un symbole chrétien, bien entendu, bien que cela fasse 2 000 ans qu’on nous le dise. La croix est un symbole qui remonte à la plus haute antiquité. A partir du moment où il y a eu le moindre renseignement sur une civilisation, qu’il y a eu une écriture il y a eu le symbole de la croix : c’est le croisement de la matière et de l’esprit, le croisement de l’horizontalité et de la verticalité. L’horizontalité c’est la terre, le monde (que les anciens croyaient plat) et la verticalité c’est l’ordre, c’est ce qui a la faculté de se dresser debout sur l’horizontalité pour évoluer. Et l’homme debout sur la terre c’est aussi une croix. Les Grecs qui savaient plus de choses que nous dans ce domaine mettaient le siège de l’âme dans la plante des pieds. C’est en effet la seule partie horizontale de l’homme, en contact avec la terre. Marcher pieds nus sur la terre, c’est normal. C’est par la plante des pieds que l’homme absorbe l’énergie tellurique de la terre, le corps faisant antenne. Sous la domination romaine, les condamnés à mort étaient en croix (mort par asphyxie : quand les bras sont étendus le diaphragme ne peut plus remonter, il y a asphyxie) et le symbole de la croix est devenu chrétien : Christos, en grec, c’est le crucifié. Mais c’est un symbole universel qui n’est pas spécifiquement chrétien : point de contact entre l’esprit et la matière. L’homme est le seul être doué d’intelligence qui se tienne en permanence debout sur ses pieds. C’est seulement quand on est arrivé à ce stade dévolution qu’on peut espérer arriver au stade du Bateleur.

Je ne reviendrai pas sur le symbole de la croix que nous allons retrouver pratiquement dans chaque lame du Tarot.

Le Bateleur redonne de la main droite (main de l’action) les énergies qu’il a captées dans le cosmos grâce à son bâton qui est l’élément de feu, et il les redonne à la terre, le denier étant un symbole de terre (de matière). Au centre du denier, ce sont les deux principes masculins qu’il touche.

Devant lui sur la table sont les deux principes féminins, passifs, que personne ne touche : l’épée et la coupe.

L’épée est posée directement sur la table. Elle a une garde en forme de croix comme les trois quarts des épées du Moyen Age (ce n’est que plus tard qu’on lui ajoute une coquille de protection contre la lutte) et la garde est en or. L’épée a au sommet un rappel du denier, c’est-à-dire un rond en or. Elle est à deux tranchants. L’un pour défendre la connaissance, et l’autre pour pourfendre l’ignorance. C’est le symbole type de tous les chevaliers de tous les temps, l’arme de la noblesse, c’est l’arme de la protection, de la défense, mais pas de l’attaque.

Il y a une pratique du cercle magique : quand quelqu’un fait des travaux occultes plus ou moins « recommandables », il prend une épée et il trace autour de lui un cercle de protection. C’est la terre, le denier ; ce cercle est tracé avec l’épée c’est-à-dire avec l’éclair de l’esprit parce que l’épée symbolise aussi l’éclair de l’esprit. Grâce à l’épée, au discernement, il faut savoir ne pas attaquer quand on n’est pas provoqué et il faut savoir se défendre et défendre les autres (la veuve et l’orphelin) parce qu’on en est responsable. Enfin, il faut pourfendre l’ignorance, c’est très symbolique. Platon disait que nul n’est méchant volontairement. L’épée ici est un symbole de construction et en aucun cas de destruction. Comme c’est l’arme universelle, elle dépasse de la table, c’est-à-dire que par l’épée les pouvoirs deviennent plus importants, c’est quelque chose de spirituel.

On est au centre du cercle quand on le trace autour de soi avec l’épée. Mais après il faut en sortir, il faut à la fois être dedans, comprendre le monde, le vivre (on a un corps, et on est dans un lieu où on doit faire quelque chose) et il faut aussi en sortir, c’est-à-dire prendre du recul et juger soi-même ses actions.

La coupe représentant le cœur, c’est le réceptacle d’amour. Dans le Wirth elle est remplie d’un liquide rouge qui représente le sang du Christ et cette coupe a la forme d’un calice. Je ne parle pas des petits gobelets qui sont dans le « Marseille », dans le Conver il y a un des gobelets qui est rempli d’un liquide rouge. La coupe est hexagonale, le pied a six facettes qui rappellent les six jours de la création du monde (le septième jour, Dieu s’est reposé). C’est donc le côté matériel, le côté créatif. Rien ne se crée sans amour et sans affectivité. C’est le moteur du monde. La coupe est en argent, c’est le côté imputrescible mais terrestre: l’argent se ternit, s’oxyde. Elle est donc en argent parce qu’elle est dans ce monde et c’est tout le symbolisme du graal qui prend son origine dans le mot celte gradal — réceptacle, récipient — Le « d » en a disparu et il est resté graal.

La légende du graal dit que c’est une énorme émeraude taillée en 144 facettes (on reviendra sur le chiffre 144 à propos d’autres lames, c’est le nombre occulte du soleil) que portait Lucifer au front quand il a été précipité dans l’abîme avec les anges déchus. Je rappelle que Lucifer n’est pas le vilain Satan, c’est Lux fero en latin, c’est le porteur de lumière, le Prométhée chrétien, celui qui a voulu donner la lumière aux hommes. Prométhée en Grèce s’est fait aussi rigoureusement punir que Lucifer chez les chrétiens. Il a donné le feu aux hommes et il s’est fait enchaîner sur un rocher pendant mille ans. Et chaque nuit un vautour venait lui dévorer le foie. C’est Héraclès qui est venu le délivrer. Lucifer qui est projeté hors du ciel la tête en bas pour avoir voulu donner la lumière aux hommes est très semblable au Prométhée des Grecs, mais tandis que l’on comprend très bien le mythe de Prométhée, on ne comprend pas Lucifer, on en fait un démon, un diable, c’est complètement faux. Lux : lumière, fero : je porte. Seulement, c’était prématuré et c’est pour cela qu’il s’est fait punir.

Donc cette émeraude qu’il portait au front est tombée dans sa chute, une chute qui a duré longtemps et les anges l’ont recueillie et ont creusé une coupe à l’intérieur de cette émeraude. Et cette coupe avait servi à Joseph d’Arimathie pour recueillir le Sang du Christ sur le Calvaire. Symboliquement, le graal est devenu l’aventure sacrée que tout chevalier se devait de faire au Moyen Age pour répondre à sa mission. Nous retrouverons le graal dans les Chevaliers de la Table Ronde, Perceval, Wagner avec son Parsifal (regardez l’étymologie du mot, c’est la même chose. Perceval c’est celui qui a percé le voile — de la sagesse — et qui par sa pureté a été digne de conquérir le graal. Parsifal c’est exactement la même chose. Je précise que Wagner était quelqu’un qui connaissait les mythes et le symbolisme. C’est pourquoi d’ailleurs Hitler qui avait la même connaissance l’a récupéré à son profit. Le graal c’est le breuvage d’immortalité. L’amour universel donne la connaissance et mène à l’immortalité. Et comme il faut s’efforcer de l’atteindre par soi-même, plus on avance en expérience, plus on avance en immortalité.

Chez les Égyptiens, la coupe c’est le hiéroglyphe du cœur ; chez les Arabes, la coupe c’est la tulipe (tulipe est un mot turque) parce qu’elle s’ouvre comme une coupe. Entre les pieds du Bateleur de Wirth il y a une fleur fermée : c’est une tulipe. Elle va s’ouvrir au fur et à mesure qu’il fera son chemin initiatique.

Le Bateleur a devant lui les quatre éléments : air, terre, eau, feu, les deux féminins et les deux masculins. A travers ces quatre éléments on retrouve tout le zodiaque, le bâton étant la triplicité des signes du feu : bélier, lion, sagittaire, le denier la triplicité des signes de la terre : taureau, vierge, capricorne, l’épée les signes d’air : gémeaux, balance, verseau, et la coupe les signes d’eau : cancer, scorpion, poissons.

Vous constaterez que la coupe est l’élément le plus important du point de vue transmutation. On considère que le cancer, le scorpion et les poissons seraient des signes plus initiatiques que d’autres parce que la raison chez eux n’est pas ce qui domine. C’est l’intuition qui domine, ils s’en servent pour vivre. Ils seraient plus doués que les autres pour évoluer.

Les cheveux : chez toute personne, qu’ils soient courts ou longs, les cheveux sont un réceptacle d’énergie vitale. La chevelure a toujours été un symbole depuis Samson jusqu’à nos jours. Les cheveux sont un réceptacle d’énergie et en plus ils gardent l’énergie, c’est-à-dire que suivant leur coupe, longs ou courts, suivant leur forme, s’ils couvrent le visage, les oreilles, les cheveux ont une signification différente. Le Bateleur est sur le seuil, il est sur le point d’avancer et il est déjà très évolué puisqu’il a à sa disposition tous les éléments et qu’il l’a compris, néanmoins ses cheveux couvrent ses oreilles car c’est par l’oreille et les yeux surtout que se fait l’initiation. Ce sont les deux sens les plus évolués : l’ouïe et la vue. On parle de mémoire auditive ou visuelle. Et l’oreille doit rester secrète, en règle générale, du moins chez les débutants. Le Bateleur n’a pas encore vraiment fait son choix. Il doit franchir le seuil, il n’a pas le choix, il va arriver au point de non-retour avec la papesse, mais son oreille ne doit pas être vue, les cheveux la recouvrent. Regardez les représentations des oreilles sur toutes les statues quelles qu’elles soient. Regardez les Bouddhas, ils ont des lobes d’oreille qui plongent jusqu’aux épaules. C’est un signe de spiritualité très avancée. Des lobes d’oreilles très pendants sont un signe d’avancement spirituel.

A partir du moment où on voit l’oreille (pensez à l’expression populaire : percer le bout de l’oreille) dans les représentations initiatiques, c’est qu’on a affaire à un initié ou à quelqu’un d’extrêmement connaissant. Sur la lame du Pape, on voit les oreilles, l’ermite a une capuche. Dans la Grèce antique, le dieu qui a de grandes oreilles c’est Dionysos et le grand Pan. C’est l’univers, l’universel. Les Grecs avaient beaucoup de dieux, mais en fait c’est un monothéisme, comme chez les Hindous qui ont Krishna, Vishnou, etc… Il y a un principe universel matérialisé par plusieurs dieux, comme dans le christianisme il y a Dieu et tous les saints autour. Donc les Bouddhistes, Hindouistes, Hellénistes, sont des monothéistes, même si la plupart des gens le nient. Les Égyptiens l’étaient aussi d’ailleurs, du moins les prêtres qui avaient la connaissance. Il y a eu un pharaon plus connaissant que les autres Aménophis IV qui a essayé de faire une révolution en imposant le Dieu unique. Cela n’a pas tenu et ils sont revenus à l’ancien régime après sa mort. Parce qu’il n’était pas temps pour cela, parce que les prêtres qui avaient le pouvoir spirituel et qui étaient très importants en Égypte n’en ont pas voulu pour des raisons personnelles mais aussi pour des raisons spirituelles.

Les cheveux cachent donc les oreilles du Bateleur, et sur toute son énergie vitale, sur ses cheveux, il a le symbole de l’infini. Il faut dire aussi que la chevelure étant la partie la plus élevée de l’individu, c’est celle qui est le plus facilement en contact avec le cosmos. Il y a sur la tête le chakra le plus important : c’est par là que s’échappe l’âme quand la vie quitte le corps.

QUESTIONS

Question : Est-ce que l’entourage du cou est important ?

Réponse : Oui, l’entourage du cou est important. Il y a un chakra important dans la gorge et le cou doit être protégé. La deuxième bande blanche au-dessous symbolise la dualité. Ce n’est pas un décolleté, il y a une bande qui le protège comme dans une armure.

Question : Vous dites pour l’épée que c’est un symbole féminin alors qu’on en parle toujours comme d’un symbole phallique.

Réponse : C’est dans la conception freudienne. Mais l’épée existait bien avant que Freud ne naisse. En ésotérisme (je ne parle pas d’autre chose), l’épée à aucun moment n’est agressive. Ce n’est pas un symbole phallique qui est une prise de puissance sur quelqu’un. Il y a aussi l’union entre le féminin et le masculin, entre la coupe et le bâton. Le bâton est au-dessus de la coupe, dirigé vers la coupe, symbole masculin qui va féconder la coupe, le réceptacle, principe féminin. Dans d’autres lames, plus particulièrement le chariot et le diable, on a l’un dans l’autre, tel le symbole hindou de l’union des sexes. Mais là il y a la main — qui est l’action — qui tient le bâton qui va féconder et la coupe en dessous qui est passive et qui attend. Une épée à aucun moment n’est agressive. Il y a eu des explications du Tarot qui ont été écrites bien avant Freud et à aucun moment l’épée n’est sexuelle. C’est le bâton qui est masculin. L’épée, c’est l’esprit, le verbe.

Question : Le Bateleur, en fin de compte, c’est quelqu’un qui commence à chercher spirituellement ?

Réponse : Non, il ne commence pas, il a compris. Il a tout en main, il connaît l’occultisme, les élémentaux. Il est plus loin que nous dans le chemin. Sa démarche, c’est de commencer à se perfectionner par lui-même, et ensuite il s’occupera des autres. Nous sommes tous à des points d’évolution différents et ça n’a rien à voir avec la position sociale. Ce n’est pas parce qu’on est intelligent qu’on arrive plus vite à l’évolution spirituelle. Depuis qu’a été écrite la gnose de Princeton, la spiritualité est moins mal vue, on en parle. C’est un livre écrit début 70 par Ruyer, professeur de philosophie à l’université de Nancy. On a réuni des savants de toutes les disciplines, on a fait table rase, on a supprimé l’idée de Dieu pour voir comment fonctionnait le monde sans Dieu. Ils ont travaillé un an ou deux et ils ont été obligés de reconstituer une idée qu’ils n’ont pas appelée Dieu, mais une idée divine sans laquelle rien n’était possible.