Le tissu relationnel humain, entretien Christine Hardy et Fritjof Capra

L’esprit n’est pas une substance ou une force, mais un ensem­ble de processus caractéristique des êtres vivants. Dans cette optique, l’esprit existe bien avant le système nerveux et le cer­veau. Même une cellule montre un certain phénomène de menta­tion, une certaine activité mentale que l’on peut définir assez rigoureusement dans le cadre de la théorie des systèmes. En fait, cette activité mentale est l’essence même de la vie. Chaque fois que l’on rencontre des structures vivantes, elles manifesteront cette activité mentale. Bien sûr, ce n’est pas une activité mentale complexe comme lorsque nous parlons, c’est très primitif au début, mais cela croit en complexité et on abou­tit à l’esprit humain.

(Extrait de La science devant l’inconnu par Christine Hardy. Édition Rocher 1983. Copyright Christine Hardy)

Fritjof Capra — Je crois qu’en ce moment la science, la société, et même la culture occidentale sont en train de passer à travers un temps de changements extraordinaires. Il s’agit du changement de la vision du monde qui a été éla­borée au dix-septième siècle par Descartes, Newton, et avant eux, par Galilée, et qui maintenant, n’est plus valable pour décrire la réalité physique, sociale et écologique dans laquelle nous vivons. Cette vision du monde doit donc être changée.

Ce changement a déjà commencé. D’abord en physique, il y a plus de cinquante ans, lorsque les physiciens se sont vus face à une réalité nouvelle, en explorant la structure atomique et subatomique. Et face à cette nouvelle réalité, les physiciens étaient dans un état de crise, parce qu’ils se heurtaient à ce monde nouveau sans pouvoir l’expliquer. Ils ont essayé de le faire en utilisant les conceptions de la physique classique, qui est la physique newtonienne : cela n’a pas marché, et ils ont mis une dizaine d’années à comprendre qu’il fallait appliquer à cette nouvelle réalité des conceptions tout à fait nouvelles.

Cette crise était donc surtout une crise intellectuelle, mais elle allait bien plus loin, provoquant une crise émotionnelle aussi, et peut-être même une crise existentielle. Mais ils sont allés au-delà pour la résoudre, et le résultat en a été la physique nouvelle : la théorie quantique et la théorie de la relativité, qui leur a apporté des connaissances extraordi­naires de la matière, et aussi de la relation entre la matière et l’esprit humain. Et je crois que maintenant nous nous trouvons, en tant que société, dans une crise similaire.

Il est évident que nous sommes dans un état de crise. Il y a la crise de l’énergie, la crise écologique, celle des armes nucléaires, la crise de santé et des tas de petites crises. Et toutes ces crises ne sont que des manifestations d’une seule crise qui est surtout une crise de perception, parce que, comme ces physiciens, nous essayons d’appliquer des conceptions car­tésiennes qui ne sont plus valables.

En physique, ces concepts ne sont plus valables, parce que le monde des atomes et des particules subatomiques est diffé­rent des objets classiques de la vie de tous les jours.

Dans le cas de la psychologie, de la médecine, de l’économie et des structures sociales, la vision ancienne, cartésienne, n’est plus valable, car nous vivons dans un monde fondamentalement interconnecté, où tout phénomène dépend d’autres phénomènes ; et ce qu’il faut pour traiter un tel monde, c’est une vision éco­logique, celle-là même que la vision cartésienne ne peut nous offrir et c’est pour cela qu’elle est inadéquate.

Christine Hardy — Et cette vision écologique, c’est l’interdépendance de tous les phénomènes ?

F.C. Oui, c’est cela. Parce que nos structures sociales (ni nous-mêmes d’ailleurs) n’ont pas cette vision. Ces structures se heurtent aux limitations de la vision cartésienne, et je vois les différentes crises comme des symptômes de ces limitations. J’ai en effet écrit un livre là-dessus : The Turning Point (paru en français sous le titre le Temps du changement, éd. du Rocher).

C.H. — Est-ce une analyse appliquée à d’autres champs de recherche ?

F.C. — Oui ; l’idée de base, comme je viens de le dire, est l’analyse précisément appliquée à la biologie, la médecine, la psychologie et l’économie : ces quatre champs.

C.H. — Donc, si on veut analyser les nouveaux concepts de base qui se dégagent dans la science, on voit en premier lieu l’interdépendance de tous les phénomènes.

F.C. — C’est cela. Il y a deux thèmes principaux. Le premier est l’interdépendance fondamentale de tous les phénomènes. Le deuxième est le caractère dynamique de la réalité : parler de processus est plus fondamental que de parler de structure. Cha­que structure est en effet une réflexion d’un processus sous-jacent.

C.H. — La structure serait un état que l’on fixe dans un mouvement ?

F.C. — Oui, mais la structure est aussi une conséquence d’un mouvement. Par exemple, on peut voir la structure d’une feuille sur un arbre comme une conséquence d’un échange d’énergie et de différentes substances qui se propagent de la terre à en haut, et aussi du soleil à la terre ; c’est tout un processus de l’arbre qui consiste en des fluctuations interdépendantes. C’est ce pro­cessus qui détermine les formes des branches et des feuilles, etc., et donc les formes que nous voyons sont les réflexions d’un processus plus fondamental. Ainsi le processus est toujours plus fondamental que la structure.

C.H. — Peut-on faire une relation entre une certaine structure et une fréquence, dans la mesure où le mouvement est plus fondamental ?

F.C. — La fréquence est un terme qui se réfère surtout au mouvement cyclique. Ce sont des fluctuations, des vibrations, des oscillations, c’est une mesure de vibrations, de fluctua­tions, etc., c’est une quantité importante.

En général, quand on étudie tous ces phénomènes, le chan­gement important, c’est de se concentrer sur le processus. Ce n’est pas seulement un mouvement, c’est plus qu’un mouvement, c’est un échange, une création, une destruction de choses. C’est quelque chose de dynamique. Et ce dynamisme détermine en deuxième lieu les formes qui sont moins fondamentales. C’est une conception qui est vraie pour la physique, dans son accep­tion générale, et c’est la théorie des systèmes qui introduit cette notion.

Cette théorie des systèmes a été créée par l’autrichien Ber­talanffy dans les années 40 (Ludwig Von Bertalanffy, General Systems Theory ; New York, Braziller, 1968) et a été développée plus récemment par Prigogine en Belgique (Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La Nouvelle Alliance ; Galli­mard, 1979).

La théorie des systèmes n’est pas une théorie complète, mais une certaine vision, un certain contexte pour étudier les phéno­mènes : le fait de se concentrer sur les interdépendances et sur le contenu dynamique.

Un système dans ce sens-là, cela veut dire un tout qui dérive et prend ses propriétés essentielles des interactions des parties, tandis que la méthode cartésienne était d’étudier les parties élémentaires et d’en déduire le comportement du tout.

Dans la théorie des systèmes, on étudie les interdépendances des parties, et on déduit le principe d’organisation du tout. Et je vois cela comme une extension naturelle de la physique moderne. Voici qu’en physique, on parle maintenant d’interac­tions et d’interdépendance, et du contenu dynamique de la matière.

C.H. — Donc on a vu que le premier concept est l’interdépendance ; le deuxième est…

F.C. — Le dynamisme fondamental de la réalité.

C.H. — Peut-on dégager d’autres concepts ?

F.C. — Peut-être, mais ceux-ci sont les deux concepts fondamentaux de la réalité. Maintenant il s’agit donc, dans toutes les sciences et dans les structures sociales, l’économie et la politique, de faire ce changement essentiel. Et c’est très difficile à faire parce qu’il y a un conditionnement de l’esprit et de la culture qui date d’il y a trois cents ans. Et c’est malaisé d’en changer.

C.H. — Qu’est-ce que cela pourrait donner, par exemple, dans le monde social ?

F.C. — Prenons comme exemple l’économie politique. La faute principale des économistes, aujourd’hui, c’est de prendre l’économie et de la détacher artificiellement de l’environnement, de ne pas voir les activités économiques comme étant impliquées dans l’environnement naturel et social.

Quand les économistes parlent de productivité, ils prennent ce mot dans un sens abstrait. Ils le retirent de l’environnement naturel et social. Ils ne prennent pas en considération les frais sociaux et d’environnement de toute activité économique et comme ces frais sont très élevés…

C.H. — C’est tout ce qu’on gâche ?

F.C. — Oui, tout ce qui est perdu. Par exemple, prenons le cas d’une usine au Texas. Vous y avez une dizaine de managers que vous transplantez en Californie. Dans le modèle économique en cours, cela revient au même, mais dans la réalité, cela cause des problèmes : les enfants doivent changer d’école, le conjoint doit suivre, ou bien se séparer ; tout cela crée des frictions, de l’alcoo­lisme, des maladies, des crimes, toutes sortes de problèmes. Quand on détruit le réseau du social (the social fabric), ce tissu social qui est très subtil, des tas de frais sont cachés et cela provoque l’inflation. Il s’agit donc de trouver une vision écologique. On peut dire que cette conception de la théorie des systèmes, en généralisant, correspond à une vision écologique.

C.H. — Par exemple, la destruction de la nature environnante peut avoir des répercussions sur la vie, le psychisme, etc. Peut-on prendre un autre exemple dans un autre champ ?

F.C. — En médecine, il s’agit de traiter l’individu malade comme un tout, et ne pas séparer l’esprit, le corps et le milieu social.

C.H. — Et même le système de relation de tous les organes…

F.C. — Oui ; en fait, dans ce livre, j’ai commencé par la médecine, car c’est là où l’on voit cette différence de conception le plus clairement. Ensuite, je me suis aperçu qu’on ne peut pas parler uniquement de médecine. Il faut parler de psychologie et placer aussi l’individu dans le contexte social. Puis parler alors de sociologie, de la famille, du couple, de la communauté, etc.

C.H. — On rejoint donc la médecine énergétique tradition­nelle orientale ?

F.C. — Oui, tout à fait.

C.H. — Donc, ces nouveaux concepts introduisent aussi un rapprochement des différentes sciences ?

F.C. — Oui. Cela les rapproche parce que le cadre de la théorie des systèmes est un cadre commun que l’on peut appliquer à des organismes individuels tels que des microbes, des plantes, des animaux ou des êtres humains, mais aussi à des systèmes sociaux comme la famille ou la communauté, ou même des sys­tèmes écologiques.

C’est donc une pensée qui se prête idéalement pour rendre compte des différentes sciences et qui va les rapprocher. Dans toutes les sciences il y a maintenant un mouvement dans cette direction mais c’est encore un mouvement marginal et minoritaire.

C.H. — Il est intéressant que les sciences évoluent leur pro­pre théorie des systèmes, mais à un certain point, elles devront coopérer, et, de la même façon que l’on regarde l’interaction des particules dans un champ, dans le tout de la connaissance, on prendra en considération l’interaction des différents champs de réalité.

F.C. — C’est ça. Et cela se passe déjà. Par exemple, pour étu­dier le cerveau, on ne peut pas se limiter à la biologie ou à la psychologie ; de même, en étudiant l’économie, il faut y ajouter la psychologie et l’écologie, etc.

C.H. — On va donc vers une synthèse des sciences ? Et dans le domaine de la parapsychologie et de l’étude de l’énergie sub­tile de l’homme, y a-t-il un rapprochement possible ?

F.C. — Je crois, oui. Personnellement, je ne suis pas telle­ment intéressé par la parapsychologie. Dans le domaine de la guérison psychique cela m’intéresse beaucoup, mais cela n’est pas tellement paranormal, c’est simplement un pouvoir de gué­rison et d’autoguérison que nous avons puisque nous sommes des êtres vivants.

La vision systémique ou écologique conçoit la tendance des êtres vivants à se maintenir en équilibre et à retrouver cet équi­libre dynamique lorsqu’ils sont perturbés, comme une caractéristique de la vie.

Cette force de guérison est donc très bien expliquée dans ce nouveau cadre.

C.H. — Cette capacité des systèmes à se rééquilibrer existe-t-elle au niveau atomique aussi ?

F.C. — Je ne crois pas. Non, cela commence lorsque l’on parle d’un système vivant, à partir d’une certaine complexité qui va bien au-delà des atomes.

C.H. — Du point de vue de l’esprit dans la matière, et d’un plan subtil de la matière…

F.C. — Dans la théorie des systèmes, il y a maintenant un concept très révolutionnaire, un concept systémique de l’esprit. L’auteur en est Gregory Bateson. Dans son livre Mind and Nature (Trad. La nature et la pensée, éd. Seuil 1984) il émet la théorie de l’esprit en tant que propriété systémique des organismes vivants, comme la conséquence nécessaire d’une certaine complexité. Et il a proposé un certain nombre de critères pour déterminer quand un système peut produire ce phénomène de l’esprit.

L’esprit n’est pas une substance ou une force, mais un ensem­ble de processus caractéristique des êtres vivants. Dans cette optique, l’esprit existe bien avant le système nerveux et le cer­veau. Même une cellule montre un certain phénomène de menta­tion, une certaine activité mentale que l’on peut définir assez rigoureusement dans le cadre de la théorie des systèmes.

En fait, cette activité mentale est l’essence même de la vie. Chaque fois que l’on rencontre des structures vivantes, elles manifesteront cette activité mentale. Bien sûr, ce n’est pas une activité mentale complexe comme lorsque nous parlons, c’est très primitif au début, mais cela croit en complexité et on abou­tit à l’esprit humain.

C.H. — Dans le concept de champ unitaire ultime, on peut dire que c’est ce champ qui permet l’apparition, à un point donné, de la matière en tant que particules…

F.C. — En physique, il y a des théories des champs, et il y a maintenant des efforts pour unifier ces théories des champs. Mais nous ne sommes pas encore arrivés à les unifier.

Il y a quatre interactions fondamentales en physique : les interactions fortes — électromagnétiques — faibles — gravi­tationnelles.

De ces quatre, les électromagnétiques et les faibles sont uni­fiées. Pour les deux autres, cette grande unification n’a pas été faite. Mais si cela réussit, on pourra alors parler d’un champ fondamental qui serait la base de la matière.

La majorité des physiciens vous dira qu’il est probable que cela arrive dans les dix prochaines années. Moi, je ne suis pas si sûr.

C.H. — Est-ce que ce champ unitaire pourrait être un champ mental ?

F.C. — Je ne crois pas. Je crois que dans ce cadre systémique, le mental vient avec une certaine complexité.

C.H. — Est-ce que cela ne pourrait pas être un champ men­tal qui créerait, à un moment donné, des apparitions matérielles ?

F.C. — Je crois que ce serait un sens du mot mental très dif­férent de celui que je viens d’utiliser. Ce n’est pas dans le sens de Bateson, de la théorie des systèmes, ce serait quelque chose d’autre. On peut dire en général qu’il y a deux visions de la connaissance : Il y a la vision de la théorie occidentale, qui dit que l’esprit et la connaissance émergent à un certain moment, à une certaine complexité de la matière, donc la matière est plus fonda­mentale que l’esprit.

C.H. — Dans la nouvelle physique, ce concept fondamental est gardé ?

F.C. — Non, il est perdu. La physique ne parle pas du tout de l’esprit et du mental. La physique maintenant parle des inter­actions entre l’esprit humain, la connaissance humaine et la matière, mais elle ne parle pas de la nature de la connaissance ou de l’esprit.

C.H. — Mais quand on voit que l’esprit peut influencer la matière…

F.C. — Attendez, laissez-moi finir de développer cette pensée. Cette vue est la vue scientifique occidentale, qui dit que la matière est fondamentale et qu’à un certain niveau de complexité il y a quelque chose qui surgit, c’est l’esprit, la connaissance.

Il y a une autre vision qui est le contraire : la vision des mystiques et des traditions religieuses qui dit que l’esprit est fondamental. Il y a un esprit cosmique souvent associé à des divinités ou à une conception de Dieu. Cet esprit cosmique est fondamental et prend certaines formes, et les formes matérielles sont des réflexions ou condensations de cet esprit. Donc la matière est secondaire quand vous parlez des différents phéno­mènes.

Il y a des arguments pour les deux vues. En ce moment, on ne peut pas discuter du point de vue science, on ne peut pas discuter du point de vue général, on ne peut pas décider entre les deux et c’est intéressant parce qu’ils sont contraires, mais ils pourraient être complémentaires.

De la même façon, la physique, dans les années 1920, voyait des particules et des ondes, on ne comprenait pas comment un électron pouvait être une particule et une onde.

En fait, on pourrait décrire dans un sens la vision matérielle la plus scientifique (c’est-à-dire la matière est primaire) comme le point de vue particule, et l’autre (l’esprit est primaire) serait le point de vue ondulatoire. On peut donc faire une analogie.

C.H. — Je pense qu’il manque un élément pour résoudre ce problème : en effet, si l’on pouvait prouver que notre esprit et notre pensée fonctionnent avec des ondes et des particules, nous aurions résolu ce problème. Peut-être, à ce moment-là, pourrions-nous affirmer que l’esprit et la matière sont seulement des niveaux de fréquences différentes et des espaces/temps différents, et ces deux réalités seraient intégrées. Il ne resterait qu’à prouver quel est le plan qui a le plus grand effet sur l’autre.

F.C. — Mais c’est assez formidable ! … Vous dites : il ne resterait plus qu’à prouver…

C.H. — Pour moi, c’est ce que j’attends maintenant. Pensez-vous que le prochain pas serait de réunir ces deux points de vue scientifiques et mystiques ?

F.C. — Ma position, généralement, vis-à-vis de la science et de la société, est une position beaucoup plus engagée du point de vue social. Je pense que le prochain pas, c’est de changer la vue mécaniste en vision écologiste, de passer de la vision stati­que à la vision dynamique, parce que si nous ne le faisons pas, nous n’allons pas survivre.

C.H. — C’est aussi mon avis.

F.C. — Il est beaucoup plus nécessaire de changer la société, la culture et le système des valeurs.

Pour ce qui est de l’unification ultime entre l’esprit et la matière, cela m’intéresse beaucoup moins en ce moment, parce qu’on est dans une situation de crise.

C.H. — Oui. On a très peu de temps.

F.C. — Oui, et il faut d’abord résoudre la crise. C’est pour­quoi la parapsychologie, bien que ce soit intéressant, ne m’attire pas trop en ce moment.

C.H. — Peut-être y a-t-il un moyen de résoudre cette crise si l’on se rend compte que c’est la pensée qui crée l’événement…

F.C. — Je ne crois pas. Car les parapsychologues sont parfois égocentristes. Il y a beaucoup de compétition, et l’esprit est tout à fait l’esprit du paradigme ancien cartésien. Ils se heur­tent les uns contre les autres, il y a beaucoup d’investissement de l’ego là-dedans. Il y a toujours cette histoire des applications militaires. Il y a une certaine paranoïa ; je ne suis pas très enthousiaste d’après ce que j’en vois en Californie.

À propos de la parapsychologie, cela n’a pas l’air très révolu­tionnaire ; révolutionnaire… peut-être, oui, mais les attitudes des gens ne sont pas toujours ce qu’il faudrait, je crois.

C.H. — Je pense qu’ils abordent les recherches parapsychologiques sur la puissance de l’esprit avec un point de vue tout à fait matérialiste ; par exemple : par la statistique, cela reste en effet un point de vue cartésien.

F.C. — Et opportuniste, très souvent, oui. Je crois que dans le domaine de la santé et de la guérison, il y a des choses intéressantes, mais autrement…

C.H. — Je pense pourtant que l’on a tout à fait intérêt à développer la compréhension que les esprits interagissent les uns sur les autres. Dans votre livre, le Tao de la physique, vous parlez beaucoup du rapprochement entre la science et l’éso­térisme.

F.C. — J’ai commencé à étudier les changements des concepts en physique en les reliant aux traditions mystiques, et j’ai trouvé effectivement que cette vision, qui a été élaborée par la physique nouvelle, a une grande ressemblance et est très reliée au point de vue des mystiques de toutes les traditions, de tous les âges, et j’ai trouvé aussi, en travaillant pour mon deuxième livre, que cette nouvelle vision écologique, qui est une généralisation de la vision scientifique, est aussi spirituelle dans son essence même, parce qu’elle nous apprend l’interdépendance fondamen­tale du cosmos entier, et c’est un concept très important de ces traditions spirituelles ; et dans la mesure où les différentes scien­ces vont adopter cette vision écologique ou de la théorie des systèmes, dans cette mesure, elles se rapprocheront des concep­tions mystiques comme la physique l’a déjà fait, et cela se fera en biologie, en psychologie et dans les autres sciences. Je trouve que la spiritualité est au centre même de cette nouvelle vision.

C.H. — Est-ce que cela ne nous fait pas réfléchir sur le fait qu’avec une certaine intuition spirituelle du monde on pourrait aller plus directement à une vision synthétique de la réalité que la science met très très longtemps à résoudre avec sa démarche rationnelle ?

F.C. — Oui, c’est vrai. Cette vision écologique ne nécessite pas la science. On peut l’avoir intuitivement, et en effet, des tas de cultures comme les Indiens d’Amérique l’ont eue. Et d’autres cultures aussi. Mais puisque notre culture est tellement déter­minée par la science, il est très valable de montrer que la science va aussi dans cette direction, mais elle n’est pas nécessaire.

C.H. — Elle apporte certainement des possibilités pratiques.

F.C. — Oui, du point de vue pratique, c’est absolument obli­gatoire. Car si on vit dans cet environnement technique, techno­logique et scientifique, c’est cela qu’il faut changer d’abord. Ce n’est pas possible de l’abandonner. Ce ne serait d’ailleurs pas bien de l’abandonner. Mais il faut trouver des technologies dif­férentes, par exemple en passant du nucléaire au solaire, ou des changements comme celui-là, qui soient très profonds.

C.H. — Dans le contexte actuel de crise, que peut-il arriver si l’on ne change pas assez rapidement ?

F.C. — Tout d’abord la guerre nucléaire, et aussi la destruction de l’environnement par la pollution. C’est très difficile de faire des prédictions. Ce n’est pas une question de rapidité, mais : peut-on l’empêcher ou pas ? Des écologistes pensent qu’il est déjà trop tard et, dans ce cas, les effets mortels arriveraient dans 50 ans, mais avec autant de force. C’est toujours l’erreur que font les tenants de l’énergie nucléaire. Ils disent que ce n’est pas dangereux parce que ça ne l’est pas tout de suite. C’est aussi une des caractéristiques de la vision écologique de pou­voir prendre en considération des effets étendus dans l’espace et dans le temps.

Fritjof Capra est physicien, théoricien des théories des systèmes. Auteur de plusieurs livres. Son site est http://www.fritjofcapra.net/

Christine Hardy est Dr es sciences humaines et ethnologue. Son blog en anglais : http://chris-h-hardy-dna-of-the-gods.blogspot.fr/. Dernier livre publié en Français : La Prédiction de Jung : La métamorphose de la Terre. Dervy, 2012. En anglais : DNA of the Gods: The Anunnaki Creation of Eve and the Alien Battle for Humanity, Bear & Co., USA & Canada, mars 2014. À Lire aussi son interview dans le numéro 104 de 3e Millénaire.