Gabriel Monod-Herzen
Le vital et l’équilibre matériel-spirituel

Aujourd’hui la question posée est celle du vital. Je vais répondre du point de vue indien et puis, vous me poserez des questions. L’idée que l’âme soit distincte du corps ne leur vient pas. Le corps et la conscience sont deux parties d’une même unité, on ne peut pas les séparer, ils forment l’unité humaine de l’individu. La partie corps, nous la connaissons très bien, même mieux que les Indiens. Tandis, qu’à leur avis, nous ne connaissons que mal la partie conscience.

Le titre est de 3e Millénaire

(Revue Panharmonie. No 183. Septembre 1980)

Compte rendu de la rencontre du 26.3.1980

Il m’a été posé la question suivante, dit le Professeur : « Comment les Indiens font-ils pour que se développent aussi bien que possible les trois parties de l’être humain, la partie corporelle, la partie appelée vitale et la partie mentale ? ». Quelqu’un a dit : « Mais cela commence avant la naissance ! ». Eh bien oui, parce que, en réalité, les Indiens partent de la conception et non de la naissance. La conception se fait par deux demi-cellules, le spermatozoïde et l’ovule ne contenant que la moitié des chromosomes voulus pour un développement qui forment une cellule. Et toutes les cellules du corps de l’enfant vont être faites sur ce premier modèle. Il aura donc en ce qui concerne les chromosomes, la moitié du père et la moitié de la mère.

En Europe nous avons trop souvent l’impression que la conception d’un enfant est une chiquenaude qui déclenche un mécanisme et qu’ensuite cela se fait tout seul. D’une part, c’est tout à fait exact, la nature se charge de tout. Nous ignorons comment. Personne n’a jamais pu savoir comment d’un groupe de mi-cellules il y en aura une qui se trouvera dans un pied et l’autre dans l’oreille.

Pour un Oriental, l’essentiel, ce n’est pas le corps, mais l’esprit. Or le corps est destiné à permettre à l’esprit d’agir matériellement et le lien nécessaire entre les deux, c’est la vie. Non la vie sous l’angle biologique avec la possibilité de la fabriquer, mais comme lien entre l’esprit et le corps et, par conséquence, le monde extérieur. Et chaque fois qu’il y a une action à faire, il faut qu’elle passe par le corps. Je vous présente le problème d’une façon inhabituelle et espère bien que vous me poserez des questions à ce sujet.

Nous parlons toujours de maternité, mais pour un Indien la paternité est tout aussi importante. Seulement chez la mère beaucoup se fait tout seul, tandis que le rôle du père est extérieur. Les ménages hindous sont extrêmement liés, en concevant un enfant l’homme considère qu’il a une dette à payer. En conséquent il y a d’abord une préparation extérieure jusqu’à la naissance consistant de soins spéciaux. Le père et la mère ne se considèrent jamais comme étant distincts de l’enfant. Ce qu’on donne à la mère va forcément avoir une répercussion chez l’enfant. Il va donc y avoir un régime alimentaire légèrement modifié. On va veiller à ce que soit suivie une hygiène convenable, et puis l’enfant naît. « Ce petit bout de nous-mêmes, se disent les parents, ce petit bout de chair, il vient d’une femme qui est sa mère et qui, elle aussi a eu une mère, une lignée presque illimitée dont je suis un chaînon aujourd’hui ». Quand la mère met au monde un enfant, elle lui a tout donné matériellement. L’enfant a respiré par son sang à travers un filtre. Lorsqu’il naît il va y avoir un changement total parce que l’enfant entre dans un domaine extérieur à la mère, qui est un peu le domaine du père et cela change le problème.

Je vais vous parler nombres : le 3 et le 4 forment 7. L’enfant, c’est le 3, c’est-à-dire qu’il est un petit être humain ayant un mental, un vital et un corps. Mais sa vie va être dirigée par le 4, car la vie de l’homme ou de la femme en Inde se répartit en quatre grandes périodes successives : la jeunesse, appelée l’âge du désir qui va jusqu’à 15 ans, au cours de laquelle l’enfant est encore un petit animal qui va se développer et se perfectionner peu à peu.

Il fut un temps en Inde où on mariait les enfants très tôt. On allait pour cela consulter un astrologue. Mais chacun restait encore dans sa famille jusqu’au moment où ils étaient censés pouvoir entrer dans la vie sociale, c’est-à-dire pouvoir à leur tour créer une famille, à peu près entre 13 et 14 ans.

La mère ayant généralement beaucoup d’enfants, n’a pas le temps de s’en occuper, elle a tout à faire dans la maison. C’est donc le père qui assumera l’éducation présociale des enfants. Du point de vue indien, quand la mère a eu au moins deux enfants, elle a rempli son devoir, son dharma. Le mariage est une question sociale, il est fait pour que, par les enfants, il y ait une suite dans la famille. L’amour vient après.

C’est la mère qui se charge de l’éducation de la sensibilité et, en même temps le père lui enseigne à avoir des relations correctes avec ses petits camarades et avec les autres. Et lorsque l’enfant est complètement préparé, le jour vient où il fonde une famille. Nous entrons là dans la deuxième période. Ce n’est plus le désir qui est à la base de la vie, c’est le profit. Il faut que le petit homme nouveau gagne sa vie et celle de sa famille, car il n’est pas question de faire travailler la femme qui est suffisamment occupée à la maison.

A ce moment là les parents doivent être aidés dans l’éducation de leurs enfants et ils cherchent un Guru qui ne doit jamais être un membre de la famille. C’est lui qui est chargé de découvrir chez les enfants leurs tendances spirituelles et de les aider à les développer. Dans la hiérarchie de la famille, le Guru passe avant les parents.

Voilà comment commence cette deuxième période : l’enfant choisit un métier, s’il est un garçon, si c’est une fille elle se marie et le même processus va recommencer pour elle comme cela a été pour sa mère.

L’immense majorité des êtres humains en restent là, c’est leur droit et personne ne les méprise pour cela. Il y a en Inde un extraordinaire respect de la liberté individuelle.

Dans cette deuxième période l’homme va donc vivre en famille, faire son travail. Mais il peut arriver que, par exemple sous l’influence de son Guru, il pense peu à peu qu’il y a autre chose encore dans la vie que de faire des profits ; même s’ils sont parfaitement légitimes. Il doit y avoir des lois fondamentales de l’existence qui nous fassent comprendre non seulement comment nous sommes là, mais aussi pourquoi, et quel rôle nous avons à jouer.

Les Hindous ont une croyance très profonde en l’unité essentielle de l’ensemble du monde. Dans le Rig Véda, le plus ancien qui date au moins de 1.500 ans avant l’ère chrétienne, il est dit : « On donne à la Divinité plusieurs noms, mais le Sage sait que le Réel est UN. On ne peut lui donner aucun nom, on ne peut pas le décrire, mais on peut le connaître et même s’unir à lui ». On se rend compte alors que la raison d’être de la vie, c’est de faire de chacun de nous une petite manifestation de la partie supérieure, spirituelle de son être dans le monde matériel.

L’unité du monde est faite de la liaison entre l’acte et sa conséquence, c’est-à-dire le karma. Il n’y a pas d’acte isolé, il y a une unité matérielle constante. Alors quand l’homme a rempli ses devoirs sociaux, sa troisième étape ; qu’il a marié ses enfants et payé sa dette à la société en assurant sa survivance, commence la quatrième étape : Il va réfléchir à toutes ces questions, parfois il cherche un Guru à son tour et entre dans la vie spirituelle. Certains même abandonnent leur situation et s’en vont en sandales sur les routes indiennes. Cela a été le cas pour un avocat très connu et fortuné de Madras, il est devenu moine-mendiant. Un de mes amis a aussi fait cette démarche et il m’a dit qu’on ne pouvait avoir de plus grand sentiment de liberté. Ils vont de retraites spirituelles, de Maîtres spirituels dont ils ont entendu parler à d’autres Maîtres spirituels et quand je dis « entendu parler » je veux dire que les véritables Maîtres ne font jamais de propagande. Ils font ainsi de grands circuits autour de l’Inde, comme l’a fait Vivekananda qui, au terme de sa marche, a compris que son véritable Maître fut le premier qu’il eut, c’est-à-dire Ramakrishna, auprès duquel il retourna. Lorsqu’on revient d’un pareil tour, même si on reprend ses anciennes occupations, on n’est plus le même.

Ce qui fait l’unité spirituelle de l’Inde, c’est que dans n’importe quelle contrée on trouve des hommes qui ont passé des mois, voire des années, à l’autre bout de la presqu’île, qu’ils ont connu une série d’êtres qui étaient des manifestations divines et que tout cela forme la véritable unité indienne.

Et parfois, lorsqu’un couple se brise parce que l’un des deux meurt — quoique pour les Hindous il n’y ait pas de mort —, le survivant, si le besoin se fait sentir en lui, se retirera dans un endroit loin du monde et deviendra un ermite. Non pas un ermite cloîtré, mais quelqu’un qui consacre le reste de sa vie à des exercices spirituels et qui sera à la disposition de tout son village pour le conseiller. En échange de quoi on le nourrit et on l’habille, car il ne possède plus rien.

Voilà les quatre âges de la vie, dont trois ont servi à la formation de l’être, le quatrième l’aide à atteindre aussi haut que possible. Ces deux nombres qui forment 7 sont les deux grands nombres symboliques qui guident toute la vie de l’Indien. Le nombre 3 commence avant la naissance et le nombre 4 dure toute la vie.

De même que le comble de séduction pour une femme c’est d’avoir eu deux enfants, l’homme qui n’en a pas, qui n’est pas père, n’est pas complet. Psychologiquement c’est parfaitement vrai. Il risque de rester toute sa vie un adolescent et de ne jamais être adulte, il y aura toute une partie de son développement qui ne sera pas possible. Ces conceptions sont très différentes des nôtres, car pour l’Hindou la cellule sociale, c’est le couple et non l’individu et, par conséquent le couple ne peut se séparer. Car il est l’image du pouvoir créateur réalisé dans la matière, du pouvoir créateur qui a créé et qui fait subsister le monde. Car la création divine est continue.

Une question : Y a-t-il ressemblance entre ce tour de l’Inde et le Tour de France des Compagnons ?

M. M.-H. : Il y a une ressemblance par le fait que le compagnon quitte sa famille, il va d’une cayenne à une autre et dans chaque cayenne il y a une « mère », de même qu’il y a une « mère » dans chaque Ashram. Le compagnon, lui aussi, va de Maître en Maître pour se perfectionner dans son métier. Il avait et a encore un idéal spirituel qui est symbolisé par sa canne. Il y a la toute une symbolique. Seulement le compagnon est un homme isolé et non un couple, c’est la grande différence.

Un participant : Il y a des pèlerinages comme celui de St-Jacques de Compostelle qui changent aussi les êtres.

M. M.-H. : Je m’en suis aperçu en effet, il y a toute une pratique du pèlerinage qui est très importante, pourvu que celle-ci ne devienne pas un « acte méritoire ».

Une participante : Lorsque l’enfant, dans la première partie de sa vie est encore très réceptif, comment, tout en respectant sa personnalité, arriver à faire l’équilibre entre sa vie matérielle et sa vie spirituelle ?

M. M.-H. : Il y a deux réponses : pour le début de sa vie, la seule chose à faire, c’est que celui ou celle qui s’en occupe soit un exemple dans sa manière de vivre et dans ses aspirations spirituelles. Alors cet idéal se développe aussi chez l’enfant. C’est la première réponse, la plus importante, parce qu’elle va se répercuter sur toute la vie. Cela vaut tous les enseignements écrits. La Bhagavad Gîta dit : « Pour le Sage qui possède un peu de sagesse, les Védas sont aussi inutiles qu’une flaque d’eau quand il y a un orage ».

La deuxième réponse est qu’il appartient aux parents de faire en sorte que l’enfant ait une possibilité de liberté. Non de faire n’importe quoi, car c’est beaucoup plus facile de rétrograder vers l’animal que de marcher vers l’homme futur, il y a donc des choses qui sont exclues ; mais que l’enfant ait la possibilité du choix et qu’il manifeste peu à peu sa vraie nature. Il faut que l’enfant soit libre de se manifester dans la mesure des possibilités extérieures. Et surtout répondez à ses questions. C’est une forme de l’amour. C’est un effort pour être avec lui, pour qu’il n’y ait pas de différence, de question d’âge, mais une communication. Qu’il n’ait jamais l’impression d’une séparation. C’est en répondant aux questions qu’on fait l’éducation des enfants, c’est qu’il commence à acquérir des connaissances.

Au sujet du Guru : Le Guru du jeune homme a été choisi par sa famille, en général par le père. Mais lorsqu’il devient chef de famille, il a parfaitement le droit de choisir un autre Guru.

Question : Comment peut-on parler du « couple » quand existe la polygamie ?

M. M.-H. : Chaque femme forme un couple avec l’homme, la polygamie ne change absolument rien. Cela s’applique à chaque femme et à chaque enfant qui va naître.

Question : Quand un être établit plusieurs relations de couples, y a-t-il risque de dispersion pour la réalisation du couple divin ou la relation se fait-elle à l’intérieur de soi-même ?

M. M.-H. : Les Occidentaux qui sont souvent des obsédés sexuels, font du couple des objets érotiques. Ce n’est absolument pas le cas en Inde. Le couple divin a son image non seulement dans le couple humain, mais aussi dans les couples sous toutes les formes, y compris les fleurs. Donc la question de dispersion ne se pose pas, le Divin étant présent partout.

Dans les milieux pauvres la polygamie existe encore pour une raison simple, c’est que la première femme qui a eu des enfants et qui a peut-être quarante ans, est bien contente qu’il y en ait une autre pour lui donner un coup de main. Dans les familles plus cultivées, il y a une tendance à la monogamie. En Inde aussi bien qu’en Occident, je n’ai pas le droit légalement d’enlever la femme de mon voisin, ni de lui faire un enfant. Mais aucune loi du monde ne me défend de l’aimer !

Il y a quelque chose qui va plus loin que l’individu, qui se situe dans un autre monde.

Un participant : Vous dites que rien n’empêche d’avoir un sentiment qui dépasse les structures sociales, rien n’empêche donc d’aimer plusieurs personnes ?

M. M.-H. : Ma mère est morte, et j’aime ma mère tout autant que si elle était vivante. Je peux aimer autant d’êtres que je veux si cet amour et le divin en moi, retrouvent le divin dans l’autre, et que, par là, nous rétablissions l’unité. Tout problème est alors résolu, il n’y en a pas.

Une participante : Un homme ne peut pas former de couple avec plusieurs femmes, sauf dans l’instant de la conception…

M. M.-H. : Parce que vous ne voyez le couple que sous un aspect physique, extraordinairement restreint. Il y a trois femmes et un mari, donc trois couples en permanence et pas seulement au moment de la conception.

Une participante : Le sentiment de possession n’existe-t-il pas en Inde et cela se fait-il qu’une femme quitte sa famille et parte en sandales sur les routes ?

M. M.-H. : Pourquoi pas si la famille est d’accord ? Il y en a qui le font, qui font des pèlerinages considérables. Voyez la Swami Hridayananda, elle ne possède rien. Elle nous a dit : « Tout ce que je possède tient dans ces deux petites valises et je vais là où je suis invitée ».

Une question sur l’utilité des pèlerinages : On en fait dans tous les pays du monde pour plusieurs raisons. L’une est le désir de vivre un certain temps avec des gens qui ont le même idéal que vous. Certains, évidemment, les font par intérêt en espérant « y gagner des mérites ». Et la troisième raison qui est peut-être la meilleure, c’est le contact que l’on pourra prendre avec un être qu’on estime supérieur à soi-même et qui pourra apporter dans votre vie quelque chose qui lui manque. Si vous êtes capable de recevoir et que quelqu’un est capable d’émettre, vous aurez un échange dans ce domaine, comme vous pouvez l’avoir matériellement. Il y a une unité de conscience, comme il y a une unité matérielle.

Compte rendu de la rencontre du 25.5.1980

Aujourd’hui la question posée est celle du vital. Je vais répondre du point de vue indien et puis, vous me poserez des questions.

L’idée que l’âme soit distincte du corps ne leur vient pas. Le corps et la conscience sont deux parties d’une même unité, on ne peut pas les séparer, ils forment l’unité humaine de l’individu. La partie corps, nous la connaissons très bien, même mieux que les Indiens. Tandis, qu’à leur avis, nous ne connaissons que mal la partie conscience.

D’après l’idée que se font les Indiens du corps humain, celui-ci est constitué non de trois « aspects », mais de trois parties, la partie mentale, la partie affective, la partie corporelle et ces trois parties ne peuvent pas se séparer, ce sont les trois angles d’un triangle. De même l’idée de séparer le corps de la conscience leur paraît absurde, car l’homme serait mort si on les séparait.

Le côté affectif, d’après les Indiens est une chose purement extérieure, c’est quelque chose qui va se voir, qui va déterminer certains rapports sociaux et qui ne touche pas le fond de l’individu. Puis ils ont remarqué qu’il y avait un rapport entre les trois aspects de la personnalité humaine et les trois parties du corps : en dessous de la ceinture vous avez tous les centres qui sont liés à l’entretien de l’individu ou de l’espèce. Ensuite vous avez une région qui contient le cœur et les poumons. Elle est essentielle pour la vie de l’individu, puisqu’elle relie des échanges qui sont continuels, vous ne pouvez pas cesser longtemps de respirer. Enfin vous avez un côté mental qui vous permet de raisonner et qui est beaucoup plus faible chez les animaux que chez nous. C’est la partie moyenne qu’ils appellent « vitale ». C’est le centre de la vie qu’ils voient sous deux aspects : celui des sentiments et celui que Sri Aurobindo appelait le psychique dont le centre est derrière le cœur, qui est le véritable centre de notre être, c’est là qu’on « sent ». Et comment se manifeste-t-il ? Il se manifeste par ce que nous appelons « nos intuitions », c’est-à-dire des connaissances qui généralement ne sont pas exprimées par des noms. Quand vous voyez un objet qui est très beau, surtout si c’est brusquement, comme par exemple un magnifique coucher de soleil, vous faites : « Ah ! », et c’est tout, vous ne pensez pas à ce moment là. Il n’y a pas d’activité mentale, ni d’activité physique, sauf celle de la vision. Cette intuition est liée à une partie de notre être qui n’a aucun rapport avec les trois autres. Et le vital, c’est justement cette partie qui est double, qui contient d’une part nos sentiments et qui est d’autre part le récepteur et l’émetteur, si je puis dire, car il y a émission aussi, de nos intuitions les plus importantes.

Nous aurons à en parler, car cela peut se développer. En Europe nous n’y avons jamais pensé, tandis qu’une large part est donnée à la culture physique et à la mémoire en faisant apprendre par cœur aux gens des choses qui les ennuient profondément. Nous avons une grosse personnalité matérielle, mais en ce qui concerne la conscience, rien n’a été fait. Et c’est pourquoi les Orientaux nous considèrent comme des demi-développés. Ils admirent beaucoup nos capacités techniques et ils les appliquent parfois avec beaucoup de bonheur, mais ils considèrent que ce n’est qu’une partie d’un être qui est Un. La question est de savoir comment faire pour y arriver.

La première chose, disent les Indiens et cela paraît enfantin, c’est d’y faire attention, d’accorder à notre esprit conscient un peu d’attention et de ne plus nous laisser aller à un mécanisme automatique qui va être réglé par nos impulsions corporelles.

J’ai participé il y a trois jours à des examens dans une école qu’on appelle yoga en France et qui devrait s’appeler culture physique indienne si on voulait être exact. Parmi les examinateurs se trouvait un Indien. Il a demandé à une jeune femme : « Qu’est-ce que le yoga ? » Elle n’a jamais pu répondre. Voici ce qu’il lui dit alors : « Ce n’est pas de la culture physique — la culture physique, c’est de la culture physique — il y a des postures, il y a la maîtrise de la respiration. On en fait aussi en Europe, différemment. Ce que nous avons en Inde est beaucoup plus complet, plus utile. Pourquoi mettez-vous « yoga » à la fin ? Moi, cela me choque parce que ce que vous faites ne correspond pas à ce qui pour moi est très important ». L’idée de la pratique du yoga, c’est justement d’ajouter à la base physique un développement systématique de la conscience.

Les Indiens sont persuadés que, même si notre personnalité est capable d’intuitions, celles-ci doivent parvenir de quelque chose d’autre, d’un domaine auquel on peut appliquer le mot « spirituel » qui, pour eux est beaucoup plus réel et plus important que les autres. Et toute notre existence est faite pour la manifestation du spirituel vers l’extérieur. Nous verrons au cours de la saison prochaine, l’application qu’on peut en faire.

Quel est le but de ce genre de développement ? De mettre en accord la personnalité extérieure, soumis à tout notre milieu social, avec la conscience intérieure. Chez la plupart des gens il y a lutte entre les deux. Le but du travail intérieur est d’arriver à l’harmonie entre les deux aspects, être « mukta », c’est-à-dire celui qui a « joint ». C’est la même racine que celle du mot « yoga », non pas qui sont joints, mais que l’être a joint consciemment, volontairement. Il peut alors les utiliser l’une et l’autre, il va pouvoir changer sa vie. Il sera « bien dans sa peau » parce qu’il n’y aura pas de contrainte en lui. Il saura se conduire vis-à-vis de l’extérieur en diminuant tous les contrastes. Mais ces contrastes sont généralement des complémentaires que nous n’avons pas remarqués.

Dans ce travail de l’individu sur lui-même, le point central, c’est le vital. Regardez en vous le rôle de cette partie du corps : vous avez une partie qui est l’entretien de votre personnalité et de l’espèce. Mais nous sommes tout le temps en relation avec le monde extérieur, même si nous sommes enfermés dans une chambre. Du seul fait de ma respiration, j’absorbe du monde extérieur ce qui m’est utile et je lui rends ce qui m’est inutile. L’échange avec le monde extérieur (voyez les plantes) est profondément lié à la vie. D’où en Inde, l’importance donnée â la respiration. Mais ce n’est pas tout ! Quand vous aspirez votre sang s’oxygène et le résultat de cette oxygénisation devra être amené dans toutes les parties du corps et là le cœur entre en jeu. Il va transporter cet oxygène vital jusque dans les moindres vaisseaux et, en même temps, il va ramener ce qui est inutile. Savez-vous que les globules rouges ont une vie assez brève, ils font à peu près deux fois le voyage entre les poumons et nos organes avant de disparaître, d’être éliminés. Et combien de fois, croyez-vous, que se produit ce phénomène de naissance de nouveaux globules rouges de façon à compenser la perte inévitable à notre activité ? Ils meurent et naissent sur un rythme de cent mille par seconde ! Nous n’en avons aucune conscience.

Nous dépendons donc strictement du milieu qui nous entoure. C’est une erreur de dire que dans cette pièce où nous nous trouvons en ce moment il y a 15 à 20 personnes. Il y a un groupe et une unité qui respire le même air et qui a des échanges constants. En conséquent, ce qui est vrai, c’est cette unité qui a une valeur en elle-même. C’est là une vérité concrète.

Donc le vital, à la fois respiratoire et cardiaque, si je peux dire, est le lien entre notre côté mental et notre côté physique. L’esprit ne peut agir sur la matière que par l’intermédiaire de la vie. C’est le lien entre le spirituel, le mental et le physique et c’est pourquoi les Indiens parlent de « la pensée, la parole et l’action », qui forment une chaîne continue. Il est capital que l’élément central fonctionne bien, sans quoi tout est déformé par une mauvaise transmission dans un sens ou dans l’autre. D’où l’importance du psychisme et de l’affectivité. Une certaine maîtrise est nécessaire du côté affectif par rapport à nos activités sociales. On ne peut pas faire n’importe quoi parce qu’on en a envie. En ce qui concerne le psychique, c’est beaucoup plus large, c’est nous qui sommes au premier plan et si nous avons une intuition juste et que nous ne sachions pas l’exprimer, elle est inutile. Et pour que l’intermédiaire soit aussi parfait que possible, la première des choses à faire, c’est d’y penser, de savoir que nous sommes comme cela et que nous ne voulons pas que des impulsions qui proviennent de la base de nous-mêmes, déterminent les réactions de notre cerveau. Si nous observons le nombre de mots inutiles que nous disons, c’est un désastre ! J’ai vu des êtres qui ne le faisaient pas. L’effet est extraordinaire. On a l’impression d’une solidité, d’une cohérence et d’une volonté qui se manifestent sans inutilités. Car il y a une volonté d’ordre spirituelle. Ne gaspillez pas l’énergie qui est à votre disposition. C’est difficile parce que l’âge intervient. Les enfants très petits, ont besoin d’une activité tout à fait extérieure, ne serait-elle que musculaire et respiratoire.

C’est une question d’attitude dans la vie. Et là je dois vous prévenir honnêtement. Si vous voulez vous améliorer, c’est-à-dire vous changer, il y a des choses qui vous sont habituelles maintenant et que vous allez essayer de ne plus faire. Le changement de conscience est possible, même dans le domaine matériel, ce ne sont pas des performances artificielles, ni des tours de force. L’homme a un passé qu’il doit supporter et il a devant lui un avenir qui est une possibilité d’action. On ne peut pas garder les deux, d’où la nécessité de ne pas s’attacher au passé. Il faut choisir ! Sri Aurobindo a fait remarquer à ce sujet, que l’important c’est de savoir quel est le proche avenir. Nous en parlerons la saison prochaine. L’évolution physique est extrêmement lente, l’être humain le plus ancien qu’on connaisse, remonte à deux millions d’années et son physique n’était pas tellement différent du nôtre. Sri Aurobindo conseillait : « Maintenez le côté physique en parfait état, mais occupez-vous principalement du côté conscience qui évolue beaucoup plus vite. La nature n’est pas pressée, nous le sommes davantage. Par conséquent, sur un long programme, il faut avoir ce qui est à notre disposition pour faire passer l’idéal avant le reste et que nous cherchions vraiment quelque chose qui soit ce vers quoi la nature tend ». Et Sri Aurobindo ajoutait : « Non seulement les transformations sont naturelles, mais elles sont inévitables, parce qu’elles se produiront malgré vous, même si vous ne faites rien ».

Il y a en Inde des êtres qui ont réalisé des performances extraordinaires, mais ils n’en font pas état. Les vrais Maîtres spirituels ont horreur de la propagande et de montrer quoique ce soit d’extraordinaire. Ils vous disent que la recherche de la performance est un échec, une erreur. Ce que vous devez rechercher c’est le développement naturel de votre personnalité. Les grands Maîtres spirituels ont toujours été les gens les plus normaux et, extérieurement, les plus ordinaires.

Une question : La plupart des gens ne savent pas ce qui est inutile.

M. M.-H. : Parce qu’ils n’y réfléchissent pas, c’est pour eux un besoin que de parler. Ils ont un certain fonctionnement automatique de leur cerveau sous l’action d’impulsions physiologiques. Ils disent : « Je me défoule ! » et ils ne défoulent pas grand-chose. Ils dépensent leur énergie physiologique pour rien et n’ont pas l’idée qu’ils peuvent l’employer pour autre chose.

La participante : Comment arriver à s’en rendre compte ?

M. M.-H. : L’attention est l’outil de toutes sortes de développements du cerveau. Votre énergie est limitée et si vous l’utilisez bien, vous éprouverez un sentiment de bonheur d’avoir exactement fait ce qu’il faut faire, même si ce ne sont que de petites choses. Dans la Bhagavad Gîta il est dit : « Tu dois faire l’acte qui est à faire ». L’important c’est la façon dont on fait les choses et, petit à petit on arrive à l’idée que ce n’est pas l’acte qu’on accomplit qui compte, mais la perfection qu’on y met. Chaque fois qu’une chose sera parfaitement exécutée, on sera conforme à l’impulsion divine.

La participante : Est-ce qu’on ne dépend pas beaucoup des réactions contraires de la société, de n’importe qui, à ce qu’on estime être bien, être utile ?

M. M.-H. : Parce que vous donnez de l’importance aux personnes en question. Parfois pourtant elles vous révèlent quelque chose qui va vous aider à mieux faire. Mais si c’est quelqu’un qui ne comprend pas, tout en étant sûr de lui, ne lui donnez pas d’importance. Vous n’êtes pas responsable des autres, ils font ce qu’ils peuvent.

Une participante : De toute façon notre conception de ce qui est utile ou inutile change aussi. C’est le point de vue intérieur qui change et qui fait que telle chose devient utile qui ne l’était pas avant et vice versa. Il faut passer par l’expérience.

M. M.-H. : Oui, mais avant tout il faut que vous soyez sincère. Vous faites de votre mieux, vous ne réussissez pas du premier coup, cela vous permettra de rectifier.

Une participante pose à nouveau la question sur le vital.

Sa fonction essentielle est sa fonction d’échange avec le monde extérieur et ensuite c’est le lien. C’est votre aspect vital qui va vous permettre, ayant pensé à faire quelque chose, de le faire. Inversement, quand vous faites une expérience physique, agréable ou désagréable, pour que cela puisse s’inscrire dans le mental, il faut que cela traverse le vital, qui va lui donner sa sensibilité. C’est un intermédiaire inévitable.

Un participant : Autrement dit : sensibilité, affectivité, intuition.

M. M.-H. : En plus le vital a un double aspect extérieur, presque automatique de transmission dans un sens ou dans l’autre. Et puis, il est le psychique. La sensibilité fait partie de la technique. Si vous n’avez pas développé votre sensibilité, il pourra se passer de très belles choses intérieurement, mais cela n’ira pas très loin, parce que votre cerveau enregistre des sentiments, mais pas les intuitions. C’est déjà bien beau lorsqu’il les transmet sans trop les abîmer ! L’inspiration, elle, est un appel à l’intuition. C’est pourquoi on demande toujours que les premiers exercices soient des exercices de détente mentale. Laissez dans le silence venir la chose.

Une question : Est-il possible que deux personnes tout à fait sincères aient sur un même sujet des intuitions qui s’opposent ?

M. M.-H. : Elles ne s’opposent pas, elles pourront être différentes par leur forme de présentation, elles sont vraies toutes les deux.

Le participant : Donc la vérité est objectivable et ce qui appartient à l’intuition peut être l’objet d’un critère, d’une sorte de hiérarchie.

M. M.-H. : Ce que vous me dites, m’amuse beaucoup, parce que c’est typiquement occidental. Pour vous la vérité est quelque chose, pour un Oriental, c’est un état. Si vous atteignez le niveau de la vérité, vous l’aurez sous une forme qui dépendra de vos propres habitudes naturellement, mais elle restera une vérité. La vérité ne change pas. C’est toujours pour nous quelque chose de vrai. Mais il y a aussi le temps, une chose peut être vraie pour vous et ne plus l’être au bout d’un certain temps.