Le Zen Universel: Unité (citations)

L’objectif du Zen est de nous donner la certitude intuitive que, dans les profondeurs de notre esprit, nous avons découvert l’entité qui transcende et remplace toutes les différences individuelles et les modifications temporaires. Cette entité — qui est l’esprit ou l’âme eux-mêmes — est l’essence de l’univers. Elle implique l’unité suprême de l’existence, une unité […]

L’objectif du Zen est de nous donner la certitude intuitive que, dans les profondeurs de notre esprit, nous avons découvert l’entité qui transcende et remplace toutes les différences individuelles et les modifications temporaires. Cette entité — qui est l’esprit ou l’âme eux-mêmes — est l’essence de l’univers. Elle implique l’unité suprême de l’existence, une unité qu’il ne faut pas chercher dans le monde extérieur, mais que nous pouvons trouver en nous-même. Lorsque la discipline du Zen a amené un homme à la conscience de cette nature fondamentale et primordiale de son moi comme de l’univers, cela revient à dire que cet homme a « absorbé » l’univers, qu’il s’est identifié au cosmos.

M. ANESAKI, L’art bouddhiste

dans ses rapports avec la pensée bouddhiste.

Même lorsque le Zen se laisse aller aux extrapolations intellectuelles, il ne souscrit jamais à une interprétation panthéiste du monde, et ce pour une bonne raison : il rejette tout monisme. Lorsque le Zen semble admettre la notion d’Unité, c’est par une sorte de complaisance au langage commun. Pour les disciples du Zen, l’Un est le Tout et le Tout est l’Un — mais l’Un reste l’Un et le Tout reste le Tout. Le refus du dualisme peut suggérer au logicien l’idée de monisme, mais le Zen la rejette également. Nous nous trouvons ici devant une impasse sur le plan du langage.

D. T. SUZUKI.

Double est mon regard

Et double ma vision.

Mon œil intérieur voit un vieil homme grisonnant

Lorsque mon regard extérieur voit un chardon.

WILLIAM BLAKE.

Lorsque l’intelligence s’en tient aux particularités extérieures des choses, c’est qu’elle ne sait pas reconnaître que toutes choses ne font qu’Un.

Un homme qui gardait des singes avait décidé de leur donner à chacun trois châtaignes le matin et quatre le soir. Mais comme cela leur déplaisait, le gardien leur en donna quatre le matin et trois le soir, et ils en furent satisfaits. Le nombre de châtaignes qu’il leur donnait était le même, mais cet arrangement tenait compte de leurs préférences personnelles. Tel est le principe qui doit régir nos rapports avec le monde extérieur.

TCHOUANG-TSEU.

L’omniprésence de Dieu fait qu’Il est un ange dans un ange, une pierre dans une pierre, un brin de paille dans un brin de paille.

JOHN DONNE, Sermon, VII.

Qui est Dieu ? Je ne vois qu’une réponse à cette question : Celui qui est. A quoi bon dire qu’Il est bon, grand, saint, sage ou quoi que ce soit du même genre ? Tout cela est contenu dans ces mots : Il est.

SAINT BERNARD.

Pour moi ce qui est loin est proche,

L’ombre et la lumière sont identiques,

Les vaincus m’apparaissent comme des dieux,

La honte et la gloire ne font qu’un.

Je suis le douteur et le doute

Et l’hymne que chante le brahmane.

EMERSON, Brahma.

Lorsque nous avons conscience de l’unité des Dix Mille Choses, nous retournons à l’Origine et restons où nous avons toujours été.

SENG-TS’AN.

Mon Dieu, comment se peut-il que Tu sois si grand et que pourtant personne ne Te trouve en ce monde, que Tu sois si proche et que personne ne Te sente, que Tu te donnes à chacun et que personne ne connaisse Ton nom ? Les hommes Te fuient et disent qu’ils ne peuvent Te trouver ; ils Te tournent le dos et disent qu’ils ne peuvent Te voir ; ils se bouchent les oreilles et disent qu’ils ne peuvent T’entendre.

HANS DENK.

Je rencontrai un prophète.

Il tenait dans ses mains

le livre du Savoir.

« Laissez-moi lire », lui dis-je.

« Mon enfant… » commença-t-il.

« Ne croyez pas, dis-je, que je suis un enfant

car je sais déjà beaucoup de choses

qui sont dans ce livre,

oui, beaucoup. »

Il sourit.

Puis il ouvrit le livre

et l’offrit à mes yeux.

Comme il est étrange que soudain

je sois devenu aveugle…

STEPHEN CRANE, Le Livre du Savoir.

Le thème central des Upanishads est la recherche de l’unité dans la diversité.

« Y a-t-il une connaissance dont la possession nous livre celle de toute chose ? » La réponse à cette question réside dans la conception de Dieu (Brahma) considéré comme la Cause Ultime de l’univers : l’effet n’étant pas différent de la cause, il est possible de connaître l’univers par la connaissance de Brahma, « tout de même qu’en connaissant un morceau d’argile on connaît tout ce qui est fait d’argile, car la forme et les transformations ne sont qu’un artifice de langage, un nom, et la seule réalité est l’argile elle-même. »

SWAMI MADHAVANANDA, L’Héritage culturel de l’Inde.

A la question : « Où va l’âme quand le corps meurt ? », Jacob Boehme répondait : « Il n’y a aucune nécessité pour elle d’aller où que ce soit. »

L’un reste, la multiplicité change et passe ;

La lumière céleste brille à jamais, les ombres de la terre s’envolent ;

La vie, tel un dôme de verre multicolore,

Souille la pure blancheur de l’Éternité [1].

SHELLEY, Adonaïs.

La roue tourne à l’envers. Je revivrai.

Mais la vague déferle et, avec ma naissance,

M’enfouit à nouveau sous le poids de ma tombe.

MURIEL RUKEYSER, Ajanta.

La vie et la mort ne sont pas les termes d’une alternative bien sérieuse.

ROBINSON JEFFERS, Mai-juin 1940.

Un étudiant de l’université qui rendait visite à Gasan lui demanda :

As-tu déjà lu la Bible chrétienne ?

Non, dit Gasan. Lis-la-moi.

L’étudiant lui lut ce passage de Matthieu :

« Pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement ? Considérez comment croissent les lis des champs : ils ne travaillent ni ne filent ; cependant, je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux… Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain aura soin de lui-même. »

Celui qui a parlé ainsi, dit Gasan, était un homme qui savait.

L’étudiant lut encore :

« Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, ceux qui cherchent trouvent, et l’on ouvre à celui qui frappe. »

Voilà qui est excellent, dit Gasan. Celui qui a parlé ainsi était proche de la nature de Bouddha.

PAUL REPS.

Il y a diversité de dons, mais le même Esprit ; diversité de ministères, mais le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais le même Dieu qui opère tout en tous (…) Car comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ (…) Vous êtes le corps du Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part.

(I Corinthiens, XII, q., 6, I2, 27.)

Lors de la Cène, Jésus prit du pain, le rompit et le donna à ses apôtres en disant : « Prenez et mangez, ceci est mon corps. » Puis il leur donna la coupe en disant : « Buvez, car ceci est mon sang. » Les maîtres du Zen interprètent cette parole différemment des Chrétiens. Pour eux, tout est le Corps de Bouddha. Si Jésus a dit que « le pain est son corps », c’est parce que toutes choses, sans distinction, sont le « Corps réel », celui de la Totalité-Une de l’Univers. Pas un grain de poussière n’est en dehors de cette Réalité.

ROBERT LINSSEN, Essais Sur le Bouddhisme en général et le Zen en particulier.

Le Chandogya Upanishad raconte l’histoire de Svetaketu, un jeune homme de l’Inde antique qui, rentrant chez lui après avoir passé douze années à étudier les Védas, parut à son père un peu infatué de son vaste savoir. Le père voulut alors lui enseigner une sagesse familière mais profonde qui ne s’apprend pas dans les livres. (N. W. R.)

Apporte-moi donc un fruit de banyan, dit-il à son fils.

Le voici, père.

Ouvre-le. Qu’y vois-tu ?

Quelques graines minuscules, père.

Brises-en une. Qu’y vois-tu ?

Rien du tout.

Mon fils, dit le père, cette essence subtile que tu n’aperçois même pas contient l’être même du grand banyan. Et tout ce qui existe a pour origine une telle essence. Cela est la Vérité, cela est le Moi et toi, Svetaketu, tu es Cela.

Ensuite, le père donna à son fils un sac de sel en lui disant :

Verse ce sel dans un vase plein d’eau, et apporte-le-moi. Le fils obéit et son père lui dit :

Maintenant, donne-moi le sel que tu as mis dans l’eau. Mais le sel avait fondu.

Goûte l’eau à la surface du vase, dit le père, et dis-moi quel est son goût.

Elle est salée.

Et au milieu du vase ?

Salée.

Et au fond du vase ?

Salée également.

Il en va ainsi de ton corps, dit le père : tu n’y perçois pas la Vérité, mais elle y est partout. Et tout ce qui existe est dans cette subtile essence. Cela est la Vérité, cela est le Moi, et toi, Svetaketu, tu es Cela.

(Chandogya Upanishad.)

On ne peut toucher à une fleur

sans déranger une étoile.

FRANCIS THOMPSON.

J’ai éprouvé le sentiment sublime

d’une chose très profondément répandue

dont la demeure est la lumière des soleils couchants,

le vaste océan et l’air vivant,

le ciel bleu et l’esprit de l’homme ;

un mouvement, une âme qui habite

tout ce qui pense, les objets de toute pensée,

et qui anime toutes les choses.

WORDSWORTH.

(Extrait de l’anthologie : Le monde du zen par Nancy Wilson Ross, Stock 1968)

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1 On est tenté de rapprocher ces deux derniers vers de ceux de Paul Valéry (Ébauche d’un serpent) où le poète, s’adressant au Soleil, dit :

Tu gardes les cœurs de connaître

Que l’Univers n’est qu’un défaut

Dans la pureté du Non-Être. (C. E.)