Claude Planson
Les mystères du vaudou

Pendant longtemps, les Occidentaux n’ont voulu voir dans les religions du Monde Noir qu’un grossier fétichisme. Notre supériorité se serait manifestée par le fait que nous seuls, depuis Moïse, connaîtrions le monothéisme. Or tous les travaux récents, y compris ceux des missionnaires chrétiens, infirment cette vision superficielle. Mgr Leroy, parlant des Bantous, écrit : « Auraient-ils donc la connaissance de Dieu ? Assurément. Et rien ne prouve mieux cette assertion que, dans toutes leurs langues, Dieu a un nom, et un nom qui se trouve toujours exprimer ou représenter son objet, autant qu’il est possible à l’homme d’exprimer ou de représenter l’Être ineffable ». Une même observation s’applique à toutes les ethnies africaines. Partout existe un Dieu unique sous des appellations différentes.

(Revue Psi International. No 2.  Novembre-Décembre 1977)

Claude Planson, qui s’efforce de rectifier les contre-vérités écrites sur le Vaudou, nous a donné dans son premier article (l’Afrique fantôme du Vaudou haïtien) un historique de la traite des Noirs. Celle-ci débuta au XVIe siècle. Christianisés de force, les millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui furent arrachés à leur terre natale, implantèrent sur le Nouveau Continent une religion originale, le Vaudou. Malgré des persécutions incessantes, c’est lui qui permit au peuple haïtien de survivre à l’esclavage, de conquérir son indépendance et de conserver sa culture.

Dans mon précédent article, j’ai montré comment le Vaudou, synthèse des grands cultes africains, avait pris naissance et s’était développé en Haïti, contribuant de manière décisive à la libération des esclaves (un demi-siècle au moins avant les autres îles caraïbes !) et à l’instauration de la Première République Noire du Nouveau Monde, proclamée après une guerre d’indépendance s’étant étendue sur une période de plus de douze années.

Malgré les travaux de nombreux ethnologues français, américains et haïtiens [1], malgré les prises de position courageuses de prêtres à l’esprit ouvert [2], le Vaudou reste cependant l’objet d’une méconnaissance, voire d’une prévention, que la persistance d’un certain esprit néo-colonialiste visant à aligner la culture haïtienne sur le modèle occidental ne suffit pas à expliquer. Peut-être faut-il alors admettre que cette méconnaissance tient au caractère même du Vaudou que l’on s’obstine à comparer à nos religions actuelles, dites révélées, alors que, pour le saisir, il faudrait plutôt se référer aux cultes à mystères qui fleurirent dans notre Occident, aussi bien sur les rivages de la Méditerranée que dans les mondes celtique et germanique.

Une religion « à mystères »

Parler du mystère, c’est le profaner a pu écrire Emile Jeauneau. Ainsi la règle fondamentale dans le Vaudou est-elle le silence, le secret. Certes, la communauté tout entière est associée à la célébration du culte, mais elle n’en connaîtra jamais que l’aspect extérieur, superficiel, l’enseignement étant réservé aux seuls initiés, à ceux qui ont subi les épreuves et sont devenus de ce fait époux ou épouses des esprits. Ceux-là, quand on les questionnera, auront pour consigne, soit de se taire, soit d’égarer volontairement les curieux.

Lorsque Francis Huxley, neveu d’Aldous Huxley et professeur à Oxford, se rendit en Haïti afin d’étudier le Vaudou qu’il croyait susceptible d’apporter des éléments décisifs à l’élaboration de ses théories antipsychiatriques, il concentra ses observations sur la petite ville de Jacmel, dans le Sud, où existent plusieurs temples que je fréquente depuis de longues années. Il en revint avec un livre, The Invisibles, réunissant les témoignages de jeunes hounssis [3] que je croyais incapables d’aussi gros mensonges. Lorsque je questionnai plus tard les intéressées, elles me répondirent en riant aux éclats : « Il posait trop de questions, nous nous sommes un peu moquées de lui ! » Me voyant peu convaincu, l’une d’entre elles eut cette réflexion admirable : « Il croyait tout connaître, pourquoi l’aurions-nous détrompé ? S’il savait, il ne poserait pas de questions auxquelles il n’y a pas de réponses ! » La jeune fille en question ne doit guère avoir dépassé dix-huit ans (comme tous les paysans haïtiens, elle ignore son âge exact et s’en moque bien !) et elle est rigoureusement analphabète. Mais il y a plus de sagesse dans sa jolie tête crépue que dans celle de tous les professeurs d’Oxford.

Les initiés aux mystères antiques eurent une attitude rigoureusement identique : « Aucun auteur païen n’a osé enfreindre les interdictions pour révéler la nature des rites salvateurs. Les chrétiens se montrent un peu moins discrets, mais leur témoignage est suspect, car ils ne se soucient ni d’impartialité, ni d’exactitude » écrit Henri-Charles Puech. Seuls, quelques renseignements fragmentaires nous sont parvenus, transmis par des écrivains grecs, comme Lucien et Plutarque, ou latins comme Juvénal et Apulée, encore sont-ils, le plus souvent, codés. Ainsi dans L’âne d’or ou les métamorphoses, Apulée dissimule-t-il sous la fable les phases d’une cérémonie initiatique à laquelle il a été effectivement mêlé. Mais nous savons que les plus grands esprits (Sophocle, Aristophane, Plutarque, Platon, Cicéron, l’empereur Julien, etc.) tinrent à subir les épreuves et rapportèrent de leur initiation un souvenir illuminé. « Comme le divin est ineffable, on défend d’en parler à celui qui n’a pas eu le bonheur de le voir » explique Plotin [4].

Si les observateurs avaient abordé le Vaudou avec plus de modestie et de respect, s’ils avaient consenti à oublier son aspect exotique, ils auraient vite saisi qu’il s’agissait d’un culte se reliant à un grand courant spirituel universel dont il n’est que l’expression africaine, puis haïtienne. Ils ne se seraient pas contentés de le contempler de l’extérieur, mais auraient réalisé que la seule manière de le comprendre était d’y pénétrer. Certains s’y sont résolus d’ailleurs : Pierre Verger sans doute et, peut-être le professeur Roger Bastide (en ce qui concerne le vaudou brésilien ou Candomblé). Mais il est à noter que, dès cet instant, ils ont fait preuve d’une remarquable discrétion.

Quand le soleil brille à minuit

En ce qui me concerne, j’ai dû attendre de longues années avant d’être admis aux mystères. Ma qualité de Blanc, ma curiosité insatiable (Tu poses trop de questions ! me répétait-on), le fait que j’écrivais, c’est-à-dire que je voulais enfermer l’esprit, ont fait longtemps douter de ma sincérité. J’ai raconté ailleurs dans quelles circonstances et à la suite de quelles difficultés je fus enfin admis dans le guévo [5]), comment je dus m’engager à garder la bouche close (serment que je renouvelle à chaque cérémonie, traçant d’un geste rapide une croix sur mes lèvres en saluant le houngan ou la mambo [6]. Cette notion de secret, commune à toutes les religions de type initiatique, mérite qu’on s’y arrête un instant. Des esprits malveillants ont cru y découvrir la preuve d’actes honteux ou répréhensibles. Il n’existe rien de semblable. « Le secret est un privilège du pouvoir et un signe de la participation au pouvoir » écrit Jean Chevalier et celui qui est capable de le conserver sans défaillance acquiert une force de domination incomparable. Il est lié à la notion de trésor, un trésor qui ne se découvre qu’au terme de longues épreuves, au fond d’une caverne gardée par des dragons qui ne sont pas autre chose que des aspects de nous-mêmes. D’ailleurs, comment exprimer ce qui n’a de valeur que ressenti, et que chacun doit ressentir d’une manière particulière ? « J’ai l’impression de descendre d’un autre monde » me disait, il y a peu, un jeune médecin, à la fin de sa semaine initiatique. Sa voix faisait écho à celle d’Apulée qui, dix-huit siècles plus tôt, s’exclamait déjà : « J’ai vu le soleil briller à minuit ! »

Mais alors, que peut-on dire sans trahir le secret ? Beaucoup, pour qui veut entendre. Et d’abord rappeler qu’initier vient du latin initium : commencement. Être initié, c’est recommencer, participer à une nouvelle genèse. Il s’agit pour le néophyte d’accepter volontairement de mourir, de retrouver le sein maternel, d’éprouver les douleurs d’une nouvelle naissance et de renaître différent, à l’aube de l’humanité, doté d’une nouvelle mère (ou d’un nouveau père, suivant les cas). Tout cela, il ne devra pas l’éprouver de manière symbolique mais effectivement, dans sa chair. L’ethnologue français Alfred Métraux, assistant à une entrée de néophytes dans le guévo, s’étonnait de voir des parents sangloter tandis qu’on entraînait leurs enfants, les yeux bandés. Pas un instant il ne lui vint l’idée que leur douleur était réelle. Il préféra voir dans leurs pleurs les restes d’une tradition oubliée. Ainsi le raisonnement scientifique aboutit-il parfois à d’invraisemblables contresens qui seront indéfiniment répétés, références à l’appui. La vérité était pourtant bien simple : ces gens pleuraient parce qu’ils savaient d’expérience de quoi il s’agissait : leurs enfants allaient connaître les sueurs de l’agonie, ce qui, croyez-moi, est une dure épreuve, même si elle permet d’envisager ensuite la mort d’un esprit beaucoup plus serein. Ils allaient aussi découvrir la plus haute forme de l’amour, le mariage mystique, fusion de l’âme et du corps avec l’esprit, à propos duquel Thérèse d’Avila a écrit des pages fulgurantes [7].

Le monde est le corps de Dieu

Pendant longtemps, les Occidentaux n’ont voulu voir dans les religions du Monde Noir qu’un grossier fétichisme. Notre supériorité se serait manifestée par le fait que nous seuls, depuis Moïse, connaîtrions le monothéisme. Or tous les travaux récents, y compris ceux des missionnaires chrétiens, infirment cette vision superficielle. Mgr Leroy, parlant des Bantous, écrit : « Auraient-ils donc la connaissance de Dieu ? Assurément. Et rien ne prouve mieux cette assertion que, dans toutes leurs langues, Dieu a un nom, et un nom qui se trouve toujours exprimer ou représenter son objet, autant qu’il est possible à l’homme d’exprimer ou de représenter l’Être ineffable ». Une même observation s’applique à toutes les ethnies africaines. Partout existe un Dieu unique sous des appellations différentes. Pour leur part, les Haïtiens le nomment le Grand Maître. Il ne doit jamais être représenté sous une forme matérielle, et s’adresser directement à lui serait manquer à la fois de décence et de respect. Il est l’ordre du monde, son Grand Architecte (les Haïtiens disent qu’il fait tenir les astres ensemble) et son corps est l’univers entier. Dès lors, le sacré imprègne tous les détails, même les plus infimes, de l’existence. Dans cette vision du monde, la notion d’anthropocentrisme serait inconcevable : l’homme n’est que le maillon d’une longue chaîne. En deçà de lui, viennent les minéraux, les végétaux et les animaux de plus en plus évolués, au-delà les loas ou mystères qui ne sont pas des dieux, mais des esprits bénéfiques ou maléfiques, non par nature, mais en fonction de la manière dont on les traitera. Un service religieux s’appellera donc service loa ou mangé loa (offrande aux esprits).

Ces services se déroulent dans de petits temples nommés hounfors [8], généralement situés au fond d’une ruelle ou à l’écart. Simple hangar au toit de paille ou de tôle ondulée, le hounfor se divise en deux parties principales : le péristyle qui reçoit le public et la caye-mystères [9] qui contient l’autel [10] et les attributs des esprits. Chaque temple est indifféremment dirigé par un homme, le houngan, ou une femme, la mambo, et les fidèles sont ceux que l’un ou l’autre aura personnellement initiés et qui, de ce fait, seront devenus ses enfants. Cela dit, sauf cérémonies particulières, l’ensemble de la communauté du village ou du quartier aura libre accès au hounfor. Celui-ci est, en effet, à la fois, un lieu de rencontre, une garderie d’enfants, une cantine, un centre d’accueil pour ceux qui ne savent où aller dormir, un hôpital, un cours de danse, de chant, de travaux ménagers, une salle de fête (où sont organisés des bals) et un lieu du culte. Les services loa y ont lieu généralement en fin de semaine et s’y déroulent depuis la tombée de la nuit jusqu’au petit jour (mais il arrive que des cérémonies durent plusieurs jours, et même plusieurs semaines de suite).

La cérémonie commence toujours par le tracé des vévés qui sont des dessins exécutés sur le sol même du temple avec de la farine de maïs que le traceur laisse couler entre le pouce et l’index avec la régularité d’un sablier. Pour le simple spectateur, le vévé est un symbole qui, selon le mot de Gurvitch, inclut et exclut, c’est-à-dire marque les limites de la communauté vaudou. Pour le hounssi, chaque vévé (car il en existe des centaines, et des milliers de combinaisons sont possibles) représente un esprit particulier dont il offre les attributs. Le grand initié (houngan ou mambo) y voit davantage : une écriture parfaitement lisible, l’ensemble des vévés représentant, en quelque sorte, le livre sacré de l’Afrique animiste grâce à quoi elle transmettrait ses secrets. Le vévé est en outre un mécanisme favorisant la venue des esprits. D’où la nécessité de le dessiner avec une extrême précision, faute de quoi il ne fonctionnerait pas correctement.

« Je ne pourrais croire qu’à un Dieu qui saurait danser » disait Zarathoustra. Un service-loa est essentiellement une succession de danses accompagnées de chants et, parfois, de sacrifices. Ces danses ne sont nullement, comme on pourrait le croire, des défoulements inorganisés. Elles relèvent d’une chorégraphie rigoureuse visant à suractiver les centres musculaires et nerveux qui favoriseront l’apparition de ce que les Occidentaux (utilisant fâcheusement le vocabulaire de l’Inquisition) appellent crise de possession et les Haïtiens chevauchement. Il s’agit d’un véritable phénomène de theolepsie au cours duquel l’homme n’est plus que le support, la monture de l’esprit qui s’exprime à sa place sans qu’il en ait lui-même conscience. Chevauchée par un hogou, esprit de la guerre, une frêle jeune fille exigera une machette et aura le comportement d’un farouche combattant. Possédé par Erzulie, esprit de l’amour, un vieillard se transformera en une coquette réclamant des bijoux et des parfums et ainsi de suite. Tenue longtemps pour pathologique, la crise de loa, remplit en fait une fonction structurante pour la personnalité du vaudouisant. De nombreux médecins s’y intéressent [11], estimant qu’elle pourrait offrir une soupape aux névroses dont souffre notre société industrielle et constituer une thérapie particulièrement efficace.

La science face au vaudou

La volonté d’appel des officiants, le grondement des tambours, l’espace sacré occupé par le chœur des hounssis, les vévés tracés sur le sol, l’exaltation générale créent une formidable concentration d’énergie psychique qui se traduit souvent par des phénomènes défiant toutes les lois que nous connaissons. Il était donc nécessaire d’en entreprendre une étude sérieuse, d’autant qu’une communauté vaudou, dirigée par la mambo Mathilda Beauvoir, acceptait de se soumettre aux investigations nécessaires. Ainsi naquit l’Association pour l’Étude du Vaudou dont le président est S.A.R. Monseigneur le Prince Pierre de Grèce et de Danemark, et les vice-présidents le docteur Donnars et M. Jean Moreau, psychologue-analyste jungien. On y trouve des psychanalystes, des historiens des religions, des musicologues, des médecins, des ethnologues, des sociologues et même des automaticiens et des physiciens. Les premières études portèrent sur le phénomène de possession lui-même. Certains y virent une autohypnose, d’autres l’apparentèrent à une narcoanalyse avec des résultats beaucoup plus spectaculaires, d’autres encore songèrent à une plongée très profonde dans l’inconscient, pouvant atteindre, dans les cas extrêmes, l’inconscient collectif. Quant au mécanisme de la transe, le Professeur Broïda, ancien président de l’International Federation for Automatic Control, a proposé une explication du plus haut intérêt, qu’il serait trop long de développer ici, mais dont on peut dire qu’elle découle des concepts généraux de l’Automatique. Elle montre, entre autres, comment, partant d’un schéma fonctionnel, on peut expliquer pourquoi le possédé ne parvient plus à percevoir son propre comportement (ce qui est une bonne réponse à ceux qui, au nom de la science, prétendaient faire des possédés de simples simulateurs). D’autres travaux portèrent sur les variations du champ magnétique qui semblent bien survenir à certains moments d’une cérémonie vaudou. Les phénomènes sont si étranges et si nombreux que leur étude demandera du temps, des contrôles rigoureux et une certaine dose de discrétion. Contentons-nous, pour l’instant, de dresser, en quelque sorte, le catalogue des phénomènes qui méritent examen et qui ont d’ores et déjà été constatés par des personnalités dont le sérieux et la bonne foi ne sauraient être mis en doute.

Quels pouvoirs

Lorsqu’il sort de la cellule où il a été enfermé pendant vingt-et-un jours, le prêtre vaudou reçoit trois objets qui symbolisent ses nouveaux pouvoirs : le açon avec lequel il dirigera les cérémonies et contrôlera les possédés [12], le paket kongo qui l’aidera à conserver son équilibre psychique et à soigner les malades [13] et un support de voyance qui peut être un simple jeu de cartes. Ainsi est bien marqué le triple rôle qu’il tient désormais dans la société : prêtre, thérapeute et magicien. En tant qu’oracle (surtout s’il a acquis la prise des yeux, grade ultime de l’initiation), il ne posera jamais aucune question à la personne venant le visiter, mais il verra tout : son passé, son présent, son avenir, et surtout la manière dont sa vie s’articule dans l’ordre du monde. Dès lors, il pourra agir au mieux des intérêts de celui qui a recours à lui. Je puis en témoigner : la magie vaudou n’a que des rapports fort éloignés avec les tristes manœuvres que nous classons sous ce nom en Europe. Il s’agit d’une très ancienne science qui, pour n’avoir jamais été coupée de ses sources, a gardé toute son efficacité. Sauf grands risques pour celui qui l’applique, elle ne peut jamais être utilisée pour satisfaire une vengeance personnelle ou par goût de faire le mal. Le vaudouisant se refuse à admettre que la souffrance est juste, qu’elle est une épreuve voulue par Dieu. Elle correspond toujours pour lui à un désordre auquel il convient de remédier en utilisant d’une part les substances végétales mises à notre portée (car pour chaque poison il existe un contrepoison) et, d’autre part, en agissant sur les forces qui régissent notre univers. Dans l’établissement de son diagnostic, le houngan ou la mambo fera appel à une science des nombres, une numérologie, qui, par bien des aspects, s’apparente à certaines techniques Kabbalistes. Comme le psychanalyste, il exigera de gros sacrifices de la part de celui qui fait appel à lui, la réussite de la cure en dépendant pour une large part, tout devant être payé son juste prix selon ses moyens. Après avoir longtemps souri de la médecine traditionnelle, la science occidentale commence à découvrir son intérêt. « Il est indéniable, écrit le docteur Legrand-Bijou, que les houngans comptent à leur actif de nombreuses guérisons dans le domaine de la maladie mentale ». Pour ma part, j’ai pu assister à de nombreux traitements, certains ayant lieu sous le contrôle de médecins français, avec des résultats spectaculaires. Je songe, plus particulièrement, à un enfant autistique et à une femme qui était devenue incapable de s’alimenter seule et même de bouger. Jean Ziegler va encore plus loin en affirmant : « La guérison des cancéreux par les maeminininha (mambos brésiliennes) n’étonne plus que les imbéciles » et je dois avouer que je ne suis pas loin de partager son point de vue.

Pouvoir de voyance donc, pouvoir magique, pouvoir thérapeutique, mais il faudrait aussi parler des phénomènes physiques qui accompagnent fréquemment le chevauchement : force décuplée, insensibilité à la douleur, en particulier à la brûlure, glossolalie (j’ai entendu une jeune française possédée qui n’avait jamais entendu parler du vaudou, s’exprimer en excellent créole et même, un instant, en fongbé, c’est-à-dire dans la langue des vaudouisants du Dahomey !). La place manque pour rapporter tous les faits dont j’ai eu le privilège d’être le témoin oculaire. Je voudrais pourtant, avant de terminer, évoquer un phénomène encore plus impressionnant, encore plus inadmissible. Il existe en Haïti des sociétés secrètes en marge ou, plutôt, au-delà du vaudou. On les appelle les sectes rouges et leurs adeptes affirment avoir le pouvoir de se métamorphoser en animaux et de voler dans les airs. Cela vous paraît extravagant ? Je le crois sans peine, ayant eu la même réaction. Seulement, après beaucoup d’aventures, j’ai eu la chance de pouvoir assister à l’une de leurs assemblées et j’ai été bien obligé de changer d’avis. Je ne propose aucune explication, je me contente de témoigner : oui, j’ai vu les zobops [14] voler. Il ne s’agissait pas d’une simple lévitation. Ils faisaient des bonds de plusieurs dizaines de mètres, allant de crête en crête, jusqu’à venir se poser, entourés d’un halo lumineux, à quelques mètres de moi.

Depuis ce jour, j’examine avec moins de scepticisme les témoignages que nous possédons sur les sorcières volantes de notre propre Moyen-Age. II en existe des centaines et il paraît difficile d’admettre que tous soient de simples affabulations ou des mensonges délibérés.

Le Vaudou nous a déjà éclairé sur les grands mystères de notre antiquité. Peut-être, grâce à lui, pourrons-nous un jour lever le voile sur ces autres mystères pour lesquels luttèrent si longtemps celles qui furent appelées les sorcières [15], et dont nous ne possédons, jusqu’à présent, que l’image défigurée que nous laissèrent ceux qui furent leurs persécuteurs et leurs bourreaux.

Claude Planson, écrivain et grand voyageur, fut secrétaire de Jean Vilar lorsque ce dernier créa le TNP et co-fondateur du Théâtre des Nations qu’il dirigea pendant dix ans, ce qui lui permit de montrer au public parisien les spectacles traditionnels authentiques des peuples du Tiers Monde. Il créa l’Association pour la Rencontre des Cultures (ARC) et le Centre de Hautes Études Théâtrales (CHET). Spécialiste des problèmes haïtiens, a écrit de nombreux ouvrages sur le Vaudou.


[1] Entre autres Alfred Métraux, Melville Herrovits, R. B. Hall, Jean Price-Mars, Lorimer Denis, Léonce Viaud et le docteur François Duvalier.

[2] Comme Laennec Hurbon, professeur à la faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris.

[3] Hounssi : épouse des esprits (de hun-esprit-et si-épouse, en langue Fon).

[4] Ennéades.

[5] Cellule initiatique.

[6] Prêtre et prêtresse vaudou.

[7] Ce qui lui valut d’être l’objet de tracasseries constantes de la part de l’Inquisition. Elle s’en tira, si l’on ose dire, de justesse, tandis que des centaines d’alumbrados (illuminés), qui éprouvaient les mêmes phénomènes, étaient livrés au bûcher à la même époque.

[8] Hounfor : de hun-esprit-et fo, maison.

[9] Caye-mystères : littéralement : la demeure des loas.

[10] ou Pé : du Fon Kpé, la pierre.

[11] Entre autres le docteur Donnars qui, sous le nom de transterpsychothérapie, applique, en dehors de tout contexte religieux, les techniques d’extase du Vaudou.

[12] Le açon est fait d’une calebasse recouverte d’une résille de perles de couleurs et de vertèbres de serpent. Elle est toujours accompagnée d’une clochette.

[13] Le paket kongo est un paquet de soie brillante, de forme vaguement humaine, contenant des matières finement pulvérisées (essentiellement des feuilles sélectionnées). Il représente, en quelque sorte, le double psychique de son possesseur. On l’utilise pour le traitement des maladies, en l’appliquant un peu à la manière de l’acupuncture chinoise.

[14] Suivant les régions, les membres des sectes rouges se nomment Zobop, Bizango ou Sanpoël.

[15] Sur ce sujet, on lira ou relira toujours avec profit l’admirable Sorcière du grand Michelet.