Le Zen Universel: L’œil zen (citations)

Dans son livre La Tradition japonaise dans la littérature anglaise et américaine, Earl Miner a souligné les ressemblances existant entre le haïku et certains poèmes de feu Wallace Stevens, en particulier ceux qu’il a intitulés : Treize façons de regarder un merle : « Les poèmes d’inspiration la plus « japonaise » de Stevens — […]

Dans son livre La Tradition japonaise dans la littérature anglaise et américaine, Earl Miner a souligné les ressemblances existant entre le haïku et certains poèmes de feu Wallace Stevens, en particulier ceux qu’il a intitulés : Treize façons de regarder un merle :

« Les poèmes d’inspiration la plus « japonaise » de Stevens — écrit-il — sont ceux qui proposent une suite d’images quasi impressionnistes d’un même sujet, tels que : Six paysages significatifs, Treize façons de regarder un merle, Étude de deux poires et Variations sur une journée d’été. Les titres mêmes de ces poèmes rappellent certaines « séries » d’artistes japonais, les Huit vues de Omi de Hiroshige, les Trente-six vues de Fuji de Hokusai ou les Saisons de Utamaro. Ces poèmes de Stevens sont aussi les plus proches de la technique du haïku. Dans Treize façons de regarder un merle, le merle représente la réalité objective constante dont, selon son humeur ou son état d’esprit, celui qui la regarde nous propose des interprétations différentes. Plusieurs parties de ce poème évoquent de façon extraordinaire la méthode et la manière des Japonais. Par exemple, celles-ci :

I

Parmi vingt montagnes neigeuses,

la seule chose qui bougeât

était l’œil du merle.

III

Le merle tournoyait dans le vent d’automne,

figurant de la pantomime.

XII

La rivière coule

Le merle doit voler.

XIII

Il avait neigé tout l’après-midi,

il neigeait,

et il allait neiger encore.

Le merle s’assit

sur une branche de cèdre.

« Les parties II et XII — note encore Earl Miner — rappellent le haïku par leur esprit, en évoquant l’interrelation des choses de la nature. La rivière, par exemple, est un symbole taoïste du mouvement ; elle bouge, on peut donc en déduire que le merle vole. Une des treize parties du poème, qui est aussi sans doute l’image centrale de celui-ci (le merle en automne), nous apparaît comme un véritable haïku, et c’est la treizième (voir ci-dessus) qui nous rappelle l’un des plus célèbres haïkus de Basho :

Un corbeau s’est arrêté

pour se percher sur une branche morte.

L’automne se fait plus sombre. »

Des hommes font les foins, au loin dans la prairie. Leurs têtes se balancent comme l’herbe qu’ils fauchent et, à distance, le vent semble les courber de la même manière.

THOREAU [1].

Pendant toute la journée, les lucioles ont économisé leur lumière sous l’herbe et les feuilles, en prévision de la nuit.

(Id.)

Nos pensées aussi commencent à bruire.

(Id.)

Un poème ne devrait pas être vérité

mais équivalence.

Évoquer tout le chagrin du monde

par une porte ouverte et une feuille morte,

tout l’amour par le frémissement de l’herbe

et deux lumières sur la mer.

Un poème ne devrait pas signifier

mais être.

ARCHIBALD MACLEISH.

Désolation de l’hiver :

en traversant un petit hameau,

un chien aboie.

SHIKI.

Le vent sur la lagune,

le vent du sud brisant les roses.

EZRA POUND.

Le haut rocher, la montagne,

le bois profond et sombre,

leurs couleurs et leurs formes,

étaient pour moi une faim, une attente, un amour

qui se suffisaient à eux-mêmes.

WORDSWORTH.

Le poète est celui qui ne cesse jamais d’avoir confiance, précisément parce qu’il ne s’arrête dans aucun port, ne s’embarrasse d’aucune ancre, mais poursuit cette forme unique qui vole à travers la tempête et se perd sans fin dans le devenir éternel.

ÉLIE FAURE.

Ma religion consiste en une humble admiration pour l’Esprit supérieur et illimité qui se révèle dans les petits détails que nous sommes capables de percevoir avec notre esprit frêle et débile.

ALBERT EINSTEIN.

La libellule :

sa tête, peu s’en faut,

n’est qu’un œil.

CHISOKU.

Comment savoir où est la tête

et où la queue

de la sangsue ?

KYORAI.

Le chant des oiseaux, le bruissement des insectes, tout cela est fait pour ouvrir l’esprit à la vérité ; dans les fleurs et dans l’herbe, nous voyons des messages du Tao. Le sage à l’esprit clair et pur, au cœur serein et ouvert, devrait trouver sa nourriture en toutes choses.

KOJISEI.

Le pivert cherche des arbres morts

parmi les cerisiers en fleurs.

Joso.

Ligue-toi avec les pierres, et les bêtes sauvages seront en paix avec toi.

(Livre de Job.)

Ne changez pas. Ne détournez pas votre amour des choses visibles, mais continuez à aimer ce qui est bon, simple et ordinaire, les animaux, les choses, les fleurs, et gardez un juste équilibre.

RAINER MARIA RILKE.

Le saule peint le vent

sans avoir besoin d’un pinceau.

SARYU.

La vaste création, toujours nouvelle,

cette divine improvisation…

EMERSON.

Ne crois pas qu’il en aille pour Dieu comme pour un charpentier, qui travaille ou ne travaille pas, selon son caprice, qui achève ou n’achève pas ce qu’il a commencé, selon son bon plaisir. Dieu, lorsqu’Il te trouve prêt, est obligé d’agir, de se manifester en toi, comme le soleil ne peut s’empêcher de briller lorsque le ciel est clair et sans nuages… Si le peintre devait prévoir chaque trait de pinceau avant de poser le premier, il ne peindrait pas du tout.

MAÎTRE ECKHART.

L’artiste doit se mettre à l’unisson de ce qui veut se révéler à travers lui.

MARTIN HEIDEGGER.

En réalité, jamais l’individu ne crée rien ; si l’homme crée, c’est en tant qu’homme universel, anonyme, manifestation du Principe. Aux âges où régnait plus de véritable sagesse, un artiste, un savant, un pasteur ne songeaient pas à attacher leur nom aux œuvres qui prenaient forme à travers eux.

HUBERT BENOIT, La Doctrine suprême selon la Pensée zen.

L’esprit d’analyse s’occupe surtout de réduire des phénomènes complexes à leurs composantes toujours plus petites, dans le dessein de les observer, de les classifier, de leur trouver une application pratique, alors que l’intuition, sciemment ou non, voit l’unité du but et de la signification derrière la multiplicité des phénomènes. Mais ce n’est pas tout l’intuition, étant alliée à l’esprit créateur lui-même, est pour l’homme instrument de création autant que compréhension.

FRANZ E. WINKLER.

Je peins pour me reposer des phénomènes du monde extérieur, pour l’exprimer et pour saisir des aspects de son essence qui vérifieront mon regard intérieur.

MORRIS GRAVES.

Les pattes de la grue

sont devenues courtes

à cause des pluies de l’été.

BASHO.

Au-dessus des rangs d’orge,

les cousant ensemble,

vole un papillon.

SORA.

En ce qui concerne le monde extérieur, l’artiste est confronté avec ce qu’il voit ; mais ce qu’il voit est d’abord ce qu’il regarde.

ANDRÉ MALRAUX.

Dans l’arrangement floral (japonais), les espaces vides doivent être considérés comme faisant partie du spectacle. Ils manifestent eux aussi le silence inexprimable et non représentable. Inclus dans cette harmonie asymétrique, ils peuvent prendre un sens particulièrement éloquent et clair.

GUSTIE L. HERRIGEL.

Alors que je séjournais dans un monastère-zen, on me donna pour objet de méditation une peinture à l’encre sumi, représentant un cercle tracé d’un coup de pinceau épais et libre. Jour après jour, je le regardais en me demandant ce qu’il signifiait. Était-ce une image de l’Univers, où il me fallait perdre mon identité ? Peut-être n’ai-je pas compris sa beauté ni saisi la finesse du trait qui, aux yeux avertis d’un Oriental, eût révélé le caractère de l’artiste — mais après ma visite, je m’avisai que mon regard s’était transformé… Quand je vis un grand dragon peint dans un style très libre, au plafond d’un temple de Kyoto, je pensai malgré moi à la puissance de Michel-Ange : le rendu de la forme était différent, ainsi que le tourbillon de nuages qui accompagnait le vol majestueux du dragon — mais la puissance spirituelle chez les deux artistes était la même.

MARK TOBEY.

Toujours, au-delà de l’objet particulier, quel qu’il puisse être, nous devons fixer notre volonté sur le vide, vouloir le vide, car le bien que nous ne pouvons ni peindre ni définir est pour nous un vide — mais ce vide est plus plein que toute plénitude.

Si nous allons jusque-là, nous serons sauvés, car Dieu remplit le vide. Cela n’a rien à voir avec un processus intellectuel au sens où nous l’entendons, aujourd’hui. L’intelligence n’a rien à découvrir, elle a seulement à nettoyer le terrain. Elle n’est bonne qu’aux tâches serviles… Ce néant n’est pas irréel. Comparé à lui, tout dans l’existence est irréel.

SIMONE WEIL.

Parmi les grandes choses qu’il nous faut découvrir parmi nous, l’Existence du Néant est la plus grande.

LÉONARD DE VINCI.

P.-S. — Il va sans dire que le choix de textes composant les six chapitres qu’on vient de lire pourrait être complété par de nombreux extraits d’auteurs français. Laissons à chacun le soin de le faire pour son compte. (C. E.)

(Extrait de l’anthologie : Le monde du zen par Nancy Wilson Ross, Stock 1968)

__________________________________

1 De nombreux adeptes du Zen ont souligné leurs affinités avec la vie et l’œuvre de David Thoreau, le « sage » de Walden Pond. (N. W. R.)