Pierre Herdner
Le Visiteur Divin

Le Sage errait alors, répandant la Lumière.

La foule se pressait pour entendre sa voix.

Il allait de village en village, et parfois

Entrait se reposer dans une humble chaumière.

(Revue Être Libre. No 104-107. Mai-Août 1954)

Le Sage errait alors, répandant la Lumière.

La foule se pressait pour entendre sa voix.

Il allait de village en village, et parfois

Entrait se reposer dans une humble chaumière.

Il savait deviner parmi le peuple vain

Ceux qui pouvaient saisir sa vérité profonde.

Le Sage errait alors sur les chemins du monde,

Et beaucoup recevaient le message divin.

Et nous avions soudain pressenti sa venue.

Notre oreille, attentive au murmure subtil

De la nature, avait, en cette aube d’avril,

Entendu frissonner une joie inconnue.

Les voix du vent, de l’onde, avaient plus de douceur,

Et le silence même était plein de mystère.

Nous sentions que bientôt notre clos solitaire

Frémirait sous les pas du divin visiteur.

Nous vîmes un matin, sur notre seuil, le Sage,

Le front auréolé de limpide clarté.

Paré de joie candide et de simplicité,

A notre humble demeure il portait son message.

Les vierges ont chanté, vêtues de blanc, des chœurs.

La lumière du ciel s’était faite plus pure.

Le sol s’était couvert d’une tendre verdure

Afin que ses pieds nus marchent parmi les fleurs.

Les arbres de l’allée effleurèrent sa tête,

Versant sur ses cheveux les larmes du matin.

Le clocher du vallon tissait dans l’air serein

Les notes de cristal d’un carillon de fête.

Il voulut demeurer notre hôte tout un jour.

Sa voix claire chantait l’hymne de délivrance.

Sous les arbres en fleurs, à ses pieds, en silence,

Nous ouvrîmes notre âme au flot de son amour.

Amis, nous disait-il, d’un long et triste rêve

Je viens de m’éveiller, soudain, dans la clarté.

Respirez le parfum de ma félicité,

Car je suis enfin libre et mon destin s’achève.

A pas lourds, j’ai gravi mon sentier douloureux,

De vie en vie, captif de mes limites vaines.

Puis mon âme, étonnée de voir tomber ses chaînes,

Enfin s’est éveillée au terme bienheureux.

Oh ! joie d’être baigné par l’océan sans rives !

De sentir battre en moi le cœur de l’Univers !

Et de contempler l’UN face à face, à travers

La mouvante splendeur des formes fugitives !

Le Monde immense est Ta demeure, ô Bien-Aimé !

Dans les oiseaux des bois, dans l’arbre et dans la pierre,

Dans le souffle du vent, dans la blanche Lumière,

Et dans le ciel obscur d’étoiles parsemé.

Dans les hommes fervents qui peinent en silence,

Le manant et le roi, le saint, le criminel :

Partout j’ai reconnu Ton symbole éternel,

Tout être m’a chanté l’hymne de Ta présence.

Ainsi qu’aux jours anciens le bienheureux Bouddha,

Je me perds comme un fleuve au sein des mers profondes.

Mon être, pénétrant les mystères des mondes,

Se mêle au Jeu Divin, à la sainte Lilâ.

Comme la fleur des monts qui s’entr’ouvre à l’aurore

Et livre son parfum, j’exhale la douceur

Et le parfum subtil du suprême Bonheur,

Car au divin Soleil mon âme vient d’éclore.

Amis, ce flot de joie inondera vos cœurs.

Un prodige ineffable en tout être sommeille.

Il peut jaillir soudain, si vous prêtez l’oreille

Aux échos ignorés surgis des profondeurs.

Au Présent créateur ouvrez-vous en silence.

Libérez-vous du temps, des fins, du devenir.

Les sources de la Joie sont prêtes à jaillir.

Auprès de cette Joie, toute joie est souffrance !

Point de rites, d’autels, de livres, de gourous !

Gardez-vous à jamais d’enclore dans un vase

Le flot torrentiel de votre vierge extase,

Dont la source est cachée au plus profond de vous.

Laissez-vous envahir par la fluide Essence.

Votre ferveur étouffe en des temples obscurs.

Le souffle de l’Esprit fera crouler les murs.

Les forêts et les monts vous offrent leur silence…

Aimez-moi comme un frère et ne m’adorez pas.

Je montre le chemin vers les plus hautes cimes.

Quand vous contemplerez les horizons sublimes,

Oubliez quel ami voulut guider vos pas.

Dans la Totalité que votre Moi se fonde.

Plus d’êtres séparés : toute âme est une sœur.

Levez le voile obscur que tissait votre erreur,

Et que votre désir soit le désir du Monde.

En vous-mêmes la Vie a son temple éternel,

Dans la limpidité des âmes cristallines.

Et les âmes, penchées sur les sources divines,

Voient leur blancheur mêlée à la clarté du ciel…

Et le Sage se tut. Les ombres vespérales

Des fins rameaux dansaient sur le gazon léger.

Et sur nos rêveries les arbres du verger

A la brise d’avril ont neigé leurs pétales.

Il quitta notre clos, serrant nos mains, le soir.

Le tilleul, s’inclinant, baisa sa chevelure.

Et quand il disparut sur notre sente obscure,

Notre cœur débordait d’un merveilleux espoir.

Et les mois ont passé, mûrissant la semence

Qu’avait jetée le Sage en ce beau jour d’avril.

Lentement s’éveillait un renouveau subtil.

Des échos de sa voix chantaient dans le silence.

Un matin, en errant par les taillis déserts,

Nous admirions, muets, du haut de la colline,

La limpide candeur de l’aube cristalline,

Et le ruisseau chantant parmi les trembles verts.

Quand le jaillissement d’une extase profonde

Nous submergea comme les vagues d’un torrent.

L’espace autour de nous devenait transparent.

Un lien se tissait entre nous et le Monde.

Les plantes, les rochers, avaient changé d’aspect.

Un écho fraternel surgi de toute chose

Proclamait une Essence où tout être repose.

Tout vibrait, lumineux, dans une immense paix.

Les voix de l’Univers mêlaient leur harmonie.

Dans la blanche Unité se fondaient les couleurs…

D’allégresse, longtemps, nous versâmes des pleurs.

Puis, lentement, mourut cette extase bénie.

Ce n’était qu’une aurore. Ah ! que vienne le jour !

Que du suprême instant le grand soleil se lève !

Que dans l’auguste paix notre destin s’achève !

Et que s’épanche en nous l’universel Amour !

O douce Certitude, éclaire notre voie !

L’Univers dans ses flots nous berce, fraternel.

L’acte, unifié, prend un sens éternel.

La douleur se consume aux flammes de la Joie.

Le cœur rempli d’amour et le front plus serein,

Nous achevons en paix les œuvres de la Terre,

Depuis qu’un jour d’avril notre clos solitaire

A frémi sous les pas du visiteur divin.

Pierre HERDNER